LES ASSEMBLAGES “RECUP’’ MYSTICO-PAIENS de MARTINE ET ALAIN MORAND

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          Trois constantes singularisent le travail curieux et attachant des Morand : La première est une création de couple, avec le sentiment pour chacun des protagonistes de contribuer totalement à la gestation de l’oeuvre, sans intervenir sur, ni se dissocier de la “part” de l'"Autre”; sans que l”'Autre” use d’aucune prérogative: Deux tempéraments complémentaires en parfaite osmose de réflexion !

          La seconde tient au paradoxe amenant deux créateurs d’une oeuvre à connotation mystique (autels, confessionnaux..) à déployer des rites dérisoires, entraîner le spectateur vers une sorte de liturgie  idolâtre concernant des objets cultuels ou indifférents !

           La troisième enfin, consiste en une volonté  de n'utiliser que des matériaux de récupération; non pas des objets cassés, mais burinés, patinés par le temps, témoins de vies également finies ou changées, dotés d'une puissance résiduelle suffisamment évidente pour influencer quatre mains et deux têtes, les guider vers eux et les entraîner dans des associations inattendues, inventer  des rythmes nouveaux, associer harmonieusement des éléments disparates, partir en fait de l’éphémère pour parvenir à la pérennité ! 

            A partir de ces données, Martine et Alain Morand procèdent dans leur création comme des fidèles, que la lampe brillant à l’intérieur d’un lieu saint pousse à franchir la porte: Un objet évoque-t-il pour eux un possible portail, il devient entrée banale, grossière ou sophistiquée, derrière laquelle ils vont souder, coller, torsader, agglutiner ou contrarier... fils, osiers, Christs ou baigneurs, roulettes ou pointes fourchues... “reconstituer” dans l’intimité de cette "boîte”, calvaire ou tabernacle ; mettre en scène une mystique, s’investir de façon très animiste dans ces pseudo-cérémonials de Vierges-Barbie ou de confesseurs-porte-clefs, d’Annonciation à la Van Weiden  ou de retables-diapasons..., se réincarner dans des compositions saint-sulpiciennes !

          S’agirait-il donc de parodie ? Il semble bien que non ; que pour résister à la violence de le civilisation contemporaine, les Morand aient besoin de se référer à des critères moraux, retrouver des repères, une spiritualité universelle parce que, même galvaudée, elle reste l’apanage de toutes les civilisations: Pourquoi dans ce cas, se priveraient-ils d’y parvenir à leur façon, reconstituer avec leur sensibilité, leur propre Golgotha, leurs polyptyques ou leurs Piéta, si cette inspiration multiples et intuitive leur permet de trouver leur voie vers la sérénité ?

          Double question insidieuse, tout de même, sans mettre moindrement en cause la sincérité de leur démarche: Que deviendra celle-ci lorsque toutes les décharges, déjà de plus en plus rares, seront disparues? Où sentiront-ils les ondes auxquelles ils sont sensibles, pour récréer à travers l’histoire des autres, leur mythologie personnelle?

          Et si cette démarche communautaire est incontestablement génératrice de plénitude, à quelles zones d’ombre correspondent les masques d’Alain Morand, violents, très méphistophéliens, totalement antithétiques de l’oeuvre collective ? Ces deux artistes si sûrs de l’indestructibilité de leur harmonie créatrice seraient-ils involontairement la preuve de la nécessité rédhibitoire de solitude, dans laquelle doit vivre tout créateur pour réaliser l’absolu ?

Jeanine RIVAIS

 

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MARTINE et ALAIN MORAND à JEANINE RIVAIS

Oingt, le 4 octobre 1995

          Nous tenons à remercier Jeanine Rivais pour l’article qu’elle a écrit sur nous après l'interview à Praz-sur-Arly. C’est pour nous enfin un article qui ouvre le dialogue, où il y a matière à controverse et qui nous donne envie non pas de nous défendre (nous ne nous sentons aucunement menacés) mais de défendre quelques-unes de nos croyances (nous en avons tellement peu et surtout pas celles que Jeanine Rivais nous prête).Ce genre d’articles nous manquait… qui tous jusque-là étaient trop gentils et édulcorés et ne mettaient l'accent que sur ce qui était évident (oui, “nous sauvons de l’oubli des objets voués à l’abandon et leur redonnons vie...” et après...?) alors que pour nous, rien n’est évident (première croyance).

          Notre couple, (vieux de 11 ans) n’est lui-même pas toujours évident pour nous et contrairement à ce que dit Jeanine Rivais, nous n’avons absolument pas le sentiment de le voir comme indestructible. Rien ne nous apparaît plus dérisoire et vain que le sentiment de posséder ou de tenir quelque chose. Nous ne nous raccrochons à rien et surtout pas à la certitude que notre harmonie (créatrice ou autre) est éternelle. Nous sommes au contraire, chaque jour, plus conscients de sa précarité et du fait que, loin de nous reposer sur elle, elle est toujours à reconquérir. Pour le moment elle est, c’est tout, et nous la vivons.

          Rien n'est jamais acquis (deuxième croyance), notre rencontre est la rencontre de deux ego très forts qui ont longtemps et très violemment combattu sans rien céder ni concéder à l’autre et la création est venue de ce combat impitoyable. Les deux protagonistes ont cédé leur place à une troisième personne (entité supérieure). Ce n’est plus Martine, ce n’est plus Alain, c’est l’Autre qui agit quand nous assemblons et c’est la seule raison qui fait que sur ce champ-là il n’y a plus d’opposition... ( et ce champ-là s'étend naturellement à tout le reste puisque la création a pris tellement de place dans notre vie qu’elle en est indissociable).

