JEAN-RAYMOND MEUNIER, sculpteur

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Jean-Raymond Meunier, comment définissez-vous vos personnages, et pourquoi sont-ils si « laids » et tout en jambes ?

          Jean-Raymond Meunier : Ils parlent du quotidien. Je ne dirai pas qu’ils ne sont pas « beaux ». Par contre, je ne saurai pas dire pourquoi ils ont de longues jambes, sauf que cet esthétisme me plaît.

 

         J. R. : Cependant, paradoxalement, ces jambes grêles ne donnent jamais une impression d’élancement, de fragilité. Vos personnages sont « en haut » de leurs grandes jambes, un peu ratatinés sur eux-mêmes.

          J-R. M. : Oui, peut-être. 

 

          J. R. : Et, sans que cela soit lié à leurs jambes, tous sont en déséquilibre. C’est le corps, en fait, qui au bout de ces jambes raides semble en équilibre instable. Pourquoi?

          J-R. M. : Peut-être parce que la vie est ainsi. Chacun essaie de se grandir, d’avancer, sans assurance. D’où cette impression d’équilibre instable. Mais le quotidien est ainsi.

 

          J. R. : Votre «monde» quotidien comprend beaucoup de femmes. Toutes sont très sexuelles, avec des seins nus…

                J-R. M. : Plantureuses, en somme ?

 

          J. R. : Non, justement ! Elles ont la taille fine. Seuls leurs seins sont développés. Et les hanches. On pourrait dire que ce sont des « femmes/canons », comme on disait voici quelques décennies. Par contre, elles ont des têtes absolument minuscules. Pourquoi cette volonté de les faire ainsi ? Sommes-nous en plein sexisme ?

          J-R. M. : J’aime les réaliser de cette manière. C’est ma façon de les ressentir, pas une idée sur laquelle je réfléchis. Je ne crois pas qu’il s’agisse de sexisme ! 

D’ailleurs, je crois que vues ainsi, elles sont attendrissantes. Qu’il se dégage d’elles non pas une beauté physique, mais une beauté intérieure. C’est du moins ce que je ressens. Et c’est la raison pour laquelle beaucoup de femmes aiment mon travail. C’est un peu contradictoire, parce que les femmes aiment d’habitude prendre soin de leur corps, le rendre beau, alors que les miennes ne correspondent pas à ce désir. C’est donc bien, comme je viens de le dire, une beauté intérieure qui s’exprime.

          J. R. : On peut dire que leurs vêtements sont sans âge. Par contre, elles ont toujours les attributs de la coquetterie. Toutes ont un sac à main, du maquillage ; mais pas de bijoux. Pourquoi ? 

          J-R. M. : Parfois, je mets des petits colliers. Mais le sac à mains leur permet de porter tous les objets qui leur sont « indispensables ». Transporter avec elles leur histoire…

 

           J. R. : Il est vrai que nous sommes en plein dans le quotidien. Scène de ménage où la femme est très nettement dominante ; mère qui se penche sur le landau de son bébé ; parents qui emmènent à deux un landau… Gens assis sur un banc, etc.

           J-R. M. : Oui. Chacun à son histoire. Ils sont dans le métro, assis côte à côte, mais ils ne s’intéressent pas trop à leurs voisins. Chacun est dans son livre, dans son petit monde… 

 

        J. R. : A vrai dire, je n’ai à aucun moment pensé au métro. Vos personnages ont un charme désuet qui m’a plutôt fait penser aux veillées d’autrefois. Mais finalement, ils sont insituables. Les visages, les coiffures surannées, l’esprit de ces sculptures me font penser à un monde passé. Ce serait donc faux ?

          J-R. M. : Non. Mais leur situation n’est pas arrêtée. Donc, chacun y met ce qu’il ressent, ce qu’il est en fait. C’est ce qui est intéressant pour moi. 

 

          J. R. : Il me semble qu’il n’y ait que des adultes, dans votre monde. Pas d’enfants.

        J-R. M. : J’ai beaucoup de mal à faire des enfants. Non pas pour le corps, mais pour leur donner l’expression infantile. Seule la différence de taille et l’attitude des « mères » penchées vers eux, peut faire dire qu’il s’agit d’enfants, jamais le visage. … Mais personnellement, cela ne me dérange pas. 

 

          J. R. : Je sais que ces sculptures sont en terre. Mais vous leur donnez un aspect tellement raboteux, tellement inachevé, qu’elles donnent parfois l’impression d’être du papier encollé.

          J-R. M. : Oui, cela va tout à fait avec l’imperfection des corps. Je ne pourrais pas donner les expressions corporelles que je donne à mes personnages, avec des techniques bien léchées. Il faut, en effet, que cela ait l’air inachevé.

          J. R. : Vous faisiez autrefois de gros personnages très lourds, et nous voilà dans un monde quasi-filiforme. Pourquoi avez-vous quitté ce monde qui semblait fait de certitudes, pour en venir à l’autre ? 

          J-R. M. : C’est peut-être parce que je vieillis ? J’aime les extrêmes. Les deux sont excessifs. Mais que l’on soit tout rond ou tout maigre, beau ou laid, l’intérieur est le même, c’est ce que je disais tout à l’heure. Et les uns comme les autres sont dans leurs problèmes, leurs fatigues, leur argent, leur petite maison… 

 

          J. R. : L’esthétique de la laideur, en somme ?

         J-R. M. : Voilà ! L’esthétique intérieure, plutôt ! 

 

          J. R. : L’impression de votre part, d’un intense besoin, comme si vous vous étiez, à un moment, frénétiquement jeté sur vos personnages ; et puis, que tout à coup, vous vous soyez arrêté. Je dirai qu’il s’agit, plutôt que de paysage intérieur, d’une sculpture d’expression. Qu’il s’agit de « jeter » des sentiments forts, des moments intenses.

          J-R. M. : Oui. Tout cela me convient. 

 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.