EMILIE COLLET, peintre et sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS

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Des personnages lardés de clous, couverts de cicatrices, de bracelets d'hôpital, etc
Des personnages lardés de clous, couverts de cicatrices, de bracelets d'hôpital, etc

          Jeanine Rivais : Emilie, vous avez commencé à me dire "dur, dur, dur", et je pensais qu'il s'agissait de votre travail. Mais en fait, il s'agissait du décès de votre papa. Pouvez-vous me parler un peu de votre relation avec lui ? 

          Emilie Collet : Je suis "tombée dans la marmite" toute petite. Il a donc réussi à me transmettre le beau cadeau de la création. J'ai partagé toutes mes idées avec lui. Et, maintenant, il n'est plus là pour valider, me donner des idées, m'aider à trouver mon espace. Retrouver la confiance.

 

          J.R. : Mais votre création était très différente de la sienne. Est-ce à dire qu'il vous a toujours laissé la bride sur le cou ? 

          E.C. : Nous étions très liés, et on arrive à reconnaître mon travail dans son travail, et inversement. Et c'est dur de ne plus partager mes pensées avec lui.

 

             J.R. : Mais que s'est-il passé ? 

             E.C. : Il a eu une rupture d'anévrisme. 

 

              J.R. : Et chacun sait comme c'est brutal ! 

           E.C. : Depuis trois ans, il avait des problèmes cardiaques, il était très fatigué. Il fallait donc s'attendre au pire. Mais tout de même, le jour où cela se produit, on est toujours pris au dépourvu. J'étais vraiment la fille à son papa. Alors, c'est trash. C'est la première exposition que je fais sans lui ! Enfin, passons. Il y a ici une bonne équipe qui m'a aidée à avoir confiance ! 

 

          J.R. : Les expositions ici sont toujours très conviviales. Et il y a une longue tradition d'expositions. 

          E.C. : Oui, parce que, prendre seule le chemin d'une expo, c'était méga-dur ! Il m'avait donc fait ce cadeau de "faire", de créer. Faire travailler mon imaginaire. Trouver une expression qui soit un média, comme je l'ai déjà dit. Tout ce qui me permet de crier ce qui remue en moi. 

          J.R. : Il me semble tout de même que, indépendamment du deuil, il y a eu un virage entre vos anciennes œuvres qui étaient d'une grande brutalité. Tout en étant très esthétiques : Maintenant, sauf au-dessus de leurs têtes, vos personnages ne sont plus lardés de clous comme auparavant !  

          E.C. : J'ai du mal à remettre les mains dans la terre. Ce sont donc des œuvres raccommodées, recustomisées. Ce qui a créé une harmonie, mais ce ne sont pas des œuvres très récentes. Les plus récentes sont dans une galerie à Marciac, et j'avais participé à une expo outsider l'année dernière à Paris. Les clous y sont toujours avec les cicatrices, les pansements, les racines de ronces, les bracelets d'hôpitaux… 

 

          J.R. : Alors, qu'est-ce qui a changé pour que j'aie la sensation que votre travail s'est un peu adouci ? 

          E.C. : C'est drôle ! Je n'ai pas cette impression! 

 

          J.R. : Il y a toujours autant de choses à exprimer qu'autrefois ? 

          E.C. : Oui. 

 

         J.R. : Dans ce cas, pourquoi avez-vous souhaité expliquer les changements dans votre démarche ? Parce que c'est un peu la raison de notre entretien ? 

         E.C. : Peut-on expliquer des changements ? Je pense que s'il faut expliquer ma démarche, puisque j'en ai une, c'est de dire que j'ai le moral qui boite ! Et ma béquille, c'est ma création. Je suis incapable de faire autre chose ! Dans chaque travail, dans chaque personne fabriquant des images, il y a forcément une évolution. Moi, sur "ma béquille", je peins mes utopies, mes peines… Je sculpte mes indignations… En fait, la démarche est la même.

 

      J.R. : Vous parlez de têtes de mort. Mais pour moi, vos œuvres, même celles que je considère comme "avant", n'ont jamais été telles. Ce sont des têtes pleines d'humour noir. En même temps, très expressives : elles sont gaies, sceptiques, interrogatives, indignées, etc. 

         E.C. : Mais comme je l'ai dit, ces œuvres ne me représentent pas vraiment. Je suis plus en accord avec les dernières qui sont dans mon catalogue ? 

          J.R. : Et, paradoxalement, il me semble qu'elles sont plus masculines. Mais il est toujours difficile avec vos personnages, de définir leur sexe ! 

         E.C. : Non, elles sont bien féminines. Ce sont mes gonzesses, et je les appelle mes "Dondons". Mais il est vrai qu'elles sont toujours androgynes ! Et il a toujours autour du ventre cette inscription : "J'ai mal aux ventres" ! Au avec un X et ventre avec un S. 

 

          J.R. : dans ce cas, quels seraient "ces ventres" ? Le ventre d'une femme, c'est son ventre biologique, son ventre pour enfanter, etc. Ces ventres-là seraient les vôtres ? 

          E.C. : Oui. Et quand on dit "j'ai mal au ventre", cela implique le stress, l'angoisse, l'inquiétude, la maladie… L'enfantement, aussi. 

 

          J.R. : Parlons de vos peintures et de vos dessins. 

        E.C. : Je travaille dans des carnets qui accompagnent toute ma vie, des carnets de voyages, des carnets intimes, je ne sais pas trop comment les appeler ? Parfois, des feuilles s'envolent, alors au lieu de les ranger au fond d'un tiroir, je leur donne une seconde vie ! 

