LES PORTRAITS DE NATHALIE DION

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"Le but de l'art n'est pas de présenter l'aspect extérieur des choses mais leur signification intérieure ; pour cela, l'apparence externe et les détails ne constituent pas la vraie réalité". Aristote

 

Que cherche donc Nathalie Dion, dans ses portraits tellement sophistiqués, avec leur air rétro, même si, au final, nulle connotation sociale, géographique, temporelle… ne permette de les situer ; le fond étant toujours non signifiant ; les seuls ajouts (et ils sont passéistes), étant les fleurs énormes du papier mural ! Partant, impossible d’imaginer pour eux la moindre vie hors de leur support ; ni entre eux la moindre relation !

Pourtant, leur multiformité et leur paradoxale unité, attestent des associations nées au cours des longues heures de recherches formelles de l’artiste, de la richesse des fantaisies surgies de son imaginaire !

 

Quelle que soit la réponse, clef de voûte de cette iconographie, ses femmes sont toujours dépourvues de corps, chaque portrait s'arrêtant juste au-dessous des épaules. Comme si, pour la peintre, seules comptaient les têtes ; ce qui expliquerait pourquoi elles sont toutes solidement posées sur un long cou à la Modigliani. Conçues, en dépit de tous les questionnements, avec tant de certitude, que chacune est chantournée sans hésitation d’un unique trait de pinceau générant de beaux visages ovales, idéalement galbés. Et puis, chacune arbore une abondante chevelure brune ou vaguement rousse, tantôt sagement passée derrière les oreilles ou au contraire  touffue, à mèches collées de gel ; tantôt souple, bouclée autour du chapeau cloche ou bien frisée, canalisée par un bandeau fleuri ! De grands yeux bleus ou noirs, semblant toujours regarder le visiteur en off, lequel de regardeur, devient le regardé ! Un long nez au profil grec. Et la bouche petite, fine, sensuelle, toujours maquillée d'un rouge vif ; les coins relevés en un demi-sourire ; dont les jeux de formes leur confèrent à l’infini des nuances d’humeurs et de caractères, allant de joies menues à de l’amour sans doute… dubitatives souvent, autoritaires ou bon enfant… Car il s’agit chaque fois pour Nathalie Dion, avec cette discrétion et cette immutabilité absolues ; cette absence radicale d’effets spectaculaires ou fictifs, de rendre perceptibles à l’instant, leurs états psychologiques.

          La précision du pinceau de l'artiste, la finesse du détail, l'art de rendre une sensation veloutée, témoignent d’un talent, d’une patience remarquables. Le tout traité dans des couleurs de peau légèrement mate ou au contraire d'un rose léger, faisant ressortir les rouges ou les bleus des encolures, le volume des cols, et les lourds bijoux.

 

          Charmé par cette gamme chromatique dont les harmonies donnent à l’œuvre de Nathalie Dion une puissance expressive tout à fait originale, le visiteur se demande pourquoi elle crée aussi des visages caricaturaux qui contrastent profondément avec l'œuvre évoquée ci-dessus ? Chacun sait que la caricature ajoute à la nature quelque chose de forcé, d'exagéré, de bouffon ; qu'elle utilise la déformation physique ou se limite à l’exagération de caractères physiques pour mettre en valeur un défaut anatomique ou moral. Quel peut donc être l'intérêt pour Nathalie Dion de placer ses visages en des positions identiques à ses personnages "normaux" , mais gravement déformés ? 

          D'autant qu'il s'agit plutôt de sketches aux traits lourds, aux contours mamelonnés comme les circonvolutions du cerveau, aux nez et aux paupières démesurément allongés ; aux yeux fixes d'un bleu intense, aux bouches ironiques, dubitatives, moqueuses…

 

          S'agit-il pour l'artiste de prendre du recul, de la distance, par rapport à ses œuvres si esthétiques ? En allant d'un style à l'autre, repérer, enregistrer, puis restituer par tous les moyens qui lui conviennent, une tension virtuelle entre les figures, entre les formes et les couleurs… ? Est-ce tout simplement, après les longues heures passés à peaufiner ses portraits,  le plaisir de délasser sa main et son esprit avec ce travail tellement plus gestuel ? Qui sait ?  

Jeanine RIVAIS

TEXTE ECRIT SUITE AU FESTIVAL BANN'ART DE SEPTEMBRE 2017.