VIIe BIENNALE DES Z'ARTS SINGULIERS ET INNOVANTS  

LIEUX ET EXPOSANTS 

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La Biennale, prévue du 21 février au 21 mars 2020, a été inaugurée à l'Hôtel de Ville où, après les discours et une performance de Gil Alcala, fut servi un somptueux cocktail !! 

HOTEL DE VILLE : 

Exposaient en ce lieu les membres de l'Association "Les Semeurs de rêves". 

LES VEHICULES ROUILLES DE JEAN BRANCIARD,

Nautonier d'Art-Récup

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          De nombreux artistes hantent, parfois pendant des années, décharges et poubelles à la recherche de vieux objets, usuels ou artisanaux, burinés par les intempéries, patinés par des générations de mains et abandonnés là par des gens négligents ou ingrats. La vétusté et parfois l’originalité de ces choses leur confère un rôle de mémoire. Et, généralement la disparité de leurs trouvailles donne à ces créateurs d’Art-Récup, glaneurs impénitents de morceaux de vies appartenant au passé, l’idée de faire prendre corps à d’étranges personnages liés à leur fantaisie et leurs fantasmes ; ou les transformer en de nouveaux états dont le baroquisme est souvent fascinant : donner en somme à ces objets, par cette création, une seconde vie.

         Par ailleurs, depuis l'aube de la création, l'instinct nomade des hommes les a poussés à franchir les distances qui les séparaient de l'inconnu, la mer en particulier. Dès lors que des artistes ont compris que leur seul loisir de "voyager" serait de recréer à leur échelle les véhicules susceptibles de les emmener vers des "ailleurs"… ils se sont mis à l'ouvrage. Et les voilà, toutes fantasmagories claquant au vent, "prenant la mer" ! Parmi eux, Jean Branciard ! Car s'il est capable de créer la très terrestre "Tour de Babel N° 2", il lui faut, pour rétablir l'équilibre, une sorte de Nef des Fous, qu'il intitule "Le Styx" et qui lui permet de rapporter des Enfers, le cadavre d'Orphée. Et, s'il lui arrive de réaliser des œuvres en rapport avec des mythologies séculières ou des allusions poétiques, la quasi-totalité de ses créations est nautique.

 

          Est-ce d'avoir, à un moment donné de sa vie, parcouru les océans ? Ou bien possède-t-il dans ses gênes de lointains ancêtres qui l’emmèneraient depuis des décennies en des endroits de fantaisie ?Ou bien encore sa curiosité, son imagination et son talent l’ont-ils poussé à recréer, imaginer un ensemble de constructions pour lesquelles il collectionne toutes sortes d’objets arrachés aux rebuts d’autrui ? Toujours est-il qu’il est l’auteur, en une très abondante œuvre sculptée, d’un foisonnement de bateaux qui amusent parfois, ou font rêver ses visiteurs. Et "l'entassement qui fait un peu marché aux puces", est le principe de ses créations. Où se conjuguent éléments de récupération organiques et minéraux surtout métalliques. Donnant un ensemble baroque que l'on pourrait classer sous le label "Véhicules rouillés", bateaux en particulier. "Rouillés" car sur ces œuvres, la trace du temps est primordiale. Conçues avec la certitude que chaque ajout est irrémédiablement "appelé" par le précédent et appelle aussi définitivement le suivant de façon à ce que, à partir de la disparité, chaque œuvre prenne un sens, devienne une unité. A ce talent de constructeur, il faut ajouter à Jean Branciard celui de bricoleur de talent, car il ne soude jamais les éléments de ses constructions : il se contente de les fixer avec du fil de fer récupéré dans les vignes du Bas-Beaujolais où il réside ! Et, comme il lui faut (ainsi que dit plus haut) donner à ses véhicules l’air d’avoir subi l’usure du temps, l’artiste a choisi de les éroder, les griffer, les buriner, les toronner, les entrelacer… comme s’il lui était essentiel d’intervenir à toutes les phases de leur gestation ; créant une beauté formelle tout à fait originale.

     Et c'est ainsi que, de goélettes trois mâts en avisos, de galions en galère… avec ou sans huniers…, rudimentaires ou sophistiqués, fixés sur des socles de bois ou équipés de roulettes (eh oui !!), voguent les bateaux de Jean Branciard ! Point n'est besoin pour eux d'ophthalmoi qui, placés en proue et symbolisant des yeux de dieux ou de déesses, seraient sensés porter chance aux équipages.

Mais au fait, où sont les équipages des bateaux de l'artiste ? Il est remarquable qu'aussi animés paraissent-ils lorsqu'ils sont placés côte à côte en un même lieu, aucun être vivant ne les habite, ne les commande, ne les accoste ! Par ailleurs, ces véhicules aquatiques ne sont de nul lieu et de nul temps ; simplement, ils sont "là" ; métaphores de vies qui ne peuvent exister que par le sens inné du mouvement qu’ils possèdent ; par le mélange d'éphémère et de durable qu'ils transmettent, par leur totale adéquation entre création et imaginaire porteuses d'un message intemporel d'une poésie si puissante que l'émotion du spectateur rejoint, d’emblée, celle du sculpteur. D'autant que, comme lors de ces voyages au cours desquels s’accumulent des impondérables, les oeuvres de Jean Branciard se détournent de l’itinéraire prévu, pour devenir réflexions sur la solitude, la difficulté d’être, sur le précaire équilibre qui lie les éléments de ces compositions immobiles, très dominées sous leur aspect gris, rouillé, rongé, vieux, en somme !  

Jeanine RIVAIS

VOIR AUSSI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS http://jeaninerivais.jimdo.com Rubrique Festivals Banne 2010.

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     Doit-on appeler "sculptures" les oeuvres de papier de Thierry Faligot ? N'est-il pas plus approprié de dire "compositions" ou mieux encore "assemblages", puisque tels ceux de Simone Le carré-Galimard (qui inventa le mot appliqué à ses œuvres), les siens sont constitués de formes de papier sur lesquelles s'appuient de multiples éléments, qui en complètent les effets. Et parce que chaque œuvre est indéniablement fragile, il la protège dans une vitrine aux angles de métaux brillants ; ou plus souvent, sous un globe de mariée. Du coup, comme naguère, lorsque la mariée y déposait son bouquet, cet objet devient partie de la composition, et apparaît comme très personnalisé,  à la fois protection de l'œuvre, et barrière infranchissable ! 

           

           Mais quelle que soit la définition, du fait de son caractère obsessionnel et non-conformiste, l’oeuvre résolument hors-les-normes de Thierry Faligot se situerait plutôt dans une démarche anomale. Mais si, de cet imaginaire culturel excessif, elle corrobore le goût pour les papiers gaufrés, ruchés, pliés, plissés, tordus… pour l’ornementation paroxystique imitant les éventails, les fleurs naturelles, les coquilles ondulées, un angelot entre deux femmes de petite vertu, un personnage ici où là, et des dentelles, des nacres, des froufrous, tout cela allant, apparemment, jusqu’à la manie, car vu la rigueur de ces beautés sculpturales, il est évident que tout doit être absolument en place dans sa création ! S’il orchestre de savantes chorégraphies architecturales d’une richesse et d’une profusion inouïes de détails ; si l’exubérance de sa flore et de sa sylve y créent une sorte de botanique inusuelle et sophistiquée ; s’il semble même entrer de plain-pied dans les définitions de l’art “rococo”, d'autant que tout, dans son oeuvre en rappelle les chromatismes délicats, l’univers protéiforme de Thierry Faligot propose des entrelacs de gris-violet tendre, des variations de jaunes virant à l'ocre, des plages de verts timides… que l’artiste travaille apparemment jusqu’à obtention d’une irisation idéale à ses yeux... Le tout rehaussé d’or et d’argent à profusion, inondé de lumière électrique au point que le visiteur interloqué se demande comment il a pu en venir  à une création aussi singulière ! Car  ces décors baroques ne peuvent laisser indifférent : ce visiteur se laisse donc séduire par la volonté manifeste de l’artiste d’étonner, créer l’illusion, jouer des contrastes, des éclairages à tel point qu'il devient difficile de déterminer les nuances de l'assemblage; bref, à travers la théâtralité statique de ses compositions démontrer son besoin d’évoluer au sommet de l’emphase, assumer allègrement son goût du bizarre, de l’étrange, de ses "scènes" sans réalisme, etc. Subséquemment, tant de passion ne saurait être vaine ! Et c’est la force de Thierry Faligot de retenir devant ses oeuvres quiconque s'en est approché sans arrière-pensée, et demeure surpris d'une telle munificence,  d'une telle luxuriance, d'un  travail si finement ciselé et impressionnant, de ce délire miniaturisé, ce triomphe de l’abondance !

 

          Car sous l’apparente outrance volontaire, s’impose l’idée que pareille oeuvre, élaborée sur plusieurs années, ne peut être que la concrétisation des fantasmes d’un visionnaire ! De rêves où quelque architecte un peu fou aurait agencé sans le moindre hiatus,  cil à cil, pétale à pétale, feuille à feuille... les millions de petits éléments qui constituent ces assemblages dont chacun idéalise ce lieu précis évoqué plus haut, dans lequel il est strictement enclos. D’un monde, enfin, où l’ordre érigé en loi sacrée garantit la sérénité du créateur, où l’obsession du merveilleux génère une singularité irréductible à toute dénomination déjà connue !

Jeanine RIVAIS

 

"La vie est une pierre fausse, son clinquant éblouit mais il n'y a qu'un ignorant qui la prenne pour un vrai diamant". Alexandra David-Néel ; Artiste, Aventurière, Chanteuse, écrivaine, Journaliste, Musicienne, Religieuse (1868 - 1969).

Il a fallu emprunter les images à Internet, parce que celles prises dans la salle de la mairie, même sans flash sont invisibles, illisibles…"

 

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Paul HERAIL :

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES ASSEMBLAGES DE PAUL HERAIL" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ FESTIVAL SINGULIEREMENT VOTRE, MONTPELLIER 2015. Page des Nouveaux.

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          Certains matériaux sont chaleureux, malléables, et ils semblent exsuder une complicité immédiate avec les artistes qui s'en emparent pour en faire des sculptures ! Mais le métal ? Froid, rigide, demandant pour perdre son quant-à-soi des températures élevées !! C'est pourtant ce matériau que privilégie Philippe Ignacio pour créer ses sculptures ! Des œuvres aussi bien humanoïdes qu'animalières ! 

          Créateur d'Art-Récup', cet artiste glane du métal de façon quasi-obsessionnelle, apparemment, récupérant ressorts, matériels agricoles, pièces automobiles, fers à chevaux, éléments prélevés sur de vieux vélos… les détournant donc de leur utilité originelle pour leur redonner une seconde vie, rapprochant ses trouvailles au gré de son imaginaire, mais préservant leur forme initiale… 

          Ayant acquis au fil du temps la gestuelle du soudeur et la maîtrise de cette matière si dure, il ne soude les divers éléments qu'un minimum sans doute pour éviter de les déformer ; mais les combinant de façon à leur  donner petit à petit une nouvelle définition. Faisant de chaque association un objet figuratif qui suggère une petite histoire  : ainsi se succèdent dans son monde métallique, des têtes révélant tous les mécanismes de leur construction, les cachant au contraire, ou les appliquant à l'extérieur du moule… Œuvres aux visages tantôt graves, tantôt étonnés, bouches bées et yeux exorbités, blanches, noires, copiant les statues africaines… car il semble bien que, des humains, il ne réalise que les têtes ? Mais ces créatures peuvent aussi être perplexes quand elles deviennent sauterelle ; menaçantes quand elles sont casse-noix, étranges quand elles sont bestioles indéfinissables ; et même bipèdes quand elles deviennent clé pour ouvrir quelque boîte mystérieuse  ! etc. 

 

Surprenantes toujours aux yeux du visiteur, lequel se laisse emporter par les fantasmes, les fantaisies de cet artiste qui lui offre, avec la pérennité du métal, la maîtrise parfaite des techniques d'assemblage et l'harmonie des formes.

Jeanine RIVAIS

 

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          Lorsque le visiteur perplexe face aux œuvres de Florence Joly, se demande quel est le rapport entre son œil immense aux longs cils formant fleur et son portrait de jeune fille pensive face à la tête de taureau de Picasso et appuyant son coude gauche sur une reproduction de "Guernica" ; entre son mandala proposant une jeune femme noire aux cheveux dorés, au corps disparaissant sous des accumulations florales et des mains dispersées, conçu de telle sorte qu'il ressemble à une tapisserie, et cette sorte de tête animalo-féminine au menton appuyé sur une tête de lion appuyée sur un plateau serti appuyé sur une corbeille contenue dans le bas-ventre de l'être évoqué, comme si elle était enceinte d'un minuscule individu qui en émerge ; entre sa jeune femme tenant son bébé sur ses genoux, un oiseau sortant du décolleté de sa robe, peinte bleu sur bleu dans le plus traditionnel style cubiste et cette oeuvre qu'elle intitule "Masques" conçue sur un axe vertical aux éléments "presque" similaires placés symétriquement… il finit par se dire qu'il n'y en a pas. 

Qu'il faut regarder ses œuvres comme émanant de la Figuration libre à laquelle elle semble appartenir et de son goût pour le non-respect des règles classiques et son attachement à l'Art singulier qui corrobore cette démarche ; que personnages ou objets, sont nés des plus grandes fantaisies qui prenant corps, ont varié les formes, modifié les textures. 

Qu'il semble bien que Florence Joly appartienne à ces bricoleurs aux talents protéiformes, incapables de rester en place et d’imposer un aspect définitif à leur travail : des explorateurs, en somme, de la peinture ou de la sculpture. Ainsi désireuse de s’exprimer sans frontière, elle donne "vie" à de multiples figures, explore pour y parvenir, toutes sortes de sujets qui lui viennent à l'esprit. 

Et, à partir de là que, selon son humeur, elle se lance en des constructions hétérogènes, presque toujours homomorphes, même si quelquefois la ressemblance avec l’homme est évasive. 

Regarder ses œuvres, revient donc à "rencontrer" toutes sortes de variantes anatomiques, dont les seuls points communs seraient la verticalité et la résonance étrangère des individus qui les affectent.  

 

Chez cette singulière artiste d’aujourd’hui, ce visiteur navigue sans cesse de chimères fabuleuses en réalisme. En une extrême liberté… Chez elle, l’invention domine : spontanée, atypique. Des sortes de rêve, en fait, traduits par la matière elle-même, les formes, les couleurs, les harmonies… S'appuyant peut-être sur la réalité ? Mais la remodelant en fonction de son imaginaire, la reconstruisant afin de privilégier un équilibre facilité par une grande maîtrise picturale acquise au fil des œuvres ; et générer sur le tableau, une harmonie, une impression forte au charme inimitable.

  Car Florence Joly est passée maîtresse dans l'art de la broderie, des dentelles arachnéennes ; dans le choix des couleurs qui proposent de magnifiques irisations mordorées, des bruns allant du clair au foncé, aux bleus azuréens ou saphirs, ou au jaune orangé… générant, vu le savoir-faire de la peintre pour les placer dans les sujets, une connotation intimiste récurrente. Mais elles suggèrent qu'elle s'est chaque fois lancée dans une nouvelle réflexion ; qu'elle explore à chaque nouvelle création reconnaissable ou non, le monde de l'illusion ! 

          Par leurs contrastes, l’inventivité et la richesse des éléments graphiques s’associent à un grand équilibre de la composition et produisent une atmosphère étrange. Aussi a-t-on le sentiment de l’alliance d’un art authentiquement singulier (des scènes évoquent souvent une vision onirique alors qu’elles naissent spontanément de sa main) à une structuration de l’œuvre ; tous éléments qui font de l'artiste une sorte d'ethnologue particulière qui sait que parfois, pour se retrouver, être essentiellement, souverainement soi-même, il faut savoir se perdre. 

 

            Et puis, à bout peut-être, de création essentiellement cérébrale, elle quitte ses exercices de style et ajoute un brin de psychologie, de tendresse et d’humour par le truchement ici d’un oiseau bleu essorant en train de pondre un œuf ovoïde pointu ; là d'un personnage aux yeux inquiétants au-dessous de deux oisillons s'égosillant à qui mieux mieux ; ailleurs d'un individu au cou/tête de loup supportant une tête dont tous les éléments ((yeux/chouettes, crâne/visage barbu/cheveux enchevêtrés…) sont dans des ronds si parfaits qu'ils font penser à des mécanismes d'horlogerie ; ailleurs encore, une bestiole lagomorphe pointant ses longues oreilles de part et d'autre d'un masque, d'une tête de clown, et d'une tête stylisée, les trois éléments constitutifs d'un être unique (oiseau ? personnage ? ) agrippé de tous ses ongles sur un rebord de bois… 

 

       Mais, au long de ce travail, quelques autres constantes jalonnent la démarche de l’artiste : sérénité, caractère à la fois ludique et raisonnable, fantasmagorie d’un imaginaire débridé, esthétisme et originalité… Car chaque œuvre de Florence Joly est un véritable conte en image, ses tableaux sont des "témoins" saisissants de ses préoccupations, ses souvenirs, ses fantasmes, ses impulsions créatrices... traités avec humour et poésie, naïveté et ingéniosité... Et parce qu'elle les peint sans souci de perspective conventionnelle, objets, animaux et individus se situent toujours sur des plans uniques.

            De sorte qu'il s'agit, au final, d'une œuvre esthétique de quelqu'un qui se cherche pour le plaisir pur d’aller "ailleurs" ; en parfaite osmose, toujours, avec cette création qui illumine sa vie... Une expression exploratoire puisqu'elle traite aussi bien de "fleurs" que de créations indéfinies, ou que de personnages. Mais, quel que soit le thème abordé, elle a une façon bien à elle d'exprimer l'essentiel. Et elle s'est trouvé un style, inclassable certes, mais très personnel ; une manière de provocation permanente, en somme ? Mais au fait, pour en revenir à notre spectateur perplexe, Florence Joly se pose-t-elle toutes ces questions ? Qu’importe ! Elle crée. Et ce qu’elle crée est beau et surprenant, fascinant, fallacieux et déraisonnable, sympathique, curieux et original assurément. Tout cela ne s’appelle-t-il pas créativité et talent ? Et quelle meilleure définition pourrait-on donner de cette œuvre réalisée par une artiste hors-les-normes d'une incontestable sincérité !?

Jeanine RIVAIS

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Inès LOPEZ SANCHEZ MATHELY :

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS  : http://jeaninerivais.jimdo.doc/ Rubrique FESTIVALS : BANNE 2013. 

ET AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LA MEMOIRE DES ETRES" : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique ART SINGULIER.

 

 

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BOURSE DU TRAVAIL : 

S’agit-il, pour Georges Bellut, de s’évader d’un quotidien contraignant ? Ou bien, cet artiste a-t-il gardé son âme juvénile et continue-t-il d’être friand de ces histoires à la fois drôles, énigmatiques et très manichéennes dont raffolent les enfants ? Ou encore, plus gravement, est-il l’ethnologue imaginatif de peuplades insolites qui seraient, pour les Terriens, des mutants d'une unique ethnie ? 

