CHANTAL WEIREY, sculptrice

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Chantal Weirey, une chose est évidente, depuis des décennies que nous nous connaissons, c’est votre rapport obsessionnel à l’enfance.

        Chantal Weirey : C’est vrai. J’ai un rapport étroit à l’enfance, et au monde naïf. Mais pas seulement naïf. Le monde un peu doux, aux formes un peu rondes, le monde maternel, en somme. 

 

          J.R. : On pourrait presque dire que depuis tout le temps que vous sculptez, vous faites toujours le même enfant, au visage doux, effectivement, un peu humoristique, avec un petit nez bien dessiné, deux yeux étonnés grand ouverts sur la vie. Toujours le même enfant dans une même vie ? Il va prendre des mines différentes, des airs différents, un habit différent… mais c’est toujours le même ?

         Ch. W. : Je ne suis pas tout à fait d’accord. Ce n’est pas « le même enfant ». C’est l’enfant qui évolue, qui devient un peu fragile, qui grandit. Mais il n’y a pas que des enfants, dans ce monde. Il y a aussi des adultes. 

 

          J. R. : Un monde parfois dans la réalité, d’autres fois dans le fantasme, comme cet enfant chevauchant un hippocampe ?

          Ch. W. : Oui. J’aime parfois un peu de fantastique, comme mon Bateau/poisson. Par contre, les chamailleries où les enfants se tirent les couettes, se prennent leurs rubans… tiennent au réel. C’est la cour de récréation.

 

          J. R. : Vous voulez dire que votre création serait anecdotique ? Si on les prend un par un, sauf celui de la baignoire ou celui avec l’hippocampe qui peuvent être considérés isolément, les autres peuvent effectivement appartenir au même monde, cour de récréation ou milieu familial. Mais –contrairement à ce que vous semblez penser- c’est pour moi toujours l’enfant-qui-joue-avec-lui-même-qui-joue-avec-lui-même…  

          Ch. W. : Non, en effet, ce n’est pas ce que je ressens. Mais après tout, pourquoi pas ?

 

          J. R. : Si je considère le Bateau/lune ou le Bateau/poisson, comment en vient-on à faire une tête/cheminée, des rames/bras… ?

          Ch. W. : Je n’avais jamais fait attention qu’il pouvait s’agir d’une cheminée. Et qu’il pouvait s’agir de fumée. Je pensais plutôt à des flammes, à une queue de poisson…

          J. R. : En fait, c’est la forme qui m’a amenée à cette conclusion. En même temps, nous n’avons pas seulement le bateau/poisson, mais aussi la barque avec le poisson à l’intérieur, dont le corps ressort des deux côtés. Ce serait presque l’histoire de Jonas inversée.

          Ch. W. : Oui, c’est vrai. Mais en fait il faut considérer les problèmes d’équilibre : la base est très rigoureuse dans le sens où il s’agit vraiment d’une barque. Et puis, dessus, se passe une histoire. Le poisson rentre dans le personnage et va ressortir de l’autre côté. Mais pour faire le lien entre sa queue et sa tête, il y a une nageoire intermédiaire. La couleur de la nageoire rappelle la crête de la fumée qui sort. C’est un jeu de couleurs : si une couleur apparaît d’un côté, il faut qu’elle se retrouve de l’autre. C’est, pour le Bateau/lune, le même procédé que l’on perçoit peut-être encore plus nettement.

 

          J. R. : Donc, plutôt que l’histoire, vous privilégiez la technique ?

          Ch. W. : Pas vraiment. Je privilégie surtout le côté onirique.

 

          J. R. : Pourquoi privilégier ce rapport poisson/bateau, parce qu’en fait un poisson seul aurait pu avoir une existence aussi forte ? 

          Ch. W. : Oui. Mais cela aurait été tout à fait différent. Effectivement, je pourrais réaliser ce poisson. Mais là, j’avais envie de ce rapport. Et, pour une raison esthétique, la barque est en bas, j’ai commencé par elle, et les éléments du poisson sont en haut.

 

         J. R. : Oui, mais ce poisson est dans une complète impossibilité. Si je continue la courbe à partir de ce qui apparaît à une extrémité, il ne « peut pas » sortir à l’autre bout ! D’où l’aspect imaginaire de cette œuvre.

          Ch. W. : En effet. Je peux dire que le personnage a le bras dans sa tête, puisque le haut de son bras est au niveau de l’œil. La tête sert de bras, de façon à ce que l’équilibre soit établi. 

 

         J. R. : Venons-en à vos groupes : des enfants dansent avec un ruban. Sommes-nous dans le monde des danses folkloriques d’autrefois ? Ou bien, comme nous le disions tout à l’heure, dans la cour de récréation, avec des enfants en train de se disputer ce ruban ?

