JEAN-PAUL BAUDOUIN, peintre et sculpteur 

Entretien de Jeanine Rivais avec Thomas Baudouin.

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          Jeanine Rivais : Thomas, votre père, Jean-Paul Baudouin, n’ayant pu être présent, vous avez accepté de le représenter. Lorsque sculpture après sculpture, je considère la diversité de ses créations, il me semble que les unes relèvent de la culture, d’autres du jeu. Ce que je considère comme "relevant de la culture", ce sont ses déesses qui nous évoquent des civilisations lointaines, exotiques par rapport à la nôtre. Par ailleurs, certaines sont extrêmement sobres, d’autres très colorées et présentent davantage un côté ludique. Etes-vous d’accord avec ces définitions ?

          Thomas Baudouin : Oui. Il a exploré toutes les civilisations depuis les Chrétiens primitifs ; et c’est à partir de cette culture qu’il a constitué la base de son œuvre. Il a ainsi créé sa propre mythologie. Le travail que vous évoquez est un peu ancien. Nous avons, pour Saint-Galmier, choisi un certain nombre de sculptures où foisonnent les personnages. Des personnages qui vont des Vikings, aux diablotins, aux anges… Qui ont des grands yeux rappelant les Egyptiens, etc. Avec des couleurs qui sont celles de la terre, rehaussées de couleurs vives. Un travail qui va vers l’épuration de tout ce qui est baroque, pour parvenir à la maturité. 

 

          J. R. : Cette évolution que vous souhaitez faire comprendre est donc une avancée chronologique de l’œuvre de Jean-Paul Baudouin.

            T. B. : Peut-être pas de façon aussi absolue. Parce qu’il y a par exemple un vase qui ressemble aux œuvres anciennes et qui, pourtant, est assez récent. Les symboles qu’il a choisis sont manifestes.

 

          J. R. : Il est surprenant, tout de même, de voir côte à côte des œuvres grises, d’une remarquable sobriété ; et des œuvres où prédomine le clinquant. Faut-il considérer que les unes se veulent en retrait, les autres brutalement démonstratives ?

          T. B. : Oui, comme s’il s’agissait d’un regain, d’une revitalisation des mythes pour les remettre dans leur époque. 

 

             J. R. : Est-ce parce  qu’il trouvait que les œuvres sobres n’exprimaient plus avec assez de force ce qu’il voulait exprimer ?

              T. B. : A mon avis, c’est plus une recherche esthétique, de revendication plastique qui est néanmoins cohérente avec le reste. Car il s’agit alors de dessins en bas-reliefs avec, essentiellement, la mise en valeur du dessin, la couleur étant le lien entre ces éléments.

 

           J. R. : Le lien ? Certains personnages me semblent presque appartenir à la bande dessinée ? Comme cet animal qui est à la fois oiseau, poisson, cheval puisqu’il a une crinière. Un animal bizarre, polymorphe et non réaliste.

                 T. B. : Nous sommes proches de la Chimère. 

          J. R. : Et, encore plus inattendu, le personnage clownesque qui est dessus. Comment reliez-vous cet esprit à celui des déesses évoquées tout à l’heure ?

          T. B. : Ce personnage appartient à une série qui s’intitule "Les gros nez". Il est exact que, par son côté ludique, il est plus proche du monde de l’enfance que de celui des déesses. Il y a là un mélange de symboles, de personnages recherchant le banal, le quotidien, qui essaient d’être le plus communs possible. Il y a là, je crois, une sorte de dérision entre l’artiste imbu de lui-même, et l’homme simple qui crée à partir de ses fantasmes et ses délires.

 

          J. R. : Vous m’avez dit que votre père " parlait " des premiers Chrétiens. Je vois ici trois personnages dont deux ont des têtes d’oiseaux, et sont juchés sur le dos de deux bœufs. S’agit-il de la Fuite en Egypte revisitée?