Toujours est-il qu’il est l’auteur d’une véritable mythologie très particulière d’allochtones humanoïdes dont les polychromies explosent comme des soleils, et dont les corps verticaux et morcelés attestent de leur surprenante originalité : au-dessus d'un unique et long pseudopode filiforme s'étire un corps vertical en forme de cocon taillé à l’emporte-pièce, couvert la plupart du temps par deux ailes ou deux élytres, ce qui fait, finalement penser que ce sont des insectes, d'autant que la plupart ont de très longues antennes ! Tout en haut de la tige vertébrale, au-dessus donc d'un cou interminable et grêle, leurs visages indifféremment ronds, carrés, tarabiscotés, aux crânes proéminents sont munis d'un long bec puissant ; et comme ils sont plus grands que le commun des Terriens, ils ont l'air de les regarder de leurs gros yeux exorbités. Ainsi, leurs anatomies bizarres, faites de mille ajouts de Récup' aux formes variables, sont-elles posées là, dans leur monde à part, au-dessus du spectateur, avec une tranquille certitude.

     Un monde pour lequel, cependant, ce visiteur s'interroge : ont-ils développé des liens sociaux, puisque l'artiste les a placés côte à côte, mais tournés en tous sens ? Ont-ils développé des rapports familiaux ? Certes, certains sont plus petits, mais rien, aucune attitude protectrice ou aimante, ne dit pour autant que ce sont des enfants, ni surtout qu'ils sont les enfants des plus grands à qui le gigantisme, le hiératisme confèrent le rôle de totems posant sur la société contemporaine, leur ombre tutélaire. 

 

Car l’univers de Georges Bellut n’est pas seulement ludique. Et si ses protagonistes semblent constituer autant de jalons de ses vagabondages fantasmatiques auxquels il incomberait de faire rêver quiconque les "rencontre", ils semblent en même temps avoir pour rôle de proclamer le mépris de l'artiste pour une civilisation de consommation et de gaspillage qui ne lui convient apparemment pas: Réalisés avec des objets de récupération, comme il est dit plus haut, chacun de leurs membres raides et perpendiculaires au corps ont été réalisés a minima, sont même parfois inexistants ; de même pour leurs corps simplistes, mais eux sont retravaillés, peints et ornementés avec beaucoup de patience et de savoir-faire ; et tous ces êtres sont réunis les uns aux autres en parfaite harmonie.  

 

 

Ainsi, de son questionnement du début, se demandant à quelle ethnie venue de quel lointain cosmos, appartiennent les créatures de Georges Bellut, à celles concernant les us et coutumes de ces créatures, le visiteur conclut -à moins que ce mot ne soit trop définitif- , qu'il s'est laissé emmener du fait des aspects anodins de l'œuvre, vers des contes gentiment étranges, mais après tout, n'y eut-il pas un temps lointain où les bêtes parlaient avec les hommes ? Et, n'est-ce pas le cas des allochtones de ce créateur, qu'à partir de cette vie réinsufflée au gré de son inspiration, il a trouvé une démarche très personnelle pour mettre en scène ses compositions ?

Jeanine RIVAIS

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Pour être ventrus, ils sont ventrus, les petits allochtones de Gina Deluca ! Mais quels beaux ventres ! D'un ovale parfait, lisses à forcer la main à les caresser ; veinés,  marbrés par le raku auquel elle les a soumis ; fleuris de la main de l'artiste ; vêtus d'une petite blouse à poches quelquefois, comme les fillettes de naguère…

A partir de là, et s'ils sont incontestablement d'une même ethnicité, il semble bien que Gina Deluca a créé chez eux des différences morphologiques : Si aucun n'a de membres inférieurs, les uns, nantis d'une demi-tête creuse (ce qui interroge sur leurs capacités intellectuelles !!) ont des demi-bras levés au ciel. A croire qu'ils sont en invocation, peut-être ? A moins que quelque malfaisant placé en off, ne les menace ? Les autres, sans bras, ont par contre un long cou de métal ouvragé, en haut duquel trône une tête tantôt en forme d'urne, tantôt triangulaire ; tantôt chauve, tantôt les cheveux dressés en forme de corolle de fleur !...

Sans jambes, ils ne peuvent aller nulle part ; sans mains, ils ne peuvent rien toucher ! Quelle peut donc être le destin de ces petits êtres ? La sculptrice le sait-elle elle-même ? Tout dépend donc, bien sûr, de la subjectivité du visiteur !! 

Jeanine RIVAIS

 

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SEBASTIEN CHARTIER 

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018

 

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Gérard DIENST :

 

COURT TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018

Mireille FAURE :

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018

Albert LANGLOIS :

 

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr Rubrique comptes-rendus de festivals BANNE 2009.

Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS :http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS. BANNE MAI 2018. LIEUX ET EXPOSANTS

 

Michel SMOLEC :

 

TEXTES DE JEANINE RIVAIS : "NAISSANCE D'UNE VOCATION" DANS LE NUMERO 58 DE SEPTEMBRE 1996, DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. "DE TERRE ET DE CHAIR, LES CREATIONS DE MICHEL SMOLEC, sculpteur" 

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS. http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVAL CERAMIQUES INSOLITES, SAINT-GALMIER 2005.

et :  "TANT ET TROP D'YEUX ou MICHEL SMOLEC dessinateur" : http://jeaninerivais.fr Rubrique ART SINGULIER.

 Et aussi : "ET DE NOUVEAU NOUS SOMMES DEUX" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART SINGULIER. 

Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS  : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS RETOUR SUR BANNE 2003

Et : COURT TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018.

Jacqueline WINTZER-PLANTE :

 

COURT TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018

VOIR TEXTE EXPOSANTS LES SEPT COLLINES.

 

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GALERIE ART PLURIEL Rive droite

NAISSANCE ET RENAISSANCE DE PHILIPPE AÏNI, CREATEUR PROTEIFORME

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          Il y a quelques décennies, Philippe Aïni, pâtissier anonyme, décidait de tout quitter pour se lancer dans la peinture. Peut-on dire que sa nouvelle vie n'a pas été pavée de roses ? Car, très vite, décidant qu'il avait envie de créer "comme une femme, avec (son) ventre, avec (ses) tripes" (¹) il s'est lancé dans une œuvre de chair au sens quasi-littéral, surprenant tous les gens qui découvraient son travail en délaissant les peintures plates, passant aux peintures en relief, puis carrément aux sculptures. Et, pour ce faire, allant chercher les rêves de milliers de lycéennes, nichés dans la bourre de multiples matelas entassés dans le grenier de l'école où travaillait son épouse ! S'exclamant, indigné, lorsque son interlocutrice s'étonnait de son enthousiasme pour ce grossier matériau d'artisan ! A laquelle, il rétorquait : "La bourre à matelas est tout à fait noble, parce que, dans le contexte où je travaille, je l'appelle "l'éponge à rêves, l'éponge à fantasmes". Je me suis toujours posé la question : "Où passent nos rêves, quand nous dormons ? Où partent-ils ? Il n'en reste, au réveil, qu'un vague souvenir. Il est vrai que nos rêves sont souvent des situations délicates, difficiles, dans des décors extravagants. La seule réponse possible est le matelas. Alors, un beau jour, sans complexes, j'ai ouvert le mien, et j'en ai retiré la bourre" (¹).

         Sont nés alors nombre de personnages constitués de plâtre couvert de bourre à matelas, puis de toile sur laquelle il peignait. La peinture constituant "la peau" ! Une peau de couleurs blafardes, livides, superposées avec véhémence, se limitant à quelques teintes comme le brun, le gris, les bleus violacés surtout ; traduisant des émotions violentes, vitales. Des corps sans aucune beauté classique, sans ordre ni symétrie ; pour lesquels un nouveau vocabulaire devenait nécessaire. Compositions graphiquement expansives, représentant des figures humaines aux membres disloqués, troncs torturés, figures soumises à des mutations ; féminines ou masculines, toujours puissamment sexuées ; des visions plurielles et des résolutions figuratives originales. Des corps non pas réalistes, mais restant identifiables, portant en somme toute la misère du monde comme en attestent certains titres : "Monument aux morts des guerres futures", "la Famille", etc. Provoquant chez ses "découvreurs" des réactions absolues, des sentiments exacerbés, tout à fait "pour" ou tout à fait "contre" ! 

La fresque juste terminée, 1992
La fresque juste terminée, 1992

 

          D'expositions prestigieuses en décors de théâtre, sollicitations de musées en France et à l'étranger… voilà Philippe Aïni connu, reconnu, encensé. Jusqu'en 1991, et sa "rencontre avec Dieu", à l'occasion de la création d'une oeuvre dans l'église Saint-Michel restaurée de Flines-les Raches qu'une association souhaitait rendre à la vie en y organisant des concerts et y faisant créer une fresque. L'idée étant de jouer des contrastes et des "appels" entre le style cistercien du Xe siècle, et des œuvres contemporaines. Bien qu'étonné d'être sollicité vu la nature de ses créations, l'artiste s'est lancé dans son interprétation du Nouveau testament, lui qui n'avait jamais pensé à la religion ! Et il déclarait alors : "En travaillant pendant deux mois, jour et nuit, dans cette église, j'ai vraiment eu l'impression d'être dans un lieu habité. J'étais en parfaite harmonie avec lui. Pendant que je créais cette fresque, j'étais calme et serein, sans aucune appréhension de la réussir ou non. La vision de l'oeuvre a été tellement forte, spontanée, que je n'ai fait aucune erreur : Rendez-vous compte, moi qui, dans ma création, veux être Dieu, j'étais en conversation avec un autre dieu que moi ! Cela m'a aidé à accepter l'idée que je ne le serais jamais, mais que je pouvais créer comme lui !" (¹). Une oeuvre de treize mètres de long sur sept mètres de haut, comprenant quatre-vingt dix personnages chevillés aux murs pour être pérennes, dans une chapelle à cinq pans, de part et d'autre d'un confessionnal. Une œuvre originale, baroque, tellement surprenante que l'on peut dire qu'elle l'a marqué à vie ? D'autant que l'inauguration à peine passée, ont commencé les ennuis ! Les bondieusards du coin, revenus au plus inculte Moyen-âge ont commencé à dégrader l'ouvrage ! S'appuyant sur les peurs ancestrales, cassant les fesses de Marie et y jetant du gros sel pour conjurer le mauvais sort, supprimant le regard des personnages à coups de peinture blanche, etc. A tel degré que Philippe Aïni, incapable de résister, subit alors crise cardiaque sur crise cardiaque. Heureusement, ses amis, et même ceux qui, sans le connaître s'intéressaient à cette œuvre, ont réagi. En faisant valoir le droit d'artiste et la protection de l'œuvre d'art, ils ont réussi à empêcher les vandales de la détruire. Aujourd'hui, presque trois décennies plus tard, elle est toujours là, cachée derrière une bâche !!! 

Philippe Aïni et son "Défilé de mode", à la Halle Saint-Pierre
Philippe Aïni et son "Défilé de mode", à la Halle Saint-Pierre

 

          Les années ont passé. Philippe Aïni a continué son œuvre, proposant ses corps déformés, accentuant l’horreur de leur situation en la poussant jusqu’à l’absurde. Les serrant, bras levés, visages dévastés hurlant leur peur, comme dans les plus sinistres pogromes. Privés d'humanité souvent. Comme avant, il n’était question ni de proportions ni de vraisemblance, puisque les corps déformés devenaient l’emblème du vécu de l'artiste, sa façon de témoigner de l'horreur du monde. 

          Et puis, il s'est mis à bourlinguer, courant finalement à travers les continents ! Revenant périodiquement au pays. Et à la création. Toujours prolixe, il s'est alors lancé dans des manifestations inattendues, comme son "Défilé de mode" où il prenait son corps en otage, défilant quasi-nu sauf un cache-sexe et un corset (!!) parmi de magnifiques jeunes femmes et hommes. A partir de là, il ira de succès en succès en France et à l'étranger. Se lançant dans des œuvres gigantesques, personnages ou totems… Créant, sous l'égide de la Galerie des Singuliers, "la Maison Aïni", à Paris. Toujours fidèle à sa bourre à matelas, ses œuvres demeuraient fantasmagoriques, fascinantes, mais illustraient, outre celui de l'homme, le pessimisme de l'artiste considérant l'humanité déchirée et cruelle. Néanmoins, il s'est lancé dans la couleur ; certes pas des couleurs éclatantes : des rouges "sales", des verts tristes… Et puis, le vent tournant, un jour, finie, la couleur. Il est revenu au monochrome.

          Le parcours de Philippe Aïni est de plus en plus difficile à évoquer, à mesure que de centaines, les œuvres se comptent par dizaines de milliers. Ses amateurs inconditionnels le retrouvent tour à tour moustachu, imberbe, chevelu, crâne rasé… Touche-à-tout, toujours ! Au point que, de ses œuvres dont l'esthétique était résolument hors-normes, il en est venu à prospecter la beauté absolue. Travaillant sur des bois précieux, (cèdre rouge, acajou, iroko, palissandre, cèdre du Liban), le voilà déterminant les règles formulées pour SA représentation esthétique. A la fois trapues, mais conçues en plein élan ; paradoxalement massives, solides et dans une tension élégante. Donnant l'impression d'avoir été longuement peaufinées, lissées par la main passant et repassant, de façon que la lumière joue sur leurs courbes et contrecourbes… Tentant non de produire une image, mais de saisir une énergie. Et plutôt que figuratives, réalisées d'une façon sensitive et vibrante. Ainsi peut-il les sculpter sous tous les angles et attitudes possibles, en rendre à la fois la réalité et la vulnérabilité. Ne se contentant pas de l'exploration formelle des volumes et des lignes ; mais en faisant des symboles de vie, mélanges d'évocations masculines, féminines, arboriformes, etc. Hiératiques, épurées au maximum, incluses dans ce qui semble être un unique trait, la densité du matériau faisant le reste : Le bois capte la lumière, laisse s'exprimer les ombres sur ces volumes absolument lisses, révélant la sensualité de l'œuvre qui génère irrémédiablement l'envie de toucher. La puissance expressive des formes sculptées de Philippe Aïni vient en somme de la contention, la retenue de l’énergie des surfaces "pleines", saisie par les vides. Cette élégance, cette sobriété des formes élancées, de ces silhouettes effilées et dépouillées, est un paradoxe par rapport à la dureté des matériaux. Est-ce la façon de l'artiste de s'éloigner un moment du monde informe, qu'il voit de façon tellement pessimiste , "se retirer" ? 

"La Fiancée" et "Ressemblance faute"
"La Fiancée" et "Ressemblance faute"

 

Aujourd'hui, Philippe Aïni a posé ses valises. Dans la foulée de Cérès Franco qui avait posé les siennes à Lagrasse, où elle avait créé son musée, il a acheté dans l'Aude un ancien chais, immense, l'a aménagé au prix d'un travail herculéen. Il en a fait un centre d'art, qu'il a baptisé "Coop-Art" (²) destiné à exposer ses œuvres et à réaliser quelques expositions temporaires d'artistes qui ont partagé ses pérégrinations. 

Désormais, sachant depuis toujours que "(son) travail suscite plus de foudres que de lauriers", mais que sa célébrité est solidement établie, il fait vivre côte à côte ses œuvres devenues historiques, et ses créations actuelles. Et comme naguère, il retrouve (à moins qu'il ne les ait jamais tout à fait quittés ?) ses personnages dans des représentations totalement libres ! Pour lors, sont en évidence des huis clos, comme si, par quelque nécessité intérieure, Philippe Aïni enfermait ses personnages dans une sorte de cocon dur (un rectangle de traits rectilignes ou jetés) qui fait de ses "lieux" un tableau dans le tableau ? Est-ce parce que, ayant lui-même "conquis" son nouveau lieu de vie, ses personnages aiment aussi vivre intra-muros, entre soi, parmi les fonds (à minima, les protagonistes occupant généralement généralement presque tout l'espace) qui ne sont pas signifiants, occupés uniquement de petites plages grises. 

          Dans ce magma teint de gris et de jaunes "malades", peu importe le contexte dans lequel se situe "le personnage". Aucun détail ne permet de situer géographiquement, socialement ou historiquement, ces êtres conçus sans souci de perspective, de proportions, de réalisme. Ils sont d'ailleurs en tous sens, leurs corps informes sont tantôt linéarisés, comme dans l'œuvre intitulée "La fiancée" où ils sont carrément perpendiculaires l'un à l'autre, tandis que des homuncules s'agitent à leurs pieds ; tantôt lourds, chaotiques, comme si quelque combinaison de lanières de tissu noir les morcelait ("Ressemblance faute"). Quant à une éventuelle communication entre eux, elle semble tout  fait aléatoire : dans "Comporte mentalité", par exemple, les deux êtres allongés dans une posture qui suggère l'intimité, sont séparés par une sorte de paravent noir, la tête de l'un étant invisible, ainsi que le bas du corps de l'autre !

 

          Il n'est en fait permis d'être définitif que pour les expressions des visages : tels ceux de leurs lointains aînés, ils n'affirment que scepticisme, interrogation, peur, hébétude… 

        Par ailleurs, Philippe Aïni s'affole-t-il, parfois, que tout soudain, de multiples individus miniaturiséés évoluent en tous sens dans un même lieu, sans que, pour la plupart, il soit possible d'affirmer que celui-ci regarde celui-là, qu'un autre en rencontre un quatrième, etc. Ceux-là sont bien enfermés dans "Le Dédale" désigné par l'artiste ! A tel point que, dans "La plage" ou "Brouillon", le visiteur a plutôt l'impression d'un banc de poissons frétillants que d'un agglomérat d'humains ! 

 

          Et que dire de l'œuvre intitulée "Les Encadrés" qui propose trois couples ; sauf que pour chacun, la tête de l'un des protagonistes est fixée sur une toile, à la manière d'un portrait, tandis que les corps flottent dans l'espace. 

 

 

          Et, avant d'en venir à la fin, il faudrait évoquer les titres conçus par Philippe Aïni : certains, (comme ceux de naguère) expriment sans ambiguïté des faits qui l'ont impressionné, ("la fiancée" "dédale", "brouillon"? "L'An noir"…) ; et sont même parfois des redondances du tableau ("Les encadrés"). Mais d'autres posent question : "Ressemblance faute", "Comporte mentalité" , "Confus d'arbres": sont-ils un condensé de phrases dont l'auteur n'aurait retenu que les deux mots-clés ? (Toute ressemblance serait une faute ? L'attitude de ce personnage comporte une étrange mentalité ? Etc.) Et faut-il voir un jeu de (gros) mot avec "Dans ma tête de moustacul" ? Sinon, a-t-il si bien intellectualisé ces intitulés que le diable y perdrait son latin ?! Qui sait ? 

"Dans ma tête de moustacul" et "L'an noir".
"Dans ma tête de moustacul" et "L'an noir".

