HANS JORGENSEN, sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS

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Jeanine Rivais : Hans Jorgensen, vous êtes vraisemblablement danois, car vous avez une tête de Viking !?

Hans Jorgensen : Oui, je suis danois.


J.R. : Mais vous parlez un français parfait ! Vous vivez en France depuis longtemps ? 

H.J. : Depuis vingt-cinq ans. Et avant j'avais étudié la langue française pendant six ans au Maroc, où j'ai vécu avec ma femme. Et c'est là que je l'ai apprise. Il s'agissait alors de l'ancien Protectorat et les gens y parlaient très bien le français. 


J.R. : Il y a longtemps que vous sculptez ? 

H.J. : Une trentaine d'années. 


J.R. : Et que vous sculptez dans ce style ? Parce qu'il me semble que l'on pourrait définir vos personnages comme des morts-vivants ? 

H.J. : Oui, si l'on veut ! Il y a très longtemps que je travaille avec le corps humain. J'ai passé dix ans à pratiquer le dessin pour étudier l'anatomie. J'ai commencé comme peintre, j'ai travaillé beaucoup de matières. Par la suite, j'ai compris que je n'aboutissais à rien. Il m'a fallu "inventer" les trois dimensions. Et depuis, j'ai toujours travaillé autour du corps humain. 


J.R. : Vos œuvres donnent l'impression qu'en fait vous voulez une unité, mais qu'elle est faite d'une infinité de petits morceaux de corps ? Vous avez dit que vous travailliez le bois, alors tous sont-ils en bois ? 

          Mais, en fait, vous ne creusez pas une œuvre dans la pièce de bois, vous rajoutez de petits morceaux pour constituer votre création ? Chaque morceau étant sculpté différemment ? 

H.J. : Chaque morceau est conçu pour participer d'un ensemble, mais chaque élément est retravaillé, il y a des assemblages conçus pour former un ensemble. 

J.R. : En fait, c'est le même principe que pour le petit bonhomme qu'étudient les élèves des Beaux-arts pour apprendre l'anatomie ? 

H.J. : Oui, cette petite poupée articulée permet d'étudier l'ossature, etc. 


J.R. : Il me semble que vous n'avez pas vraiment le souci de respecter les normes du corps humain ? La plupart du temps, par exemple, ils ont le buste allongé. Vos chevaux sont démesurément longs. 

H.J. : Je pense que cela tient à mon grand amour pour l'Art africain où l'on voit que les œuvres sont souvent disproportionnées. Et être disproportionné, c'est l'art direct de la sculpture. 


J.R. : Vous avez des parties brunes et des parties claires. Etait-ce déjà la couleur du bois, ou les avez-vous repeintes ? 

H.J. : J'ai un goût pour la coloration. C'est une chose délicate, de peindre sur la forme. Il ne faut pas rompre l'effet sculptural. Je trouve que la couleur donne quelque chose de supplémentaire à l'expressivité. C'est aussi une manière d'unifier des morceaux de bois qui sont souvent de teintes différentes, et même d'essences différentes. 


J.R. : Mais, quand vous travaillez la couleur, il me semble que c'est le même non-souci que pour la longueur de vos personnages. Qu'en fait, vos taches sont tout à fait aléatoires ?

H.J. : Oui, mais c'est parce que je cherche là aussi, l'expressivité de l'ensemble ! C'est dans ce but esthétique que je mets la couleur. C'est l'un de mes principaux soucis ! Parce qu'il y a beaucoup de soucis ! 


J.R. : L'autre parti-pris est qu'ils sont toujours poncés, tout à fait lisses. 

H.J. : Oui, il y a de la matière, aussi, de la densité.

J.R. : Bien sûr ! Cela n'empêche pas. Mais où que l'on passe la main, on n'a presque jamais la sensation de rugosité… 

H.J. : Oui, mais si l'on regarde bien à certains endroits, c'est pourtant le cas ! 


J.R. : Oui, en effet. On pourrait dire que votre cavalier est construit sur le principe opposé de votre cheval. Le cheval étant parfaitement lisse et le cavalier rugueux ? 

H.J. : Oui, oui ! Malgré qu'il y ait une sorte de fusion. Et on peut dire que le cavalier a une apparence d'hostilité, de guerrier, alors que le cheval est presque humain ! 


J.R. : Oui ! Il nous faudrait maintenant évoquer les talismans, parce que vous en avez de toutes sortes, même si en général, ce sont des têtes de morts ! 

H.J. : Mais peut-être peut-on penser à des morts-vivants ? 


J.R. : Oui, c'est ce que j'ai évoqué au début, justement parce que je voulais en venir à la tête de tous vos personnages, mais je voulais passer par toutes vos petites ceintures, ou colliers… 

H.J. : Oui, cela nous emmène vers le monde des morts aztèques… Ils sont habillés d'une jupe couverte de têtes de morts. Et dans la croyance mexicaine, la tête de mort ne symbolise pas nécessairement une mort mais plutôt quelque chose qui a trait au corps. 


