MICHEL SMOLEC, sculpteur

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Michel Smolec, vous avez longtemps vécu dans un milieu étranger au mo         nde de l’art. Comment en êtes-vous venu à la sculpture ? 

         Michel Smolec : Il y avait longtemps que j’avais envie de sculpter, mais je n’avais jamais pu aller au bout de ce désir. Le travail, le milieu social… Quand j’ai commencé à visiter des musées et des galeries, cette envie est devenue de plus en plus forte. Mais c’est grâce à Raâk André-Pillois que j’ai commencé à sculpter : un jour, il y a une dizaine d’années, elle est venue en weekend chez nous, et elle avait apporté de la terre. Elle s’est mise à travailler. Moi aussi. J’étais parti vers l’aventure. Depuis, je ne me suis plus jamais arrêté. Et même, je me suis mis au dessin.

 

          J. R. : Vous semblez incroyablement timide et réservé. Que vous a apporté le travail de la terre ?

          M. S. : C’était une vraie découverte, car je suis complètement autodidacte ! J’ai commencé par de petits personnages, parce que je ne maîtrisais pas du tout la technique. Et puis, peu à peu, les sculptures se sont agrandies. J’ai commencé à associer des personnages, qui se racontaient des histoires. Des histoires de la vie. Des choses que j’avais vécues, ou qui m’avaient choqué, mes chagrins, mes joies, mes rencontres et parfois mes indignations : ce qui me tracassait depuis toujours. Et je les chargeais de raconter tout cela à ma place. Je pouvais leur faire dire ce que je n’aurais jamais osé dire avec des phrases. Donner enfin vie à toutes ces choses que je sentais bouillonner en moi. 

          J. R. : Les titres de vos œuvres sont toujours très étonnants. Donnez-nous en quelques exemples.

         M. S. : Il y a eu Le Jaloux, Madame Freud, IVG, Le rendez-vous manqué, Caresses, Fantasmes, etc… La sculpture était vraiment finie (et c’est toujours valable), quand j’avais trouvé le titre qui disait précisément ce que j’avais voulu exprimer. Parfois des amis me faisaient des suggestions, mais je continuais à chercher. Jusqu’au déclic ! 

       Tout le monde a compris que mes premières sculptures étaient très psychologiques, très narratives. Et puis, j’en suis venu à des personnages plus grands. En les créant, j’éprouve chaque fois une véritable jubilation à les voir rire, converser avec leurs petits voisins, être toujours très provocants. Là encore, les titres me sont importants : Démosthène, Vénus, Sappho, En attendant, Ne vois-tu rien venir, Laissez-moi vivre, La vie est belle. 

          Récemment, j’ai eu l’idée de créer des couples : d’abord une mère et sa fille, Gaïa et la Gourmande, qui accompagnaient un grand dessin, Le déjeuner sur l’herbe, pour une exposition sur le thème de la nourriture. Et puis Les Twisteurs, où j’ai introduit des chaussures amusantes, alors que les personnages restaient nus… Lorsque l’un des personnages est terminé, il y a une vraie attente à monter l’autre, en fonction du premier. Je crois que là, avec ma volonté de les « unir », le hasard de la création est moins grand. La suivante s’appelle Séductrice, mais il faut encore que je sculpte le personnage qu’elle va séduire !

 

          J. R. : A entendre vos titres, il devient évident que, finalement, bien que solitaires, vos grandes sculptures se rattachent autant à la réalité, parfois à la culture, que vos petits « duos ». Comment en êtes-vous venu à elles ? 

          M. S. : J’ai eu envie, je crois, d’accomplir des performances…

          J. R. : Elles seraient donc uniquement du domaine technique ? J’ai du mal à le croire, étant donné le caractère typique de chacune ! 

          M. S. : Dès le début, j’ai travaillé des terres très chamottées. Très vite, j’ai commencé à utiliser des argiles de plusieurs couleurs. Mais je n’ai jamais été tenté par les vernis, les engobes, etc. J’aime que les couleurs soient naturelles, et jouent harmonieusement les unes par rapport aux autres. 

          Je travaille toujours spontanément, sans aucune idée de ce que sera le personnage « à venir ». C’est la terre qui me guide, parce qu’au début, sauf pour les couples, comme je viens de l’évoquer, je ne sais jamais ce que je vais faire, comment cette nouvelle « aventure » va se terminer ! Je commence par les jambes, le plus souvent incomplètes, et je monte « en creux ». Bientôt, des courbes s’imposent, des lignes, des formes apparaissent… Au bout d’un moment, quand cette amorce de jambes et de corps risque de s’effondrer, je fabrique une sorte d’échafaudage pour les soutenir jusqu’à ce que la terre commence à durcir. Et  j’attends. 

           Si le personnage est finalement masculin, il aura la bouche tordue, les lèvres craquelées, les cheveux embroussaillés, les bras difformes et inégaux, les yeux petits ou au contraire exorbités. S’il est féminin, il est plus sophistiqué, ses fesses sont polies, ses seins très longuement travaillés ; et sa chevelure est très soignée en mèches entrecroisées… Ce soutènement me permet de fignoler sans crainte les visages, les seins ; les sexes ; les cheveux surtout. Je ne sais pas pourquoi je procède ainsi, mais j’éprouve chaque fois cette même envie. Je trouve que cela donne à mes personnages une esthétique que je n’ai jamais vue chez d’autres sculpteurs. 

 

                    J. R. : Vous avez tout à l’heure parlé de dessin. Votre démarche est-elle la même ?

          M. S. : J’ai commencé plus tard, à dessiner aux pastels gras, généralement sur bois, que je trouve le plus souvent dans la rue. La trouvaille conditionne donc le format. Cela me permet d’échapper aux dimensions convenues dans le monde artistique ; et de m’assurer que le moins possible d’influences industrielles et financières vont conditionner ma création. 

          Mes dessins sont beaucoup plus « compliqués » à expliquer que mes sculptures. En général, mes sculptures amusent, provoquent, mais elles sont faciles à comprendre. Mais lorsque quelqu’un me demande pourquoi dans les dessins, je mets toujours trop d’yeux, quel est le nombre de personnages « réellement » sur le tableau…  je ne sais vraiment pas que répondre ! Je laisse aux gens le soin de m’expliquer tout cela ! Quoi qu’il en soit, sculpture ou dessin, j’ai infiniment de plaisir dans chaque création.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.