          Finalement, un peu perdu, le visiteur a du mal à réaliser la portée, la signification d'une telle expression picturale, et il en vient à se demander si ce que son subconscient a créé en regardant les œuvres est bien ce que l'artiste a réalisé ? Comprendre que Philippe Aïni a foui à travers tous ces huis clos, avant de parvenir à une histoire qui se rapporte à lui, ou à ce qu'il pense du monde. Car assurément, ses personnages appartiennent à des histoires créées de façon très intime. Et les rapports des individus, dans cet univers à la fois spontané et longuement échafaudé, sont réalisés avec un sens aigu d’une dramaturgie picturale très personnelle. 

          Quelle que soit la réponse, ce qui frappe de prime abord et sera rémanent face à cette œuvre foisonnante, c'est que la parole de l'artiste aura traversé près de quatre décennies, sans changer d'un iota mais toujours différente ; austère et authentique, rejoignant les plus grands tels Otto Dix ou Francis Bacon, par sa façon de représenter de manière physique la souffrance corporelle ou morale… Comme les leurs, ses personnages sont, par l’éternité des sentiments qu’ils expriment ou suggèrent ; par leur totale adéquation entre création, réalité et fiction ; par l' harmonie qui fait se côtoyer comme une composition unique toutes les variantes de sa créativité, porteurs d’un message universel d’une poésie puissante !

Jeanine RIVAIS

 (¹) Cf entretien avec Jeanine Rivais : http://jeaninerivais.fr Rubrique RETOUR(s) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(s).

(²) COOP-ART : 1 rue Joseph Delteil, 11220 SERVIES-EN-Val. Tél : 06.21.63.04.31. Mail : aini.philippe@orange.fr  Site : www.lamaisonaini.com. TLJ. : 13h/20h.

 

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Philippe BUIL :

 

COURT TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018.

 

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ATELIER PHILIPPE DURAND : 

 

 

Depuis combien d'années Loransse Doe est-elle passionnée de Récup' ? Toujours est-il que tout lui est bon pour rapporter chez elle des objets de toutes sortes qui serviront à construire ses personnages souvent grandeur nature. Effet saisissant garanti vu l'art avec lequel elle fait cohabiter tous ces éléments pour créer une ambiance  à laquelle le visiteur ne saurait échapper ! 

Sa première impression est qu'il entre en un lieu hautement licencieux, les œuvres représentant  des femmes lui sautant aux yeux ! Et quelles femmes ! L'une, de dos, vêtue d'une culotte brodée, a le corps couvert d'une camisole rouge retroussée au niveau des fesses, tandis qu'un châle de mousseline du même rouge lui descend aux chevilles. Ses longs cheveux sont étalés sur le dos de la camisole. Une autre, très érotiquement vêtue de noir a les seins nus, le reste de son corps magnifique est moulé dans un justaucorps de tulle noir. Ce tronc est appuyé sur des cuisses longues et solides, légèrement croisées, soudées sur… un pied de lampe en bois sculpté. Et ce qui n'est pas le moindre paradoxe, cette femme qui n'a rien d'un ange porte deux ailes bordées de longues rémiges de couleur noire ou grise, attachées au buste par deux lanières d'argent ciselées, situées de part et d'autre du nombril, l'une sous les seins, l'autre cachant le haut du string noir ; tandis que la tête disparaît sous une coiffe-masque ciselée d'or !! Une troisième, dans une posture gymnique, offre au visiteur son large fessier gainé de rouge tandis que sa tête chauve et son buste aux seins lourds pendants sont d'un blanc crayeux, son chapeau empanaché étant posé près d'elle sur le tapis. Enfin, une autre femme, immense, surprend par la perfection du galbe de son corps, par ses seins nus aux mamelons rouge ardent, son long cou et sa bouche vermillon, et son hennin brodé, liseré de dentelle. Ses jambes interminables sont dissimulées sous une somptueuse jupe de tulle rebrodé. 

Surpris de s'être laissé prendre par ces corps révélés, statiques, voilés, dévoilés, voluptueux, l'observateur saisit la capacité de Loransse d'imposer une manifestation de son savoir-faire, bien plus que son désir d'érotiser ses œuvres ; qu'en fait, il s’agit de mettre en scène et d’exalter ainsi les pouvoirs de sa sculpture. Il se rend compte que, malgré la beauté de ces femmes et l'aspect impudique de leur tenue, l'érotisme semble absent : pas de gestes tendres, des poses froidement lascives ou suggestives. Les corps sont désincarnés, c'est l'idée morale qui prime ! 

 

D'ailleurs, continuant sa visite, ce visiteur se rend compte que les autres œuvres proposées sont d'une facture très différente : De la jolie poupée couverte d'un justaucorps rebrodé d'or, ses beaux cheveux coiffés d'un mignon bibi, fixée sur un pan de robe de la géante ; au petit allochtone rondouillard, à l'œil coquin,  posé sur son socle, ou au polichinelle à la poitrine couverte de fleurs et au buste serré dans un corset, il semble que la main ait travaillé mais que le cœur se soit imposé, car il émane de ces compositions  une grande tendresse. Non qu'elles soient plus ouvragées que la première série, mais ces personnages ont une façon bien à eux de pencher un peu la tête, leur attitude semble plus proche de celle de leur vis-à-vis intrigué. Ils semblent en fait presque humains! 

 

          Et puis, il y avait aussi les "agenouillés",  linéaires, minces et fluets, leur anatomie réduite à sa plus simple expression populaire qui dirait d'eux qu'ils sont "maigres comme des clous" !  Tee-shirt près du corps, accentuant encore leur minceur ; cravate rouge et bermuda noir. Tête humaine ou rendue canine par le masque.

 

          Et puis, la dernière variation, celle que Loransse avait placée dans un angle parce qu'elle faisait bande à part ! La plus dure, implacable… Une petite fille (ou une vieille femme, difficile d'être affirmatif !) aux longues tresses lui cachant partiellement le visage, chemise marron et pantalon blanc sale. Elle est encadrée en hauteur, le dos posé contre une échelle verticale ; les mains ligotées à un des montants par un lourd cadenas. Un rideau rouge est placé derrière l'échelle, et ses fibres détissées tombent au sol. Et le visiteur s'aperçoit alors qu'une lourde pierre est attachée au bout ! Il peut donc imaginer toutes sortes de tortures !!

 

          Refaisant alors le tour de toutes ces œuvres, il s'aperçoit qu'un tas de détails lui ont échappé : que la femme en rouge est en train d'uriner ; que celle en noir a dû être agressée puisqu'elle a perdu la majorité de ses plumes qui gisent au sol ; que celle dont la tête repose sur un coussin, louche affreusement, et que cette tête n'est reliée aux jambes que par un entrelacs de lanières filiformes ; que plusieurs corps sont incomplets ; Que tout de même dans cette perfection de prime abord qu'il a ressentie pour la géante, quelque chose le gêne, lui qui est habitué à de moindres proportions ; que ce sont les bras d'une maigreur maladive terminés par des mains à un seul doigt crochu et surtout les jambes interminables ; etc.

 

 

          Finalement, il lui semble bien que l'univers fictionnel de Loransse soit assez terrible. Mais si, comme il apparaît, ce sont ses fantasmes qu'elle jette sur la toile, nul doute qu'au bout du compte, ses créations lui permettent de s'évader, oublier pour un temps, ses révoltes et peut-être son mal de vivre ? il réalise que cette démarche formelle, protéiforme, située dans l’espace sous forme de sculptures à la fois aériennes et paradoxalement massives, se conjugue en parfaite harmonie. Que l'artiste est passée maîtresse dans l'art de la broderie, des dentelles, des velours, et qu'elle propose un travail infiniment précieux, aboutissant à des  créatures tellement “tactiles” que le public ne peut s’empêcher de les toucher ! Que cette ornemaniste autodidacte, animée d’un besoin viscéral de réfléchir profondément sur le sens de la vie, en est venue à une démarche si particulière que son oeuvre est absolument originale.  

 

          Et qu'elle offre, cette année encore,  une exposition  sympathique, curieuse et fascinante, déroutante, réalisée par une créatrice résolument hors-les-normes.

Jeanine RIVAIS 

 VOIR AUSSI : 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LORANSSE RECUPERATRICE" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique  FESTIVALS : BIZ'ART FESTIVAL : HAN-SUR-LESSE 2016. Page des Nouveaux.

 

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LES LIMBES CEPHALOPODE

 

Ce texte est celui que proposait la galeriste de Limbes céphalopodes.

 

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"A QUI VEUT"

MANON RICORDON : Photographies

 

          "Manon Recordon associe à sa pratique photographique l'exploration d’archives, personnelles ou extérieures, et le photomontage. Elle refuse la littéralité et intervient sur les techniques d’impression, le format, l’encadrement, l’agencement et le montage pour activer les rencontres entre des images d’origines disparates, éloignées, singulières. Sa méthode de combinaisons iconographiques, qui s’appuie sur le maniement et le détournement des images, est aux antipodes de tout protocole. Ses photographies évoluent parmi des images provenant de magazines, d’internet, d’illustrations, anciennes ou récentes, de romans photo, dans un mouvement d’ouverture et d’émancipation. À partir de ce matériau dissonant elle élabore des projets qui font écho à des événements marquants, historiques ou vécus.

             L’agencement des photographies renvoie ainsi aux engagements de l’artiste. Manon Recordon ne veut pas laisser les interprétations issues de classifications traditionnelles prendre le pas sur la pluralité des significations que recèlent ses compositions. Les rencontres, les confrontations et leur organisation dans l’espace d’exposition  une sphère de sensibilité. Un message latent se dessine, qui n’est jamais ostensible. L’artiste abolit la hiérarchie entre la nature des traumatismes, qu’ils soient collectifs ou individuels, voire personnels. Elle traite de la question de la vulnérabilité de l’homme face à l’Histoire et les lois de la nature à partir de ses expériences. Au cœur de À qui veut prend place l’impressionnante éruption du Stromboli en juillet 2019, qui fait prendre conscience à Manon Recordon de notre fragilité manifeste. L'exposition, en devenant le lieu d'une lutte entre les oeuvres, témoigne de l’incertitude qui hante l’homme, incertain face à la nature, mais toujours combatif et déterminé à se livrer aux tourments d’un futur chimérique". Marie Kaya

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MEDIATHEQUE DE LA RICAMARIE :

 

LA MAISON DE MARIETTE.

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ENTRETIEN de Jeanine Rivais avec MARIETTE SOUGEY

Dite MARIETTE

 

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 Ce texte aura 17 ans dans quelques mois ! Pour cause d'arrêts de revues hors-les-normes, réalisé en 2003, , il n'a jamais été publié ! A le relire aujourd'hui à l'occasion de la belle exposition proposée par Mariette dans le cadre de la VIIe Biennale des Z'Arts singuliers et innovants,  aucun texte critique ne pourrait mieux parler de la démarche de Mariette. Et puis, c'était un tel plaisir de la revoir, inchangée, toujours besogneuse et créative, "le" voilà donc, sans en changer un mot.  !! 

 

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          Qui, dans le monde singulier, n’a entendu parler de "La Maison de Mariette" ? Pour nous, Michel Smolec et moi, telle l’Arlésienne, elle est restée bien longtemps un désir de "rencontre" inassouvi. 

 

Et puis, été 2003, avant d’arriver à Banne, il y a eu un séjour à Vaudevant, chez Jean et Dany Collin. "Les Collin" sont amis depuis longtemps avec Mariette, et ils n’auraient pu nous faire plus grand plaisir, que de nous proposer d’aller lui rendre visite ! Enfin, nous allions découvrir ce lieu tellement prestigieux ! Et son instigatrice !

 

Disons, d’emblée, que la réalité a été largement à la hauteur de l’expectative !

          Jeanine Rivais : Mariette, la première question qui me vient à l’esprit en découvrant votre maison est : A quand remonte votre obsession non seulement de créer des objets, mais d’investir un lieu où les mettre en scène?

          Mariette : Si on écoute mes parents, je suis née un pinceau à la main ! Mais je pense que j’ai commencé à peindre vers 5-6 ans. J’ai d’ailleurs encore tous les "tableaux". C’était très coloré, alors que je suis devenue très sobre, mais les thèmes n’ont pas beaucoup changé : des Mères à l’Enfant, le temps qui passe… En fait j’ai commencé vers 12 ans à "mettre en boîte", comme j’appelle le travail sur ces petites scènes de la vie quotidienne.

 

        J. R. : Quand vous dites "mettre en boîte", faut-il prendre l’expression au sens littéral, ou bien s’agit-il pour vous de donner une réalité à des pensées, à des images ? Et pourquoi ce besoin d’enfermer vos idées et les objets qui les expriment ?

          Mariette : Il s’agit bien du sens littéral. J’aime tout enfermer ! Regardez mes livres, ils ont toujours un petit sac, ou un petit lange, ils sont emmaillotés. J’aime que tout soit bien clos, que rien ne déborde !

 

          J. R. : Et quelle est la relation à la maison ; cette maison tout à fait surprenante, toute biscornue, de guingois, sans un angle droit, avec seulement des angles aigus… En fait, elle est extérieurement très austère ; alors que l’intérieur est tellement floribond… Le visiteur qui arrive pour la première fois est complètement pris au dépourvu par cette rigueur extérieure, monastique, et l’intérieur totalement ludique…

          Mariette : Ce contraste est absolument voulu. J’ai tenu à ce que l’extérieur soit très rigide et j’ai, de prime abord, projeté toutes mes folies à l’intérieur.

 

        J. R. : Mais pourquoi cette rigueur ? On ne choisit pas ce style de maison innocemment : quelle peut être votre raison profonde ?

          Mariette : Je ne voulais pas une maison qui ressemble à celle de tout le monde. C’est Bernard, mon mari qui l’a décidée et dessinée. Je l’ai laissé libre de faire absolument ce qu’il voulait. Mais nous étions bien d’accord pour qu’elle ressemble à une grosse masse grise !

 

          J. R. : C’est d’autant plus surprenant, qu’elle est située à la base d’une forte colline, que la colline est toute en arrondis et que la maison ne comporte que des angles aigus ! Est-ce le désir de vivre au centre d’un paradoxe?

          Mariette : Vous savez, je ne me pose pas de questions. Il m’a fait une maison pointue et elle me plaît. Mais peut-être une maison ronde m’aurait-elle plu autant ? L’essentiel est que les objets y trouvent place ! Que je puisse l’investir.

 

          J. R. : Justement, comment "aborde-t-on" l’invasion d’une si grande maison, complètement vide ?

       Mariette : Dès que nous nous sommes connus, mon mari et moi, nous avons décidé de posséder un lieu où mes œuvres pourraient prendre place. 

Au début, nous avions un tout autre projet, nous voulions faire venir un immense avion sur le terrain. Bien sûr, nous n’avons pas obtenu les autorisations ! Ensuite, nous avons envisagé un wagon de chemin de fer ; mais il était impossible de le faire venir jusqu’ici à cause des murailles de l’hôpital. Pendant des années, nous avons eu plein de projets ; et finalement nous avons eu l’autorisation pour cette construction. Mais cela n’a pas été une mince affaire !

 

          J. R. : En fait, nous sommes donc dans un deuxième paradoxe puisque le rêve aurait été "une maison venue d’ailleurs" ? 

          Mariette : Exactement ! Bien implantée ici, sur notre terrain familial, mais venue d’ailleurs ! 

Finalement, elle est sortie de terre ici. Dès l’origine, nous la voulions à deux étages pour bien présenter mes oeuvres.

 

          J. R. : Pari réussi, car, lorsque l’on entre aujourd’hui dans votre maison, on s’aperçoit qu’elles y sont tellement bien intégrées, qu’elles ont l’air d’en faire partie, d’en être les antennes.

      Autre remarque, vous avez mêlé aux vôtres des œuvres de différents artistes. Mais ils sont tellement en osmose qu’il devient, au bout d’un moment, impossible de dire ce qui est de vous et ce qui ne l’est pas.

     Quels sont donc les critères pour que, vous qui êtes une créatrice si impliquée dans votre création, vous procédiez ainsi ?

         Mariette : Attention, dans l’appartement j’ai effectivement des œuvres d’autres artistes mêlées aux miennes. Mais, dans la galerie, mises à part celles de Claude Privet* avec lesquelles je me sens en complète osmose, bien qu’elles soient totalement différentes, il n’y a que les miennes. 

 

         J. R. : Comment en êtes-vous venue à un style qui soit, sans confusion possible, " du Mariette"?

           Mariette :  Je n’ai pas cherché.  Finalement, je crois que j’ai toujours fait la même chose. 

 

          J. R. : En dehors du cadre qui est toujours présent et quelquefois très beau, il y a tout de même d’autres signes récurrents dans votre travail : De nombreuses petites têtes (l’un de vos tableaux en comporte au moins un millier !) toutes différentes et qui, en raison de la patine, semblent en métal ; l’air à la fois vivantes et squelettiques…

          Mariette : Oui, bien sûr elles sont différentes parce que faites sans moule ! C’est qu’elles veulent représenter ce qui me préoccupe à tout instant : la vie, la mort, le sexe, le jeu, le quotidien… tout ce qui touche à la guerre…

 

       J. R. : Sur un autre tableau, vous avez joué à l’entomologiste et disposé de multiples papillons. Seulement, lorsqu’on les regarde de près, on s’aperçoit que les ailes sont en papier d’une finesse arachnéenne, mais que le corselet de chaque insecte est une minuscule Vierge…

Autre récurrence, dans de nombreux tableaux, des ailes, que vous appelez "ailes de pintades". D’où vient cette obsession des ailes ? Et cette idée de pintade ?

          Mariette : J’ai vu un jour une pintade sculptée chez des amis. Cela m’a si vivement impressionnée qu’en rentrant, je me suis mise à crayonner mes petites ailes de pintade. Et depuis, j’en mets très souvent.

 

          J. R. : Chaque objet que vous réalisez n’est en fait jamais une peinture ou une sculpture, c’est un mélange de dessins, de collages, d’objets sculptés, de broderie, etc. Il faut donc que tous les arts cohabitent pour que ce soit "du Mariette" ? Par ailleurs, il faut ajouter l’écriture, car vous avez  votre calligraphie bien personnelle.

         Mariette : Exactement. Chaque texte est calligraphié dans son entièreté. Je ne mets jamais des bribes de texte…

 

      J.R. :  Vos personnages donnent également l’impression qu’ils ne peuvent jamais être des individus complets : ce sont des mélanges oiseau-homme, oiseau-Vierge, etc. ?  

Et venons-en à ce propos à la récurrence de la Vierge ? Est-ce une question de croyance ou d’esthétique ?

          Mariette : Je ne peux rien en dire. Peut-être que lorsque j’aurai la réponse, je n’en ferai plus ?  La Vierge a de tout temps existé dans mes oeuvres. Je crois en quelque chose, mais ce n’est pas par croyance que je la mets, c’est seulement qu’avec ses cheveux et mes plumes de pintade, je la trouve belle.

          La femme, la Vierge, Sainte Bernadette… Elles sont toujours en prière.

 

         J. R. : Peut-on parler aussi du côté art-récup’ de votre travail ? Quels doivent être les caractères d’un objet pour que vous ayez envie de le récupérer ?

