VERGNE MARIE, peintre d'Art naïf

Court entretien impromptu avec Jeanine RIVAIS

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         Jeanine Rivais : Marie Vergne, vous participez, dans le cadre de l'Art en Marche, à l'exposition intitulée "La Vigne et le Vin" : Qui êtes-vous ? D'où venez-vous ?  

          Marie Vergne : Je suis d'origine stéphanoise, mais je vis depuis plusieurs années dans la région roannaise. Je me passionne pour la nature, les fêtes, les scènes du quotidien… 

 

          J.R. : Je suppose que vous êtes d'accord lorsque l'on vous classe dans les créateurs naïfs ?  

          M.V. : Oui, tout à fait ! 

 

          J.R. : Comme beaucoup de gens qui appartiennent à cette tendance, êtes-vous autodidacte ? 

          M.V. : Pas tout à fait, je suis allée une année aux Beaux-arts.  Mais je n'étais pas du tout satisfaite. C'était pour moi un manque total de liberté. J'étais contrainte d'y faire des choses qui ne me passionnaient pas. Je m'ennuyais à suivre les conseils et j'étais impatiente de créer mes propres images. 

 

          J.R. : Comment passe-t-on d'un enseignement très directif et très consensuel -comment l'oublie-t-on ? – à de petits personnages aussi tendres, aussi évocateurs que les vôtres ? 

          M.V. : Après avoir quitté les beaux-Arts, j'ai commencé à peindre des meubles. J'ai voyagé pour connaître les styles et les motifs d'Europe centrale. Je suis allée en Norvège aussi. J'ai visité des musées d'Art populaire, et j'y ai vu des gens qui racontaient leur village, des scènes qu'ils y avaient vécu… Par ailleurs, je lis beaucoup, je me raconte des histoires…

 

          J.R. : Avez-vous déjà illustré des contes pour enfants : vos scènes ont une tendresse qui leur conviendrait tout à fait ? 

          M.V. : Oui je l'ai déjà fait. Ce qui m'intéresse beaucoup, c'est la recherche des couleurs, les harmonies de couleurs dont je me sers pour "raconter" comment vivent mes personnages. J'ai illustré des contes que j'ai écrits moi-même. Mais pour le moment, rien n'a été édité. 

 

          J.R. : Maintenant c'est tous les jours chez vous la fête au village ! Mais tout ceci n'est que fantasmes, puisque vous êtes une citadine ? 

          M.V. : Oui, mais il y quand même beaucoup de souvenirs. Etant enfant, j'allais en vacances chez ma grand*mère qui avait un grand jardin. Nous avions, à cette époque-là, quatre mois et demi de vacances par an, et je ne vivais que pour ces vacances, dans l'impatience de revenir dans ce grand jardin plein d'arbres fruitiers, d'oiseaux… L'enfance, pour moi, reste donc liée à la campagne.

 

          J.R. : Quand vous peignez un saucisson plus vrai que nature, un chat plus vrai que vrai… Quand vous représentez une tablée vue en légère plongée, etc. il semble impossible que vous ayez vécu de telles scènes : quelle sont vos pensées ? Vous sentez-vous un peu ethnologue ? 

          M.V. : C'est une question d'ambiance. Je désire reproduire une table conviviale : j'aime que les arbres soient couverts de pommes, que les oiseaux aient de grandes ailes, qu'ils soient bien vivants… 

 

          J.R. : Néanmoins, vos oies marchent au pas, en rangs bien réguliers, vos chats n'ont pas un poil qui dépasse… 

          M.V. : Oui, il faut prendre le temps de s'arrêter, se situer un peu comme dans les contes où gens et animaux ont des comportements qui ne sont pas forcément semblables à ceux de la vie. Prenez la "Belle au Bois dormant" : la vie y est arrêtée. Tout reste en suspens. J'aime cette sensation que tout s'arrête dans mes peintures. 

 

          J.R. : En somme, si je vous ai bien comprise, vous essayez de saisir "un geste arrêté" ? 

