THIERRY SIVET, sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS

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        Jeanine Rivais : Thierry Sivet, comment êtes-vous parvenu à votre démarche actuelle ? 

           Thierry Sivet : Je suis venu à la terre comme on découvre l’encre pour écrire. J’avais emmagasiné une foule de désirs, de connaissances, j’avais réalisé des sculptures sur bois, sur pierre, des dessins. Et tout à coup, j’ai découvert le feu et la terre ! Cette découverte m’a permis de mettre en place un nouvel univers, parce que la terre est modelable, je peux la travailler avec des émaux, lui donner des aspects très anciens comme si elle sortait de fouilles où elle aurait séjourné pendant des siècles…

 

          J. R. : Vous avez donc trouvé tout de suite les personnages que vous réalisez actuellement, parce que certaines tournures sont récurrentes ?

          T. S. : J’ai continué à faire des alliances de matières : le bois parce qu’il a mis longtemps à pousser et possède une grande énergie. C’est lui qui m’a donné l’habitude d’ « habiter » mes personnages.

 

          J. R. : On pourrait intituler ce que vous faites actuellement « Guerriers, pèlerins et paysans» ?

          T. S. : Plutôt que « guerriers », je préférerais « gardiens ». Mes lances ont toujours un petit bout très rond, un petit lacet qui leur enlève le côté agressif. Mes personnages sont des gens qui vont garder un passage, celui de la vie à la mort, du bas au cosmos. L’un va être le gardien de la Pierre Haute, c’est-à-dire d’un menhir qui bien sûr avait un caractère sacré. Dans ce sens, c’est une écriture qui se rapporte au passé, tout en étant contemporain, car je me réclame résolument de la contemporanéité. 

 

          J. R. : Si je regarde un de vos personnages, je me dis « voilà un paysan chinois ». Mais aucun n’a jamais les attitudes du labeur. Ils sont donc toujours saisis en un moment de détente…

          T. S. : C’est le chapeau qui vous fait penser à un Chinois. Mais je me sens davantage investi dans une histoire mythologique européenne. Mes souches sont plus gauloises qu’asiatiques. J’ai voulu transposer ce monde magique et féerique dont on parle beaucoup, la forêt enchantée dans laquelle habitent des gens. Je parle de ces gens qui y vivent.

 

          J. R. : Il faut distinguer dans vos personnages d’abord la tête  puis le corps qui n’est jamais conçu dans son intégrité, puisqu’il se termine toujours par un seul pied ou en forme de ver. Puisque le haut est toujours achevé, presque réaliste, pourquoi procédez-vous ainsi avec le bas ?

          T. S. : Le bas est pour le clin d’oeil de la vouivre, ce serpent qui court sur la terre. Notre ami Vincenot en a longuement parlé dans ses livres. Ensuite, j’évoque toujours le fait que l’on ait oublié qui, du serpent ou du poisson, est devenu l’Homme ? 

          J. R. : Vous tenez donc finalement à avoir une démarche littéraire ?

          T. S. : Oui. Je suis un amoureux de la littérature. Surtout la littérature relative aux légendes, aux mythologies.

 

          J. R. : Par contre, alors que les chapeaux sont très élaborés, les visages sont à peine dessinés, sans jamais un trait saillant ; comme des œufs, en fait. Parfois, vous suggérez le nez, mais rien d’autre ?

          T. S. : Si je m’astreins à dessiner avec soin le nez, la bouche, les yeux, je vais figer mon personnage dans son attitude. Tandis que, dans ma démarche, ce sont les spectateurs qui vont lui donner un sourire…

 

          J. R. : Je ne suis pas sûre que, face à un tel anonymat du visage, on puisse lui donner le sourire ? Personnellement, je ressens un sentiment d’absence ! 

T. S. Au début, je m’appliquais à bien préciser les traits. Mais comme le travail porte non pas seulement sur la tête, mais sur l’ensemble du personnage…

 

         J. R. : Oui, bien sûr, c’est ce qui fait l’antithèse : le corps très élaboré et la tête incertaine. Mais il faut aussi préciser qu’il s’agit d’un vêtement/corps. Pour la plupart, c’est le vêtement qui est le corps.

          T. S. : Oui, parce que, quand on vit dans la nature, on n’a pas besoin de vêtements.

 

          J. R. : C’est l’inverse, ce que vous avez élaboré, c’est un vêtement sous lequel on ne voit pas de corps. C’est un vêtement/corps, et non pas un corps nu ! 