        Mariette :  Oh ! Impossible de résumer. Dans cette boîte, il y a une pince de voiture de Bernard. J’achète énormément d’objets dans les brocantes et les puces. Et c’est l’objet qui va m’entraîner à commencer une sculpture. C’est-à-dire qu’au moment où je l’achète, je sais déjà qu’il va me servir. Je n’achète pas juste pour entasser dans mon atelier. De toutes façons, ce sont presque toujours les mêmes matières. J’ai horreur de ce qui est en plastique, j’aime les beaux bois, les métaux. 

 

          J. R. : En résumé, un objet acheté n’est pas là en tant qu’objet, il est là en-tant-qu’objet-déjà-intégré-en-pensée ? L’objet crée l’image, en somme ? 

        Mariette : Oui. Ainsi, dans ma "Boîte accident", l’objet devient le personnage accidenté emporté par les infirmiers, il est attaché par plusieurs morceaux de toile ; et il monte au ciel avec Marie, pourquoi pas ? 

 

         J. R. : Et vous ne tenez aucun compte des proportions dans la combinaison de vos objets récupérés ? Certains éléments, qui semblent secondaires dans la narration, sont disproportionnés par rapport à ceux qui sont les éléments moteurs de l’anecdote. Pourquoi ?

Mariette : Je n’ai vraiment pas de réponses. J’assemble, j’ajoute. Je ne dirai pas que je travaille sans conscience, mais l’instinct entre pour une grande part dans la progression. Je dis toujours que je crée comme je fais ma cuisine… sans recette.

 

                J. R. : Dans chacun de vos tableaux, nous sommes dans l’évocation. Dans celui dont nous venons de parler, un minuscule garde-champêtre annonce l’accident.  Vous avez rappelé tout à l’heure le passage du temps, comment voyage-t-on d’un élément vers l’autre de cette évocation ? 

          Mariette : Que ce soit le passé, le présent, le futur, tout se déroule simultanément. Je voyage dans les trois éléments en même temps.

 

        J. R. : Ces minuscules Vierges ont l’air tellement semblables, comment les réalisez-vous ?

          Mariette : Ah ! Pour celles-là, j’ai un moule avec lequel je les fabrique ! Et leurs cheveux sont faits avec les cheveux de ma mère.  Parfois je les fais en céramique, aussi.  Ou en papier mâché. En fait, je ne me pose jamais la question de savoir s’il y a ou non un rapport entre les objets. Si je trouve joli de les mettre en semble, je le fais… 

 

          J. R. : Vous avez encore une autre particularité : c’est que les personnages découpés ont très rarement leur propre tête : vous les avez enlevées, et vous avez mis à la place " vos " petites têtes évoquées tout à l’heure. Ce qui change complètement la relation entre les volumes et les personnages. Pourquoi est-ce toujours la tête qui change ?

          Mariette : Sans doute parce que ce sont les têtes qui m’inspirent ? Il ne faut jamais avoir l’air de ce que l’on est.

 

          J. R. : Ce lieu où vous vivez et créez est vraiment une boîte à rêves ! Quand on voit ces milliers de petites têtes, on vous imagine pendant des heures, jubilant, le nez collé dessus, les petits yeux, les petits nez… les unes rayonnantes, les autres en fin de vie…

          Mariette : J’en ai fait des cartons entiers. A une époque, tous les enfants du village qui étaient d’accord venaient me faire les petites boules, et moi je précisais les traits. Ils m’en ont roulé des milliers ! Ils s’en souviennent bien, ainsi que des crêpes que je leur faisais à la fin de la journée! 

 

        J. R. : Y a-t-il quelque chose que, dans mon enthousiasme je n’aie pas vu, et dont vous aimeriez parler ?

          Mariette : Oh ! Je n’ai jamais grand chose à dire sur mon travail ! 

 

          J. R. : C’est ce que je vois, quel dommage que vos personnages si vivants ne soient pas doués de parole ! 

          Mariette : En fait, je crée, je crée, je crée… Mais je ne sais guère expliquer. 

 

          J. R. : Ne soyez pas contrite ! Si je résume ma journée chez vous, je dirai que je suis allée de surprise en surprise, d’admiration en plaisir infini. J’avais toujours entendu parler de " la Maison de Mariette ". Dans ma tête, vous aviez "peuplé" l’extérieur comme l’intérieur. Quand nous sommes arrivés, j’ai donc ressenti un vrai choc, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, devant les murs gris et nus. Mais ensuite, une fois réconciliée avec l’idée que, pour le moment, vous n’avez pas investi le dehors, j’ai eu, dès l’entrée, l’impression de pénétrer dans une chapelle. Puis, très vite, j’ai  trouvé le dedans extrêmement chaleureux. Nous y sommes très souvent en présence de la mort, car elle est, sur les cimaises, beaucoup plus présente que la vie. Il y a même la vie "au-delà", puisque des anges y habitent… Mais tout cela est tellement foisonnant que l’on oublie la mort et on se laisse porter par l’impression très forte d’être dans la vie ! 

          Mariette : Moi, je ne vois partout que la vie, mais il est vrai que les gens ont souvent l’impression que la mort est omniprésente. En fait, je crois que tout est mêlé, mais c’est ainsi que cela se passe dans la vie réelle ! Quand j’achète des paquets de vieilles photos que les gens ne voulaient plus, je leur redonne une vie. Quand je récupère de vieux outils, de vieux vêtements, je leur confère une nouvelle existence.

 

          J. R. : Parlons un peu de vous : Incontournable, également, dans la légende de " la Maison de Mariette ", celle de Mariette toujours habillée en noir. Pourquoi ? 

          Mariette : Je m’habille en noir depuis l’âge de treize ans environ. Je n’aime, en fait que le noir.. Le noir est pour moi la couleur la plus percutante. Il est devenu comme une seconde peau

 

          J. R. : Et puisque nous en sommes aux questions très personnelles, évoquons un événement de cet été 2003 qui, apparemment, fera date : Mariette avec, depuis des décennies, des cheveux aux genoux, une lourde tresse, d’énormes chignons ornés de toutes sortes de rubans… Et soudain, Mariette avec les cheveux coupés très courts. Pourquoi une telle révolution ? 

          Mariette : Je voulais être autre, tout en restant la même.

 

          J. R. : La "nouvelle Mariette" va-t-elle commencer une nouvelle création ? 

          Mariette : Oh non ! Je suis sûre que je vais toujours suivre ma ligne, celle que je suis inexorablement depuis toujours. L’angoisse est plutôt de savoir si je serai toujours capable de créer ; de créer toujours des tableaux différents. Pour le moment je n’ai ni l’angoisse de la feuille blanche, ni de la céramique blanche, mais qui sait ?

Mais venez voir mes ex-voto… ils sont tous en céramique…

 

          J.R. : Je quittais  les poupées à regrets. Maintenant que je vois ces pures merveilles, j’en suis toute retournée. 

          Pourquoi patinez-vous ces ex-voto ? Pour qu’ils aient l’air d’être en métal ? La terre est un matériau tellement chaleureux, alors que le métal confère aux objets un peu de froideur…

        Mariette : C’est vrai que j’aime cette patine. Ce sont les dorures qui donnent l’aspect métallique, l’aspect du vécu, du temps qui passe…

 

          J. R. : Mais comment faites-vous ? Vous avez des tampons ?…

          Mariette : Non. Ce sont des objets qui me plaisent, que j’imprime dans la terre.

 

          J. R. : Et les cœurs ? D’où viennent tous ces cœurs ?

          Mariette : Ce sont des cœurs que l’on met sur les tombes, dans les cimetières. Je raffole de tous les objets qui viennent des églises, des cimetières… J’habite rue "du Souvenir français" parce qu’il y a tout près un petit cimetière. Avec mes sœurs, quand nous étions enfants, nous y allions souvent jouer. Quand je me sens un peu déprimée, je vais au cimetière et cela me remet les idées en place ! Je trouve ces lieux apaisants. J’aime l’Art funéraire.

 

          J. R. : Enfin, vous avez une autre corde à votre arc : vous êtes éditrice. Quels choix faites-vous ? Seulement des poètes ? Ou aussi des romans ?

          Mariette : Jusqu’à présent, j’ai édité trois livres. C’est un très grand bonheur ! Jusque-là, je réalisais des livres uniques où je faisais absolument ce que je voulais. Mais dès que l’on édite à une quarantaine d’exemplaires, on est soumis à des contraintes. Les contraintes donnent une grande valeur à la liberté. Je vais continuer, j’aime les livres. J’aime les empaqueter, les mettre dans de petits écrins. 

 

         J. R. : Revenons à votre maison, où, finalement chaque étage a son caractère propre. Au premier étage, il me semble impensable d’organiser la vie quotidienne . Il est beaucoup plus baroque qu’en bas, et ressemble plus à un musée qu’à un lieu de vie. Est-ce important d’avoir séparé la vie du musée ?

          Mariette : Oui. Tout cela fait un mélange vraiment passionnant. Petit à petit, les objets prennent leur place, se combinent avec les murs et les autres objets…

          C’est important de séparer les deux. Et puis, cela m’évite le crève-cœur de devoir me séparer d’objets auxquels je suis très attachée. Je garde ici ce que je ne veux pas vendre. 

          Mais cela nous ramène au nom de ce lieu. Je l’ai appelée " la Maison de Mariette " parce que je ne savais pas trop comment l’appeler. Nous avions pensé à " Petit musée ", mais cela ne me convenait pas. Sans parler de la difficulté de réaliser ce que l’on a dans la tête. 

 

           J. R. : Essayez de nous expliquer "ce que vous avez dans la tête" ? Ce travail minutieux, cette relation à "l’infiniment petit" comme diraient les scientifiques, me semble une belle leçon d’amour ! Tout y vit dans la plus grande convivialité, sans jamais le moindre hiatus. Il est très évident que "toutes" ces œuvres sont une "seule" œuvre, que chaque détail de cet ensemble est mû par une semblable obsession, un même imaginaire, que chacun "rend" l’intimité que vous avez eue avec lui. Je crois que c’est la meilleure définition que l’on puisse donner du travail d’un artiste. 

 

          Mariette : Je ne sais pas si c’est tout cela, ni si c’est une belle leçon d’amour ? Ce que je peux dire, c’est que je mets beaucoup d’amour dans ce que je fais.

 

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Entretien réalisé à La Maison de Mariette,  le 15 juillet 2003. 

 

Depuis, Mariette a exposé de nombreuses fois, créé des milliers de poupées (pensez à la manifestation qui s'intitulait "sept-cents poupées !"  Des grandes, des moyennes, des petites, des avec ou sans seins, des corps abîmés ou non… etc. Sans parler des milliers (millions) de minuscules têtes qu'elle travaille chaque matin, pour se mettre en forme !! Mariette, inimitable !!! 

 

 

(¹) Claude Privet : Voir TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "VIE ET MORT : LES ETRANGES RELIQUES DE CLAUDE PRIVET, SCULPTEUR" : Site : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE ART CONTEMPORAIN.

 

LA MAISON DE MARIETTE : 107,Rue du Souvenir français 38380 SAINT-LAURENT-DU-PONT. Tel : 04.76.55.17.73.

 

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ATELIER DE LA BOISEUSE : 

 

LORDEY ANNE 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018

 

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OFFICE DU TOURISME DE SAINT-ETIENNE METROPOLE : 

 

CHANUT LOUIS-ALBERT 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018

 

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          Au premier abord, les œuvres de José Mélina semblent abstraites. Faites de plages aux orientations un peu folles, non situées dans l’espace, vagabondes. Et leur contact est  raboteux comme s'il avait créé des reliefs anarchiques au moyen, peut-être, de lambeaux de tissus, fibres arrachées ici et là, mêlés à de la peinture et/ou de la colle, de façon à ce que les reliefs provoquent des résistances qui titillent sa main ; tandis que des pâtes semi-aqueuses forment des sous-couches dont la présence invisible fait ici briller une plage, là au contraire la laissent mate et ombreuse et donnent l’impression de plaquer contre le fond les éléments qui composent son "histoire"… En somme, il expérimente les contrastes volumes/enfonçures ; luminosités/empêchements ou surabondance de couleurs. Et le résultat est, qu’ayant volontairement créé ces espaces en une sorte de jeu sur l’apparence, chaque tableau est fait de plusieurs s'entre eux, disposés sans relation imaginable. 

     Mais là se situe le mensonge, dans l'œuvre de José Mélina ! Car ces plages géographiques erratiques se révèlent être des huis-clos ou des agglomérats de lieux clos dans lesquels se trouvent, raides, statiques, de petits personnages pictographiques à peine élaborés : Corps/vêtements tubulaires. Têtes sans cous "vissées" en demi-cercles sur la largeur des troncs. Têtes enfouies sous des capuchons ou portant turban. Entassement de legos ronds pour un petit bonhomme déséquilibré. Etc.

          Quel est le rôle de ces individus miniaturisés, incomplets, informes, ectoplasmiques pour certains, plus présents dans certains tableaux que dans d'autres ; placés en tous sens dans ces enfermements faits de lourds cernes de couleurs longuement travaillés, où l’œil "sent" le passage répétitif du pinceau attestant de l’importance symbolique que l'artiste prête à ces cadres biscornus,  à l’intérieur de celui, noir et rigide,  qui entoure l’œuvre ? 

 

          Et quel est le but de ces cadres de bois noir  –de ces murs, finalement-- qui cernent tous les tableaux ? Leur rôle est-il de renforcer cette impression de huis clos ?  Empêchent-ils simplement de s'échapper ces amorces d'individus ? Sont-ils une menace ? Les protègent-ils, au contraire, puisqu'ils se retrouvent même autour d'une œuvre résolument abstraite, elle, travaillée gris sur gris, semblant représenter un espace caillouteux indéfini ? 

          José Mélina a-t-il des réponses ? Ou tout cet échafaudage de supputations est-il seulement né de la subjectivité du visiteur ? Qui sait ? 

Jeanine RIVAIS

 

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          Dégagée de toutes appartenances à un style, à une mode, il semble bien qu'Anny Blaise-Resnik soit une exploratrice qui, au fil des années a prospecté le Figuratif, le Symbolisme et l'Abstraction, mais aussi l'écriture. Créant à chaque tentative une démarche bien à elle. Veillant à ne se laisser freiner par aucune limite, ne céder à aucun préjugé, ne s'arrêter à aucune difficulté ou contrainte : créer en somme, en toute liberté. Travailler en respectant le matériau qu'elle a choisi,  trouver les  éléments qui produisent en elle une harmonie essentielle. Passer avec la même passion de la création spatiale à la peinture… 

          Le résultat est une œuvre protéiforme qui l'emmène parfois vers des horizons hors d’atteinte, projetant sur de précieux papiers chinois, des explosions de couleurs brunes, taches monochromes, sortes de magma diffus perdu dans une poncturation de minuscules pointillés blancs, si drus qu'ils font penser à des gerbes "florales" bordurant le brun, au point que le visiteur qui était subjectivement parti explorer des profondeurs cosmiques, se trouve tout surpris de se confronter à des silhouettes animales, ou aux contours de faciès humanoïdes, finalement si évidente qu'il peut authentifier ici une tête de taureau ; là un visage humain aux grands yeux étonnés ! Etc. 

 

          Le rapport à la terre est beaucoup plus humanisé. Sans perdre de vue son dessein qui est de l'emmener  en des mondes situés bien au-delà du sol qu'elle foule, Anny Blaise-Resnik s'exprime en des maternités où l'osmose mère/enfant est si complète qu'ils ne font qu'un, littéralement, à l'instar de ces animaux qui transportent leur petit dans une poche !

          Par ailleurs, l'anatomie de ces mères est surprenante : toujours verticales, elles s'appuient sur un unique pseudopode terminé par de larges orteils qui s'épanouissent au point de faire penser parfois aux racines aériennes des plantes exotiques. Dénuées de membres supérieurs, leurs corps longilignes ne sont rompus que par la tête du petit qui regarde le visiteur de ses petits yeux tout ronds. Ils se poursuivent, un peu élargis, par la poitrine, laquelle devient un cou supportant une tête tantôt arrondie, tantôt rectangulaire, en tout cas sans jamais d'angles droits ! Mais toujours, des bouches bées, de gros yeux globuleux et des chevelures frisées. 

          Sur ces anatomies simplifiées, l'artiste a accompli un long travail d'ornementation ! Ce qui génère une antithèse, en somme : le corps très élaboré et la tête incertaine. Le vêtement/corps tantôt peint de couleurs harmonieusement assorties ; tantôt martelé comme à petits coups de gouge créant bosselures et creux, en une surcharge ornementative,  entrecroisement presque illimité des courbes du dessin, des nœuds dans les corps. Tout cela "venant" naturellement, car il n’est bien sûr pas question pour la sculptrice de se complaire dans l’esthétisme ! Son plaisir semble naître d’avoir montré qu’à partir d'une simple poignée d'argile, elle a su donner une nouvelle intensité, une autre personnalité ; une façon différente d’accrocher la lumière ; qu’il y a en somme dans la nature des trésors de créations spontanées et qu’il suffit à l’artiste d’un tout petit peu de sensibilité pour les mettre en évidence !

 

          Finalement, quelle que soit leur "formulation", peintures ou  sculptures,  simples ou sophistiquées, les œuvres d'Anny Blaise-Resnik  sont, par leur totale adéquation entre réalité et fantasmagorie, porteuses d'un message intemporel et d'une puissante poésie. Une œuvre originale, conviviale, curieuse, interrogative et exploratoire : vivante en somme !

Jeanine RIVAIS 

 

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LES MOYENS DU BORD 

 

          Que sont devenues les si magnifiques poupées irrémédiablement enlaidies, de Nancy Cardinal ? Les a-t-elle confinées en quelque grenier poussiéreux, juste pour s'assurer qu'elles deviendront encore plus laides ? Toujours est-il qu'elle ne les exposait pas en 2020, à la Biennale de Saint-Etienne ! 

   Et pourtant les êtres qu'elle exposait firent une telle impression que ses hôtes premiers ne les purent supporter et qu'elle dut les changer de lieu d'accueil !! 

 

          C'est que, quelle que soit la connotation qu'elle ait voulu donner à ses personnages, ils appartiennent toujours à un univers fantasmagorique, d'un imaginaire presque effrayant. Reflétant l’enfance et surtout la condition féminine. Transgressant les normes de beauté ou de grâce qu’on y attache traditionnellement. Imposant sa passion, sa combativité et sa rage de créer avec un talent indiscutable qui se révèle définitivement par la qualité de ses œuvres : Nancy Cardinal, une artiste authentique, acharnée à aller jusqu’au bout de sa démarche si personnelle, de la quête de sa propre poésie de la différence ! 

          Qui, cette fois,  s'en est prise à des ossements ; comme si, à partir d'éléments morts, elle avait voulu recréer des vivants(tes). Dans son ouvrage, "Topographie de l’Art" le commissaire d’exposition Paul Ardenne proposait d’intituler une exposition Humanimalismes, "terme qui prend son sens de l’"humanimalité" définie par Michel Surya comme la réquisition à son profit par l’artiste de la figure de l’"animal" pour y mélanger sa propre figure d’être humain, de façon consentie : l’humanité à la lisière du sérieux scientiste et de la croyance primitive, presque toujours". 

