LOUIS CHABAUD, peintre et sculpteur

FONDATEUR ET ANIMATEUR DU FESTIVAL PRAZ-LES-ARTS

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS

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L'Atelier des Meurets, de Louis Chabaud
L'Atelier des Meurets, de Louis Chabaud

Jeanine Rivais : Louis Chabaud (¹), voilà longtemps que nous ne nous sommes pas retrouvés pour faire un entretien. Que s'est-il passé pendant ces quatre ou cinq ans où nous en avions réalisé un très long à Banne ? 

Louis chabaud : Eh bien, je trouve que j'avais mal répondu aux questions que vous m'aviez posées. Je n'étais pas bien dans ma tête, parce que je ne travaillais plus, je ne faisais plus rien. J'avais la galerie de Lyon qui me prenait beaucoup de temps, et je ne produisais plus du tout ! Si bien que je vous avais répondu un peu dans le vague.

Mais aujourd'hui, j'ai retrouvé ma forme, et je pense que je vais faire un bon interview ! 

 

J.R. : Pourtant, vous nous avez dit hier soir que vous ne travailliez plus : qu'est-ce qui vous en empêche ? 

L.C. : Je me suis dit que j'arrivais à mes soixante-quinze ans. Que mon atelier est plein à craquer : sculptures, peintures, dessins. J'ai un atelier-exposition formidable. C'est d'ailleurs un petit musée, plutôt qu'un banal lieu d'exposition. Et j'ai décidé que j'allais me reposer ! 

 

J.R. : Le repos du guerrier, en somme ! 

L.C. : Je me suis dit que j'avais fait pas mal de choses, chez Cérès, à Lyon, à Praz avec le Festival hors-les-Normes… J'ai un petit nom. Je me suis dit que j'allais me reposer. Et je ne bouge presque plus.

Tout de même, je vais faire une belle exposition chez Sami Chêne, à Corbaz, et ce sera tout pour l'année. Je ne bouge presque plus. Je ne bouge que là où je sens que c'est intéressant. Que je vais être bien. Je n'ai plus l'énergie de déplacer mes grands tableaux que je ne montre pas, mais qui sont là, et mesurent deux mètres sur un mètre cinquante ! Pour ces grandes œuvres, il faut un camion ! A Corbaz, je vais mettre de grandes choses.  

Louis Chabaud pendant le discours du vernissage 2016
Louis Chabaud pendant le discours du vernissage 2016

      J.R. : Finalement, quoi que vous en disiez, c'est encore Chabaud sur tous les fronts ?

L.C. : Oui. Quand on décide de se reposer, il faut tout de même se faire un peu voir. On me voit sur Internet, Facebook, etc. Ma présence est toujours évidente. Et puis, il faut exposer un petit peu. Certains artistes pensent qu'ils vont être connus alors qu'ils ne font rien : Ils sont morts ! 

 

J.R. : Pratiquement de tout temps, vous avez mené de front le dessin, la peinture et la sculpture…

L.C. : Et le verre, maintenant. 

 

J.R. : Qu'est-ce qui vous a fait introduire le verre dans vos créations ? 

L.C. : J'avais vu les réalisations de Loren (²). Il avait fait travailler les enfants ici, pour la Fête des Mères. Et c'est moi qui cuisais les verres. Il m'a expliqué la technique, la température, etc. Je me suis dit : "Ca, c'est pour moi ! Je vais essayer de faire des têtes. Des têtes un peu Art brut, un peu bizarres. Je vais faire un socle en argile. Et je vais les coller ensemble. Cela a fonctionné de suite. Et cela m'a plu infiniment ! Mais depuis, je me suis un peu assagi, parce que c'est fragile ! Je cassais beaucoup. 

       J.R. : Chacun sait que vous avez toujours été un peu nanar ! Que vos œuvres, surtout les sculptures, étaient toutes militantes…

L.C. : Militantes… Philosophes, plutôt ! Je suis un montreur de trognes ! 

 

J.R. : Toujours pleines de bon sens, en tout cas ! 

L.C. : Philosophe, montreur de trognes. C'est-à-dire qu'à partir d'une tête, je faisais passer une idée. Par exemple, nous avons tous une femme dans la tête, alors je faisais une femme incorporée dans le cerveau. En relief. Je m'étais dit qu'avec la tête, on peut tout faire passer. Tout ! Et c'est la raison pour laquelle je fais des têtes. 

 

J.R. : Oui, la plupart de vos sculptures sont en buste, en fait.

L.C. : Ce sont des têtes appropriées à l'idée que je voulais en donner ! 