J.R. : Mais tout de même, pour pratiquement tous vos personnages, on pourrait dire que le corps est vivant et la tête est morte ! On voit les dents, les orbites creuses. Tout se passe comme s'ils n'avaient plus de peau sur les joues.

H.J. : Mais je pense que c'est pour traduire l'anatomie ? Les constructions internes, le squelette ! Je pense qu'ils peuvent être dramatiques ou funèbres, mais qu'il y a aussi la vitalité. 


J.R. : Il y a la vitalité dans l'attitude. Parce que, comme le corps est vivant, il a des réactions de vivant. Par contre, vos têtes sont certes, dans le prolongement du mouvement du corps, mais si j'ose dire, elles ne jouent pas le jeu ! C'est du moins ainsi que je les ressens.

H.J. : Il faut les regarder plusieurs fois parce qu'elles sont très variées. La forme du crâne est variée. Et, la forme obtenue, les crânes sont grattés, décapés jusqu'à l'os ! 

J.R. : Oui, mais le corps a des rondeurs. C'est justement ce que je trouve paradoxal : si je regarde le corps, je vois qu'il est certes décomposé en éléments, mais il est vivant. Tandis que les têtes sont terribles par la sensation de mort qu'elles produisent. 

Et maintenant, venons-en à la question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ? 

H.J. : Je voudrais dire que ces œuvres que vous voyez là ne sont qu'une partie, une ramification de mon travail. Je fais aussi des sculptures monumentales. J'ai aussi des œuvres scéniques avec des architectures particulières. Et puis des créations pluridisciplinaires, des textes. Ils ne sont pas très faciles à exposer, mais ce sont tout de même des parties très importantes de ma création. 


J.R. : Vous avez déjà exposé au Danemark ? 

H.J. : Oui, il y a très longtemps ! Il y a presque quarante ans que j'ai quitté le Danemark. J'ai habité au Maroc, en Espagne… maintenant en France. 


J.R. : Je voulais dire récemment ! Justement, hier soir, nous parlions, avec Karianne, de l'Outsider Art en Norvège. Et je me demandais si vous aviez le sentiment que vous apparteniez à l'Art singulier ? Ou bien vous voyez-vous plutôt dans une mouvance dite "contemporaine" ? 

H.J. : Je ne me considère pas, en effet, comme appartenant à l'Art singulier. Je ne me vois pas non plus dans l'Art brut !...


J.R. : Non, vous avez apparemment une culture qui ne vous permet pas d'en faire partie ! 

H.J. : Mais peut-être mon travail peut-il se définir comme tel ? On a aussi voulu me mettre à côté des Expressionnistes et je suis partiellement d'accord. Je pense plutôt que je cherche des influences, les sculpteurs du XXe siècle comme Henri Moore. et aussi le vécu. Et enfin la culture. J'essaie surtout de faire une œuvre personnelle. Mais c'est très difficile pour un sculpteur et j'étudie sans cesse.

Il y a pour moi un élément important, c'est le Primitivisme, la recherche de mes racines. Et l'Art mexicain. 

Il y a dans le XXe siècle une recherche de sens, une sorte de nouveau vocabulaire. Un abécédaire de la sculpture. Tout ce travail implique beaucoup de recherches, beaucoup de réflexions, beaucoup de spontanéité. Mais je pense qu'avec l'âge et la maturité, vient le résultat !  


CET ENTRETIEN A ETE REALISE DANS LA SALLE D'EXPOSITION PRINCIPALE DU GRAND BAZ'ART A GISORS, LE DIMANCHE 5 JUILLET 2015.

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Hans JORGENSEN

Velkommen - Grand BAZ'ART 2015


Hans Jorgensen, artiste Danois, pense qu'une sculpture doit avoir sa propre vitalité, pas la vigueur d’un mouvement, pas la démonstra¬tion d’une figure dansante ou agonisante, mais bien une énergie et une intensité émanant de l’œuvre, indépendantes de la forme qu’elle représente. Il aime qu’une sculpture révèle cette force spirituelle qui émeut profondément.

Ses «bois» semblent habités par la douleur qui conduit à une expulsion libératrice.

« Est-ce qu’on touche au sacré? Oui, si le sacré c’est cette inquiétude ou cet effroi que l’homme ressent au plus profond de lui. En réalité, mon œuvre est faite de ruines de tous les temps, de toutes les cultures. C’est cette expression qui porte la marque d’une origine lointaine, qui nous stimule et nous invite à réfléchir sur l’être et le temps.» Oana Americai (Texte du catalogue)