 

         J.R. : Dans chaque peinture, vous avez trois hauteurs d'écritures. Une écriture en rouge tout autour de la scène, qui n'est pas toujours lisible. Qui est souvent coupée. 

         E.C. : C'est le scotch qui en est la cause.

 

        J.R. : Ensuite, de grosses écritures qui semblent très liées au quotidien : "J'ai mal aux dents", "Qui est-ce qui fait le ménage chez toi" ?... Et puis des toutes petites qu'il faudra lire à la distance habituelle de lecture.

Pourquoi ces trois niveaux d'écriture ? 

        E.C. : Ce n'est pas forcément calculé. C'est tellement spontané que je crois qu'on ne peut même pas les définir. J'écris tout le temps. Cela va avec mes dessins dans mes carnets de voyages.

 

          J.R. : Et qu'écrivez-vous ? Dans ces choses illisibles de loin.

          E.C. : Le quotidien. Mon quotidien. 

          J.R. : En fait, on peut considérer que sculptures ou peintures, c'est votre journal de bord ? 

          E.C. : Oui. Cela correspond bien à ce que j'en pense. Mon quotidien… Je ne me relis jamais mais c'est bien ce que je pense. Le passage en HP… Ma vie, en somme…

 

     J.R. : Vous êtes réellement allée dans des hôpitaux psychiatriques ? 

          E.C. : Pendant cinq ans, oui. 

 

          J.R. : Complètement ? Ou hôpitaux de jour ? 

          E.C. : Complètement. Et j'en ai fait pas mal ! 

 

         J.R. : Et maintenant, tout va bien ? Mis à part les événements récents ? 

          E.C. : Oui, tout va bien ! Tous va bien ! Jusqu'ici tout va bien. Mais j'ai vécu une période très difficile avec les HP, les blouses blanches, les médocs ! Il y avait une telle frustration de "ne pas être capable"… qu'au bout de quatre ou cinq ans, quand je "me suis réveillée", parce que j'ai eu un entourage qui m'a permis d'en sortir, dès que j'ai pu mettre les mains dans la terre, et cracher ce que j'avais entassé pendant ces années… Quand j'ai cessé de prendre quarante médocs différents, ce qui est dingue, c'est le cas de le dire… C'est l'enfer… Mais je ne regrette pas, parce que j'ai fait de super-rencontres, peut-être les plus belles ? Parce que les personnes que l'on rencontre dans ces endroits, sont de belles personnes. Authentiques. Avec de vraies histoires pas forcément belles. Mais une sincérité… Finalement, cinq ans se sont écoulés, mais ce serait bête de n'en garder que les mauvais moments ! Mais j'ai le sentiment que je n'avance plus! 

 

          J.R. : Mais vous êtes encore très jeune ! Et pour employer le slogan, vous avez toute la vie devant vous ! 

          E.C. : Oui, j'espère ! Que je vive longtemps ! 

 

        J.R. : Mais maintenant que vous avez réussi à vous dégager de ces lieux, vous allez aussi vous dégager de vos soucis, vos problèmes. 

        E.C. : Ce n'est pas "m'en détacher", c'est les assumer ! 

       J.R. : Mais à partir du moment où vous avez recommencé à exposer, rencontrer d'autres personnes, être bien parmi elles, cela veut dire que vous vous libérez ! 

       E.C. : Oui, cela fait partie de la "béquille", avec le package !

 

       J.R. : Comment voyez-vous votre avenir ? Pensez-vous qu'un jour vous aurez tout dit, et que vous n'aurez plus besoin de cette béquille ? 

       E.C. : Non ! Non ! Je pense que c'est pour toujours ! C'est incontournable ! Je me lève avec le crayon et je me couche les mains dans la terre ! Je pense que c'est la création, mes vrais médocs ! 

Pour répondre à votre question, il y aura sûrement une évolution dans mon travail, mais ce que je veux, c'est qu'on le reconnaisse toujours ! Tantôt, j'ai envie d'avoir les mains dans la terre ; tantôt c'est la peinture qui me tente ! Je prends les choses comme elles viennent. C'est au feeling! 

 

       J.R. : Vous m'avez dit hier : "J'aurai des choses à dire, à mettre au point". L'avons-nous fait? 

        E.C. : Oui.

 

        J.R. : Venons-en à la question traditionnelle que je pose à tous les artistes : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

      E.C. : Je voudrais répéter que pour moi, ma création est un média, qui me permet d'exprimer tout plein de choses ! Après, les gens reçoivent ou ne reçoivent pas ; cela circule ou ne circule pas ; cela interpelle ou n'interpelle pas ? Qu'importe ! Moi, j'ai "fait" ! Ce quotidien qui est le mien me permet d'exprimer la folie du monde ! 

 

ENTRETIEN REALISE LE SAMEDI 9 JUILLET 2016, DANS LA SALLE D'EXPOSITIONS DE PRAZ-SUR-ARLY. 

 

VOIR AUSSI :   TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "DE PERES EN FILLES, TROIS COUPLES, SIX PERSONNALITES, LOUIS ET FANNY CHABAUD, HENRI ET EMILIE COLLET, JEAN-JACQUES ET PAULINE DUBERNARD : Comment se situent-ils par rapport à l'Art singulier ?" http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART SINGULIER.

Sculptures récentes présentées dans le catalogue
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