          Est-ce dans cet état d'esprit que Nancy Cardinal a réalisé ses petites créatures ; partant de restes anonymes pour générer un microcosme bien à elle ? Donnant corps (littéralement) à une profusion de créatures difformes et hybrides, étranges et mystérieuses, humanoïdes toujours : Ici, petit corps enfermé dans une chaussure  ; là, yeux vagues, mélancoliques ou dubitatifs, aveugles parfois, semblant fixer celui qui, pour quelques minutes, devient son vis-à-vis ; tête énorme déséquilibrée sur deux vertèbres ; magnifique sirène au corps/mâchoire, seins/coquillages, bras/côtes, tête de poupée coiffée d'une volumineuse vertèbre de quelque animal énorme ; petit baigneur à oreilles de lynx et cornes de gazelle ! Etc. 

          Ainsi, en quelques secondes, tout un "périple mental" entraîne-t-il le nouveau venu vers des civilisations mythologiques enchevêtrées, avant que la réalité ne s’impose à lui : Il a bien, face à lui, des "humains", mais entièrement créés par l’imagination et les mains de l’artiste : Oeuvres de papier ? De résine ? De vrais ossements, en tout cas, glanés par l'artiste au cours de ses pérégrinations sylvestres. 

 

          Conçues, donc, à partir d'objets qui ne devaient jamais se rencontrer. Et soudain, vient à l’esprit du visiteur que Nancy Cardinal doit éprouver une intense jubilation à échafauder chaque mise en scène : concevoir ses personnages, les façonner, préméditer le moment où elle va les ajouter à son étrange population bestialo-humaine ! ! A moins qu'il n'ait tout faux, et qu'elle ne les crée plutôt  que pour soulager l’émotion, la violence et l’angoisse métaphysique et existentielle qu'elle ressent, dans un monde qui ne se remet personnellement pas en cause ; bref, dans sa volonté d'offrir tous les ingrédients puissamment exprimés d’une bonne crise de conscience individuelle et d’un pied de nez à l’égard de cette société. Soufflant dans le même temps, au nez du visiteur, ses visages intemporels, masques de tous les âges, sans aucune définition sociale, à la fois fantasmes et obsessions d’une sombre réalité ; atrophiés et transgressant tous les codes du réalisme ; réalisés en tout cas, à l’image de la vie, dans cette zone d’ombre un peu mythique, entre deux états aux frontières mal définies, de la condition humaine !

 

          Et ce ne sont pas ses collages qui pourraient restaurer une gaieté ambiante. Même si les occupants de ces lieux sont de "vraies" gens, désoeuvrées apparemment  ! Où président fantômes et ectoplasmes ; œil de Caïn au milieu d'une main ouverte ; femmes ailées en lévitation ; femmes nues et enfants hurlants ; hommes siamois vêtus de super-chic "queue de pie" ou chapeautés façon 1930 ; couples copulant… en des sortes de huis clos où poussent anarchiquement pans de murs, arbres et maisons, en des atmosphères, des décors indéfinis de bleutés sombres … 

 

          Alors, contradictoire, l’oeuvre de Nancy Cardinal, allant de ses poupées enlaidies, aux personnages "réels", encollés, évoqués ci-dessus, pour remonter aux temps préhistoriques de l'humanimalisme ? Paradoxe entre ce message d’amour omniprésent, long chant poétique et imagé, relié à toutes les cultures du monde ; et ces visages mal-aimés, symboles de souffrances ou de mal-être, empêchés de parler mais criant leur différence ? Sur ce dernier point, aucun doute n’est possible. Mais il est pourtant, de l’un aux autres, un indéniable lien : lyrisme ou silence, liberté ou carcan, la recherche de l’absolu ! 

Jeanine RIVAIS

VOIR AUSSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : " BEAUTE ET ENLAIDISSEMENT DES POUPEES DE NANCY CARDINAL" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique  FESTIVALS : BIZ'ART FESTIVAL : HAN-SUR-LESSE 2017. Pages des Nouveaux.

 

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"Il y a toujours un sujet", affirmait de Staël 

"La peinture possède une vie qui lui est propre", répondait Pollock

 

          Frédéric Soussen semble bien, par la liberté du geste, celle des formes, des couleurs dans ses œuvres, confirmer qu'il appartient à l'Abstraction lyrique ! Aucune géométrie, aucune construction apparente ! Alors, comment décoder ce qu'il a voulu exprimer ? 

          Et d'abord, est-ce parce qu'il ne voulait plus "raconter des histoires" qu'il s'est lancé dans l'Abstraction ? Est-ce la raison pour laquelle il en est venu à un dédale de signes, une sorte de pseudo-écriture, une démarche qui serait l’exploration sans fin d'un territoire, avec ses sensations de déjà-vu et de découvertes ?  

          Chaque œuvre part d'un fond jaune sale (¹) ou d'un bleu pâle, que viennent recouvrir des mouvements hétéroclites, une sorte de révolution anarchique de lignes, croisées, entrecroisées, chevauchées, tourbillonnantes parfois, plaquées brutalement d'autres fois ; un magma de tonalités, d'ombres où se dessinent des chemins de lumières, labyrinthiques. Jamais d'aplats, des superpositions de couches, des grattages...

          Une géographie intime, finalement, marquée de figures où le visiteur pourrait, s'il voulait jouer à ce jeu de naguère "où est la tête ?", distinguer, selon l'angle de vue, ici un lièvre vautré dans l'herbe à côté d'un petit bonhomme presque pictogrammique, là un visage inversé, ailleurs un clocher de village, ou une main, etc. Mais est-ce bien le but recherché par Frédéric Soussen ? Ces "apports figuratifs", ne sont-ils pas que de hasard ? Alors que, ce qui frappe de prime abord dans sa création, c’est la grande explosion de couleurs, les complémentarités et les oppositions des bleus crus qui s’enchevêtrent, des jaunes et des rouges sans nuances qui se chevauchent, des verts denses qui s’interposent ; le tout désorganisé au moyen de traits noirs anarchiques. Et surtout, l’artiste laisse -généralement à la périphérie-, des fonds /espaces libératoires, qui, loin de fermer l'imbroglio des formes en ce qui pourrait être des huis clos, leur donne un droit de vie.

 

          Il semble bien, en fin de compte, que la peinture abstraite proposée par Frédéric Soussen soit la négation de toute pseudo-communication et de toute image trop lisible et claire. Que ce soit un acte de résistance ; et que sa seule préoccupation soit de créer des œuvres à la fois visuelles et tactiles, conçues autour d’une rencontre indissociable entre la matière et la couleur.

Jeanine RIVAIS

 (¹) Rien de péjoratif dans cette expression.

 

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LE PETIT HELDER

 

Voilà une quinzaine d'années que Toto Pissaco tient ses personnages dans le plus hermétique confinement ! Mais comme ils sont d'un naturel convivial (enfin, pas tous !!), ils sont tassés les uns sur les autres, et malgré cela ils gardent le sourire.

      Et quel sourire ! C'est là que les expressions "rire à pleines dents" ou "rire de toutes ses dents"  prennent tout leur  sens, car têtes de mort ou têtes vivantes, têtes de loup, de souris… leurs dents sont au premier plan des visages ! De certains, "vus de face", le visiteur ne voit même que les dents entre des lèvres lippues à l'excès. 

          Dans cet imbroglio de personnages, la plupart du temps, ne sont visibles que les têtes, contiguës, enchevêtrées… voire les yeux, le reste du visage dentelé, ciselé, couturé, rapiécé… coincé entre des feuilles de nature incertaine, des graffiti, des pictogrammes, de minuscules pointillés, des surlignements de tirets polychromes… Autant d'étapes qui donnent à l'ensemble un petit air résolu, mais bon enfant ! Et des écritures sur lesquelles il est bon de s'attarder ! Toutes exclamatives, elles semblent ponctuer les états d'âme de Toto Pissaco (FUCK (merde, va te faire foutre), LOVE (amour), SAVE (sauvé), RRRr (est-il besoin de traduction ?)) ; etc. L'écriture, qu'il jette comme une colère récurrente, comme un besoin de convaincre, comme une connivence… lancée sans ordre, en français, en anglais… ayant ses couleurs propres, complètement intégrée parmi les protagonistes de ces scènes de foules ! 

          D'autres fois, les personnages sont entiers ; ce qui est façon de parler, car en fait, aux uns manquent les bras ; des mains se tendent, se brandissent, sans qu'il soit possible d'en déterminer l'auteur ; d'autres tirent la langue, roulent leurs yeux exorbités voire dardés sous de grosses lunettes… Finalement, entre le déploiement (encore que ce mot ne convienne guère, vu la densité des populations de Toto Pissaco), de têtes en tous sens, aucun membre inférieur n'est visible ! Ainsi, les créatures de l'artiste sont-elles de nulle part et de partout, de nul temps et de toujours ; de nulle chapelle et de toutes les propositions ; de nulle complaisance et contre tous les stéréotypes ; toutes ces "présences" n'ayant finalement aucune chance de se définir socialement, historiquement, géographiquement. Et il faut tout de même noter que s'ils sont tassés comme des sardines, ces individus ne se regardent jamais : ils regardent le visiteur, en off, et qui lui, leur fait face et de regardeur, devient le regardé ! 

          Ce grouillement donne par ailleurs, l'impression d'une infinité de couleurs. Or, un regard prolongé révèle qu'il n'en est rien. Que le peintre n'en utilise que très peu, mais avec toutes les nuances, sombres ou claires, mêlées à d'autres ou non : des bleus, des verts, des jaunes, quelques pointes de rouges, très peu de noirs et seulement pour surligner quelques détails. 

 

          Ainsi, Toto Picasso oublie-t-il le quotidien pour créer des personnages capables de le faire rêver, s'évader, s'inventer un univers, se créer une mythologie picturale. Tout cela de façon tout à fait spontanée. Sans aucun intellectualisme. Une œuvre forte, sincère, réalisée avec la fausse naïveté d'un artiste soucieux de styliser ses personnages pour mieux dire l'essentiel ; d'une grande contemporanéité malgré l'atemporalité évoquée plus haut…

Jeanine RIVAIS  

VOIR AUSSI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS:  http://jeaninerivais.fr Rubrique GRAND BAZ'ART A BEZU 2009.

 

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M.A.I. MUSEE D'ART ET D'INDUSTRIE 

 

          Là, dans un beau cadre, toute droite, à la peau blanche graniteuse, est plantée une femme devant un décor de coques, étoiles de mer et coquilles Saint Jacques. Mais si son corps est presque réaliste, sa tête inexistante est remplacée par  un ébouriffement de cheveux/dentelles. Ainsi apparaît une œuvre de Catherine Herbertz. 

          Immédiatement, sachant que son sens artistique consiste essentiellement à s’adonner à l’art textile ; qu'elle suit toujours son imaginaire débordant pour créer des œuvres au fort potentiel poétique, provocatrices et difficiles à analyser la plupart du temps, cette œuvre pose problème : en quelle matière est-elle réalisée ? Est-ce, comme il y paraît, de la terre ? Et si les coquilles Saint-Jacques sont d'authentiques coquillages, en quoi sont les étoiles de mer, aussi blanches que la femme ?! Alors, s'agit-il bien de fils tricotés qu'elle aurait recouverts de plâtre ? Ou, comme l'assure son apparence est-elle faite de glaise, et l'artiste aurait alors plusieurs cordes à son arc ? D'autant qu'elle a intitulé cette œuvre "Païenne blanche", et qu'elle a également réalisé une  "Païenne rouge" où le corps suscite le même questionnement, mais où l'immense chevelure assure qu'il s'agit bien de matière tricotée ! Ce que corrobore également la sculpture noire étalée sur fond violine, où seuls se détachent en clair, les coquillages. Travail infiniment précieux, d'une recherche, d'une grande sophistication qui donne envie de poser la main sur les jeux de brillances et de matités ainsi créés. 

 

            D'autres œuvres, par contre, sont sans ambiguïté : Celles où la recherche esthétique est tout à fait différente, presque "négligée". Elles sont conçues à partir d'éléments textiles et deviennent des recherches de formes naturelles ; de couleurs, bises le plus souvent, indigo parfois ; les tissus étant du coton, du lin, du chanvre. Les fils s’associent et laissent la plus grande liberté de création : certaines réalisations sont sans reliefs, d'autres sont côtelées, d'autres encore, tricotées à grosses mailles, sont à petits trous. 

 

          Mais quels que soient le matériau et son apparence, la préoccupation de Catherine Herbertz est unique : le corps humain. Et il n'est pas exagéré de dire "le corps", puisque chaque protagoniste est privé de tête ! Et puis, un paradoxe par lequel l'artiste ne propose que des êtres statiques. Des personnages lourds, massifs, couchés telle son "Odalisque", nue, toison brune bien en évidence, comme au temps où la pudeur n’existait pas ; assis dos bien droit, comme son "Bonhominot" ; ou au contraire déjeté et jambes semi-écartées, comme quelqu'un qui n'en pourrait mais ; voire jambes et bras écartelés du petit bonhomme (qui lui, a toute sa tête), vêtu d'une salopette de toile, et qui semble en mauvaise posture, attaché par ses quatre membres  ! 

 

          Corps et silhouettes intemporels, sans aucune définition sociale, à la fois fantasmes et obsessions d’une réalité reflétant peut-êtrelses états d’âme de Catherine Herbertz, ou même ses angoisses ? Conçus, en tout cas, à l’image de la vie. Et finalement, cette recherche formelle, cet aspect inesthétique, cette sorte d'Expressionnisme rituel s'appliquant à ces personnages tassés sur eux-mêmes, constituent une mythologie personnelle et génèrent un art sensible issu d'un esprit profondément humain. Et s'il faut remarquer qu'hormis l'allure générale, aucun sexe ne vient renforcer le sentiment de personnage masculin, la femme par contre, a des hanches larges qui rappellent la nécessité primale de procréer, protéger le fœtus, porter l'enfant. A l'évidence, pour les êtres imaginés  par Catherine Herbertz, n’existent que le présent, l’immédiateté. 

 

          Enfin, autre paradoxe, si le corps est linéaire, sans aucune fioriture, l'artiste remplace la tête par une surabondance de plis, replis, croisements, boucles…  Car elle est passée maîtresse dans l'art de conjuguer ses broderies, ses dentelles. Et la question suivante est : Pourquoi les créatures de Catherine Herbertz n'ont-elles presque jamais de tête ?  A laquelle le visiteur ne trouvera pas de réponse ! Quant à l'auteure de ces étranges personnages, en a-t-elle une, elle-même ? Qui sait ? 

          Quoi qu'il en soit, sophistiquées ou ordinaires, toutes ses œuvres  témoignent d'un poids de vie, d'une présence et d'une intensité très forte. Créer ces œuvres textiles, ce n’est pas un geste, c’est une attitude. Tous les artistes textiles l'affirment : outre  l’amour des tissus et des fils, c’est prendre son temps. C’est évacuer du stress. Il est important d’aller doucement. Aujourd’hui où l’on fait tout vite, c'est  retrouver le temps du geste ancestral. En une espèce de magie. 

          Voilà donc l'art textile devenu, du fait du talent et de l'infinie persévérance de Catherine Herbertz, un art autobiographique, par lequel elle peut se créer un monde nouveau ; constituer un mélange entre l'expression et la forme au moyen de la manipulation des textiles. Ces éléments figuratifs précisent la signification de son œuvre, l'orientent vers de nouvelles sensations très personnelles, permettant à chacun d'y lire –puisqu'elle les livre au spectateur- ses histoires qui créent un lien entre elle et lui. Une histoire de cœur, en somme !

  Jeanine RIVAIS 

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          Longtemps, Claire Temporal a été marionnettiste, sachant à chaque séance, créer une magie qui emmenait les petits spectateurs au bord des larmes ou à l'explosion d'un rire de connivence ! Et comme elle était costumière, elle savait réaliser de merveilleux habits pour ses petits complices ! 

 

          A-t-elle un jour parcouru un lexique interrogeant les expressions de la vie qui disent des choses du tissu et du fil : "Etre dans de beaux draps", "La vie ne tient qu'à un fil", un couple "se raccommode", une relation "s'effiloche", on peut "tisser des liens humains"… Toutes ces expressions accompagnent les gens dans leur vie.  Toujours est-il, qu'elle a décidé d'en venir à une nouvelle démarche qu'elle pourrait explorer à son gré. Bien sûr, pour ce faire, au fil et au tissu il fallait ajouter nombre d'ingrédients. Et voilà Claire Temporal l'auteure d'une foule de petits tableaux dont chacun possède un côté précieux, méticuleux, dans lequel se conjuguent mille petits riens dénichés ici ou là et surtout, une multitude de petits os qui font de ses œuvres des créations tout à fait surprenantes ! 

          Ces créations ont bientôt évolué en deux séries différentes : 

          L'une opaque, sur fonds sombres, personnages créés en pâte à bois monochrome, dans les tons beiges : ici, se tient une femme : sa cuisse gauche fichée sur un gros os, la seconde jambe et les bras conçus en pendeloques inégales, son corps composé de trois boudins de pâte, celui du haut orné de deux seins ; ses cheveux hirsutes bouffant au-dessus du  visage qui offre un petit nez, deux yeux exorbités et une bouche bée. Ailleurs, bien protégés dans leur boîte, se trouve un trio de danseurs. La femme est au milieu, jambe lancée en l'air, et jouant de la perspective, les lichens du fond ont l'air de s'en écouler ! Tous les trois sont vêtus de justaucorps tachetés de légères plaques brillantes qui les font paraître luxueux. Leurs têtes sont couvertes de volumineux chapeaux, diadèmes…. Et de toutes leurs anatomies, sur lesquelles joue la lumière, partent des sortes de tiges irrégulières qui rompent la monotonie des silhouettes. 

          Cette série est surprenante par le formalisme, la densité des oeuvres conçues en trois dimensions, et la façon dont cette artiste met en marche son imagination pour vagabonder à travers ses glanages, trouver l'impossible conjonction des divers éléments qui en feront des œuvres ludiques appartenant soit aux légendes populaires,  soit au contraire totalement inventées. 

 

          D'une apparence et d'une densité complètement différentes, est la seconde formulation menée par Claire Temporal, conçue en légère épaisseur par rapport au support, aux protagonistes caractérisés par un côté poétique, léger, avec une pointe d'humour. Travail tout en finesse, au point qu'il est parfois possible de dire qu'il est arachnéen !

          Sur des fonds de couleur vive, ou finement ouvragés, se déroulent petites anecdotes ou épisodes de contes de fées. Comme dans le monde du Magicien d'Oz, bêtes et gens cohabitent, se parlent, dans une étrange osmose.  Le plus curieux est la façon dont cette artiste met en marche son imagination lorsqu'elle devient créatrice d'Art-récup'. Car, il faut préciser qu'elle réalise alors ses œuvres en passant du végétal (écorces, bois, racines…) au minéral (galets, cailloux, et perles, tissus, dentelles…) ou à l'animal (os, coquillages, plumes…) ; trouvant chaque fois l'impossible assemblage de divers éléments qui en feront une fée cornue et un petit elfe  lévitant  dans les airs au-dessus d'elle  ; un petit  Pierrot visage humain et corps/oiseau, dansant et sonnant du cor sous la lune…  et toutes autres possibilités.

