BEGLES : VISIONS ET CREATIONS DISSIDENTES 2016

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LES BOITES A BILLE DE CELINE CY

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     Il y a quelque soixante-quinze ans, les "boîtes" de Céline Cy auraient été classées dans la plus pure ligne de l'Art brut. Aujourd'hui, elles rangent leur auteure dans celle des créateurs d'Art-Récup, ceux qui trouvent encore dans les décharges de petites merveilles abandonnées là parce que plus aimées, et réemployées par cette artiste dont la volonté évidente est de n'utiliser que des objets de récupération. Et, quels que soient les lieux où elle les glane, de les restituer non pas comme des objets cassés, mais restaurés, "relookés" comme on le dit aujourd'hui en franglais, puis réutilisés en des associations inattendues. Elle sait alors inventer des rythmes nouveaux, associer harmonieusement des éléments disparates, partir en fait de l'éphémère pour parvenir à la pérennité. 

     Et bien sûr, elle aurait naguère trouvé  des "concurrents", Francis Marié, Emile Ratier, Patrick Michel et sa boule dégringolant du haut en bas de sa "construction", etc. C'étaient alors de "simples machines à bruit, fabriquées avec des cageots qui grincent sous l'action de manivelles de fortune… Jamais inutiles, ces machines ont pour but d'être non pas pratiques, ce à quoi nous sommes rompus ; non pas esthétiques, ce dont notre regard aime à se satisfaire ; non plus simple plaisir comme nous pourrions être amené à le penser : la raison fondamentale est de faire état de soi et, nous ne le répéterons jamais suffisamment, la légitime préoccupation de prouver sa capacité à faire partie du monde" (¹).

     Alors, aujourd'hui, lorsque Céline Cy ramasse des caisses en bois rudimentaires, lorsqu'elle y installe des étagères, des petits placards, des cages à oiseaux… est-elle en train, inconsciemment, de se construire un "chez elle", une infrastructure solide, sur et autour de laquelle elle va placer ses butins ? Car ils sont bien là, tous ces brimborions qu'elle a glanés, fixés sur le fond et les bords, solidement arrimés. 

     Mais une fois réglée la question du fixe, du solide, elle passe à la décoration de cet intérieur : des "arbres" sont là, à l'avant-plan, irréguliers, encore couverts de leurs lichens.et grâce à eux, Céline Cy va introduire un grain de folie dans son univers. Mais une folie bien réglée, bien ordonnancée, des mésanges dans leur cadre à proximité de leur cage à la cloche (récurrente), ornementée de chaînettes brillantes ; de la lampe à abat-jour style 1930 à la bassine à confiture ; de la ferrure de serrure à la vis à ailettes géantes… tout est là, jouant harmonieusement dans l'espace ! 

          Par contre, mis à part un personnage en deux dimensions quasi-effacé au fond d'une des boîtes, aucune vie ne vient animer ces intérieurs. Pas la plus petite peluche, pas la moindre poupée, camion miniature, avion un peu déglingué, etc. Des espaces pleins d'objets / vides de vie ! Et pour corroborer cette absence, sortie des couleurs naturelles des éléments qui vont désormais cohabiter, et contrairement à la majorité des récupérateurs qui créent des lieux, aucune couleur ne vient animer ceux de Céline Cy.

Alors, il faut bien en venir à la fameuse bille qui donne son nom à cet ensemble de compositions. Et se demander si elle est l'ultime moyen qu'elle a imaginé pour apporter une vie : une vie seulement sonore, certes, mais tout de même "faire du bruit", c'est exister. Et ce faisant, Céline Cy anime ses boîtes. Mais alors, si elle a cette volonté, pourquoi la bille chanteuse est-elle toujours translucide ? Pour que l'œil du visiteur ne puisse pas suivre son parcours ? Parce qu'au fond, la créatrice n'est pas sûre de bien faire en animant ces "objets inanimés" ? Tous les questionnements sont ouverts ! 

          Quoi qu'il en soit, le visiteur est, là, confronté à une attitude récupératrice indubitablement obsessionnelle ! Une telle obsession portant un nom bien savant : La syllogomanie ou accumulation compulsive, qui est le fait d'accumuler de manière excessive des objets, indépendamment de leur utilité, de leur valeur ! Mais après tout, Buren ne collationne-t-il pas les rayures (!!) depuis un demi-siècle ? Arman et ses pendules, Keith Haring et ses graffiti, etc. n'appartiennent-ils pas à cette même monomanie ? Alors, pourquoi pas Céline Cy et ses "boîtes à bille" ? 

Jeanine RIVAIS

 (¹) Madeleine Lommel, "L'Aracine et l'Art brut, Z'éditions 1999. Chapitre "Utopie et machine" p 125.