          M.V. : Oui, l'émotion que j'ai ressentie à un moment donné, et que je désire fixer. Je veux créer des "images". C'est ce que j'ai toujours voulu faire, parce qu'enfant on me donnait des images que je n'aimais pas, on me montrait des illustrations qui ne me plaisaient pas. J'ai donc de tout temps décidé d'en faire un jour moi-même !

 

          J.R. : Voilà une bonne définition de l'Art naïf ! 

          M.V. : Ces images jalonnent ma vie. Par exemple, dernièrement, mon mari et moi sommes allés dans le Jura. J'ai vu une maison de vigneron qui m'a plu au premier regard. J'ai eu aussitôt envie de la recréer. Mais tout n'est pas forcément aussi immédiat. Il peut arriver que je garde en moi une émotion qui ne resurgira que dix ans après ! Mais quel que soit le temps écoulé, que l'émotion ait été forte ou à peine consciente, si elle a existé, il faudra que je reproduise en le ou la magnifiant, l'objet ou la scène qui l'ont suscitée !  

 

          J.R. : Quand vous dites "J'ai envie de la reproduire dix ans après", vous voulez dire que vous l'avez laissée dormir ? Mais dans ce cas, comment retrouver une réalité qui aura forcément changé en dix ans, à mesure que de souvenir exact elle devient réminiscence, d'omniprésente elle devient forcément épisodique ? Et votre mémoire sélective ne vous joue-t-elle pas des tours ? 

          M.V. : Non, bien sûr ! Mais même si cela se produit, j'ai le sentiment, en le peignant, de magnifier ce souvenir ! Bien sûr, ma mémoire est sélective ; mais elle tourne toujours autour du quotidien, des marchés, des lavandières, des métiers d'autrefois… Les volumes m'intéressent aussi beaucoup, les courges pour leur aspect, toutes les courbes de plénitude, les couleurs chatoyantes, les violets veloutés des grains de raisin, les couleurs multiples des noces de campagne, l'animation colorée des marchés. Et puis les chats, et leur pelage lustré, etc. Je ne me préoccupe pas de technique, ni même de vérité absolue, je mets en scène dans mes tableaux les choses que j'aime. Je peins en somme surtout avec le cœur. 

          Bien sûr, je n'ai jamais pu faire disparaître les apprentissages que l'on m'a donnés à l'école. Beaucoup de gens me disent : "Les Naïfs sont des gens qui ne savent pas peindre !". Mais à mon avis, on ne peut être aussi définitif : certes, certains Naïfs ne savent pas trop bien peindre, mais d'autres ont une technique très fine. Je crois pourtant que, dans l'un et l'autre cas, l'émotion est la même. Elle sera simplement, selon les cas, traduite d'une façon très simple ou plus élaborée. 

 

          J.R. : Ce petit entretien ayant été complètement improvisé, vu que nous nous sommes rencontrées par hasard, y a-t-il un sujet particulier dont vous aimeriez parler maintenant ? 

          M.V. : Non. Je voudrais simplement dire que, maintenant, j'ai trouvé mon expression picturale, et que je veux continuer à raconter une foule d'histoires. En ce moment, je me consacre aux vendanges…

 

          J.R. : Etes-vous déjà venue en Bourgogne à l'occasion de la Saint-Vincent ? 

           M.V. : Non, mais nous sommes allés à Vevey, à l'occasion de la grande fête des vignes qui a lieu une fois par génération. Dès que je pourrai, j'irai assister à une Saint-Vincent, parce que même si mon inspiration peut se trouver dans les livres, j'aime aussi vivre les situations réelles, me plonger dans des bains de foule en fête. 

Je veux aussi redire combien j'aime les chats. J'en ai moi-même huit à la maison. ! Leurs vies sont pour moi de grandes sources de plaisirs, il est juste qu'ils soient sur mes toiles ! 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE EN 2000 ET PUBLIE DANS LE N° 68 DE JANVIER 2001 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.