          Et c'est alors qu'il faut parler du matériau fétiche de Claire Temporal, les os, évoqués plus haut  ! Avec lesquels elle joue à la vie à la mort !

 

          A la vie, parce quelle crée en les associant, de fabuleuses mariées à la robe de dentelle, des coqs fiers et arrogants, des chauves-souris volant sur un ciel étoilé, des danseuses, de petits gymnastes en ribambelles, ou peut-être des soldats où elle a su, d'instinct reproduire la tension du corps en train de courir, sauter à cloche-pied, faire des galipettes, partir à l'attaque de l'ennemi la fleur au fusil, etc.

 

          A la mort, parce que ces os sont conservés après dégustation ici d'un lapin, là d'une grenouille, et autres bêtes ou bestioles qui n'en peuvent mais !

          Et cette démarche l'a tellement enchantée, qu'elle en est venue à titrer ses œuvres en jouant avec le mot  : Ainsi, deviennent-elles des tabl’os, représentant  "La chauve-souros", "le papillos", "le dragonos"… Et il y a eu aussi "Don Quizos" et sa Rossinante ! 

          Ainsi, dans ce voyage au centre de son univers, une chose apparaît à l'évidence : c'est que Claire Temporal serait incapable de se limiter à l'une ou l'autre de ces expressions. Toutes deux lui sont nécessaires et tellement complémentaires ! Car lorsqu'elle se glisse vers l'une ou l'autre de ses fantasmagories doucement oniriques, elle sait comment rejoindre la lune ! Et n’est-ce pas là, vieux comme le monde, le désir secret de tout humain, a fortiori de tout créateur ? Pour cela, elle est elle-même riche et multiple, imaginative et conviviale. Alors, foin des styles, des modes, des géographies et des temps, il fait bon entrer dans son monde, et rêver ! 

Jeanine RIVAIS 

 

VOIR AUSSI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS BANNE 2013

 

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NADINE VERGUES ET SES ŒUVRES TROMPE-LE-MONDE !

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"C'est ce que je trouve qui me dit ce que je cherche". Pierre Soulages

 

           Lorsque le visiteur parvient devant les œuvres de Nadine Vergues, il admire qu'elle puisse avec tant de talent peindre sur argile, et réaliser des sculptures de la même matière ! Mais lorsqu'il rencontre l'artiste, celle-ci s'amuse beaucoup que lui comme les autres s'y soit laissé prendre, et qu'en fait, toutes ses œuvres, peintures et sculptures, sont en feutre !! Naturellement, une telle surprise nécessite éclaircissement : En fait, elle a un jour découvert par hasard, sur une décharge, des plaques de feutre qui servent généralement à l'isolation des véhicules. Coup de foudre ! Mais comment les utiliser ? C'est alors que le hasard faisant décidément bien les choses, en glaneuse imaginative, elle a pressenti qu'avec des morceaux de plastiques, elle devait trouver une solution ? Et, avec la plus grande gentillesse, elle explique qu'elle fait fondre ces plastiques qui, devenus liquides, s'agglomèrent au feutre, lequel est, à l'origine, d'un noir absolu. Qu'elle fait ainsi des combinaisons feutre-plastiques ! Elle ajoute que, avec différents dosages, rouillant, brûlant, soudant, elle peut aussi bien donner à son matériau l'aspect du bois ou du fer !! Ainsi est née Nadine Vergue, une artiste qui trompe le monde !! 

 

Depuis ce temps, avec une véritable boulimie de travail, elle crée des personnages qu'elle présente en peintures, ou en trois dimensions. Découpant des morceaux de son matériau transformé, elle crée tantôt quelques êtres isolés ou des agglomérats de têtes ; tantôt les éléments de futurs personnages qu'elle combinera dans l'espace, pouvant aller jusqu'à des créations gigantesques. Et sauf si elle les veut visibles, les soudures de ces éléments nouveaux disparaîtront sous la peinture. 

            Parfois, elle les dessine à l'encre de Chine sur zinc, et leur anatomie peut être visible jusqu'aux genoux ; une amorce de décor signifiant peut même apparaître (comme un escalier montant à une porte). Mais la plupart du temps, chaque individu est dans une sorte de huis clos séparé des autres par des motifs décoratifs (tirets, courbes et contre-courbes, mini-carrelages, etc.)

 

          Tous, peints ou dessinés, ils sont là, côte à côte, les yeux fixés sur le spectateur qui, face à ces petites créatures fascinantes s'interroge : Est-ce l'instinct grégaire qui les pose ainsi de façon tellement dense ? Sont-ils, néanmoins, si égocentriques qu'aucune place n'est dévolue à d'autres, dans leur cadre ? Sont-ils de purs esprits, que nulle connotation sociale, géographique, temporelle… ne permette de les situer, d'imaginer pour eux la moindre vie hors de ce cadre ; ni entre eux la moindre relation, car ils ne se regardent jamais ? Sont-ils tous égaux, puisque aucune perspective ne suggère que certains pourraient être plus "importants" que d'autres ?… D'autant que tous sont conçus semblablement : Présentés jusqu'à la ceinture, leurs vêtements informes sont tachetés de gris foncé sur gris un peu plus clair. Au-dessus d'un long cou, le bas du visage est orangé, le nez au profil grec un peu long, les yeux sont des taches noires sans pupilles, le front légèrement éclairé. Des cheveux courts, noirs, encadrent ces visages, tantôt plaqués, tantôt légèrement vaporeux. Ont-ils finalement le sentiment d'être universels, que leur regard noir sur leur vis-à-vis de chair et d'os soit tellement direct ? Sont-ils, en somme, les mille facettes subjectives d'un unique individu qui serait, pourquoi pas, leur génitrice : Nadine Vergues et ses multiformes alter ego ?

Par ailleurs, Nadine Vergues sculptrice a-t-elle, comme pour ses peintures, peur que ses créatures lui échappent, que la plupart du temps elles sont dépourvues de jambes ? Et si elles en ont, elles n'ont pas de pieds et sont scellées sur des socles épais ? Et même, la plupart du temps, elles sont réduites à une amorce de buste, un long cou et une tête déjetée. 

Pour certaines elle a opté pour des arrondis, où n'est visible qu'une arête à l'endroit où elle a réuni deux parties de feutre. Au-dessus du cou surallongé, la description de leur tête est très similaire à celle des peintures, sauf que parfois, les yeux ont des pupilles ! Et que toutes sont chauves. Et, de même que les expressions sur les visages des peintures semblaient, malgré des bouches minuscules, plutôt tristes, celles des sculptures, plus nettement positionnées, ont toutes des commissures descendantes comme chez les gens qui ont des soucis ! La plupart sont conçues en gris, avec des parties peintes en rouge sombre surlignant les silhouettes. Et si elle tente d'autres couleurs, elles sont toutes éteintes : ici une touche de vert, là de bistre… sauf lorsqu'elle ajoute de l'or brun où le résultat est surprenant et prend des reflets cuivrés, dorés ou métalliques.

          Pour d'autres, elle préfère l'aspect biseauté. Des arêtes surlignent les nez, cabossent les crânes, rident les cous… Mais si, là, règnent les angles, aucun n'est jamais un angle droit ! Ce biseautage atténué par des angles larges, en déséquilibrant les différents éléments, génère des faces où joue la lumière, comme si se disputaient sur ces espaces le foncé et le clair et plus subjectivement le bien et le mal ; générant subséquemment des notions psychanalytiques qui n'étaient pas évidentes sur les œuvres en arrondis ! 

 

          De nombreux choix de l'artiste au gré de ses humeurs peut-être ou de ses fantaisies, offrent au visiteur matière à réflexion et à questionnement, comme ces sortes de chapiteaux aux nombreuses facettes, sur lesquelles sont disséminées de petites têtes, ou ces "ballons" à quatre pieds ou encore cette maison où les habitants vivent dehors !  

     Ainsi, seules ou en assemblages, les créations de Nadine Vergues sont toutes humanoïdes. Donnant une impression de pesanteur, alors qu'elles sont plutôt légères, affirmant leur solidité et leur stabilité. 

 

      Oeuvre étrange, en vérité ; fantasmatique, riche et authentique. D’une inventivité attachante, avec une démarche obsessionnelle et psychologique. D'une telle liberté d'expression qu'elle devient un surprenant concentré de dynamite d'autant plus explosive qu'elle est allumée avec talent ; si personnelle que la symbolique et les couleurs ne pourraient être imaginées autrement ; bref, que rien ne saurait y être changé. Au final, paradoxalement vivante et statique, massive et protéiforme, émouvante toujours, telle est l'œuvre de Nadine Vergues, celle qui, dans la plus grande véridicité, trompe son monde !

Jeanine RIVAIS

 

VOIR AUSSI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS Banne 2014.

 

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BAR LE KEYWEST

 

          "Une Expo faites de toiles et de voutes, ça fait maintenant. Entre le tatoo et le graff entre le graff et la BD, entre le tag et le classique, qu'est ce que le street art maintenant, je n'aime pas ce terme juste j'aime créer, Par contre j'aime le tag, le graffiti le tatoo, le rock, la rap indé, les biere sur les quai, tous ce qui n'e vaut rien , le luxe de rien faire avant c'était l'espace, marié à la rue. Bonne journée" Jeza

 

Jeza aime la rue, les grandes fresques murales. Mais il aime aussi les petites salles sombres, embrumées de la fumée de cigarettes, au milieu des copains buveurs de bière et autres… là, il investit totalement les portes, du bas en haut (peut-être pas aussi catégoriquement qu'indiqué, d'ailleurs, parce que certains lieux non terminés sont bel et bien peints au milieu, dans un coin… au gré de l'artiste !)

 

          Jeza aime la rue, les grandes fresques murales. Mais il aime aussi les petites salles sombres, embrumées de la fumée de cigarettes, au milieu des copains buveurs de bière et autres… là, il investit totalement les portes, du bas en haut (peut-être pas aussi catégoriquement qu'indiqué, d'ailleurs, parce que certains lieux non terminés sont bel et bien peints au milieu, dans un coin… au gré de l'artiste !)

 

          Pour autant, Jeza a un talent fou, comme en témoignent ses toiles. Et, démarche "attrapée" peut-être dans la rue, il aime les foules. Les foules couvrent ses supports, tantôt faites de multiples petits carrés ne contenant chacun qu'une tête, un chien, un poisson, un oiseau… Tantôt  proposant un unique animal, dont toute l'anatomie est faite de têtes humaines tassées, orientées en tous sens… Mais il peut aussi couvrir entièrement  la toile de têtes, graffiti, pictogrammes ; et là, au milieu de tout ce grouillement de vie, installer un carré ne proposant qu'un unique personnage. Ou au contraire, l'entour du tableau peut être monochrome, mais au centre se trouvent deux personnages très serrés l'un contre l'autre ; pour ne rien dire des tableaux qu'il traite avec des effets psychédéliques ! En somme, aucune méthode n'interfère dans la création de Jeza. Tout lui est bon, selon le moment ! 

          Mais il est, dans toutes ces possibilités évoquées, deux constantes qui se retrouvent dans son œuvre : l'une tient au fait que sur nombre de ses tableaux, en bon graffeur, il ajoute, dispersés au milieu de ses foules,  des mots, des dates (et nul ne sait si elles sont de fantaisie ou correspondent exactement à celle où le tableau a pris corps)  et surtout, souvent au centre, et toujours en gros caractères, son nom (qu'il orthographie parfois Geza). Et le visiteur peut se demander s'il s'agit là d'une preuve d'un ego démesuré, ou d'une angoisse face à la vie ou à sa création, qui l'amènerait à s'affirmer ainsi ? La seconde constante est la présence quasi-récurrente d'une jeune femme : elle est parfois les jambes écartées, entre lesquelles est entassé tout un paraphernalia ; ailleurs son front est orné d'un cœur rouge et sur une joue de son beau visage un peu boudeur, coule une larme très rouge également ; ailleurs encore elle est jusqu'à la poitrine dans un carré dont un des côtés se termine par un serpent ; mais elle peut aussi se trouver dans un lieu semé d'objets qui font penser à une fête religieuse bouddhiste… Toutes ces appréciations étant forcément très subjectives, amenant à se  demander là encore s'il s'agit d'un voyeurisme exacerbé, ou d'un amour fou qui ferait de cette femme une icône ? 

 

          Beaucoup plus sobres sont les dessins d'une grande finesse, réalisés à l'encre ou au crayon, à peine grisés, couleur café au lait, ou carrément noirs sur gris ou blanc. Mais ce qui est évident, les concernant, c'est qu'ils sont un hommage à la jeune femme iconique évoquée plus haut. Cependant, rien ne prouve qu'elle soit heureuse de ce rite itératif, et Jeza en a peut-être conscience, puisque sur chaque dessin, elle "le" regarde de ses yeux noirs très durs, et comme celle qui proposait un cœur sur son front, sa bouche aux commissures basses ne présente que dureté et/ou tristesse. 

          Et pourtant il use de tous les artifices pour la mettre en valeur : ici, elle est assise, penchée vers l'avant, cachée derrière un tableau à peine commencé, sa frange drue tombant jusqu'à ses yeux tandis que ses longs cheveux souples encadrent son visage (énigme ! Est-ce un stylo-plume qui dépasse des cheveux, suggérant qu'elle est l'auteure du tableau ?). Ailleurs, la voilà sirène, à demi-sortie de l'onde, une immense auréole déployant ses mille flammes derrière elle ; ce qui est apparemment un homme moustachu dormant à son côté, tandis que coule avec le flot le célébrissime poème de Verlaine : "J'ai fait souvent ce rêve étrange et pénétrant… d'une femme inconnue et que j'aime et qui m'aime…". Ailleurs encore, la voilà, les cheveux noirs plaqués au front, les seins nus, jouant du saxophone au milieu des flammes, tandis que tout autour d'elle s'agitent des ectoplasmes très décoratifs…

 

           Le visiteur qui poursuit son périple se retrouve subjugué par la constance de cet amour pour cette jeune femme ! Et il admire que, peintre ou dessinateur, Jeza soit aussi à l'aise, des grandes fresques aux petits tableaux intimistes d'une cave enténébrée ! D’œuvre en œuvre, il avance, perplexe, sans avoir jamais la certitude de détenir la bonne clef ; concluant que peut-être l’artiste explore  des souvenirs rémanents, des rêves parfois, des impressions brèves fouettant comme des flashes son imaginaire. Qui sait ? Et il se laisse prendre à cette étrange fantasmagorie, où le peintre, d’un trait fin, hésite entre angoisse et tendresse, entre humour et sérieux, entre réalisme et illusion !

 

          Et il s'interroge une fois encore : Quel âge a donc Jeza, qui dessine ainsi de façon si naïve ses "voyages fantastico-psychologiques"  miniaturisés ? L’âge, sans doute, où le talent aidant, un artiste peut s’amuser sans complexes de l’étonnement et la perplexité suscités par ses oeuvres où sont étalées au grand jour ses intimités amoureuses ? Pour conclure,  tout en cherchant sans trêve à résoudre son problème, que l'artiste est pris entre gravité personnelle et contemporanéité expressionniste ; en totale adéquation néanmoins entre création et imaginaire, et qu'il appartient à la race des créateurs dont l’œuvre vise à l’universalité.

Jeanine RIVAIS 

 

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"Une illustration botanique est une discipline artistique de la botanique qui consiste à représenter la forme, la couleur et les détails des espèces de plantes, souvent en aquarelle sur une planche botanique, mais parfois aussi en pastel ou en gravure. Cette représentation botanique a un but pédagogique et scientifique, à la différence de l'art en botanique qui répond à des critères de beauté et d’esthétique, aussi est-elle souvent imprimée avec une description botanique dans un livre ou un magazine de botanique. La création de ces illustrations nécessite une compréhension de la morphologie végétale et l'accès aux échantillons et références".Wikipédia

          Moko est-il, à proprement parler un illustrateur botanique ? Il semble bien que non, même si ses dessins sont d'une finesse, d'une précision et d'une authenticité rares. Ce qui suggère le plaisir qu'il éprouve à "représenter" ici une tige feuillue de carotte sauvage, si fine, et qui pourtant affectionne les terres incultes et les prés secs ; là des volubilis ; ailleurs les taches blanches et le rouge si spécifique de l'amanite tue-mouche plus vraie que vraie, dont le chapeau est encore fermé sur un pied rectiligne bi-arrondi à la base, si ressemblant qu'il prend presque un aspect sexuel. Ou bien d'autres que le béotien qui les regarde est incapable de les identifier !  

 

          Dans le dépouillement de ses planches, la composition prend tout son sens : la plante est présentée frontalement au centre de la page blanche. La couleur des plantes est parfaitement respectée. Et il maîtrise à la perfection la douceur de l’aquarelle, ou du dessin au crayon. Ses compositions florales atteignent une perfection d’analyse : la tension de la plante, ses couleurs, ce qui est important pour la reconnaître.  

          Alors, illustrateur botanique ou simplement dessinateur de plantes, Moko ? Qu'importe, pourvu qu'il continue à donner à son visiteur le plaisir d'un beau dessin rustique ! 

Jeanine RIVAIS

 

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LES SEPT COLLINES

 

PHILIPPE  BOUILLAGUET 

VOIR AUSSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018

 

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     Laurence Fons qui, depuis plusieurs années, vivait sur un jeu de mots pour affirmer qu'elle explorait le monde de fond en comble, est un jour rentrée à l'atelier et s'est mise à raconter son corps (¹). Suivant en cela nombre d'artistes qui, depuis les années cinquante, ont de plus en plus exploré le leur, comme véhicule d'expression. Et revenant à des temps beaucoup plus reculés, où les Indigènes de lointains pays, les Maoris, par exemple, réalisaient ces peintures dont les rituels avaient pour eux une signification culturelle.

          Mais contrairement à eux, dont la démarche comprend tatouages, piercings et altérations corporelles ;  qui peignent leur corps selon leur habileté et leur fantaisie ; et qui en viennent à créer une connexion entre l’art et le corps comme quelque chose d’unique dans la forme artistique, elle rend compte de ses découvertes en broderie, -la précision et le détail étant de rigueur- en explorant "son corps intérieur : INTRA IPSUM CORPUS", comme diraient les scientifiques en bon latin ! 

 

          Véritable révolution textile personnelle, Fontencomble, si habituée à se laisser guider par le matériau et choisir des formats réduits sur lesquels elle collait ou cousait ses petites créatures, a maintenant une toute autre démarche : Elle choisit des bandes de toile grise, format oriflammes, qu'elle dispose verticalement, (collées sur une bande anonyme souvent froncée et claire remplaçant le cadre traditionnel), et qui deviendront des tableaux muraux. Bandes sur lesquelles elle va broder avec des fils colorés la silhouette de son personnage et "farfouiller" ici dans les poumons, là dans le cœur, ailleurs dans les organes, les vaisseaux sanguins, les nerfs etc. 

