LUCETTE MONCHANIN, sculptrice

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Lucette Monchanin, comment définissez-vous votre travail ?

             Lucette Monchanin : Je m’intéresse au vêtement. C’est lui qui m’a inspiré mes premières créations.

 

          J. R. : Nous sommes donc dans le monde de la mode ?

          L. M. : Oui. J’ai un passé de couturière de mère en fille depuis ma grand-mère. J’ai toujours vécu au milieu des tissus, des fils et des ciseaux, et nous avons toujours fait nous-mêmes nos vêtements. Quand j’ai découvert la céramique, j’ai très vite eu envie de transférer cette tradition dans un nouveau matériau. De « représenter ». La terre n’est pas le tissu, elle est beaucoup moins facile à travailler. Mais je conçois mes sculptures exactement comme je concevais mes vêtements. C’est-à-dire que je les construis avec des patrons de papier. Des patrons avec lesquels je construis autour du vide. Je ne fais pas les corps. Il n’y a jamais de « pleins ».

 

          J. R. : Pourquoi est-ce si important de travailler «autour du vide» ? Vous créez «la dépouille», en somme ?

              L. M. : C’est pour donner l’impression d’être en train d’enfiler le vêtement.

 

            J. R. : Donc, quand je vois des seins qui dépassent d’un bustier, des pieds qui sortent d’un pantalon… je dois comprendre que, pour vous, c’est en fait le pantalon qui se prolonge et rejoint le bustier ?

             L. M. : Le vêtement sert à révéler le corps. Il est conçu de manière à ce que l’on voie le corps dessous, mais dans l’anonymat, sans qu’il soit personnalisé. Je n’ai jamais envie de mettre des têtes, ni des membres. Parce que leur présence casse le rêve. Lorsqu’ils sont absents, le spectateur imagine ce qu’il peut y avoir dans le vêtement.

          J. R. : Nous sommes également dans le monde du clinquant : Vous choisissez des émaux extrêmement brillants…

          L. M. : Oui. J’aime bien les parures, les tissus de soie, de velours… Je m’inspire beaucoup des collections des grands couturiers. A chaque saison, lorsque paraît Vogue, je l’achète. J’y prends souvent très peu de chose. Mais un petit détail me fait démarrer une sculpture. Ce sont des robes longues, des robes d’apparat…

 

       J. R. : Oui, mais les collections de couturiers sont très connotées, très précisément datées, alors que, dans votre œuvre, nous sommes dans une mode intemporelle. 

        L. M. : Bien sûr ! Totalement. Et parfois, mon travail dérive sur l’imaginaire, des vêtements d’amazones, des vêtements fantaisistes… 

Ce qui me pose problème, dans ma construction, c’est la nécessité de garder des équilibres, alors que mes œuvres sont toujours un peu instables. Mais je n’ai pas envie de mettre des socles, c’est trop lourd. J’ai besoin d’un travail aéré.

 

          J. R. : Quand vous « commencez par » un pantalon, ce dernier est-il fignolé, décoré… avant de continuer le vêtement en fonction de ce que vous avez déjà mis ? Ou bien faites-vous l’ensemble et ensuite vous ajoutez les parures en fonction de cet ensemble ? 

          L. M. : Il n’y a pas de règles. Car certaines sculptures sont faites en deux fois, sinon elles seraient trop lourdes à manipuler. Mais, même en deux parties, ou bien grandes ou petites, là encore je commence par le bas. Car je fabrique une terre cellulose qui est légère et qui a la particularité de durcir très vite. Elle supporte des chocs thermiques importants. Donc, mes bas sont très vite solides pour supporter les hauts. Mais bien sûr, déjà, en faisant l’ensemble, je retourne, je plisse, je fais ressortir… 

          J. R. : On peut donc dire que votre création est purement esthétique ? Dans une esthétique qui reproduirait une tradition familiale ? 

         L. M. : Mon esthétique personnelle. Oui, dans ma famille, bien que nous n’ayons jamais été riches, nous avons toujours été bien habillés. Ma grand-mère venait passer deux saisons chez nous, au printemps et à l’automne, pour faire les vêtements de toute la maisonnée. Depuis ma plus petite enfance, j’ai toujours eu des vêtements qui sortaient de l’ordinaire, qui n’étaient pas achetés et qui avaient un petit cachet personnel. Nous avons toujours eu ce goût.

 

          J. R. : Nous sommes donc dans un devoir de mémoire ?

           L. M. : Oui. Et je peux vous dire que ma fille, qui a pourtant fait des études, a fini par vouloir faire de la couture. Elle est costumière de théâtre. Ainsi, la lignée se perpétue.

 

          J. R. : Y a-t-il autre chose dont vous aimeriez parler ? 

          L. M. : Oui. Je vais vous montrer mes grandes sculptures. 

 

          J. R. : Mais elles sont conçues dans un tout autre domaine. Nous ne sommes plus dans le domaine du corps.Nous approchons du conte.

         L. M. : Oui, tout à fait. Mais un conte un peu cruel : La dame et le monsieur paisibles, et la fleur carnivore qui s’approche d’eux. C’est un autre domaine. C’est ma récréation, mon amusement. Mais, sculptures de mode ou œuvres fictionnelles, j’ai dans tous les cas le même plaisir à les réaliser.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.