FABIENNE ASTIER, peintre

Entretien avec Jeanine Rivais

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          Jeanine Rivais : Fabienne Astier, vous êtes peintre. N'êtes-vous pas plutôt collagiste ? 

          Fabienne Astier : Non. Je fais de la peinture, du collage. Je travaille avec différents matériaux : ce peut être de l'huile, de l'acrylique, de la colle, de la cendre, du papier. Je travaille beaucoup avec le papier. Ce que vous voyez là n'est pas toute ma production. Marthe avait vu mes œuvres dans une exposition, et elle m'avait demandé d'apporter ces peintures parce qu'elles correspondaient au thème du festival.

 

        J.R.: Tout de même, d'après ce que je vois, même si ce n'est pas un collage, c'est découpé "comme" un collage ! 

          F.A. : Ce sont des collages. Avec de la peinture. Ce sont des morceaux d'affiches que j'ai pris dans la rue. Accompagnés de peintures. 

 

          J.R.: Il me semble, au vu de ce que vous avez apporté, que nous sommes exclusivement dans le monde animalier ? 

          F.A. : Animalier, en apparence.

 

          J.R.: Disons plutôt que les têtes sont toutes animalières.

          F.A. : Elles sont animalières ; et le thème de cette série s'intitule "Animus". Et c'est plus sur l'âme. J'ai commencé cette série en rentrant d'Afrique. J'appartiens à un collectif d'artistes qui est plutôt basé à Paris où j'habitais avant de m'installer dans le Gard. Nous sommes associés à un collectif d'artistes béninois et nous faisons des résidences communes. Après la première résidence que j'ai faite au Bénin, je suis revenue avec une expérience un peu désacralisée de la peinture, parce que je faisais tout à fait autre chose. Et j'ai appris à travailler avec des matériaux de la rue, ce qu'ils font beaucoup là-bas.

              J.R.: Donc, vous êtes devenue récupératrice ? 

          F.A. : Pas seulement récup'. Mais ceci est la résultante de mon travail en Afrique. J'ai voulu, en rentrant chez moi, travailler avec ce que je trouvais dans la rue. Donc, les affiches. Chez nous, il y a pléthore d'affiches. Je suis partie de cette base-là. Et pour moi, il s'agissait de retranscrire ce qu'était mon expérience africaine. Ce qu'était la terre africaine que j'ai trouvée très masculine. Pour moi, il s'agissait de mettre à jour la part masculine que j'avais en moi. 

 

          J.R.: Quand vous prenez une affiche, -je vois certains morceaux d'affiches qui sont complètement peints et abstraits. d'autres avec de minuscules écritures, d'autres enfin avec des écritures énormes, dont l'un qui dessine toute la tête-, comment choisissez-vous ce que vous allez mettre ? 

          F.A. : Je suis très attirée par le graphisme, par la lettre, donc je pars souvent d'une lettre ou d'un groupe de lettres, parce j'aime tel graphisme. Après, c'est un peu au feeling. Quand on dit que ce sont des animaux, c'est un peu par hasard. Je ne "voulais" pas faire des animaux, mais la forme a fait que cela est devenu des animaux. Mais je pars toujours d'un graphisme de lettres. 

 

          J.R.: Quel que soit l'"animal" (entre guillemets puisque vous me dites qu'ils ne le sont pas réellement), ou quelle que soit la forme que vous lui donnez dans le tableau, vous avez toujours un fond non signifiant. 

       F.A. : Oui. J'axe plus sur l'écriture d'un personnage. Après, qu'appelez-vous "un fond signifiant" ? 

          J.R.: Je veux dire que vous n'avez pas de ville, de bâtiments, d'arbres… derrière la partie que vous créez. Ce sont des fonds vides. 

          F.A. : Ils peuvent paraître vides, mais ils sont toujours animés. Je mets de la lumière ou une sorte de matière qui fait que le fond existe quand même. De  la perspective, de la lumière…

 

          J.R.: Qui existe déjà a priori, en raison du contraste avec les couleurs de la partie "animée" ! 

          F.A. : Oui. Mais le fond est toujours un travail de peinture. J'essaie donc à ce moment-là de travailler la matière et la lumière de la peinture. Ils ne sont pas tous signifiants, mais il y a toujours un travail sur le fond. 

 

          J.R.: Je n'ai pas dit qu'il n'était pas "travaillé" ! J'ai dit qu'il n'était pas signifiant, ce qui est différent ! 

        F.A. : Mais pour moi, mon écriture essentielle est basée sur le personnage, sur ce qui représente ma part d'humaine. Mon humanité.

 

          J.R.: Vous aviez commencé à me dire qu'en fait ce n'étaient pas des animaux ; que c'était plutôt une question d'âme. Pouvez-vous développer cette idée ? 

        F.A. : C'est un peu ce que je vous ai expliqué. Il n'y a pas très longtemps que j'ai commencé à peindre. C'était en 2009. Ma peinture était basée plutôt sur le corps féminin. Mon expérience africaine m'a un peu sortie de ce carcan auquel je me soumettais. C'était un carcan vraiment personnel parce que je n'ai pas eu de formation académique. Mais, quand on commence la peinture à mon âge, quel était le sujet qui vient à l'esprit ? Pour moi, c'était le corps, le corps féminin. J'avais besoin de mettre un langage sur mes questionnements personnels : A cinquante ans, qu'est-ce que l'on est comme femme ? Où en est-on ?  

