BERNARD THOMAS-ROUDEIX, sculpteur et peintre

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Bernard Thomas-Roudeix, nous avons déjà longuement parlé de vos peintures, voici quelques années : comment situez-vous vos sculptures par rapport à elles ? Sont-elles un complément, une redondance, une création différente ?

        Bernard Thomas-Roudeix : J’ai commencé la céramique une dizaine d’années après la peinture. Je crois qu’il y a un double aspect : le fait que ce qui m’a intéressé dans la terre, ce sont les multiples possibilités techniques, à travers le colombage ou le travail de la plaque ; et au niveau de l’inspiration. 

 

          J. R. : Oui, mais il est évident que le thème est le même que dans les peintures ; l’homme, dans ses difformités, ses handicaps, ses empêchements, etc.

          B. T-R. : Effectivement, il y a eu un moment où mon désir consistait à retrouver dans la céramique ce que j’avais mis sur la toile. Il y a eu, d’ailleurs à un autre moment, un décalage, parce que les céramiques étaient davantage en rapport avec des peintures anciennes qu’avec celles que je réalisais simultanément. Je dirai que maintenant, peintures et sculptures vont de pair. Le travail de la terre m’inspire des choses qui ne sont pas forcément dans la peinture ; et la peinture est souvent présente en amont pour m’amener à travailler la terre, l’émaillage, la couleur, etc. Certaines sculptures sont même directement inspirées d’une peinture. L’une d’elles, en particulier, partait du Portrait de Gabrielle d’Estrées. Il s’agissait de voir ce que je pouvais récupérer comme éléments et comme signes dans mon travail de peintre ; et comment les traduire en volumes. Il m’arrive beaucoup plus rarement de peindre à partir d’une sculpture. 

 

          J. R. : Certes, vos peintures ne sont presque jamais plates, mais par quel processus passe-t-on, sur un même thème, de deux dimensions à trois ? Qu’ajoute cette troisième dimension ?

          B. T-R. : Il se passe des choses un peu particulières, et je crois qu’en céramique je me permets des choses que je ne me permettrais pas en peinture. Ou des choses que, pour des raisons diverses, je ne me permets plus aujourd’hui en peinture. La traduction en volume nécessite de passer de la seule face que l’on a en peinture, au dos que l’on doit aussi imaginer. Bien qu’il ne s’agisse jamais d’une traduction littérale de la peinture, mais toujours d’une réinvention, je crois que ce que je fais en céramique est spécifiquement un travail de céramiste. Et c’est en cela que je me sens plus libre. Le rapport à la peinture est, je crois, très lié à la matière. Et la couleur que je projette sur la sculpture est très liée à ce qui se passe en peinture. Tout ce travail de fendillement sur la matière est en rapport total avec ce que je crée sur mes tableaux.

          J. R. : Il me semble que la dramaturgie est plus évidente en peinture qu’en sculpture. N’est-ce pas dû à l’émaillage qui rend toujours une sculpture « belle » ? En peinture, nous sommes chaque fois en plein drame ; alors qu’il existe un décalage dans la sculpture. Aussi handicapés que soient les personnages, aussi abîmés leurs visages, aussi difformes leurs corps, le drame n’est jamais aussi profond qu’en peinture…

          B. T-R. : Je ne me rends pas trop compte de cela. Je dirai que cela tient au fait qu’en céramique, j’ai tendance à mettre une pointe d’humour que je ne mets jamais en peinture. En peinture, je me suis orienté au fil du temps vers des situations dramatiques, alors que la pratique de la terre m’a emmené vers des actions plus ludiques. La façon de poser tel colombin relève d’un jeu qui va se développer à mesure que la sculpture va avancer. Ce procédé gomme une partie du tragique. Malgré tout, certains petits visages restent assez près des peintures.

 

          J. R. : C’est surtout le côté brillant qui génère une joliesse absente de vos toiles…

          B. T-R. : Il est possible que l’émail enlève le côté dramatique. Et aussi le fait qu’il s’agisse d’un objet et non d’une surface. Il faudrait que je fasse des sculptures non émaillées pour me rendre vraiment compte, mais j’aime bien jouer avec l’aspect mat et brillant. 

 

          J. R. : Vous auriez pu choisir de varier les thèmes, tant en peinture qu’en sculpture : pourquoi, au fil des décennies, avez-vous choisi de reprendre encore et toujours l’homme, l’impossibilité de communiquer, son handicap physique, ses mêmes difformités… ?

         B. T-R. : C’est quelque chose de très profond en moi. Quelque chose dont, d’ailleurs je n’essaie pas de sortir. Car le corps humain est pour moi un champ d’expériences, de possibilités d’expressions. Dans la peinture, j’aborde tout de même parfois le paysage et la nature morte.

          J. R. : Oui, mais ils sont toujours prétexte soit à mettre l’homme en avant, soit à approfondir son mal-être. 

          B. T-R. : J’ai bien quelques toiles sans personnages, mais il est vrai que le portrait m’est essentiel. Le visage surtout, avec seulement de temps à autre le corps.

 

          J. R. : Mais alors pourquoi, le visage étant toujours réaliste, le corps ne l’est-il jamais ? Il est toujours fantasmé. Dans ce cas, pourquoi le mettre ?

          B. T-R. : C’est parce que j’ai besoin de poser le portrait sur une sorte de socle. Ce socle n’est pas anodin, il n’est pas neutre. Dans ce corps, je peux me libérer de façon ludique, parce qu’à la limite on peut imaginer un corps comme un simple cylindre… Il ne m’a jamais été possible d’imaginer la tête sans rien d’autre. Le buste me sert de présentoir, en somme, même si je rajoute encore une sorte de socle. Il peut être purement décoratif, pour mettre en valeur le visage. 

 

          J. R. : En somme, il serait le cadre où se déroule le drame ?

          B. T-R. : Pas exactement. Il reste toujours un peu indépendant du reste. Il permet une plus grande lisibilité du visage.

 

          J. R. : En somme, nous pourrions conclure que sur le corps vous vous amusez, et sur le visage, nous sommes dans le drame ?

          B. T-R. : Je m’amuse aussi, mais de façon plus dramatique, en essayant de respecter au maximum ce qu’est supposé être un visage. Il représente, pour cette raison, une contrainte plus grande. Comme dans les enluminures du Moyen-âge où le peintre se permettait toutes sortes de feuillages, de détails délirants, se laissait aller librement à sa fantaisie. C’est dans ce rapport que j’aime bien travailler. 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.