FIGURATIONS TRADITIONNELLES ET FIGURATIONS HORS-LES-NORMES.

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Dans les années 60, éclataient ou arrivaient en France, des  tendances pic¬turales originales (Nouvelle Figuration, Figuration narrative, Nouveau Réalisme, Arte povera, Pop’Art, etc.). Certaines se sont éteintes. D’autres ont résisté aux phénomènes de modes. Plusieurs se sont investies dans la création de salons,  affirmant leurs spécificités la plupart du temps figuratives, en réaction contre l'Abstrait devenu singulièrement poussiéreux, et contre un art officiel progressivement coupé du grand public. Ainsi, l’un d'eux, fondé en 1978 sous le nom de Figuration Critique, se donnait-il vocation d’"englo¬ber toutes les formes signifiantes possibles dans un ensemble de conception plus vaste qui dépasse les clivages passés ou présents, investit le choix figuratif comme l'une des voies d'accès au discours social… » Ces termes, parmi de nombreuses publications, le situaient historiquement et philosophiquement à la pointe de l’exploration picturale, ses confrères disposant rarement de théoriciens de l’Art, pour se définir très explicitement. 

Les années se sont écoulées, passées à défendre bec et ongles leur existence sans arrêt menacée. Néanmoins, le temps s’est chargé de les émousser, les vider parfois de sens, comme cette Jeune Peinture qui a totalement remplacé le (savoir)-« faire » par un « dit » fumeux et alambiqué, et présente sans imagination des compositions sans beauté et sans âme ! Même pour Figuration Critique, resté le plus vivace, le sens du mot «critique» a changé, a perdu son implication militante, car dans son éventail exploratoire, certaines tendances, pour intellectuelles qu’elles soient, ne remettent rien en question. Bref, une fin de siècle nostalgique des grands élans, des grandes hérésies de ses débuts, des folies de l’après-guerre. Des talents, certes, mais plus de génies. Une sorte d’assoupissement général.

 

Cérès Franco succombera-t-elle à la tentation ?
Cérès Franco succombera-t-elle à la tentation ?

Général ? Non. Car, parallèlement à ces mouvances reconnues, d’autres jusque-là complètement ignorées, se retrouvent aujourd’hui en plein essor. «Nées» à l'aube du XXe siècle, mais restées totalement intimistes dans la première moitié ; elles ont  commencé à s'imposer, elles aussi,  dans les années 60, sous l’impulsion de Jean Dubuffet et sa Collection de l’Art brut et la Neuve Invention ; promues par Alain Bourbonnais dans sa Fabuloserie ; Puis par Madeleine Lommel avec l’Aracine ; et par Gérard Sendrey avec le Site de la Création Franche de Bègles. Sous leur impulsion, et celle de bien d’autres au fil du temps, l’Art brut, l’Art cru, l’Art immédiat, l’Art du bord des routes, l’Art insitic, etc. sont sortis des asiles, ont migré des plus petits villages, des plus humbles jardins… se sont échappés des mains, des cerveaux et surtout des cœurs de gens bien souvent sans aucune culture artistique. Toujours, leur imaginaire puissant, le besoin viscéral de pallier la médiocrité de leur existence, ont donné naissance à des œuvres fictionnelles débordantes de vie et de couleurs ! A leur usage, se sont créés des revues et des musées. Quelques –rares- galeries, en leur offrant leurs cimaises, ont prouvé qu’ils sont des créateurs à part entière ! 

Le rayonnement, la sérénité de ces Singuliers de l’Art, ainsi baptisés par Alain Bourbonnais pour son Musée d’Art « hors-les-normes » ; et devenus au fil du temps « Artistes singuliers », sont tellement incontestables que des plagiaires ont commencé à les imiter, créant une sorte d’Art brut de luxe ; incapables de voir la différence entre des accumulations signifiantes et des juxtapositions compilatrices ; entre de truculents petits morceaux de vie et des enfantements avortés ! Dans le même temps, des galeristes sans vergogne ont commencé à mettre ces fabuleux bijoux sur les murs où ils suspendaient naguère avec la même absence d’investissement, Art abstrait, Art pauvre, etc. 

Faut-il craindre pour ces créateurs marginaux la récupération par ces arrivistes ? Fallait-il, dans leurs pauvres châteaux laisser les Belles au Bois dormant ? Cette bouffée d’oxygène réveillera-t-elle les autres qui encombrent les cimaises de l’officialité ou couvrent de leur médiocrité les murs des pendeurs de tableaux ? En attendant la réponse, suivons l’envolée de cette force de vie qui, face au vide psychologique et au « tout cérébral », constitue un art de vie intérieure, personnelle, porteuse d’une puissante spiritualité. Et voyons ce qu’il adviendra de ce creuset marginal, au cours du prochain millénaire. 

Jeanine RIVAIS 

Texte écrit à Paris, en 1995.