 

J.R. : Mais pendant un temps, les titres poussaient la sculpture encore plus loin. Comment les choisissiez-vous ? 

L.C. : Je me suis aperçu dans les années 68 à 70, que j'avais des idées tous les jours. Ces idées, c'étaient des croquis et des phrases. Surtout des phrases et des mots. Et je me demandais ce que j'allais en faire ? A force d'en faire, j'en avais un paquet énorme. Je faisais de l'Impressionnisme, à l'époque. Tout en faisant en cachette ce que je fais aujourd'hui et que je n'osais pas montrer. J'ai commencé à montrer de l'Art brut, de l'Art singulier, en 80. A Saint-Chamont. Et je me suis dit qu'il allait falloir que je note tout cela. Et, le 1er janvier 1970, j'ai commencé à remplir des cahiers. Des cahiers, des cahiers ! 

Un jour, je rencontre un galeriste de Laval, Marcel Treton, qui n'aimait pas mes paysages. Alors, je lui ai dit que j'avais d'autres choses, des études… que je montrais pas.  Je l'ai invité à venir prendre l'apéro. Il est venu. Je lui ai montré mes recherches, mes dessins, mes phrases. Il m'a dit : "Mais tu as un trésor ! C'est ça ! C'est ça que tu dois faire ! Il faut que tu arrêtes de faire tes paysages qui plaisent à tout le monde ! Mais ce n'est pas ça, l'art" ! Je l'ai pris au sérieux et j'ai foncé ! A faire ce que je fais aujourd'hui. 

        J.R. : Parallèlement à votre création personnelle, vous avez toujours mené une espèce de militantisme social, si j'ose dire ! En créant d'abord un festival. Qu'est-ce qui vous a amené à cette entreprise ? 

L.C. : Je voyais certains artistes qui avaient bien du mal. Certains exposaient. Je me suis dit : "Il faut qu'ils se logent. Il faut qu'ils vendent. L'autoroute, l'essence… Il faut faire quelque chose pour leur faciliter la vie". Nous avons demandé ici et là s'il serait possible de loger des artistes ? J'ai créé ce festival POUR aider les artistes. En somme, j'ai fondé une famille hors-les-normes. Beaucoup d'artistes vous diront qu'ils ont fait chez Chabaud leur première exposition d'Art brut. Il est vrai que c'était une forme de militantisme ! 

 

J.R. : Il est certain que Paulette et vous, avez su mobiliser le village, loger une trentaine d'artistes chez l'habitant, Vous arranger pour pouvoir les nourrir pendant dix jours. Je dirai que c'est un haut fait d'armes ! Que je salue ! 

L.C. : Je me flatte que nous ayons été les premiers à réaliser ce genre d'accueil ! Maintenant, nous sommes souvent copiés. Il y a beaucoup de festivals où les artistes sont logés et nourris. Mais au début, cela n'existait pas ! Et puis, faire se connaître des artistes venus de tous les coins de France, cela n'existait pas non plus ! Ainsi, à Roquevaire qui était aussi un peu précurseur… 

 

J.R. : Bien sûr, puisque c'est Danielle Jacqui qui a eu la première, l'idée de créer un festival d'Art singulier ! 

L.C. : Les artistes accrochaient leurs œuvres, assistaient au vernissage et repartaient pour ne revenir que rechercher leurs toiles ou leurs sculptures. Ils ne se connaissaient pas entre eux. Avec Paulette, j'ai voulu fonder une famille ! 

 

J.R. : Vous y avez bien réussi ! Et cela a duré une vingtaine d'années…

L.C. : Vingt-et-un ans. 

Quelques maximes de Louis Chabaud
Quelques maximes de Louis Chabaud

        J.R. : Au bout de ce temps, vous avez dû arrêter. Que s'est-il passé ? 

L.C. : Je m'attendais à cette question. Et je m'étais fait une petite idée dans la tête pour l'expliquer.

Après que nous ayons aussi mené la galerie de Lyon avec quatre-vingt dix artistes d'Art singulier, et le festival avec une trentaine d'artistes chaque fois,  je me suis dit que nous avions "fait le tour". En plus, plusieurs festivals se sont créés. Avec Paulette, nous nous sommes dit que nous pouvions arrêter, que nous avions fait notre travail ; que les artistes pouvaient aller à droite, à gauche. Et nous avons arrêté.  

 

J.R. : Ensuite, comment est née l'idée d'expositions avec huit ou dix artistes, et pas forcément des artistes Singuliers ? 

