Jeanine Rivais                                                                Paris le 17 juillet 2000.

 

Critique d’Art

59, rue Saint-Blaise

75020. PARIS.

à

Monsieur Jean-Pierre Vedel

Cinéaste

 

 

Monsieur,

 

Depuis bien des années, je parcours l’hexagone et les pays riverains à la recherche de ces êtres tellement créatifs que l’on appelle “artistes singuliers” ou “artistes hors-les-normes”. C’est pourquoi l’annonce d’une soirée qui leur serait consacrée me comblait à la fois d’appréhension, parce que faire passer dans l’officialité une mouvance située depuis des décennies “en marge” ne peut être qu’une initiative très délicate ; et de bonheur anticipatoire à la pensée que nombre d’entre eux qui –à l’égal des officiels-- aspirent désormais à la reconnaissance, allaient enfin voir saluée leur qualité d’artistes !

J’avais bien raison d’avoir peur ! Comme tous les récupérateurs qui ont senti tourner le vent, vous vous êtes ingéré dans un monde que, manifestement, vous connaissez bien mal ! Vous avez traité ces gens souvent fragilisés par des psychismes d’angoisse et de névrose, des ignorances voire des rejets familiaux ou de voisinage, comme s’ils avaient l’habitude de parader en des conversations de salon ! Vous leur avez, du haut de votre savoir-faire sans implication, de votre intellectualisme protecteur, fait dire sans complicité ce qu’ils avaient à dire et qui est de l’ordre de l’intime, du psychanalytique parfois, en encourageant leurs tics et tournant en dérision leurs maladresses ! Sans comprendre un seul instant ce que leur création a de dramatique !

Et puis, je pensais que 40 ans après Jean-Christophe Averty, la mode du saucissonnage était révolue ! Quelle naïveté ! A aucun moment, vous n’avez fait à vos téléspectateurs l’honneur de leur montrer une œuvre : des bribes, des plans lointains, des stations pesantes sur des détails, le papillonnage parisianiste de quelqu’un détenant un pouvoir dont il dispense la preuve au tout venant que nous sommes !

Commençons par Raymond Raynaud : Où était son Don Quichotte qui, à l’instar de son

Jean de Florette lui a mangé 25 ans de sa vie ! 25 ans de réflexion sur sa création, d’interrogation solitaire sur lui-même !... Basta ! Un plan lointain de l’ensemble placé derrière lui ! Une minauderie sur Jean de Florette parce qu’il se trouve au centre de la toile ; mais ce, côte à côte avec l’artiste, pour faire d’une pierre deux coups, montrer deux fadas à la fois ! (Ce n’est pas par hasard que Raymond Raynaud fait à ce moment-là, sa profession de foi. Inconsciemment, lui qui est un vieux monsieur intelligent et sensible, a senti l’ironie rentrée de la situation et, mal à l’aise, en a “rajouté” pour retrouver son équilibre !)

Etait-ce à vos yeux convenable, après l’avoir baguenaudé inutilement dans ses bordilles, de le faire entrer dans le champ de votre caméra, brandissant ce qui pour tout un chacun était une marotte (l’apanage des fous, n’est-ce pas ?) alors qu’il peut témoigner d’une salle entière de sculptures d’Art-Récup’ longuement élaborées ! Et puis, c’était drôle, bien sûr, de le montrer, lui, bien cadré en gros plan, dans ses vêtements sans grâce, avec son inénarrable accent qui sait l’être si réellement (drôle), lorsque ce créateur est en confiance avec les gens !

Venons-en à Alain Genty : comment découvrir ses sculptures peintes qui luisaient sur des étagères, tout autour de son lieu de création, mais...au fin fond des prises de vues. A aucun moment vous ne vous en êtes approché ! A aucun moment, nous n’avons vu une œuvre entière ! Gros plans, par contre, sur ses yeux, sur sa bouche, sur ses mimiques lourdement appuyées, pour être sûr qu’il aurait l’air d’un illuminé. Là encore, –Regardez ! Ces “gens” ne sont-ils pas vraiment fous ? La dérision, mais pas les œuvres ! (A croire qu’au fond, elles vous font tellement peur que vous ne pouvez pas les regarder !)

Et parlons de ce créateur du bord de l’eau dont j’ai oublié le nom, et j’en suis désolée ! Quelle place géographique occupent ses œuvres : ses “totems” ? ses “reposoirs” ? Elles étaient bien trop lointaines pour se faire une idée définitive ! Où sont-elles par rapport à sa maison ? c’est sûrement important de savoir à quelle distance –équidistance ? -- elles sont érigées entre sa femme qu’il évoque, et l’eau (psychanalytiquement la mère) ! Quelle a été la conception d’ensemble ? Mystère ! 

N’alléguez surtout pas, dans tous ces “manques”, celui du temps ! En étant plus rigoureux, en supprimant les virevoltes inutiles, les bouche-trous comme cet orchestre récurrent qui est tout ce que vous avez trouvé pour faire vos enchaînements, vous en auriez eu à revendre.

Peut-être aussi un peu d’honnêteté intellectuelle vous eût-il amené à faire donner divers avis sur Picassiette, au lieu de rester sur ce “on trouve ça partout” qui laisse planer la contre-vérité de Picassiette suiveur et non pas novateur ! Lui dont la création à la fois obsessionnelle et concertée l’a empêché de sombrer totalement dans la folie ! Qu’il ait, comme tous les autres, cherché à embellir sa vie, la sortir de la médiocrité ; qu’il ait su, à partir des déchets d’autrui, créer une œuvre qui a suscité respect et admiration, ne valait que moquerie et rejet ! 

Quant aux deux films qui ont suivi, je ne sais plus s’ils étaient de vous, mais en tout cas ils auraient pu l’être ! Et il n’est guère étonnant que la majeure partie de l’audience soit allée se coucher au milieu de celui sur le Belge Alonsi ! Il n’était nul besoin d’en doubler le temps en cherchant dans la rue des trognes. Chacun pouvait comprendre que c’est là qu’intuitivement il prend ses modèles ! Ce faisant, vous avez “tiré à la ligne”, comme on dit dans les mauvais romans, faisant d’une œuvre tellement forte, un salmigondis d’images sans continuité !

Et ce fut vraiment un tour de force, de transformer en règlement de compte entre les deux épouses d’un bigame, une belle histoire de paysanne autodidacte qui s’est mise un jour à peindre ! Pour les gens dont j’étais, qui ont fait l’effort de se cramponner jusqu’à la fin, les quelques minutes où elle a “raconté” sa peinture ont fait partie des rares moments précieux de cette soirée gâchée ! 

 

“Une réflexion intelligente sur l’art”, dit un hebdomadaire ! Non, Monsieur, un travail prétentieux et sans âme qui laisse redouter le pire, puisque, apparemment vous avez l’intention de commettre d’autres pensums sur le même sujet ! A ce degré de mépris et de médiocrité, vous serez très vite un référent en manière d’Art singulier officiel : Ne sommes-nous pas au temps des valeurs à fleur d’apparence ! 

 

Cette lettre n’appelle pas de réponse !

Et rassurez-vous, je n’ai pas voulu blesser les gens que vous avez affadis, en leur faisant part de cette lettre ! Et je ne vous parlerai pas de ceux chez qui vous êtes resté des heures, sans rien montrer de leur travail, ou presque rien !

Jeanine RIVAIS

 

CETTE LETTRE A ETE ADRESSEE EN 2000

(L'adresse postale a changé)