          Il n’y a jamais eu entre nous “osmose de réflexion” car il n’y a jamais eu réflexion. Notre travail est le contraire de quelque chose d’intellectuel et de mental. Il est seulement le résultat de quelque chose de ressenti. Nous avons parlé à Jeanine de notre expérience en sophrologie (formation en deux ans pour être sophrologue, nous avons le diplôme... et n’en ferons sûrement rien sur le plan professionnel). Mais, très important, nous avons appris à sentir les choses avec les cellules de notre corps, cellules qui font partie d’un tout bien plus vaste que nos deux petites personnes... Nous avons appris aussi à lâcher prise, ne pas vouloir absolument les choses, mais accepter plutôt ce qui vient. Nous ne revendiquons rien mais recevons beaucoup... Nous savons que tout est à notre portée, que seule notre perception des choses est encore très limitée et nous empêche de tout recevoir.

          Mais les miracles arrivent plus vite qu’on ne croit. Le festival “Hors les normes” de Praz-sur-Arly en est une (troisième croyance). Enfin nous avons l’absolue certitude que tout est sacré (ou bien rien n’est sacré, c’est la même chose). Comme le résume le titre d’un de nos tableaux “Presque rien, c’est parfois presque tout”, notre oeuvre à connotation “mystique” veut, je crois, dire cela. Pourquoi ne pas élever au rang de sacré, le bout de ferraille ou le morceau de bois rencontré sur notre chemin au même titre que le Christ ou la poupée Barbie calcinée? Qu’importe le support puisque seule compte la force que l’on a ressentie dans cet objet (ou non objet) réceptacle de tout un vécu individuel et collectif (ou les deux) qui est proposé à l’autre (le public), apte ou non à le ressentir. D’où la nécessité (plus que la volonté) d’utiliser des matériaux qui ont une histoire. Nous proposons effectivement avec nos créations d’entrer dans un monde où tout serait sacré.

          Donc, ceci est loin d’être blasphématoire... Nous ne rejetons pas par là la civilisation contemporaine ni ne cherchons à nous référer à quelque critère moral, ou nous raccrocher à quoi que ce soit (cela appartient vraiment à Jeanine Rivais, nous n’avons rien dit de tel, ni même qui pourrait prêter à confusion lors de l’interview). Nous faisons au contraire confiance à l’humanité qui ressent plus que jamais la nécessité d’un monde spirituel auquel il aura accès nous croyons par l’intermédiaire non pas du matériel, mais de la matière.

          Nous voudrions rassurer Jeanine Rivais aussi quant à notre devenir artistique, quand il n’y aura plus de décharges. Nous lui avons dit clairement que depuis bientôt deux ans déjà il n’y en avait plus aucune dans notre région et qu’il nous avait fallu accepter cela, et nous adapter. Ce qui au départ était une tragédie s’était transformé en une acceptation des faits qui nous poussait à aller plus loin, à davantage transformer la matière (en cassant, brûlant). La force créatrice a des ressources et rien ne peut l’arrêter.

          Nous aimerions aussi préciser que, non contents de travailler à deux nous avons l’hiver dernier, travaillé à trois sur les mêmes œuvres, que l’expérience est très enrichissante, qu’elle se renouvellera sans doute (avec le même ou d’autres personnes éventuellement) ce qui prouve bien qu’heureusement l’absolu ne se trouve pas que seul, mais que l’union décuple les forces. Pour l’art comme pour tout, il est vain de croire que l’on cherche et trouve seul dans son coin ce qui peut faire avancer l’humanité. Nous ne nous sentons pas uniques au monde à vouloir dire ce que nous avons à dire mais au contraire nous avons le sentiment très fort d’appartenir à un courant ou plus exactement d’être le maillon d’une chaîne. Alors pour nous, l’ego de l’artiste, le “moi je” ne fait pas partie de notre discours (ni de notre façon d’être au monde). Pour nous les artistes ne sont que des intermédiaires, des mains au service d’une force supérieure, de l’Absolu, de Dieu (peu importe le terme donné, le concept donné).

          Encore une fois, nous exprimons notre gratitude à Jeanine Rivais pour l’intérêt certain qu’elle porte aux artistes et en l’occurrence qu’elle nous a porté. Nous sommes enchantés de cet article. Simplement nous voudrions lui suggérer qu’elle peut continuer à faire ses articles sur les artistes et leurs oeuvres sans même avoir besoin d’interviewer ceux-ci car ce qu’elle écrit lui appartient (et elle a le droit de l’exprimer). Dans notre cas, elle n’a pas du tout écouté, ce qu’on avait à lui dire ? Ses questions d’ailleurs étaient déjà formulées de façon à alimenter son propre discours qu’elle avait déjà conçu avant 1’entretien. Mais ce n’est pas grave du tout Nous savons par expérience, que l’écoute de l’autre est la chose la plus difficile. C’est peut-être aussi pour cela que nous avons choisi un autre support de dialogue que les mots qui souvent nous trahissent. Nous faisons entièrement confiance à notre création, parce qu’elle nous dépasse nous-mêmes et que nous l’acceptons comme telle. Merci encore Jeanine.

Martine et Alain Morand.

 

MORAND Martine et Alain : TEXTE DE JEANINE RIVAIS :  " LES ASSEMBLAGES "RECUP" MYSTICO-PAÏENS DE MARTINE ET ALAIN  MORAND " : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°56 de Décembre 1995, IIe FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY. Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS RETOUR SUR PRAZ-SYR-ARLY 1995