LES ARCHITECTURES PSYCHOLOGIQUES DE RICCARDO BERTOZZI

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          Riccardo Bertozzi est un créateur rationnel. Sur ce paradoxe est construite toute son oeuvre. Dans un proche passé, il a asséné à coups de marteau cette vérité, délimitant par kilogrammes de clous sur chaque toile, des formes semi-figuratives. Cette créativité  obsessionnelle était certainement rassurante, mais trop peu exploratrice. Surtout, elle ne permettait pas à l’artiste d’exprimer ses luttes internes en incubation depuis son enfance, son besoin d’ordre mais aussi sa révolte, opposés à son histoire familiale trop envahissante !Progressivement a germé en lui une double ligne antithétique qui détermine chacune de ses démarches actuelles : volonté ludique du corps immédiatement rabroué par le refus rigoureux de l’intellect ; désir d'exploser sur la toile aussitôt contré par une discipline définitivement intériorisée.

          Pour l’explorer, il a choisi les matériaux, seuls susceptibles de satisfaire l’une et l'autre des tendances. Mais ils ont en même temps changé le sens de son œuvre : de décorative, elle est devenue intime. Car, ne laissant rien au hasard, le plasticien s’en va désormais très loin dans le domaine des symboles psychanalytiques.

          Sur un support de bois, il jette des tuyaux de plastique, en joue jusqu’à ce que passé le temps du jeu, ces tuyaux deviennent objets de règle: Apparaissent alors à l'évidence les connotations viscérales (estomac, intestin) et sexuelle (pénis)... du "découpage" ainsi inconsciemment/volontairement provoqué. Intervient alors la force du souvenir: l’artiste pose au milieu de ces plages des petits “camés”, pseudo-portraits dont l’observation rapprochée montre qu’il s’agit en fait d'amas de sable enrésiné reproduisant les circonvolutions d’un cerveau. Le "décor" est en place pour la deuxième phase de la démarche de Riccardo Bertozzi, sorte de jeu cruel du chat et de la souris : de lourds colombins de pâte semblent à regret laisser la place à des vibrilles/spermatozoïdes ; de très morbides surfaces noires goudronnées s’arrêtent face à des rouges sanglants; des bleus aquatiques (mer/mère) emplissent les médaillons (le souvenir), atteignent autour d’arbres (la vie) tubulés (la vie jugulée), les houppiers (la tête) constitués de lambeaux de “pages” (l’avenir potentiel ?) blanches; apposent de part et d’autre des troncs (le corps) des couleurs dégradées sanglées par des ficelles comme sur les végétaux, les stries concentriques témoignant du passage du temps ! Ainsi, le spectateur voit-il s’élancer vers le haut une architecture picturale vivante, sur le point de dépasser la “frontière" du tableau, s’échapper vers un possible petit coin de ciel, pour être immédiatement rattrapée, rééquilibrée, rationalisées par l’artiste dont le cerveau arrête chaque fois la main prête à se tendre !

          Une oeuvre à la fois captivante par la lutte psychologique qu’elle implique; et angoissante par l’impuissance qu’elle affirme, à rejoindre la liberté surtout lorsque, suprême “clou” destiné à canaliser définitivement tout élan, l’ensemble du tableau est couvert d’un vernis vitrificateur !

Jeanine RIVAIS

 

BERTOZZI Ricardo : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES ARCHITECTURES PSYCHOLOGIQUES DE RICARDO BERTOZZI" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°56 de Décembre 1995, IIe FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY. Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS RETOUR SUR PRAZ-SUR-ARLY 1995.