BRIGITTE FONOUNI-FARDE, SCULPTEUR

Entretien avec Jeanine Rivais.

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fonouni-farde
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Jeanine Rivais : Vous avez un petit accent, et un nom étrange : de quelle origine est-il ?

            Brigitte Fonouni-Farde : C'est le nom de mon mari. Moi, je suis d'origine espagnole.

 

            JR. : Vous vivez en France depuis longtemps ?

            BF-F. : Mes grands-parents, qui étaient nés en Andalousie, avaient fait un détour par l'Algérie ; et mes parents sont arrivés en France en 1962.

 

            JR. : Tout un périple, donc ! Est-ce la raison pour laquelle vous sculptez des bateaux, comme si vous partiez quelque part ; ou des poissons, comme si vous souhaitiez, à leur exemple, être tout à fait libre ?

            BF-F. : Je ne fais pas de voyages personnellement, mais j'en fais beaucoup dans mes œuvres. J'aime partir et m'évader ! J'ai beaucoup bougé en France, parce que j'ai deux parents et que j'ai toujours été déracinée. Je quittais une ville pour une autre, etc. Et maintenant je vis sans racine.

fonouni-farde 1
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JR. : Est-ce pour cela qu'aucun de vos personnages n'a de pieds ?

            BF-F. : Ah ! Je n'avais pas remarqué ! Mais oui, peut-être ?

 

            JR. : En fait, vous les faites jusqu'à la naissance des jambes. Quelques-uns ont des bras, même s'ils sont collés à leurs troncs. Mais certains n'en ont pas non plus. Ils sont donc complètement empêchés de bouger ?

            BF-F. : Peut-être sont-ils comme des arbres ? Ils ont les racines enterrées, de sorte qu'ils sont lourds et qu'ils ne bougent plus. En fait, ils sont toujours très lourds, au point de résister au vent quand je les mets dehors.

 

            JR. : Il me semble que vous avez deux aspects dans votre travail : l'une où la sculpture n'est pas émaillée ; l'autre au contraire où les émaux sont très brillants, voire clinquants. Comment passez-vous de l'un à l'autre, et pourquoi ?

            BF-F. : Avant tout, ce que j'aime, c'est la terre. C'est la matière terre. J'aime gratter la terre, aller au fond des choses, chercher ce qu'il y a dessous. J'ai mis des émaux clinquants parce que j'avais envie qu'il y ait un peu de joie dans ces poissons. Sinon, le reste est plutôt sombre, ou patiné avec des cires, des oxydes. Comme j'aime la terre, j'aime aussi ses différentes couleurs : rouges, blanches, etc. Je n'arrive pas à me fixer dans l'une d'elles, et m'y cantonner. Et, selon ce que je veux faire, je choisis l'une ou l'autre.

 

fonouni-farde 2
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JR. : J'ai un peu évoqué l'idée du poisson libre dans l'eau. Il me semble que votre relation au poisson est presque obsessionnelle ?

            BF-F. : Non. C'est simplement parce que le thème du festival était "Ulysse…" Je trouvais que les poissons étaient les bienvenus. Mais je suis plutôt en quête de petites histoires. C'est un peu difficile à expliquer, mais j'ai imaginé deux petits personnages que l'on retrouve un peu partout et qui, eux, ont des membres et un corps complet. Un jour, quand le vent s'est levé, ils ont décidé de le suivre ! A partir de là, ils ont marché un peu, beaucoup, passionnément… Ils sont allés au-delà des soleils connus…Ils ont fait des rencontres… Et, comme ils étaient un peu fatigués, ils ont fait appel à une tortue, mais elle était un peu glissante. Alors, ils ont fait appel à un éléphant pour voir plus loin, et enfin à une girafe pour voir au-delà de l'horizon.

            Au fil de leurs rencontres, ils ont croisé des êtres en devenir, des voyageurs du temps, des rêveurs, des penseurs, des bagarreurs de la vie, des chasseurs de traces parce que je suis une passionnée de traces et d'empreintes, la Déesse-Fleur avec qui ils ont partagé son Jardin des Songes et qui leur a fait cadeau d'une petite fleur. Dans ce jardin, il y avait la Maison-Citrouille qui était habitée… Et quand ils ont entendu le chant des étoiles, ils ont décidé de suivre les sillons de la mer. Ils ont été aussi des chevaucheurs d'écume. Ils ont plongé un peu plus profond, ils ont fait connaissance avec des impressions sous-marines…

            De mes deux personnages, l'un est toujours dans la contemplation, l'autre dans le mouvement. L'un est actif, l'autre se laisse porter par la vie. Et puis, un autre personnage qui était le gardien des âmes et des lieux.

            Un jour, le vent a tourné, et ils ont décidé de revenir, de prendre le chemin inverse. Le retour s'est déroulé plus facilement, parce qu'ils ont voyagé à l'intérieur d'un véhicule-poisson qu'ils pouvaient ouvrir ou fermer selon le temps. Ils ont retrouvé leurs joyeux voisins qui n'arrêtaient pas de faire la fête. Mais eux, se sont assis sur leur banc préféré, ils ont levé les yeux au ciel, et puis… et puis…

fonouni-farde 3
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JR. : Voilà un récit vraiment très poétique. Vous aviez l'idée de ce conte, et vous avez réalisé les sculptures a posteriori ? Ou vous avez créé les sculptures indépendamment et ensuite vous vous êtes fait votre histoire ?

            BF-F. : C'est un mélange des deux. Je travaille avec des enfants, j'anime des ateliers de contes, et je pars toujours de quelques objets que nous réalisons spontanément. Puis, ces objets me parlent, et je les intègre dans l'histoire. Et, à partir de là, j'en fais d'autres pour compléter. C'est ce qui s'est passé dans cette histoire : des éléments de conte entraînaient de nouvelles sculptures… C'est un peu comme un fil sur lequel je tirerais sans cesse.

            Et puis j'en suis revenue à l'idée d'Ulysse qui était le thème du festival. Et j'ai fabriqué mes petits personnages pour les faire voyager. Et comme ils avaient besoin de moyens de locomotion, j'ai fait la girafe, etc.

 

            JR. : Puisque vous avez créé le conte et les sculptures dans une interaction, vous n'avez jamais eu envie de les installer tous dans une situation qui suivrait le fil de leur histoire ?

            BF-F. : Il faudrait en effet que je le fasse, parce que, pour moi, l'histoire est très importante. Je n'aime pas créer des œuvres indépendantes. J'aimerais vraiment pouvoir réaliser cette installation.

 

fonouni-farde 4
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JR. : Ce serait d'ailleurs amusant d'avoir les légendes au-dessous des sculptures, étape par étape.

            BF-F. : J'avais envie de mettre le manuscrit à portée de mains des visiteurs, mais les conditions climatiques ont été telles que je ne l'ai pas fait. Et puis, je n'aurais pas pu mettre les sculptures dans la continuité.

 

            JR. : Auriez-vous aimé aborder d'autres sujets que nous n'avons pas évoqués ?

            BF-F. : Non. Je suis contente de cet échange qui m'a permis d'expliquer ma démarche.

 

            Cet entretien a été réalisé à Banne, dans les Ecuries, le 16 mai 2010.