L'ART BRUT PART-IL EN EXODE ?

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Jeanine Rivais bavardant avec des visiteurs
Jeanine Rivais bavardant avec des visiteurs

Depuis des années, les puristes(¹) dont je suis sonnent l'alarme de l'exode de l'Art brut vers l'Art contemporain ! Malgré cela, l'inquiétude est allée crescendo, car chacun se demande ce qui peut expliquer aujourd'hui cet engouement montant pour un art tellement étranger aux modes officielles actuelles ? Qu'est-ce qui amène les plus célèbres critiques d'art mondiaux, à décréter que la notion d'Art outsider ne correspond plus à rien ? Pourquoi le mot "Art brut" qui ne suscitait naguère que mépris auprès des exégètes de la modernité, est-il soudain si apprécié qu'il semble sur le point de supplanter tous les labels qui lui ont succédé ?

En fait, la poussée n'est pas si nouvelle qu'elle en a l'air : Mais, dans un premier temps, elle a eu lieu "de l'intérieur" : Expositions, musées spécifiques… ont sorti de leurs ghettos les patients asilaires devenus créateurs d'"Art brut", "Singulier", "Outsider"… Mais ces gens qui œuvraient à ce surgissement étaient des "mordus" des arts marginaux ! Car, pour participer à leur épanouissement à une époque où ils étaient tellement snobés, il fallait une forte motivation, un intérêt vivace, beaucoup de passion, et l’amour de ces artistes totalement inconnus.

Malgré tout, ce qui devait arriver, arriva : Des "ajouts" protéiformes ont changé progressivement l’esprit de l'Art Singulier. Des nouveau-venus s'en revendiquant ont commencé à exposer en tous lieux, résumant l’infinie distance entre l’esprit originel et celui d’aujourd’hui. Exit, donc, la création discrète et désintéressée, le charme désuet et attendrissant des auteurs isolés. Désormais, la Singularité est grandement menacée par l’indifférence à l’éthique du mot, des artistes qui reproduisent l’attitude de l’art dit "contemporain" !

 

Dans ces conditions, était-il vraiment difficile à la mouvance contemporaine, bien implantée dans les milieux argentés et médiatiques, prônant des formes intellectualisées à outrance, poussée par son arrogance à s'approprier tout ce qui semble lui échapper… de faire l’amalgame avec l'Art brut ? Faire siennes ces œuvres fictionnelles débordantes de vie et de couleurs ! Les régurgiter méconnaissables ; en faire une nouvelle caution pour justifier de telles errances ! Subséquemment, ne devient-il pas nécessaire de poser sans ambiguïté la question : Faut-il craindre, pour ces créateurs marginaux qui cohabitaient "en résistance", la récupération définitive par ces arrivistes qui sont en train de manœuvrer pour s'en emparer ?

 

Jeanine Rivais remettant son prix à Marilena Pelosi
Jeanine Rivais remettant son prix à Marilena Pelosi

Mais il est un autre exode qu'il ne faut pas négliger : Celui vers l'étranger. Déjà, de nombreux pays ont créé des musées, pratiqué des échanges. Parfois même, comme en Roumanie, l'implantation est largement commencée ; où des centaines d'artistes "Singuliers" mêlent désormais ces arts "autres" à l'Art naïf et populaire du pays.

Il est d'ailleurs remarquable qu'aucun hiatus n'est à noter entre ces courants ! Tout se passe comme si ces œuvres, -les unes très psychologiques voire psychanalytiques, les autres très folkloriques-… avaient depuis toujours coexisté ! Alors, va-t-on, là encore, vers une double possibilité : Une cohabitation ou une substitution ? Dans le premier cas, à "Art brut", "Art singulier" va-t-on ajouter "Art populaire", "Art naïf"(³)… ? Et, dans le second, au contraire, s'agira-t-il, pour les "envahisseurs", de bousculer cet art séculaire par leur dynamique picturale, leur colorisme, leurs déséquilibres et leurs dissymétries chaotiques ?

Quoi qu'il en soit, l'Art brut et ses successeurs n'ont plus rien d'introverti, rien de statique, et ce changement n'est pas innocent : Pendant les dernières décennies, chacun a pu noter le succès grandissant des démarches marginales, d'où un accroissement comme il est dit plus haut, de la boulimie accapareuse de l'Art contemporain ! Plus perfide et plus grave, les transfuges de naguère ne sont-ils pas prêts à "faire machine arrière", revenir vers l'officialité, lui permettant ainsi de les intégrer –et avec eux les "authentiques"- à ses froids raisonnements, les engloutir finalement tous pour les priver de leur sens ?

D'où la question : l'Art brut part-il en exode ?

En attendant la réponse, restons optimistes. Rêvons, même, que le dévoreur sera dévoré au cours du millénaire encore naissant, ce qui impliquerait un véritable maelstrom dans le marigot "contemporain" ! Mais, dans ce cas, elle-même conquérante, la marginalité serait-elle toujours, la "marginalité" ? A suivre !

