NATHALIE GAUVIN, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Nathalie, votre monde est végétal ou aquatique ? 

Nathalie Gauvin : Oui. Entre autres.

 

J.R. : Vos tableaux principaux sur les cimaises de Banne sont uniquement aquatiques, et ce sont des poissons ? 

N.G. : Oui, c'est une série sur la thématique d'"Alphonse le poisson". C'est une recherche de matière et de texture sur le fond. Et après, le poisson est travaillé au couteau, à la peinture acrylique. Mon travail consiste beaucoup à exécuter les rondeurs, les jeux d'ombres, et à détacher le dessin de ce poisson "Alphonse" sur le fond de la toile.

 

J.R. : Pourquoi "Alphonse" ? 

N.G. : Je trouve que c'est un nom qui lui convient bien.

 

J.R. : Vous dites "détacher le poisson du fond de la toile". Qu'entendez-vous par là? 

N.G. :   Avoir cette sensation de 3D et que le poisson vient à nous, et sort du fond.

 

J.R. : Comme si c'était un collage ? 

N.G. : Oui, on peut ressentir cet effet de collage. 

J.R. : Effectivement, il est très en relief. Une chose quand même me semble évidente : tous vos poissons sont très gestuels. Je n'ai pas l'impression que vous vous attardez à les peaufiner. Ils sont lancés sur la toile.

N.G. : Oui. Ils sont effectivement très en mouvement. Ce qui m'intéressait aussi, c'était de retranscrire la grâce de ce poisson, avec ses nageoires très dentelées.

 

J.R. : Vos poissons sont sur des fonds toujours non signifiants ? 

N.G. : Oui, le fond ne représente absolument rien. Je voulais vraiment que le spectateur se focalise sur ce poisson. En fait, le fond n'est qu'un appui de texture pour mettre en valeur le poisson. 

J.R. : Justement, même quand le poisson est fait à grands traits, j'ai l'impression que chaque trait de peinture est bien calculé, arrêté au bon moment. Alors que le fond est plus jeté que peint ? 

N.G. : Oui, exactement. Pour le fond, je suis dans un total lâcher-prise. Je ne calcule pas ce que je fais. Je suis à la recherche de différentes matières. Tout cela en fonction de mon état d'humeur du jour. Il n'y a rien de calculé dans ce travail de fond. Ce n'est que lorsque le fond est terminé que je me dis que je verrais bien le poisson dans telle position. Et immédiatement, je sais la forme, la grandeur qu'il va avoir. Et l'assemblage des couleurs vient petit à petit, au cours de ce travail au couteau.  

 

J.R. : Je n'irai pas jusqu'à dire que chaque Alphonse a le bon nombre de nageoires, mais que, quel que soit le nombre, elles sont très travaillées, très sophistiquées. C'est presque de la broderie ! 

N.G. : Oui ! Pour la petite histoire, j'avais offert à mon fils, pour ses dix ans, un petit poisson aux gros yeux exorbités. Ce poisson qui, au départ, était noir, est devenu orange et s'est mis à grossir par les yeux. En observant ce poisson tous les jours, je me suis aperçue que cela me détendait énormément. Du coup, , voyant combien les gens sont tendus, stressés, je me suis dit que peut-être je pouvais leur transmettre cet état de zénitude que je ressentais en regardant le poisson. Ce serait une part de bonheur de gagnée. 

 

J.R. : Il est évident également, qu'Alphonse a une très bonne vue, car avec des yeux comme les siens, il est impensable qu'il soit aveugle ! 

N.G. : Avec cette particularité des yeux très proéminents, il donne l'impression de découvrir le monde. 

Pour en revenir aux nageoires, ce genre de poisson en a de très belles. Je me dis que la nature fait quand même bien les choses. Et, à mon niveau modeste, j'ai essayé de reproduire des merveilles. Je pense que c'est la partie la plus importante dans mon travail. 

     J.R. : Venons-en à vos plantes. Il me semble que nous sommes là dans un monde beaucoup plus décoratif que le monde aquatique ? 

N.G. : Cette série-là était intitulée "Il était une fois…". C'est un travail à l'encre, à l'aquarelle et au pastel sec, qui est fait sur des panneaux de particules de bois. Pour ce travail j'ai créé des sphères, des rondeurs et dans ces sphères, je crée différents univers que chacun peut s'approprier. Il y a beaucoup de détails. La couleur est aussi présente, mais moins que sur les poissons, parce que le travail n'est pas du tout le même. Je voulais en fait une thématique beaucoup plus légère, beaucoup plus féerique. Qui soit vraiment dans l'imaginaire de chacun.

 

J.R. : Tout se passe comme si vous nous donniez les dessins d'un conte dont il nous faudrait trouver l'histoire ? 

N.G. : Exactement ! Et c'est un projet que j'aimerais réaliser avec une amie qui crée des histoires pour enfants. Imaginer une petite histoire dont quelques phrases seraient en vis-à-vis de l'image, les deux étant en parfaite communion. 

J.R. : Comment passe-t-on de ce travail jeté, très gestuel, à ce travail très peaufiné ? 

N.G. : On peut remarquer que les différentes thématiques que j'aborde sont globalement très colorées, et souvent liées aux poissons. Par contre, cette dernière thématique est vraiment un travail sur "Il était une fois…". Elle est vraiment à part, plus sobre en couleurs. Et pour le passage de l'une à l'autre , j'ai parlé tout à l'heure du travail sur les nageoires qui n'est pas évident à rendre en peinture, et j'ai fait une série de poissons à l'encre sur lavis, seulement travaillés sur cet effet de dentelle. Ce travail m'a beaucoup plu et m'a permis de découvrir l'encre qui m'a intéressée. 

Un Croq'zoom
Un Croq'zoom

    J.R. : Venons-en à la question traditionnelle que je pose à tous les artistes : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

N.G. : Il y a d'autres thématiques à découvrir. Sur mon site, j'ai travaillé sur le thème de la bulle, dans tous ses états, l'opacité, la légèreté. Ce sont des toiles très chargées en couleurs, recherche de matière. On pourrait également y voir la thématique des "Croqu'zooms". C'est un mot qui n'existe pas,  qui implique des zooms sur  les différents univers qui me trottaient par la tête et que je travaille plus comme des croquis. On pourra enfin y découvrir un autre thème que j'ai appelé "Le lâcher-prise" où je fais une recherche de coordinations de couleurs, de matières, de textures. Je l'ai appelé ainsi parce que quand je suis dans le travail de ce thème, je suis dans l'abandon total de la toile. Je m'arrête sur la toile à partir du moment où j'ai des éléments qui s'en décrochent. Et j'y vois des choses, des corps de femmes, des visages… tous éléments que le visiteur ne verrait peut-être pas ! A ce moment-là, je sais où je vais et j'arrête la toile. 

 

 

ENTRETIEN REALISE A BANNE, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI le 6 mai 2016.

 

Site : www.nathaliegauvin.com