BEGLES : VISIONS ET CREATIONS DISSIDENTES 2016

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LES ALLOCHTONES DE SETH ALEXANDER PRIME

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          Pourtant, de prime abord, ils sont bel et bien humanoïdes, et le visiteur peut se demander si ce ne seraient pas des Aliens qui, par mimétisme, seraient devenus des allochtones ? (¹) Ce qui pourrait expliquer leurs identités lointaines et pourtant si proches. C'est qu'en effet, ces êtres étranges sont ailés. Mais armés de piques, ils ne peuvent être des anges. Bras et jambes nus (noirs), ils sont vêtus de la tête (blanche) aux pieds d'une sorte de toge rouge (comme il est paradoxalement habituel de vêtir les diables, sur terre !). Mais, autre élément inattendu, cette toge tombant roidement jusqu'au sol, semble servir de piédestal (Support ? Moteur puisqu'ils semblent mobiles ?), tandis que les jambes battent latéralement, comme pour maintenir un équilibre. Des êtres, donc, la plupart du temps irréalistes, fantasmagoriques, que l'on pourrait en somme définir comme des corps anarchiques.

Et leur habitat ? Ils sont rigoureusement isolés dans des espaces de géométries parfaites, dont le point central serait une sorte de mirador crénelé, hexagonal, posé sur des arbres/pieds, car l'artiste "dessine des personnages et des arbres en vue plongeante, dans un environnement primitif. Les arbres sont coupés juste au-dessus du tronc et des poutres sont positionnées sur ces troncs pour figurer un pont. Ce procédé est ensuite répété pour créer une route" (²). Ces poutres allant de mirador en mirador, forment losanges, triangles, etc. Et il est à noter que Seth-Alexander Prime connaît la perspective sur le bout de son crayon ! 

          Alors, les personnages armés qui circulent sur ces poutres/routes sont-ils des soldats ? mais, autre paradoxe récurrent, ils sont toujours vus de loin et de profil, seuls les guetteurs qui restent sur le mirador étant de face, mais leur heaume empêche de voir leurs visages. Doit-on en conclure que l'ennemi serait le regardeur, en l'occurrence le visiteur ? Ou bien, comme dans "Le Désert des Tartares", attendent-ils vainement des ennemis qui ne viendront jamais ? Ou qui, au contraire,  sont déjà à leurs portes ? 

 

          Subséquemment,  une question se pose : Ces ennemis seraient-ils d'une autre tribu, "Ceux" qui sont toujours vus à l'avant-plan du tableau et qui sont de race noire ou blanche, cornus ou non ? Tantôt couverts de lourdes armures métalliques, tantôt vêtus de chlamydes, de longues tuniques à ceinture ou de justaucorps. Toujours chaussés de poulaines interminables. Une seule certitude, apparemment, tous ne sont pas ailés mais tous sont des guerriers ! Pourtant, la contrée semble pacifique à souhait, avec ses prairies bien vertes, ses champs labourés tirés au cordeau. Mais comment expliquer qu'aucun paysan ne soit au travail ? 

          Faut-il en conclure que la peur les a chassés ? Et que les individus omniprésents sont, comme naguère Jules César à Alésia, en train de faire le siège des premiers ? Ou bien se situent-ils plus tard dans le temps et appartiennent-ils à un Moyen-âge guerrier où la soldatesque commandait le monde ? Car certains volent sur des machines qui rappellent singulièrement celles de Léonard de Vinci. Sauf que des arbalètes bandées ou des pistolets sont fixés à l'avant et à l'arrière.

 

Et que penser de ces êtres volants, l'un ailé chevauchant un kangourou, l'autre cornu voyageant au moyen d'un ULM ? Et de ce chevalier couvert de pied en cap de son armure, encore relié aux poulies qui l'ont soulevé sur son cheval caparaçonné, et dont la lance fermement fixée sous son bras semble dire qu'il est prêt pour quelque joute équestre, ou pour écraser la piétaille qui se trouve devant lui ! ? 

Et que dire enfin de la monstrueuse tour de siège ornée d'un animal gigantesque, mais redoutable machine d'assaut, sœur des tours mobiles des Romains, dont les machines de jet sont deux canons tirant l'un à l'avant, l'autre à l'arrière, et deux mitrailleuses installées dans la tourelle pointant vers le ciel ; tandis que les troupes dissimulées dans le corps de l'engin, progressent à l'abri d'un bouclier aux armes de la horde ? 

          Ainsi, et quelles que soient les variantes générées par des années de recherche, il est des récurrences qui corroborent l'originalité de cet artiste, auteur d'une œuvre protéiforme, apparemment toujours différente et néanmoins toujours la même. La principale étant qu'il voyage à travers l'espace et le temps, qu'il mélange à souhait l'Antiquité, le Moyen-âge et la période contemporaine ; mais que chaque fois ses constructions sont tellement ouvragées qu'elles semblent plus vraies que vrai ! 

          Une démarche, en somme à la fois obsessionnelle et surprenante, qui démontre ce que peut être le cheminement idéal d'un esprit, à partir d'architectures, de paysages, et d'individus qui, pour être des allochtones, n'en sont pas moins tellement vivants ! .

Jeanine RIVAIS

(¹) Alien est un terme emprunté à l'anglais, qui depuis a été largement francisé, et qui signifie extraterrestre. Les Aliens sont des êtres, des créatures dont certains soupçonnent l'existence et qui viendraient d'autres planètes que la Terre

Le terme allochtone signifie littéralement terre d'ailleurs. À l'opposé du concept d'allochtone, on trouve celui d'autochtone, littéralement terre d'ici. Ce mot est utilisé aux Pays-Bas et en Belgique mais de plus en plus en français pour désigner des personnes ou des groupes de personnes d'origine étrangère.

(²) Seth-Alexander Prime.