          T. S. : C’est pour rappeler le petit côté humain. L’homme a été nu longtemps, puis un jour il a trouvé une peau et il s’est couvert. Dans ce contexte mythologique que je souhaite recréer, le côté humain est présent. Dans mes grandes sculptures que j’appelle mes « hommes/galithes »*, le bas est toujours très rudimentaire,  parce qu’il rappelle les temps primitifs, ancrés sur la terre/mère ; et le haut toujours élaboré. 

 

          J. R. : Lorsque je les vois assis sur le sol, un peu chantournés… je comprends bien ; quand vous les placez accotés à des morceaux de troncs eux-mêmes marqués par l’usure du temps, je vous suis toujours. Mais quand vous les placez sur des pots de fleurs, que voulez-vous signifier ?

          T. S. : Ce ne sont pas des pots de fleurs, ce sont des coffres. C’est un travail sur le chant des urnes, pour se souvenir que notre civilisation enterre ses morts dans des cimetières. Mais qu’avant cette sédentarité, nous étions nomades et nous promenions nos morts dans des urnes. 

          J. R. : Ce sont donc des reliquaires ! Nous sommes toujours dans la littérature, mais cette démarche n’est pas très évidente. Je crois que vous gagneriez en lisibilité avec des châsses transparentes (mais comment y parvenir en terre) ou des ossements plus visibles, etc. 

          T. S. : Oui, mais je ne veux justement pas que les gens découvrent tout d’un seul coup, car alors ils se désintéressent de l’œuvre. S’ils sont obligés de s’interroger sur le sens, d’avoir une lecture, ils vont « chercher » cette communication, donc ils vont venir me parler. Et alors, je vais leur servir de guide dans mon univers propre.

 

          J. R. : Chaque fois que vous avez créé des personnages debout, vous placez derrière eux quelque chose qui les dépasse de très haut. Une branche, des bâtons. J’ai cru au début qu’il pouvait s’agir de pèlerins, mais ces bâtons sont tellement plus hauts qu’eux qu’il ne peut en être ainsi : quel sens donnez-vous à ces bâtons ?

          T. S. : Si ! Ce sont bien des bâtons de pèlerins ! Ce sont des moines sur la lande bretonne…

 

          J. R. : Mais vous n’êtes pas breton, pour vous être ainsi passionné pour la mythologie de Bretagne ?

          T. S. : La Bretagne a été le dernier bastion de la mythologie européenne. Elle a été la moins modifiée par les invasions romaines. Aujourd’hui, nous assistons à un renouveau de mythologie celtique, gauloise et scandinave… Je fais partie de la tribu des Allobroges, puisque je suis né dans le Dauphiné. Nous avions le même sentiment d’admiration de la nature que les Druides ou que les Arvernes. Alors que les Asturies, les Galiciens, les Bohêmes, les Thraces… -on peut aller jusqu’aux pays de l’Est-, ont évolué pendant des centaines d’années, jusqu’à l’apogée du fer où les peuples sont devenus guerriers, bien que toujours nomades. 

 

          J. R. : Quand on a, comme cela semble être le cas, sa littérature et sa mythologie plein la tête, arrive-t-on avec la terre, à dire exactement ce que l’on avait envie d’exprimer littérairement?

          T. S. : Non, pas tout à fait. Je suis parfois obligé d’ajouter un titre, ou de raconter l’histoire aux gens, parce que ce serait trop long de l’écrire dans la terre. Ou bien les sculptures deviendraient trop baroques. 

        Je donne donc le début de mon histoire, et les gens vont la continuer à leur guise, la raconter avec des variantes, la rendre vivante, en somme. 

 

          J. R. : Nous revoilà donc dans l’atmosphère des veillées d’autrefois ?

         T. S. : Oui. Je suis un rural, je suis attaché à ce que j’appelle « les ruraux », c’est-à-dire les farfadets, les chamans des bois, tous les êtres liés aux histoires de la campagne. Tout cela est mon essence même.

 

           J. R. : Vous montrez toujours les gens qui vivent sur la terre, les gens qui travaillent leur terre, les pèlerins qui vont vers d’autres terres, les urnes destinées à retourner à la terre. Mais vous ne montrez jamais la terre ! Où est-elle ?

          T. S. : Elle est plus présente dans mes grandes sculptures qui sont davantage ancrées à la terre, à la déesse/mère, à l’idée de la fécondité, des mégalithes destinés à préserver la puissance d’en bas et la relier à la puissance d’en haut, etc. C’est tout cela « ma terre ». Invisible, mais toujours présente ! 

          *Mot construit comme mégalithe, ou « galithe » signifie pierre levée.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.