RAYMOND DENIS, Sculpteur

Entretien avec JEANINE RIVAIS

**** 

          Jeanine Rivais : Raymond Denis, nombre de vos sculptures sont conçues dans l’espace. Mais vous présentez également des œuvres accrochées au mur comme des peintures : comment définissez-vous ces dernières ? 

           Raymond Denis : Cette présentation tient peut-être au fait que dans les expositions, les gens vont généralement vers le concret, vers l’espace, et ne regardent jamais les peintures. J’ai ajouté un cadre comme pour une peinture : mais à l’intérieur, c’est de la céramique en bas-relief.

 

          J. R. : Mais, contrairement à vos sculptures, les « peintures » que vous présentez sont quasiment abstraites : peut-on dire que ce sont des jeux de formes, des jeux de rythmes ?

          R. D. : L’inspiration première est l’ensemble de tous les clichés qui nous ont été transmis par Wolff, concernant l’espace lointain, les nébuleuses. Il est prodigieux de regarder les variations infinies des nuages un jour d’été, auxquels notre imagination donne des formes : animaux, humains… C’est ma source d’inspiration, à la fois pour les couleurs et les formes. Les gens choisissent. S’ils ont besoin de concrétiser un espace en relation avec leurs pensées, ils vont voir dans mes compositions un village, un mouvement… C’est purement et simplement de l’expressionnisme.

 

         J. R. : Je trouve que vous « trichez » : effectivement, au premier regard, on a l’impression d’une œuvre abstraite. C’est ce que vous venez de définir. Mais, en fouillant un peu, on trouve ici un visage triangulaire, un autre plus arrondi ; peut-être un petit personnage en train de danser ; ailleurs un autre de profil. Et plus on s’éloigne de votre tableau, plus ils sont apparents. Il n’y a donc pas matière à interprétation.

          R. D. : Ce que vous dites est vrai. Malgré cela, c’est fou ce que les gens arrivent à voir dans ces œuvres ! Je crois que c’est le jeu qui les pousse à cette démarche. Ils savent qu’ils « doivent » à tout prix découvrir quelque chose dans les œuvres qu’ils regardent. Du même coup, ils interprètent  plus qu’ils ne voient.

 

          J. R. : Il y a un côté assez ludique, dans votre travail : « Trouvez-moi ! Où suis-je ? » ! 

          R. D. : Oui. Mais du coup, il dit aussi « Rêvez ! Allez quelque part ! »

          J. R. : Nous sommes dans un monde extrêmement brillant. Par contre, vos objets en relief sont presque tous mats. Pourquoi ce contraste ?

       R. D. : C’est un aspect pictural, le mélange des matités et des luisances. Le travail est conçu techniquement avec une invention récente, non encore commercialisée, créée par l’un des inventeurs de l’acrylique dans les années 50. C’est un ingénieur alsacien, qui vient de mettre au point un gel permettant de travailler comme avec l’acrylique : les couleurs peuvent s’étendre sans problème au pinceau, mais elles sont relativement luisantes du fait des émaux utilisés. J’en suis donc venu à des couleurs brillantes, alors que d’habitude, je suis attiré par la matité. 

 

          J. R. : On pourrait dire que vos sculptures se définissent par les mots « habitat » et « habitant », l’habitant étant généralement un animal, par exemple un ver magnifié comme s’il était vu à la loupe et deviendrait aussi grand qu’un enfant ? 

          R. D. : Exactement. Lorsque j’étais enfant, j’étais complètement fou des œuvres de Fabre sur les insectes. C’est souvent que l’on va retrouver la mante religieuse, le papillon (parce qu’il y a la nébuleuse Papillon). Il y a un mélange de concret qui rejoint mes premières abstractions. La nature me fascine également, les bulbes, etc.

 

          J. R. : Cet habitat nous ramène à la notion de cocon. Est-ce alors de l’humour, lorsque vous placez le renard au sommet du cocon ? Et où est la chrysalide ? Les autres, qui ont la forme de pyramides, semblent moins naturelles… Nous sommes davantage dans le décoratif, dans l’esthétique…

          R. D. : Oui, en effet. Mais cette esthétique simple me relie à mon importante collection sur le Ramayana et les marionnettes de Java. 

 

          J. R. : Comment définissez-vous ces autres énormes sculptures ?

          R. D. : Je les appelle « Les racines ».

          J. R. Vous les concevez donc comme des végétaux, alors que j’y voyais des animaux ? Des hommes très stylisés, entre autres. Comme lorsque l’on est dans une forêt et que, soudain, on ramasse un morceau de bois usé qui a deux yeux, une bouche…

          R. D. : On peut en effet les voir ainsi. Elles sont faites dans une terre qui ne s’effondre pas. Je peux donc monter. Puis la main termine une esquisse générale. C’est ensuite en m’éloignant que –ce que vous dites correspond parfaitement à ma démarche- je vois ici un visage… Je vais donc accentuer les détails pour qu’il soit plus perceptible, un peu moins à l’intérieur de moi-même. Je le fais sortir de la matière. 

 

         J. R. : Cette partie est donc plus réaliste que la précédente. La chrysalide est aussi chenille. Au-dessus sont des racines avec des nœuds… Cette série me semble en effet plus proche du végétal, moins proche de l’humain. Qu’en pensez-vous ? En même temps, elles semblent plus « charnelles » que les précédentes, elles donnent davantage envie de les toucher. 

         D. R. : C’est la technique de Shino japonais qui consiste à travailler sur des tonalités de  fer, sur des gris, des rouges, ensuite un émail blanc qui évoque la neige sur le sol gelé. C’est donc bien à la fois l’évocation du végétal, mais aussi du minéral qu’il est agréable de toucher. Les socles sont des éclats miniers provenant des coups de grisou dans les mines de Saint-Etienne, et que j’ai récupérés dans les crassiers. Le minéral sous la forme fossile, en quelque sorte, mais accidentelle. Et cela nous ramène au volcanisme.

 

          J. R. : Y a-t-il autre chose, que vous aimeriez ajouter ?

        D. R. : A propos de mon travail, non. Mais je voudrais évoquer le fait que, depuis une dizaine d’années, je participe à la construction de fours. Travail au charbon de bois auquel sont mélangées les sculptures. C’est en somme un gazogène, ce qui nous ramène à la guerre. C’est notre four biologique ! C’est un four en anneaux qui se charge progressivement, se monte à mesure qu’il est empli ; et se termine par un cône. Nous l’avons voulu de présentation esthétique, et il produit des effets de flammes originaux. Les œuvres qui en sortent ont un aspect très particulier. Et les gens qui viennent les visiter sont très passionnés en nous voyant travailler.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.