 

           Mais, ne manquant pas d'humour, elle commence, jalonne et termine sa série d'illustrations anatomiques par une bande comportant une fenêtre dans laquelle se trouve un homoncule tout nu (son mini-sexe pendant ne laisse aucun doute sur son identité). Trois cœurs de guingois jalonnent la bande, comme si elle voulait annoncer la couleur et dire au  visiteur : "Vous voyez, je commence par le cœur, je vous prends donc par les sentiments !". Entre temps, elle fait une pause avec une femme qui tient pudiquement ses mains serrées là où se détacherait son pubis blond ou brun ! Troisième pause avec un homme au-dessus d'un chemin zigzaguant jusqu'en bas du support. Tandis que sur la bande de fin, sous un autre petit être masculin, se trouvent (disposés comme les cœurs) trois boutons, l'air d'ajouter : "Voilà, vous avez tout vu, il n'y a plus rien à voir ! On ferme !".

          Mais en fait, du début à la fin, ce visiteur sera allé de surprise en surprise ! 

              Ici, grandeur nature, chauve, chaque élément du visage minutieusement brodé, le corps caché sous un corsage aux mille plis, se tient un homme qui a été dépecé, pour laisser voir, des épaules aux genoux, les détails des muscles et des nerfs, les points d'attache entre eux et les os. Les jambes qui, apparemment, n'intéressaient pas Fontencomble, sont uniquement surlignées, avec ce qui semble être un point de tige. 

 

          Là, la tête est présentée comme chez l'homme précédent, sauf qu'elle a, se succédant, des espaces chevelus et des espaces rasés. Il s'agit d'une femme, à en juger par ses seins volumineux délicatement mamelonnés et sa taille fine au-dessus d'un bassin large. Cette fois, l'artiste présente la relation entre les muscles des membres et les veines (qui, comme sur les planches anatomiques, sont brodées en bleu) et comme chacun sait qu'elles partent du cœur, elles ont toutes l'air de descendre le long du corps. Bien sûr, Fontencomble se permet quelques interventions pour corroborer sa démonstration, laçant par exemple très serrée la cheville droite, pour faire ressortir un faisceau de muscles, tandis que les veines s'épanouissent, se ramifient sur le sol, bien au-delà des deux pieds ! 

       Ailleurs, pensant peut-être qu'un récapitulatif est nécessaire à la bonne compréhension de son parcours, Fontencomble présente une nouvelle femme sur laquelle des taches montrent l'endroit qui la préoccupe :  Rouge (là passent les artères) pour la tête et le foie avec un petit embranchement au cœur, trois  éléments essentiels de toute anatomie. Jaune sur l'épaule et l'aine pour les articulations. Verte pour les organes génitaux. Et, suite logique de ce périple, arrive une autre femme, les cheveux hérissés. En elle, le visiteur peut suivre le parcours artériel (en rouge comme il se doit) qui va vers la tête, irrigue abondamment les bras, continue vers le cœur et les poumons, vers les reins, les organes féminins un peu bas puisqu'ils se retrouvent sur les cuisses ! Mais qu'importe ! Les jambes, striées de veinules vertes se terminent par des pieds largement palmés, comme si, par eux s'écoulait la lymphe ?!

 

     Ainsi cheminent à travers ou au long de son corps l'aiguille et le fil de Fontencomble. Jusqu'au moment où, lassée peut-être d'être aussi scientifiquement précise, celle-ci s'autorise quelques foucades : sur un homme à tête de mort, au justaucorps blanc libérant la place du cœur, le bras droit est couvert de cercles de plus en plus petits en s'approchant de la main, tandis que d'une artère jaillit un bouquet à l'aine gauche ! Ou bien, sur un homme visiblement jeune (le petit sexe toujours !), les yeux exorbités, les cheveux crépus paradoxalement blancs, le cœur est une fleur et toute sa personne est irriguée de vert, et des feuilles finement ciselées partent de ses épaules, son cou et son crâne : totalement végétalisé, en somme, avec la verdeur de la vie commençante. Subséquemment, voilà donc l'artiste lancée dans la symbolique !! 

 

           Pour conclure,  passant de l'humour à la gravité, ne serait-il donc pas a priori réducteur de résumer la création de cette brodeuse aux seuls fils et aux points de broderie ? Alors que son imaginaire fuse de tous côtés, en tous sens, se cherche, se diversifie et se différencie d’une œuvre à l’autre ? Que le fil de son aventure est par définition indompté, chaotique, où se mêlent hasard, volonté mais aussi talent ? Et cependant, n’est-elle pas une sorte d’être hybride d'une double identité puisqu’elle est partagée entre le fil de sa vie personnelle et celui de sa création qui en découle ou en témoigne, cette dualité lui permettant de tisser à la fois le fil de son histoire réelle, et l’enrichir des nuances de la fiction.  Et n'est-ce pas par l’infinitude de ces symboliques que tout se mêle et se démêle ; que des fils se nouent et se dénouent, lorsque la créatrice œuvre, imagine, fantasme dans sa création. Part de la tradition, et innove pour chercher son identité. Car n'est-ce pas le parcours de Fontencomble, de se trouver, réelle, lorsqu'elle passe une large part de sa vie à fouir son intérieur fictif ? 

Jeanine RIVAIS

 (¹) La plus ancienne toile brodée provient d’Égypte. Le terme “broderie” n’apparaît qu’à la fin du XIIe siècle et désigne d’abord les motifs décoratifs des vêtements. Par la suite, la broderie artistique s’applique aux ornements cousus sur toutes sortes de tissus avec des fils de couleur. L’un des exemples de broderie artistique célèbre est la notoire Tapisserie de Bayeux, en laine de couleur sur toile de lin réalisée en 1066. Bien plus tard, différentes techniques de broderie émergent, comme la “peinture à l’aiguille” ou la broderie “blanc sur blanc”.

 

VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS :"FONTENCOMBLE, EXPLORATRICE D'ART" : http://jeaninerivais.jimdo.com/  Rubrique FESTIVALS : "Art brut et outsider, Singulier, Meysse 2016.

 

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Christine Gil Alcala pendant sa performance
Christine Gil Alcala pendant sa performance

       Artiste aux multiples facettes, Christine Gil Alcala est poète, actrice de théâtre et dessinatrice. Elle est donc constamment en recherche. Après sa performance exécutée à l'Hôtel de Ville, le visiteur a pu découvrir la pratique d’une dessinatrice qui s’inscrit dans deux variantes de création : le dessin totalement linéaire et le dessin dépendant d'un environnement abstrait ou non signifiant : le dessin/peinture. Mais quelle que soit la formulation, loin de tout académisme, chaque œuvre se caractérise par un trait libre, sans style prédéterminé, tantôt en noir et blanc, tantôt en couleur. 

          Finalement, cette absence de définitions et cette recherche de formes tellement différenciées, n'est autre, pour Christine Gil Alcala, qu'une quête de liberté, apportée par chaque nouvelle interprétation. Le plaisir, l'envie d’exprimer le vide, l’espace, la lumière, la résonance avec tout ce qui se décline en deux dimensions : simplement, travailler le trait, couvrir une surface... 

          Pour cette artiste, qu'importe la démarche, puisqu'elle parle toujours de l’être humain, des regards qui parlent de beaucoup de choses ; ou de l'absence de regards qui l'emmène vers d'autres orientations… 

 

           Il est à noter, pour cette première série en noir et blanc, toute en courbes et contrecourbes, que chaque dessin pourrait être inclus dans une ove, au sein de laquelle, le cas échéant, il pourrait être être protégé. Et que le dessin lui-même est composé de hachures qui sont parallèles, se croisent, s'entrelacent, représentant un jeu complexe de lignes entremêlées autour d'une tache noire ou grise centrale qui pourrait être le noyau de l'œuvre qui l'entoure. Un jeu très semblable à celui de naguère, où, dans un entrelacs de traits, il fallait "trouver la tête", laquelle se cache dans tous les dessins de Christine Gil Alcala ! Qui complique la situation en dispersant ici une paire d'yeux aux longs cils ; là un sein fait de lunules concentriques pour finir délicatement mamelonné : ailleurs une jambe finement galbée… qu'elle complique encore plus en introduisant parfois -sont-ils uniquement une façon de détourner l'attention du visiteur, ou ont-ils seulement valeur esthétique ?- des oiseaux quasi-réalistes et des animaux fantastiques enchevêtrés dans les lignes évoquées plus haut. C'est sa dimension expressive qui fait la valeur essentielle et la poésie de cette œuvre qui frappe le regard par sa précision ou sa puissance narrative, car ce dessin "se lit".

 

          Très différente est la partie colorée de l'œuvre de Christine Gil Alcala. Différente parce que les lignes sont pratiquement disparues ; parce qu'elle aborde directement le sujet sans le noyer dans les fioritures ; et parce qu'elle peut passer du quasi-abstrait au presque réaliste. Affirmant, là encore, la complexité des questions esthétiques qu'elle aborde, d'autant qu'il ne s'agit plus de dessins, mais de peintures.

          Certaines sont élaborées. D’autres, non. Tout dépend sans doute de son humeur. De même qu'elle travaille apparemment à l’instinct, dans l’urgence. Tout cela peint sur papier, aquarelles ou gouaches, voire techniques mixtes afin de multiplier les nuances… Chaque œuvre s’organise autour du sujet central, à partir duquel l’artiste équilibre le reste de la "scène". Jamais un trait net, elle commence par une succession de coups de pinceau, les fait se chevaucher, revenir, circonscrire la silhouette qu’elle a en tête… Elle passe dessus des teintes claires et douces, les fait cohabiter avec des noirs épais, ajoute des bleus ou des rouges vifs… de sorte que l’œuvre terminée est soit haute en couleurs directes, presque violente ; soit en teintes satinées de violines ou de bleus adoucis. 

          Parfois, il s'agit de "couples", si une telle affirmation est plausible, puisque les deux protagonistes sont séparés soit par un espace indéfini, monochrome ; soit par des cernes épais qui, finalement, placent chacun dans son huis clos. Silhouettes anthropomorphes où seule la présence d'un sein permet d'affirmer qui est la femme donc qui est l'homme. Surprenants sont le choix et la “mise en scène” des couleurs, dans lesquels l’artiste sacrifie un dessin précis au profit d’un chromatisme en fort contraste quasi-bicolore, un nimbe clair blanchâtre ou jaune, l’entour presque inexistant violacé. Où se superposent autour des personnages, des couches de peinture appliquées en touches compactes et pâteuses, s’emboîtant en solides aplats, où reste visible le sens du pinceau, apportant de ce fait rythme et relief aux surfaces colorées. 

          Ainsi enfermés en leur espace clos, aucune action ne peut être attribuée à ces "couples" ; aucun sentiment leur être prêté, si ce n'est peut-être de solitude. Mais il s'agit-là d'une dramaturgie universelle, de corps atemporels, de partout et de toujours, puisque aucune indication ne vient préciser en quel lieu, en quel temps, en quelle société… ils en sont venus à cet aspect. Mais il fallait à l'artiste que ces investigations disparates deviennent un tout, une sorte de latence qui interroge le visiteur ! 

 

          D'autres fois, Christine Gil Alcala passe au portrait, simples visages emplissant la feuille. Surallongés, avec un front haut et large, d'où partent des cheveux raides ; et un menton pointu. La bouche généreuse, lippue, bien dessinée forme un ovale au bas du visage. Le nez n'est qu'un trait oblique, légèrement courbe, surmonté d'une ride épaisse, rouge, au milieu du front. Pas de pommettes. Des yeux clos, générant sur l'ensemble des traits une infinie tristesse. Une façon pour la peintre de révéler la nature interne de ses sujets, l'introversion qui les caractérise. Tout cela dans une sorte de flou, un masque plus qu'un visage qui ne se rattache à rien, pas d'amorce d'épaule, ni de cou… Peu à peu, le réalisme s'estompe, devient un univers onirique de fictions. Les couleurs, de valeurs égales, sont sombres, de sorte que, finalement, aucun contraste ne vient rompre l'unité de ces visages.

          Enfin, l'artiste en vient aux portraits en pied, même si cette formule n'est pas tout à fait exacte, puisque les personnages sont généralement accroupis, assis ou allongés. Et la plupart sont des femmes, peintes dans de belles nuances violacées, sur fond de même teinte un peu plus foncée, ou grise. Aucune violence de prime abord, dans ces œuvres tellement denses. A moins que l’on appelle violence cette introversion absolue, ce sentiment profond de souffrance latente, d’incomplétude… Car, de fait, elle est bien là, dans les saignements abondants qui affectent plusieurs d'entre elles, et qui, immédiatement, amènent le visiteur à se demander s'il s'agit de menstrues, d'accouchement, ou pire…? Face à ces œuvres, celui-ci se trouve soudain confronté à un érotisme sulfureux, présenté de façon réaliste. En vain s'interroge-t-il pour extraire de chaque scène une conclusion qui le rassurerait ! Seul subsiste un être qui envahit le premier plan et des corps arc-boutés, tous vus de face, avec la présence irrémédiable de ces saignements en avant-plan.  Ici, une main portée à la bouche corrobore un sentiment de gêne ; là, des yeux sont effrayés, une larme coule ; ailleurs, deux cuisses serrées suggèrent le désir de la femme d'arrêter ce flux… Tous gestes qui recherchent un maximum d’intensité expressive. Car le principe consiste à rendre visible non pas un corps dans sa simple apparence, mais à faire transparaître un sentiment, un état d’âme, une trame psychologique, une atmosphère.

 

          Ainsi, Christine Gil Alcala avance-t-elle au long de ses deux formulations artistiques qui se croisent, se complètent tout en préservant leurs différences ; allant du jeu au drame, d'où jaillit la preuve qu'elle sait imposer ces deux pôles de sa personnalité. Une œuvre éminemment grave, imaginative et insolite.

          Mais dans ce voyage au centre de son univers, une chose apparaît à l'évidence : c'est que cette artiste serait incapable de se limiter à l'une ou l'autre de ces expressions. Toutes deux lui sont nécessaires et  tellement complémentaires ! Car elle est elle-même riche et multiple, primesautière et réfléchie, intransigeante mais susceptible de la plus grande gentillesse et convivialité. Jeune, enjouée, Christine Gil Alcala ; ou terriblement sérieuse, lorsqu'un sujet lui tient à cœur !

Jeanine RIVAIS

 

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Le béotien qui regarde les oeuvres de Pierre Mingot se dit qu'il voit des photographies. Et il a raison. N'était que ce ne sont pas des photos ordinaires, et que l'auteur en résume une partie avec des jeux de mots, dont il est coutumier, même dans la vie courante, comme par exemple ces trouvailles prononcées lors d'une exposition : "Des peaux cédées à notre regard. La série de photographies que propose Pierre Mingot se conçoit sous une règle des yeux toute simple : Des peaux cédées à notre regard pour nous déposséder de nos certitudes". Et il explique que " Par le biais de photos trucages qui offrent des constructions de peaux cibles, impossibles ou inimaginables de ce support universel, le spectateur arrive à une double lecture de la photo.

Ce ne sont que des jeux de maux visuels pour perdre le regard, relire et re-connaître".

Il faut dire qu'ayant fréquenté l'Ecole Supérieure d'Art Moderne et l'Ecole Nationale de la Photo Louis Lumière à Paris, il sait de quoi il parle ! 

 

Photographies étranges, en noir et blanc sur support gris pâle, tantôt faites de géométries rigides, tantôt entraînant les supputations du non-initié évoqué plus haut, comme celle qui semble représenter deux bas de corps (de la ceinture aux genoux) disposés symétriquement, les deux bras faisant arceau de part et d'autre, tandis que deux personnages (également symétriques, ) en surimpression, se tournant le dos, sont assis jambes pliées, les mains ligotées dans le dos ! Le soulignage des fesses et la légère bosse du sexe bien en évidence. Tandis que des petits carrés gris n'apparaissent qu'après examen plus poussé. Ces photos-là sont "déchiffrables". 

 

  Mais il en est d'autres où il est impossible -à part les petits bonshommes à genoux ou à plat ventre, parfois ajoutés carrément sur un négatif- de déceler les éléments constitutifs de ces montages aux résultats surréalistes, ce qu'il appelle sa "série S", même quand Pierre Mingot offre de bon cœur d'expliquer comment il est parvenu à ce résultat : "Ce sont des photofusions obtenues par la "fusion" de négatifs d'origines divers : radios médicales et photos argentiques de formats différents.

          Voilà, ça donne une lecture plus proche de la réalité sans tomber dans des explications trop techniques.

          Par rapport à mes photos : le procédé est simple et compliqué à la fois :

          - Je scanne plusieurs négatifs photos à la fois. J'envoie le fichier que me donne le scanner au labo. Il n'y a pas de retouche numérique.

          - Le plus difficile reste les prises de vues en argentique, il faut attendre le développement du film pour savoir si ta photo est réussie ou non".

          Il reste donc au visiteur d'admirer un résultat dont le cheminement lui reste grandement étranger ! 

Jeanine RIVAIS et surtout Pierre MINGOT

 

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          "Parmi les notions couramment employées en histoire de l’art, celle de l’influence est sans doute une des plus délicates. Soit qu’elle traduise le rayonnement d’un maître qui peut induire une hiérarchie, en quoi la discipline témoigne de nombreux retournements {…}; soit qu’il s’agisse de souligner l’ascendant subi par un artiste dans le cadre d’un apprentissage, d’un atelier, ou de façon plus diffuse, au sein d’un foyer artistique, elle pose la question de l’autonomie d’une création. Il faut savoir démêler la part contrainte de celle assumée, sinon revendiquée, et pour tout dire, à mesure que le temps passe, les moyens d’y parvenir tiennent de plus en plus du hasard, et les résultats, du pari hypothétique". Sylvain Kerspern

Friedrich : "Le voyageur contemplant une mer de nuages", "La Mer de Glace", "Les étapes de la vie", "Romantik"
Friedrich : "Le voyageur contemplant une mer de nuages", "La Mer de Glace", "Les étapes de la vie", "Romantik"

 

L'histoire de l'Art jalonne les œuvres d'artistes qui ont affirmé n'être influencés par aucun autre artiste, ni aucun événement qu'ils auraient intériorisé. Par contre, elle a aussi rencontré ceux qui se réclament d'un prédécesseur : Innombrables sont ceux qui expliquent ce qui, dans l'œuvre de Frida Kahlo  les a attirés, dans la manière dont elle est devenue et reste une icône à leurs yeux. D'autres revendiquent sur leur peinture l'empreinte d'Andy Warhol, véritable figure de style qui reste aujourd’hui un peintre très admiré… On pourrait ainsi continuer à l'infini… 

Et, parmi ceux qui s'affirment influencés, Philippe Ribaud, qui se réclame de Caspar David Friedrich, né le 5 septembre 1774 à Greifswald et mort le 7 mai 1840 à Dresde. Il était  un peintre et dessinateur allemand, considéré comme l'artiste le plus important et influent de la peinture romantique allemande du XIXe siècle. Il est particulièrement connu pour ses tableaux Le Voyageur contemplant une mer de nuages (1818) et La Mer de glace (1823-1824).

Et pourtant, de la peinture hyperréaliste du peintre allemand à celle, abstraite de Philippe Ribaud, le chemin semble infini. Alors, qu'est-ce qui fait que le second clame l'influence qu'a sur lui le premier ? 