       T. B. : Je ne sais vraiment pas. De toutes façons, il ne peut s’agir que d’interprétations de ma part, je pensais davantage aux rouleaux magiques égyptiens. Car il y a aussi, souvent, un côté magique, dans les oeuvres de mon père. Il revisite toutes ces idées. Mais je ne peux pas être plus précis.

 

          J. R. : Ailleurs, se dresse une sirène : sommes-nous tout à coup entrés dans le monde du conte ?

          T. B. : Il y a toujours une représentation féminine, en l’occurrence une sirène. Ce qui nous ramène aux déesses évoquées tout à l’heure, au culte de la Mère nourricière, de la Nature. Comme toute la base de sa création. Comme si la base de la Création était féminine. Celui qui se trouve sur son dos a le regard émerveillé de l’enfant qui voit des choses extraordinaires, une sorte de joie primale.

 

          J. R. : Il y a, aussi, dans certaines de ses œuvres, une bonne dose d’érotisme. 

         T. B. : Je pense que ces œuvres font référence au culte de la Déesse mère, la Vierge noire, des mythes fondateurs. D’ailleurs, il a, là, utilisé la spirale qui lui sert souvent de point de départ pour sa création. Il lance toujours des pistes différentes. Il va, ainsi, étape par étape, s’enrichissant chaque fois de cette nouvelle expérience, de ces déesses très sophistiquées à ces gros personnages qui ressemblent à des robots.

          J. R. : Mais ses sculptures sobres étant largement aussi efficaces que les colorées, pourquoi va-t-il parfois jusqu’à cette profusion de couleurs, employant même des couleurs très crûes : du rouge à côté du jaune, du vert… 

          T. B. : C’est qu’il quitte alors le bas-relief. Qu’il découvre la troisième dimension de ses œuvres. Il pourrait presque s’agir de monuments. Il cherche une triangulation des couleurs pour parvenir à un impact aussi violent que possible. Ajoutons qu’il mélange souvent matités et brillances.

 

           J. R. : Dans ses écrits, votre père parle-t-il parfois de ses sculptures, pour développer des théories, expliquer sa démarche, donner une idée littéraire de ce travail plastique ; préciser si ses sculptures sont un point de départ vers autre chose, ou si elles sont conçues en dehors de toute autre création ?

          T. B. : Il se sent un peu dépositaire d’une culture. Il écrit dans des revues. Il s’est longtemps considéré comme le récipiendaire d’une baguette magique donnée par l’Enchanteur Merlin. Je crois donc que le côté littéraire et l’écriture sont importants pour lui. 

 

          J. R. : Ce que je veux dire c’est : est-ce que certaines de ses théories ont été consécutives à des sculptures ? Ou au contraire a-t-il développé des idées à partir de sculptures ? 

          T. B. : Je pense que ce sont deux lignes indépendantes l’une de l’autre. Qui partent du même point, et divergent à un moment. Certes, il ne peut pas y avoir un texte sans dessin, par contre il peut y avoir des sculptures sans textes. Mais dans les deux on retrouve la même symbolique, la spirale, l’oiseau, le trait… Il a donc aussi un travail graphique dans ses sculptures.

 

          J. R. : Souhaitez-vous ajouter quelque chose à côté duquel je serais passée ? 

         T. B. : Mon père travaille aussi sur métal, avec des anciens outils agricoles. C’est donc une autre manière de revenir à la terre. 

 

        J. R. : Oui, mais dans ce cas, c’est un retour au quotidien, à l’opposé de l’élévation spirituelle de ses déesses évoquées il y a un moment. 

          T. B. : Oui, c’est retrouver la simplicité des objets qui l’entourent. J’ignore si pour lui c’est un complément indispensable ou si cela se développe a contrario des déesses, mais je sais que là encore, il a besoin des deux. Ces sculptures qui sont souvent totémiques, ont davantage vocation de le protéger. Il dit souvent qu’il les "charge" par la couleur, la dynamique des formes, comme les Egyptiens qui donnaient des formes particulières à leurs sculptures, en fonction de ce qu’ils en attendaient. Là encore, nous en revenons au sacré !

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.