SOPHIE DELPY, sculptrice

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS

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      Jeanine Rivais : Sophie Delpy, il y a quelques années, nous avions fait un entretien sur des peintures, puisqu'à ce moment-là vous étiez seulement peintre ; et en plus peintre abstraite. Qu'est-ce qui vous a fait changer ? 

Sophie Delpy : En fait, dans mes tableaux abstraits, j'apportais de plus en plus de matière. Et j'étais parvenue à un point où, par endroits j'avais jusqu'à deux ou trois centimètres de matière. Je me suis dit qu'il fallait absolument que je passe à la sculpture. Et la terre me correspondait bien. Jusque-là, j'avais fait quelques essais, mais je me suis sentie prête pour commencer vraiment. Tout de suite, les personnages sont venus. Et avec Giovanni Scarciello, mon compagnon… 

 

J.R. : Justement, je pensais que c'était peut-être l'idée du matriarcat qui vous avait fait changer

S.D. : Pas exactement ! Un jour, nous discutions d'une de ses œuvres, et il se demandait si avec de la terre ce serait bien ? Il avait une idée de tête, moi je pensais à autre chose. Alors, je lui ai proposé de réaliser cette idée, et ensuite nous verrions si cela allait bien ? La réalisation nous a plu à tous les deux. Du coup, nous sommes partis sur ces personnages que nous avons appelé les Tartempion. Chaque personnage a un prénom. Ils sont d'origine du monde entier. Et à chacun de nos voyages, nous rapportons des idées. D'Asie, d'Afrique… Et cela se ressent dans certains personnages. 

Cette année, je suis davantage dans les totems. Avant, c'étaient vraiment des personnages à deux, avec la tête en céramique. Maintenant, dans les personnages/totems, il y a au moins quatre-vingt-dix pour cent de céramique, avec très peu de métal. Jusqu'à des œuvres qui sont intégralement en céramique. 

J.R. : Ce que vous faites, c'est du raku ? 

S.D. : Oui, exactement. Technique japonaise à l'origine, mais qui a été très modernisée, et qui n'a plus grand-chose à voir avec la méthode originelle. 

 

J.R. : Je constate que vous ne faites que des personnages ? 

S.D. : Oui.

 

J.R. : En buste ou en pied. Et à part un ou deux que je vois très en mouvement, tous les autres sont incomplets ? S'ils ont la tête, ils n'ont pas les pieds, ou inversement ! 

S.D. : Cette année, oui ! Il n'y a qu'une partie des personnages. Même les totems ne sont jamais très complets ! 

 

J.R. : Et même ceux que vous appelez des totems, ont des cous sur allongés ou en petits morceaux… Aucun n'a un corps qui soit un corps ! Pourquoi ? 

S.D. : Non, en effet, ils sont totalement imaginaires. 

 

J.R. : Finalement, l'ensemble est très décoratif. Car parmi ces éléments qui sont supposés être des carrés ou des ronds, aucun n'a la même taille, ni la même couleur. Et cela crée un côté ludique. En plus du fait que les empilements de tailles et de formes disparates créent des difformités ! 

S.D. : Oui, je les veux dégingandés. 

       J.R. : Quittons un instant vos totems, et venons-en à d'autres, comme ce poisson/tête ou cette femme avec son gros chignon… On voit clairement  que ceux-là sont du raku, parce qu'ils sont tout craquelés. Et ils n'ont pas l'air d'appartenir à la même série que les autres. 

S.D. : Effectivement, ils ne sont pas de la même série. Ce sont des têtes qui ont un an, et il y a eu une évolution dans mon travail au cours des dix derniers mois. 

 

J.R. : Comment vous est venue l'idée de ces totems, pour revenir à eux ? 

S.D. : J'ai eu envie de grandeur. Mais en céramique, il est toujours compliqué de réaliser des grandes pièces. La plupart du temps, les fours ne sont pas très grands, et elles sont très lourdes à déplacer. J'ai trouvé que ce principe d'empilement était la solution pour avoir de grandes œuvres et pourvoir les transporter où que j'aille. Et finalement, cette solution me convient totalement : au niveau esthétique, fabrication ; et même pour les gens qui souhaitent les emporter. 

 

J.R. : Votre travail est très coloré. Toutes vos œuvres sont polychromes. Vous jouez sur des assortiments de couleurs : je vois par exemple l'un de vos personnages qui a une lèvre orange, l'autre rouge. Et finalement, ces couleurs sont très harmonieuses. Comment les colorez-vous ? Avec des pigments ? Ou des peintures ? 

S.D. : J'utilise des émaux, spéciaux cuisson raku. Que je fais venir de Hollande, parce que je connais là-bas deux personnes passionnées de raku et qui les confectionnent merveilleusement. Moi, j'aime beaucoup travailler la terre, j'aime les couleurs, mais je ne suis pas une potière ; et n'étant pas non plus une scientifique, je ne suis pas intéressée par la fabrication des émaux, comme le sont certains céramistes. 

 

J.R. : Lorsque l'on voit des éléments métalliques sur certaines de vos sculptures, est-ce vous qui les fabriquez ? 

S.D. : Non, c'est Giovanni Scarciello ! 

 

J.R. : Donc, vous trichez ! 

S.D. : Non, c'est le plaisir de travailler en commun ! 

 

J.R. : Il faut quand même bien admettre qu'il a la portion congrue, comme celle où je ne vois de lui que quatre cheveux! 

S.D. : Et même, quand ce ne sont que les cheveux, c'est moi qui les fais ! Nous discutons souvent pour décider si le corps sera en métal ou en céramique ? Et dans le premier cas, c'est lui qui le fait. Dès qu'il y a du métal, c'est un travail à deux. 

 

J.R. : Venons-en à la question traditionnelle que je pose à tous les artistes : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

S.D. : Non, ce que nous avons dit me convient. 

 

ENTRETIEN REALISE A BANNE, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI le 6 mai 2016.

 

VOIR AUSSI : DELPY SOPHIE : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS BANNE 2012.

(Giovanni Scarciello travaille le métal). SCARCIELLO GIOVANNI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : Banne 2006.