SYLVIE VAN HAEKEN, Sculpteur

Entretien avec Jeanine Rivais

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            Jeanine Rivais : Votre nom semble d’origine hollandaise ?

            Sylvie Van Haeken : Oui. Mais on le trouve également en Belgique, dans la partie flamande ; sans doute de lointains ancêtres qui ont migré ?

 

            J. R. : Avec votre création, nous sommes dans le monde humain. Il est difficile de dire « l’homme », puisqu’à aucun moment nous ne voyons des corps. Il n’y a pratiquement que des visages. L’homme et les planètes ?

            SVH. : Pas vraiment les planètes. C’est surtout le côté amoureux ; ce que j’appelle « l’amour réfractaire ». C’est l’amour qui, malgré les cassures, les déchirures, résiste à tous les chocs thermiques. C’est mon thème. Et je donne toujours un visage à la terre.

 

            J. R. : Qu’entendez-vous par « chocs thermiques » ?

            SVH. : Dans la relation humaine, il y a tous ces conflits…

 

            J. R. : C’est-à-dire tous ces moments extrêmes où le quotidien perd sa place pour devenir des moments d’une exceptionnelle intensité, en bien ou en mal ?

            SVH. : Plutôt en bien, selon moi. Puisqu’il s’agit de sentiments amoureux, de l’histoire de deux êtres qui sont séparés. Mais malgré la distance, malgré les déchirures dans leur couple, ils sont toujours unis.

 

J. R. : J’oserais presque dire que votre discours est exactement l’inverse de ce que disent vos sculptures ? J’ai chaque fois l’impression d’une très forte osmose entre les personnages. Entre les deux parties des personnages, plutôt. Qu’ils soient contigus ou superposés, il me semble qu’ils sont en complète symbiose, puisque la moitié du visage de l’un est la moitié du visage de l’autre.

            SVH. : L’un d’eux s’intitule « osmose », justement ! L’amour réfractaire…

 

            J. R. : Mais pourquoi « réfractaire », puisqu’ils semblent si bien ensemble ? Qu’ils donnent une impression de calme, de paix. Votre soleil dont les deux parties s’imbriquent parfaitement, a quelque chose de très humain. En fait, en regardant votre travail, j’ai un très fort sentiment de plénitude. Pourquoi voulez-vous les placer dans une situation de crise ?

            SVH. : Mais non, justement ! Bien qu’ils soient séparés de corps parfois, ils ne sont jamais séparés d’esprit. Ils sont toujours ensemble.

 

            J. R. : Ils ne sont jamais vraiment séparés, puisque, « à eux deux », ils forment un visage.

            SVH. : Justement, mais par télépathie, par l’esprit.

 

            J. R. : Vos œuvres offrent, certes, trois dimensions. Mais on pourrait dire que ce sont des « sculptures plates ». Pourquoi cette volonté de les proposer presque en deux dimensions. Au point qu’on les imagine volontiers comme des peintures sur toiles ? Même vos masques sont à peine en relief.

            SVH. : Parce qu’en effet, je travaille comme si je faisais un tableau. J’écrase la terre. Et après, je lui donne des formes. Je lui donne surtout un visage, et je fais ressortir les reliefs avec mon petit couteau. Et dans mes masques, seul le nez ressort, et un tout petit peu la bouche. Je n’arrive pas à les concevoir autrement.

            J. R. : On peut dire que votre travail est infiniment précieux, au sens de « recherché », « sophistiqué »…

SVH. : Il y a une douceur dans mon travail.

 

J. R. : Oui, mais c’est encore autre chose. Finalement, vos œuvres proposent un aspect plein, c’est-à-dire sans dentelures, sans espaces intermédiaires autres que la ligne séparatrice, une sorte de dentelle compacte, en fait.

SVH. : Oui. Je ne m’en rends pas bien compte. C’est difficile de parler de son travail, lorsque l’on travaille spontanément.

 

J. R. : Je dirai qu’ils sont monolithiques, en même temps que très gestuels. Ce côté gestuel vient-il du fait qu’ils soient découpés ? Stylisés, plutôt…

SVH. : Si je ne procède pas ainsi, je trouve que cela les empâte.

 

J. R. : Et pourquoi ce parti pris de ne jamais leur donner un corps ?

SVH. : Parce que, dans mon esprit, je donne un visage à la terre. Et non pas un corps. Il faut que le visage regarde le monde, qu’il respire (c’est pour cela que mes personnages ont souvent de grosses narines), parce que respirer c’est vivre.

 

J. R. : Par moment, j’ai l’impression que vous vous rattachez à des références culturelles. Par exemple, si je reviens à votre soleil, il me fait immédiatement penser à Méliès. Non pas à cause de la lune si célèbre, mais à cause de l’esthétique : lèvres bien détachées, sensuelles…

SVH. : Oui, c’est vrai. On n’a souvent fait remarquer combien le côté féminin est évident dans mon travail. Il est exact que ce soleil est très féminin, très doux.

J. R. : Y a-t-il un autre aspect de votre travail que vous souhaiteriez évoquer, et que nous n’avons pas abordé ?

SVH. : Je voudrais parler de l’abondance de couleurs, parce que je me dis qu’ainsi, je fais ressortir dans la céramique, le côté excentrique que je n’ai pas.

 

J. R. : Oui, mais en même temps, ce ne sont que des couleurs très voisines ou complémentaires, il n’y a donc aucun hiatus.

SVH. : C’est vrai. Et pourtant, les gens s’exclament souvent à propos des couleurs.

 

J. R. : Cela tient sans doute à la brillance des émaux, et non pas aux contrastes de couleurs.

SVH. : Oui. Et aux effets de craquelures. Ma particularité est de prendre des émaux incompatibles avec la terre, pour avoir ces craquelures que je fais ressortir avec de l’encre de Chine, ou selon mon humeur, avec un léger enfumage.

J. R. : L’encre de Chine résiste à la chaleur ?

SVH. : Non. En fait, je la mets après. Sinon, elle brûlerait. Elle entre dans les fissures, et ensuite elle se fixe, plus rien ne bouge.

 

J. R. : Pourquoi le besoin de l’encre ?

SVH. : Avant je faisais du raku qui faisait bien ressortir les craquelures. Mais j’ai voulu trouver un autre procédé, plus simple peut-être, et que finalement j’aime bien !

Un mot encore sur ma définition des « amours réfractaires » : je crois que nous ne nous sommes pas comprises sur le sens du mot « réfractaire». Pour moi, quelque chose de réfractaire, c’est de la terre qui résiste à n’importe quel choc thermique. Il s’agit donc de l’ « amour solide ».

 

J. R. : Parler d’une personne réfractaire implique qu’elle résiste, qu’elle n’est pas enthousiaste. La terre réfractaire est en effet très résistante. Vous faites donc un déplacement du mot. Vous dites que, volontairement vous faites apparaître une cassure entre les deux êtres (alors que pour moi, elle devient de l’osmose). Et vous affirmez que, malgré la cassure, ils résistent à toute séparation ?

SVH. : Voilà. Ils sont unis.

 

J. R. : Pour le meilleur et pour le pire, en somme ?

SVH. : Tout à fait !

 

Cet entretien a été réalisé au festival CERAMIQUES INSOLITES 2005 DE SAINT-GALMIER.