L.C. : Nous avons voulu mélanger les styles pour essayer d'intéresser un plus large public, le public pralin notamment. Même si beaucoup de gens viennent de l'extérieur. Nous avons pensé qu'en diversifiant nos présentations, nous intéresserions davantage de monde : Nous avons proposé le verre, la poterie, l'argile, l'affiche, les Naïfs… Effectivement cela a plu. 

Pour répondre à votre question, je suis logé par la mairie, dans mon atelier-expositions, où je ne paie rien du tout. Je suis un squatter de luxe ! Je me suis dit que, pour garder mon atelier, il me fallait faire au moins deux expositions dans l'année. Et apporter ainsi quelque chose au village. Ce que nous faisons, assurément ! Nous faisons connaître le nom de Praz-sur-Arly dans toute la France et à l'étranger. Nous sommes des ambassadeurs. 

 

J.R. : Au cours de votre parcours, vous êtes devenu très ami avec Laurent Danchin, et vous avez réalisé un livre. Qu'est-ce que ce livre ? 

L.C. : Bonne question. Cela faisait des années que Laurent Danchin me disait : "Vu ta vie et ce que tu m'as raconté, elle est un vrai scénario. Tu devrais faire un livre. Je t'interviewe et nous faisons un livre". Pendant longtemps, je lui ai dit que je n'étais pas prêt. Que je n'avais pas cette idée dans la tête. Que cela me faisait peur. Un livre, ce sont deux années de travail. 

Finalement, à un moment donné, je lui ai dit : "Oui, on y va!" Il m'a interviewé trois jours, avec des appareils comme les vôtres, et nous avons fait le livre ! 

Beaucoup de travail de Paulette ! Dans la transcription. C'étaient des dialogues qu'il fallait transcrire pour les écrire. C'est Paulette qui a fait cet énorme travail.

        J.R. : Parlons de Paulette ! Paulette, la compagne de toujours ! La bénévole de tous les instants ! Quel est son rôle, dans votre évolution des quarante dernières années ? 

L.C. : Officiellement, elle était et elle est secrétaire. Mais c'est un paravent car c'est elle qui fait tout. Qui fait le principal, chaque fois que nous préparons une nouvelle aventure. Moi, je suis le petit ouvrier. Je sais accueillir les artistes, m'occuper des ateliers, réaliser les panneaux pour annoncer une exposition. Je me débrouille pour envoyer des courriers, ou je mets un petit mot dedans ! Mais depuis le début, le gros du travail, c'est Paulette. 

 

J.R. : Cette année, vous avez huit exposants, peintres et sculpteurs. 

L.C. : Oui, tous sont très sympathiques et avenants. Aucun d'entre eux ne "se la joue" ! Nous avions choisi des artistes de la région de Grenoble. 

 

J.R. : Comment envisagez-vous cette exposition les années suivantes ? 

L.C. : Il va falloir trouver un thème que nous n'avons pas encore présenté. Ce n'est pas facile, ayant choisi un thème, d'aller chercher des artistes que nous ne connaissons pas ! 

 

        J.R. : Venons-en à la question traditionnelle que je pose à tous les artistes : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

L.C. : Non. Je trouve que nous avons bien travaillé ! 

 

Sculpture en verre
Sculpture en verre

ENTRETIEN REALISE LE DIMANCHE 10 JUILLET 2016, DEVANT L'ATELIER DES MEURETS, DE LOUIS CHABAUD, A PRAZ-SUR-ARLY. 

 

(¹) VOIR AUSSI : CHABAUD LOUIS : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "Les mille satiriconneries de Louis Chabaud" N° 56 Décembre 1995 du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. Et "VOYAGES DE LOUIS CHABAUD DANS LE MONDE DE L'ART SINGULIER" : http://jeaninerivais.fr Rubrique Art singulier. AUSSI ENTRETIEN : http://jeaninerivais.fr Rubrique Comptes-rendus de festivals Banne 2008. Et PARCOURS COMMENTE DU MINIGOLF : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS GOLFART PRAZ-SUR-ARLY 2012.

 (²) LOREN : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "PEINTURE ET MILITANTISME DE Loren" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 67 de janvier 2000 ; et "LOREN FACE AUX ALEAS DE LA VIE" : BULLETIN… N° 74 TOME 1 DE JUILLET 2004 et http://jeaninerivais.fr Rubrique ART SINGULIER.

 

Louis Chabaud, M. le Maire de Praz-sur-Arly, et la plupart des exposants 2016
Louis Chabaud, M. le Maire de Praz-sur-Arly, et la plupart des exposants 2016