Et puis, quand je suis partie en Afrique, cela a été tout à fait autre chose. D'abord, il y avait beaucoup d'artistes africains masculins. Je trouve que cette terre est très masculine. Et mon âme a aussi quelque chose de masculin que je n'avais jamais ressenti jusqu'alors. Je me sentais femme jusqu'au bout des ongles, jusqu'au bout des pieds, dans les racines. Je n'ai jamais voulu être un homme. Et là, je me sentais guerrière. Guerrier plutôt. Donc cet "Animus" est en fait ma part d'âme masculine. 

          J.R.: Je vois, des œuvres que vous avez mises un peu à part, mais qui me semblent intéressantes. Ce serait sans doute une autre série, sur le thème "apparition / disparition ? 

          F.A. : Je travaille toujours par séries. Et je pense que l'apparition se forme à chaque série que je commence. Je fais ce choix, parce que pour moi qui suis une débutante en peinture, il s'agit d'aller au bout d'une technique. D'une écriture. C'est-à-dire que si je décide de faire un collage, je vais faire vingt-cinq collages… Dans cette série que vous évoquez, il n'y a pas de collage, c'est une série sur la peinture. Peintures acrylique et huile mélangées, ce que ne font pas les artistes d'habitude, mais moi je le fais.

 

          J.R.: Je crois que de plus en plus d'artistes le font ! 

          F.A. : Oui. Et du coup, c'est aussi une autre forme de moi-même. Quand j'ai fini cette série d'Animus, une part de moi disparaît, une autre apparaît. 

 

          J.R.: Oui. Mais il me semble que la série que nous évoquons maintenant est complètement antithétique de la précédente, où vous aviez des têtes bien découpées, bien évidentes. Bien structurées. Toutes au milieu du support. Et là, vous avez à chaque fois une tête qui semble émerger d'un magma. Je dis "émerger", mais en fait, le spectateur ignore si elle sort du magma ou si elle s'y enfonce ? 

          F.A. : Pour moi, elles sortent du magma.

 

          J.R.: Ce sont donc des êtres naissants ? 

          F.A. : Ce sont des êtres d'ailleurs.

 

          J.R.: Oui, mais naissants ? S'ils sont en train d'émerger, ils sont naissants ? 

          F.A. : Non. Je pense qu'ils ont eu une autre histoire avant, mais c'est moi qui la découvre. Comme vous le dites, il m'"apparaît". 

 

          J.R.: Oui, mais ceci est votre histoire, l'histoire que vous vous racontez. 

        F.A. : Je ne raconte rien aux autres. Je leur présente une image, mais je veux rien leur proposer. Chacun doit s'approprier la peinture. Quand le travail est fait, il ne m'appartient plus, je l'offre aux autres. Je ne vais donc pas leur créer une histoire, puisque c'est la mienne. Je veux que les autres rentrent dans leur histoire. 

    J.R.: Comment êtes-vous passée de ces personnages tellement découpés, à ces personnages évanescents ? 

          F.A. : Envie de changer de technique. Et je pense que chaque matériau que je prends m'invite à travailler un thème différent. Par exemple, quand je suis allée l'année dernière à la manifestation "Nous sommes tous Charlie", je suis rentrée portée par cet élan d'espoir qu'avaient les gens de se sentir unis ; de se dire : "Nous sommes en colère, mais nous allons être forts". J'ai pris une toile, et j'ai commencé à faire une base toute noire. Puis je me suis dit que ceci était le présent, mais qu'il fallait penser à l'avenir. Donc, au-dessus, sur la deuxième partie de la toile, j'ai commencé à poser des couleurs, mais des couleurs très vives, toujours acrylique/huile. Et là, j'ai décliné une émergence de lumière. Dans le noir, j'ai fait des racines de couleurs. C'était mon expression personnelle de ce que je vivais. Et ce n'était pas calculé, c'était venu spontanément. Donc, je vous redis que je n'ai pas de plan de travail quand je commence, c'est uniquement une question de matière ou de couleur. 

 

          J.R.: C'est donc toujours un détail circonstanciel qui vous amène vers une nouvelle série ? 

         F.A. : Non, pas forcément. La dernière série que j'ai travaillée portait encore sur le corps, mais très différemment de ce que je faisais auparavant : j'ai fait des empreintes de mon corps. C'était donc une autre histoire, qui rejoignait un peu le travail que j'avais fait à mes débuts, mais le temps a passé. Je m'interroge actuellement sur mon corps, et je ne veux pas proposer dans ma peinture quelque chose d'esthétique, parce que ce n'est pas la réalité. Mon corps, ce sont des empreintes. C'est vraiment "Ceci est mon corps". Tel qu'il est là.

         Quand j'ai exposé ces toiles pour la première fois au mois de mars, toutes les femmes ont été très émues, parce que je ne faisais pas une proposition fallacieuse. Elles m'ont dit que ce que je racontais était vrai. Il n'y a qu'un homme qui m'a dit : "Tu n'aimes pas les femmes". Et quand je lui ai demandé pourquoi, il m'a répondu : "Parce que ce n'est pas beau !". Je lui ai expliqué que, justement, je ne "peux" pas faire du beau, je ne peux pas faire de l'esthétique. Ce n'est pas dans mon langage d'en faire. Je veux être vraie, je veux être au plus près de ce que je suis et de ce qu'est la vie. 

          Donc, parfois, il y a des circonstances qui m'amènent à vouloir "écrire" sur quelque chose, des choses qui me touchent. D'autres fois, la circonstance vient peut-être d'un accident de fabrication, mais il y a toujours quelque chose.

ENTRETIEN REALISE A BANNE, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI le 6 mai 2016.

 Site: fabienneastier.com