Jeanine Smolec-Rivais (²)

(¹) Voir, par exemple, le texte de Nicole Esterolle ! "L'Art brut est-il soluble dans l'Art contemporain" ?

(²) Voir textes relatifs à l'Art brut et singulier sur les sites : http://jeaninerivais.fr et http://jeaninerivais.jimdo.com/

(³) Certes, ils existent déjà, mais dans des registres complètement différents de l'Art brut. Différents aussi, des mêmes dénominations dans les Pays de l'Est.

CE TESTE A ETE PUBLIE DANS LE CATALOGUE DU GRAND BAZ'ART A BEZU 2014.

 

Jeanine Rivais among artists and collectors
Jeanine Rivais among artists and collectors

IS "ART BRUT" GOING INTO EXODUS ?

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For years, purists (¹), whom I belong to, have been sounding the alarm of Art brut's exodus towards contemporary Art ! In spite of that, anxiousness has gone crescendo, because everyone wonders what may explain today this growing infatuation for an art so foreign to the official existing fashions ? What leads the most world-wide famous art critics to decree that the notion of outsider Art no longer means anything ? Why has the word "Art brut" which, formerly, did exigetes of modernity so strongly despised, suddenly become so appreciated that it seems on the verge of supplanting all labels that went after it ?

In fact, the thrust is not so recent as it looks. But, at first, it grew from "inside" : exhibitions, specific museums… got out of their ghettos the asylum-sufferers who became creators of "Art brut", "Singulier", "Outsider"… But those people who worked at this upheaval were fans of marginal arts. Because, to have a share in their blooming in a time when they were so snubbed, a strong motivation was needed, a vivid interest, much passion, and love for these completely unknown artists.

In spite of all, what must happen, happened : By and by, variable adds changed the spirit of "Art singulier". New-comers started exhibiting anywhere, summing up the immeasurable distance between the primordial spirit and the one today. Therefore, exit the discreet and candid creation, the lone authors' obsolete and moving spell. From now on, is Singularity greatly threatened by the indifference to the word-ethic, of artists who copy the attitude of the Art "said" contemporary !

 

In such conditions, was it really difficult for the contemporary sphere of influence, well grounded in money and media classes, preaching for utmost intellectualized forms, pushed by its arrogance to grab anything that seems to escape it… to confuse with "Art brut" ? Endorse these fictional works, bursting with life and colors ! Get them back unrecognizable ; get out of them a new guarantee to justify such wanderings ! Subsequently, doesn't it become necessary to ask unambiguously the question : Must we fear, for these outsider creators who cohabited "in resistance", the permanent recoupment by these careerists who are hacking to get them ?

 

But, there is another exodus that must not be forgotten : the one towards abroad. A number of countries have already created museums, forwarded exchanges… Sometimes, even, as in Romania, the planting has widely begun ; where hundreds of "artistes Singuliers" mix their foreign arts with Naive and popular ones of the country.

In addition, it is remarkable that no break is to notice between them all ! Everything goes as if these works, -some very psychological even psycho-analytical, the others quite folkloric-… had forever coexisted ! Therefore, do we go, once again, towards a double possibility : a cohabitation or a substitution ? In the first instance, to "Art brut", "Art singulier", shall we add "popular Art", "naive Art"? And, on the contrary, in the second case, will it be question, for the "invaders", to barge into that secular art by their pictorial dynamic, their colorism, their lack of balance and their chaotic asymmetries ?

Whatever it is, "Art brut" and its followers have no longer anything introvert, nothing static and this change is not innocent : During the last decades, everybody has been able to note the growing success of marginal classes, from which as written above, the grabbing hunger of contemporary Art ! More treacherous and graver, are not the turncoats of not so long ago, ready to reverse their position, come back towards official recognition, allowing it to integrate them –and with them the "genuine ones"- to its cold reasonings, engulf them all to deprive them of their meaning ?

Therefore the question : Is "Art brut" going into exodus ?

 

While waiting for the answer, let's remain optimistic. Even, let's dream that the devourer will be devoured along the still new millennium, what would imply a genuine maelstrom in the "contemporary" marigot ! But, in that case, once itself a conqueror, would marginality still be "marginality" ? To be continued !

Jeanine Smolec-Rivais (²)

 

(¹) See, for instance, Nicole Esterolle's text : "Is 'Art brut' soluble into Contemporary Art" ?

(²) See texts about "Art brut" and "Art singulier" on websites : http://jeaninerivais.fr et http://jeaninerivais.jimdo.com/

(³) Of course, they already exist, but in quite different records. Different, also, from the same denominations in Eastern countries.

 

THIS TEXT WAS PUBLISHED iN GRAND BAZ'ART A BEZU's CATALOGUE 2014.