Est-ce leur personnalité, cette personnalité délicate, fragile, de l'artiste, qu’on a peur de perdre, non tant parce qu’on la sait précieuse, que parce qu’on la croit sans cesse sur le point d’être perdue ? Qui pourrait croire qu'elle puisse être la même à près de deux siècles de distance ? 

Est-ce par les thèmes traités ? Ceux de Friedrich tellement évocateurs, et ceux de Philippe Ribaud, par définition n'en traitant aucun ? 

Est-ce l'influence du temps, de l'époque ? Deux siècles de distance, ce n'est pas rien ! 

          Alors, pour conclure, mieux vaut laisser Philippe Ribaud s'exprimer : 

          "Il s’agit de Caspar David Friedrich (peintre romantique et symbolique Allemand de la Baltique mort en 1840) connu pour ses « paysages de l’âme »

           D’une part je me suis inspiré de ses propres écrits « Clos ton œil physique afin de voir d’abord ton tableau avec l’œil de l’esprit. Ensuite fais monter au jour ce que tu as vu dans la nuit… »

(pour moi ce message s’adresse tout autant au peintre qu’à celui qui regarde)

          Ces tableaux et les miens paraissent tristes mais ouvrent à ceux qui peuvent faire le silence intérieur des paysages mentaux sans limite.

          Ce sont vraiment des projections.

 Et d’autre part de la structure de certains de ses tableaux pour créer une forme d’hyperboles en miroir (ou bifocales) coupées par un ou plusieurs traits. (Exemple le voyageur au-dessus d’une mer de nuages…)

           Le tout réalisé avec encre de chine, acrylique, café et un secret de fabrication".

 

          Voilà, tout est dit ! Au visiteur, maintenant de sentir ou non subjectivement cette influence. Et au moins d'admirer sans retenue les compositions de Philippe Ribaud, les dualités ou les trinités qu'il a imposées,  et son sens instinctif de la couleur.

Jeanine RIVAIS et surtout Philippe RIBAUD

 

 

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          Deux préoccupations semblent prévaloir dans les créations de Jacqueline Wintzer-Planté : le tissu et la terre. 

 

     Pour le tissu, sa prédilection semble aller au lin, blanchi, fixé sur une branche trouvée dans les bois et laissée intacte, de façon à obtenir des pendentifs, genre oriflammes, même s'ils sont incapables de voler au vent, vu la façon dont elle travaille dessus. Parfois, elle garde la couleur intouchée, mais souvent, elle la teinte café au lait ou grise. Et au centre de ce support, elle pose une sculpture africano-amérindienne qu'elle a pu rapporter de ses voyages, ou se procurer dans quelque marché aux puces. Tantôt, elle agit sur la tête-même, la décorant, ajoutant des tresses, des motifs floraux ; masques de bois, aux visages calmes et sereins, introduisant une impression de statuaire païenne que conforte l'entour qu'elle orne de colliers de perles, pointes de flèches, touffes de plumes, etc. D'autres fois, elle travaille sur du chanvre, brodant ton sur ton le support, et ajoutant des colliers de perles blanches. Créant ainsi une œuvre étonnante, imitant des cultures ancestrales qui, apparemment,  ont suscité sa vocation !

 

          Plus personnelle est la création de terre de l'artiste. 

Chacun sait qu'au fil des siècles, qu’il s’agisse de personnages ou d’objets, les plus grandes fantaisies ont pris corps, variant les formes, modifiant les textures, ajoutant des oxydants, émaux, glacis ou autres… pour en multiplier les couleurs, générer des nuances et des accidents ; le tout, glaise et ajouts livrés à la chaleur régulière de l’électricité ou du gaz qui les restitueront fidèlement. Ou, pour d’autres artistes amoureux de la tradition, (en particulier celle du raku millénaire) confiés à des feux de bois qui y ajouteront leurs brûlures aléatoires et leurs irisations…

          Tel est bien le cas des statuettes anthropomorphes que l'on pourrait intituler les "créatures tristes de Jacqueline Wintzer-Planté". Que leur douleur soit mentale, nul doute, tout concourt à dépeindre une personnalité des plus tourmentées. Tous sont assis, ou plutôt tassés sur eux-mêmes. Qui se serrant son enfant entre ses mains énormes ; qui se tenant la tête ; qui baissant les yeux comme centré sur sa tristesse ou son tourment ! 

          Parfois, elle crée en semi-relief une sorte de créature, sans doute homme, mais peut-être mi-bête, cul-de-jatte en tout cas, hurlant sa souffrance, -physique, cette fois-, tandis qu'un scorpion dévore l'un de ses bras ! 

 

          Etranges créatures difformes, les unes naines, les autres grandes, mais toutes dotées de pieds et de mains énormes, chauves parfois, ou cheveux collés au crâne, les dépassant même lorsque la tête est en pain de sucre. Et le visiteur peut s'étonner devant le réalisme de ces têtes, les rides du front ou du tour des yeux, le plissement de la bouche désenchantée, les aspérités de la crispation de la peau. 

          Le tout en des agrégats de rouges flamboyants ou de roses orangés indéfinissables ; en des plages violines ou des gris brûlés par le raku. 

          Visages et corps intemporels : pas de définition sociale, dans l’œuvre de Jacqueline Wintzer-Planté; ni de contexte susceptible d’introduire une indication de temps ou de lieu ; pas même une terre sur laquelle reposeraient fonctionnellement des objets usuels reconnaissables, ou les pieds des personnages : des êtres, donc, hors du temps, hors des lieux habituels de vie, hors de toutes modes ; placés au centre de l'espace, seuls, à la fois fantasmes et obsessions d’une sombre réalité ; reflétant peut-être les états d’âme ou les angoisses de la sculptrice ? 

 

          Il est sûr, en tout cas, qu'à l'instar de nombre d'artistes qui créent pour souffrir moins, les créatures de terre de Jacqueline Wintzer-Planté sont le moyen qu’elle a inventé pour "sculpter  une fiction (qui) ne décrit rien, aggravant des réalités simples, ou réalisant avec simplicité des mythes... (Elle) invente ce qu’(elle) voit, voit ce qu’(elle) invente"(¹). Et, par le truchement de ses "créatures tristes", elle donne sa tendresse, sa propre douceur, entraîne tout son monde  en une oeuvre originale, à la fois belle et inquiétante, diverse et unique.

Jeanine RIVAIS

(¹)Christian Dotremont

 

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LE NEC SAINT-PRIEZ-EN-JAREZ 

 

CARTE BLANCHE A ŒIL-ART : COLLECTION DE JEAN-LOUIS FARAVEL

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Dans le cadre de la Biennale, Jean-Louis Faravel présentait une partie de sa collection : 

MARIE-JEANNE FARAVEL

et ses personnages conçus en des rouges ou des bleus lumineux, sur des fonds également bleus générant tour à tour des plages de brillants et de mats.

          Personnages toujours en grande conversation, tout en rondeurs, comme si l'artiste ne connaissait pas les angles aigus. Entourés par de vagues silhouettes vertes, brunes ou violines, qui pourraient être des créatures ectoplasmiques, sortes de petits allochtones, placés là nul ne sait par qui… Uniques ou gémellés. Encore à un stade primaire de leur vie, puisque aucune articulation ne sépare les éléments de leur anatomie.  Dotés ou non de visages aux traits mal définis ; leurs membres/tentacules jouant autour des personnages principaux.

     Lesquels sont toujours debout, de profil, face à face avec un vis-à-vis, leurs têtes cabossées à peine séparées des troncs par des cous épais et courts ; Comment, avec des traits aussi rudimentaires, et un tel primitivisme des protagonistes, l'artiste parvient-elle à traduire des nuances de caractères et d'humeurs, allant de petites joies à des expressions de tristesse, d'étonnement… ?

 

          Parfois, ces personnages verticaux perdent de leur raideur et deviennent petits êtres dansants, dans des sortes de grottes grises, au milieu d'animalcules qui pourraient être d'énigmatiques ancêtres ayant donné vie aux créatures ectoplasmiques évoquées ci-dessus ? 

          En fait, Marie-Jeanne Faravel est-elle animée de la volonté d'engendrer une ethnologie bien à elle, en des lieux imprécis, et des temps indifférents ? Ou de ramener le spectateur vers des mythes antédiluviens, où l'être vivant ne serait pas encore sorti de la caverne ? Quelle que soit sa recherche, elle sait créer des images universelles, dans un monde ni passéiste, ni futuriste, ni même simplement d'actualité. Elle est l'auteure d'un travail obsessionnel, profondément humain et tendre, grave et poétique ; dont la répétitivité, l'immutabilité, et la charge psychologique sont d'emblée perceptibles! 

Jeanine RIVAIS

VOIR AUSSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS  :  http://jeaninerivais.fr  Rubrique  Comptes-rendus de festivals : Visions et créations dissidentes 2008.

 

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CHRISTINE FREDL

et ses épousailles naïves : Mariée en longue robe blanche immaculée et voile. Marié, costume noir et chemise blanche, à lavallière ! Chapeau ou chapka. Les têtes sont surlignées, les éléments du visage cernés. Les lèvres des mariées sont très maquillées d'un rouge vif ! Parfois des fleurs, parfois le soleil, d'autres fois des nuages ! J.R.

 

 

 

 

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IRENE GERARD

et ses personnages morcelés et reconstitués pièce à pièce, comme des puzzles géants, où le joueur aurait parfois placé la mauvaise pièce : le nez d'une de ses femmes (car, apparemment, ses personnages sont toujours féminins), devient trompe qui se glisse entre les joues jusqu'au menton ; l'oreille d'une autre est posée sur la joue comme serait positionné un téléphone et son nez est crochu comme un bec ; la même a les fesses rebondies, et les deux jambes sont fixées du même côté du bas-ventre…

 Alors, le visiteur peut se demander si ces "erreurs"  tiennent du jeu et que l'artiste s'amuse à représenter les parties de sa propre anatomie qui lui déplaisent ; ou au contraire,  si elle traduit ainsi un mal-être personnel, un sentiment bien à elle d'être "mal dans sa peau" et de transférer ce sentiment à ses personnages ? 

Car il est probable que ces femmes sont autant d'autoportraits d'Irène Gérard… 

Jeanine RIVAIS

 

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MARTHA GRÜNENWALDT 

 

           MARTHA GRÜNENWALDT  et ses petites frimousses tellement attendrissantes, avec leurs chevelures végétales ;  leurs yeux toujours un peu graves, entourées immanquablement de mille fioritures très colorées, arborescences et profusions florales ; ces motifs sont devenus de plus en plus luxuriants, de plus en plus colorés et de plus en plus travaillés, soulignés à mesure que cette artiste devenait plus sûre d'elle.

VOIR AUSSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ "LE MONDE FEERIQUE DE MARTHA GRÜNENWALDT" : Rubrique Art brut.

 

 

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ROBERT IBANEZ 

          le touche-à-tout qui, par le truchement de son œuvre –de ses œuvres qui voyagent pour lui- parcourt le monde et rend compte des aventures qui l'ont impressionné : ainsi peint-il ou sculpte-t-il des scènes de la mine dont il est issu, ou l'arrivée du tour de France, une chenille, toutes scènes populaires, etc.

          De ce fait, ses sculptures qui, pour lui, représentent peut-être tel acteur, tel héros de bande dessinée… sont en fait des compositions de partout et de toujours, de nul lieu et de nul temps : elles sont universelles.

          Toutes sont conçues sur un même principe : le protagoniste principal est lourd, massif, comme celui qui est fait d'une pioche dont l'anneau est la tête et la pelle aux bords retournés est le corps. Ailleurs, c'est la tête ou le buste qui sont pleins tandis que tout le reste est découpé… Car sur chaque œuvre, Robert Ibanez a su denteler le métal, mêler pleins et déliés, bref travailler son matériau au gré de son humeur. De sorte que l'homme-pioche contemple de minuscules chevaux et un petit chat, la queue levée ; la femme africaine porte devant elle un foulard arachnéen ; un petit bonhomme à casquette s'agrippe au cou supportant une énorme tête, etc. 

 

          Ainsi, livré à sa passion de récupérer et de transformer, créateur de personnages aux silhouettes si personnelles, cet assembleur pourrait être à la fois un émule du Street Art, du Métal Art, autant qu'il l'est du Récup'Art…, toutes "écoles" de créations populaires, en somme ! Sachant que le détournement d'objets hors de leur usage habituel l'incitera longtemps encore à les envisager sous un nouveau jour. Et que, bien sût, son monde est sans limite.

Jeanine RIVAIS

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NICOLE PESSIN

          peintre de la solitude, du silence, du noir si "coloré" ! 

 

          L'artiste, qui est une touche-à-tout de l'art, peut peindre la solitude de ses petits couples échangeant des serments dans l'enfermement d'un ovale ou d'un cercle qui les place, de fait, dans un authentique huis clos. Où règnerait à l'intérieur le calme grave et l'harmonie ; tandis que l'extérieur est granité de milliers d'infimes pointillés et plumetis, semblant en mouvement tels les limailles de fer attirées par des aimants !  D'où le paradoxe entre leur attitude amoureuse supposée être de bonheur et le péril né de leur situation.

 

          Et le visiteur se demande pour quelle nécessité intérieure Nicole Pessin enferme ses personnages dans ces sortes d'ellipses ? Est-ce parce que les formes circulaires renvoient à l'idée de perfection ? Ce serait une façon simpliste d'interpréter ses œuvres ! Il faut dire que ses scènes représentent souvent des couples amoureusement installés, des princes et des princesses, peut-être ! Oubliant qu'ils sont en fait prisonniers, ils sont donc là comme dans un nid, dans la plus étroite intimité, le silence absolu ! A tel point que parfois, ils semblent ne faire plus qu'un. Certes, l'artiste souligne certaines formes et travaille le contour en glissant sur la surface du tableau, mais liés l'un à l'autre, il est impossible de les imaginer dissociés.

 

           Et, ainsi, de son sens de l’harmonie trouvé dans les réponses du matériau ; de sa manière si calme de transcrire en gris et noir aux nuances infinies la solitude, peinte avec des délicatesses de dentelière ; de ses complicités amoureuses autobiographiques ou purement fantasmatiques, grâce à son savoir-peindre, son imaginaire qui lui permet de "dire" sans réalisme voire avec du non-dit… les personnages de Nicole Pessin sont, par l’éternité des sentiments qu’ils expriment ou suggèrent ; par leur totale adéquation entre création, réalité et fiction, porteurs d’un message universel d’une poésie puissante !

Jeanine RIVAIS

 

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BERNARD ROUDET 

et ses têtes de bois ! 

L'artiste et le bois : une longue histoire d'amour ! Longtemps, il a sculpté des sortes de totems humanoïdes, longilignes ; et chacune de ses sculptures naissait d’un lent consensus allant du choix du bois à la manipulation de ses tronçonneuses. Car, dès qu'il tient dans ses mains un tronc brut, un authentique dialogue s'instaure entre eux. La seconde suivante, telle rugosité, telle courbe... l’arrêtent, avec la certitude immédiate que cette essence-là est celle de cette sculpture-là qui simultanément a jailli dans son esprit ! Ce dialogue “in situ” se poursuit dans l’atelier. Bernard Roudet cogne, tranche, lime, explore les blessures naturelles, s’intéresse à l’infini aux possibles expressions... jusqu'au moment où son corps et son esprit disciplinés par tant d’années d’affrontement complice avec le bois savent qu'il faut s’arrêter.

Mais il peut aussi se désintéresser des anatomies longilignes de ses créations originelles, pour ne s'intéresser qu'aux têtes. Et, par provocation peut-être, ou par humour, il génère à larges coups de son outil, un visage finaud, triste, débile ou distrait, grave… pour des personnages découpés au bas du cou, comme autant de paradoxales cartes d’identités ; ou taillées un peu plus bas, dotées lorsqu'il s'agit d'une femme exotique, de volumineux seins parfaitement ronds !  Travail nerveux, rapide, libéré de tous académismes, par lequel l'artiste renouvelle les définitions de ses créations. Et puis, -influence peut-être de la sculpture africaine- il les passe à la peinture noire, laisse parfois naturels les entours des yeux et de la bouche, ponce les reliefs, jouant alors de la lumière, des brillants et des mats, à tel point qe les œuvres terminées  ont  l'air d'être en fer ou en bronze ! 

Ce sont ces états successifs qui vont traverser l’esprit des spectateurs. Selon leur vécu, leur éducation, leur subjectivité, leur faculté de rêver…, ils chercheront pourquoi il est passé de l'entièreté de ses personnages à leurs têtes ; tandis que Bernard Roudet va continuer d'aller 

au-delà de ce qu’il a à peine fini d’explorer ? Et, dans cette avancée, cette volonté d’élargir toujours son champ esthétique, son enthousiasme paraît boulimique !

Jeanine RIVAIS

VOIR AUSSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES POPULATIONS TOTEMIQUES DE BERNARD ROUDET, SCULPTEUR"  du BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 71 DE JANVIER 2002.

Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS RETOUR SUR PRAZ-SYR-ARLY 2001.

 

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FARANAK SCHINDLER

          et ses scènes de villages. Les maisons sont  de guingois, entre lesquelles sinuent des ruisseaux  et s'étalent des pelouses. Des fillettes jouent devant les maisons, leurs queues de cheval ou leurs couettes enrubannées volant au vent. Leurs jupes tourbillonnent, tandis que sur des barques, des adultes en vêtements serrés, vont la tête encapuchonnée. Ailleurs, sans doute en montagne, vu les nombreuses collines et les méandres des routes, aucun habitat, mais garçons et filles jouent entre les sapins. 

     Des oeuvres de facture naïve, d'où est exclue toute idée de perspective: Où des épaisseurs de peinture à l'huile créent de légers reliefs, au long desquels restent visibles les passages du pinceau. Un travail plein de proximité, d'humour et de tendresse. 

Jeanine RIVAIS

 

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THOMAS SCHLIMM

          et ses cirques qui arrivent dans une ville et invitent les badauds à assister à la parade. Et c'est tantôt le défilé des animaux, chevaux, éléphants, etc., tantôt les spectateurs qui roulent de grands yeux en voyant passer ces énormes bêtes précédées de leur cornac bondissant. Ceci "décrit" grâce à une technique bien rôdée qui consiste à dessiner au crayon noir les contours de tous les éléments de sa parade, puis à ajouter longuement des couleurs vives auxquelles ce noir sert de faire-valoir ! La combinaison de ces oeuvres est un régal pour l'œil, car Thomas Schlimm est un brillant coloriste. 

          Eblouissement du public garanti, donc,  devant les oripeaux criards, les juxtapositions de couleurs et les acteurs de la parade. Laquelle est poétisée, parce qu'elle apporte l'illusion, le merveilleux. Est-ce cette surprise émerveillée qui fait loucher la plupart des protagonistes : éléphants et badauds, comme s'ils voulaient voir de tous les côtés à la fois  ? Ou le sens de l'humour du peintre ? Qui sait ? 

Jeanine RIVAIS

 

 

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LE CENTRE SOCIAL DE BEAULIEU 

 

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