          En même temps, il semble que cette sculpture prenne une valeur symbolique que n’ont pas les autres : cet enfant qui tient le ruban est sur la terre, et tous les autres tournent autour de la terre.,En somme c’est le thème de « Si tous les gars du monde… » 

     Ch. W. : Absolument. C’est une ronde que je voudrais fraternelle, mais qui ne l’est pas puisqu’ils sont en train de se disputer. C’est en fait le ruban qui sert de base à cette dispute, puisque c’est tantôt la queue de cheval de la fillette qui est tirée, tantôt l’écharpe d’un autre…

 

        J. R. : Je remarque quand même que l’un de vos personnages n’est pas du tout conçu comme les autres : il a la tête triangulaire, alors que celle des autres est d’un arrondi très doux, et surtout ses yeux ne viennent pas vers moi ! D’abord, il louche, et ses yeux ne sont pas pleins de tendresse. Il manifeste plutôt de l’étonnement, de l’agacement, sa bouche est un peu pincée. Que voulez-vous montrer par ces différences ? 

          Ch. W. : C’est peut-être parce qu’il a été fait à part. Il est plus sérieux que les autres, plus âgé. En fait, c’est celui qui les garde, celui qui va être raisonnable. 

          J. R. : Pourtant, on ne peut pas dire qu’il porte le monde sur son dos, puisqu’il est à cheval dessus ! Mais il a la responsabilité de ce que ce monde tourne rond ?

          Ch. W. : Absolument. C’est bien cela ! 

 

         J. R. : Nous pouvons dire que, dans la plupart de vos œuvres, nous avons de grands bébés. Mais à côté, nous avons un enfant sur un canard, une fillette avec son nounours, et l’autre avec sa balle qui est une véritable merveille… Ils ont donc grandi ? En âge, puisque pas en taille. 

        Ch. W. : Oui. Ils arrivent à six ans, à peu près. Mais ils ont un petit air sérieux, ils ne sont plus aussi enfantins. En fait, il n’y a pas de ma part de volonté déterminée. Tout dépend de ce que j’ai en tête au moment où je fais la sculpture. Le visage et les attitudes sont fonction de ce que je ressens à ce moment-là.

 

        J. R. : Pour résumer, on peut dire que la principale caractéristique, c’est votre tendresse pour ce genre de petits êtres ?

          Ch. W. : Oui. Je me sens toujours très proche des enfants. Peut-être que je suis encore, bien que mes enfants soient depuis longtemps des adultes, très proche de l’enfance.

 

          J. R. : Comment se fait-il que, soudain, après tout ce parcours dans la petite enfance, on passe à un adulte dans une bassine, avec un sexe en érection et des testicules bien visibles ? Cela est d’autant plus étonnant qu’il n’y a jamais d’érotisme, de sexualité avec vos enfants. On voit bien, mais c’est en fait la coiffure qui le montre, si ce sont des garçons ou des filles, mais ils sont tous habillés de la même façon, et soudain on en vient à ce personnage très sexué, inattendu dans votre monde ! 

        Ch. W. : Oui. J’ai eu envie de passer à un sujet plus dérisoire, plus « rigolo ».

 

       J. R. : Je ne suis pas sûre qu’il soit si rigolo ! Cet « homme » a « le cul dans la bassine », mais on voit bien qu’il est incapable d’en sortir ! 

Parlons de quelques œuvres différentes,  qui attestent de votre volonté d’aborder la couleur.

      CH. W. : Ce travail-là est plus récent. Les oiseaux, les chats… J’ai eu envie, en effet, d’essayer la couleur. Mais je trouve mon chat très agressif !

 

         J. R. : Je n’y voyais pas d’agressivité, même si ce chat nous tire la langue et a des gros yeux brillants pleins de convoitise. Il semble que ces trois oiseaux sont en train de le narguer. Effectivement, une telle scène ne porte aucune tendresse. Ils me feraient plutôt penser aux Shadocks !

        Ch. W. : Surtout ces oiseaux sont complètement ridicules ! Dans leur posture, leurs couleurs. J’ai décidé de ce rapport de force inversé parce que cela crée un petit questionnement un peu drôle. J’adore les chats et les oiseaux, mais la scène m’amusait. De toutes façons, l’important est que chacun y voie ce qui lui convient. 

         Je crois que maintenant je vais aller plutôt vers un travail comparable au Bateau/lune, parce que c’est un travail très profond, très élaboré, pour parvenir à cet équilibre/déséquilibre. Je vais essayer de quitter « mes personnages », bien que la tentation soit grande d’y revenir périodiquement. 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.