LES SARABANDES 2019

PAGES DE TEXTES "LES ANCIENS" et "LES NOUVEAUX" 

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          Pendant très longtemps j'ai réalisé des entretiens avec les artistes que je rencontrais pour la première fois et que j'appelais "Les Nouveaux".

          Depuis trois ans, j'ai décidé d'écrire des textes sur les œuvres des nouveaux "Nouveaux" ! 

Mais certains entretiens remontant à dix ou quinze ans, certaines déclarations d'alors ne sont plus valables, l'œuvre des artistes variant parfois du tout au tout ! J'ai donc décidé, même si cela implique des mois de travail supplémentaire, d'écrire également un texte sur les œuvres de ceux qui avaient jusque-là réalisé avec moi un entretien.

          Certes, ces textes pourront se périmer à l'égal des entretiens. Mais qui vivra verra ! 

          En attendant, courage !! 

Jeanine RIVAIS

 

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LES HUIS CLOS DE BENITO, peintre

 

          Pour quelle nécessité intérieure Benito enferme-t-il ses personnages dans une sorte de cocon qui fait de ses "lieux" un tableau dans le tableau ? Est-ce parce que ses personnages aiment vivre intra-muros, entre soi ?

          Il faut dire que presque toutes les scènes proposées par cet artiste représentent des couples ! Ils sont donc là comme dans un nid, dans la plus étroite intimité ! Et même lorsqu'ils sont  plusieurs, ils reviennent toujours à l'idée de duo, le troisième servant en somme d'observateur, à moins que ce bras démesuré, recourbé au-dessus des personnages, n'ait, comme l'entour, un rôle protecteur ? Certes, l'artiste souligne certaines formes mais liés l'un à l'autre, il est souvent impossible de dire à qui est cette cuisse, d'où vient ce pied, etc. Par contre, les deux têtes sont distinctes, tendues l'une vers l'autre, mais paradoxalement pas pour un baiser passionné, plutôt pour des règlements de comptes ! Et si le visiteur est perspicace, il verra la cause de ces discordes. Il aura alors le sentiment de jouer à ce jeu de naguère, sur les feuillets des éphémérides : "Où est la tête ? Car il trouvera, tableau après tableau, la "cause" de ces disputes : dans la "scène" où l'un des protagonistes est à genoux devant l'autre, nichée dans un encart et assise sur un tapis bleu, une femme nue ! Ailleurs, elle est tête bêche, sur un fond idéalement bleu. Ou bien, elle danse à corps perdu en filigrane derrière une femme noire, vêtue uniquement d'un pantalon violet, qui lève les bras face à l'homme qui hurle à tue-tête ; ou encore, découpée dans quelque magazine, une tête définitivement féminine s'est glissée à la place de celle de la femme, osant braver le poing brandi de l'homme. Mais parfois, -signe que l'orage peut venir de l'autre part-, toujours dans un encart, se tient bien droit à l'avant-plan, un bellâtre moustachu, aux yeux noirs… !! Benito traiterait donc alors seulement des querelles de ménage, des scènes de jalousie, en fait ?   

           Face à une telle récurrence, le visiteur se dit que ce sont forcément des scènes vécues par lui, mais il ne peut s'appuyer sur aucun contexte. C'est-à-dire que les fonds (à minima, les protagonistes occupant généralement presque tout l'espace) ne sont pas signifiants, ils sont faits de figures géométriques déformées, de traits qui n'aboutissent nulle part, voire de petits animaux en suspension, etc. D'autre part, les personnages de Benito sont presque tous nus, mais les vêtements, quand il y en a, sont toujours atemporels. Aucun détail ne permet de situer géographiquement, socialement ou historiquement, ces êtres conçus sans souci de perspective, de proportions, de réalisme. Alors, pourquoi cette volonté de n'être ni dans le temps, ni dans l'espace ? Est-ce parce que seule, la figure humaine, les relations humaines  l'intéressent ? Et peu importe le contexte dans lequel se situe l'"histoire" ? D'ailleurs, il faut noter  l'absence d'expression  des corps longilignes toujours verticaux, mais être définitif quant à celle  des visages n'est pas toujours évident. Ce qui est intuition n'est pas forcément vérité ! Peut-être, même, n'est-ce qu'une fois sur la toile, que Benito peut réaliser la signification de cette expression, et se rendre compte de ce que son subconscient a créé ? Comprendre qu’il a foui à travers tous ces encarts, avant de parvenir à une histoire qui se rapporte à lui, ou à ce qu'il pense du monde. Car aussi succinctes et répétitives soient-elles, ces personnages appartiennent à des histoires créées de façon très intime par l'artiste. Et les couples, dans cet univers à la fois spontané et longuement échafaudé, sont réalisés avec un sens aigu d’une dramaturgie picturale. 

          Quelle que soit la réponse, ce qui frappe de prime abord dans cette œuvre foisonnante, outre le fait qu'aucune géométrie ne figure dans les déploiements d’énergie, et outre l'explosion de rythmes brisés sitôt nés ; c’est une grande science des couleurs, les complémentarités et les oppositions des bleus violacés qui s’enchevêtrent, des pointes de rouges sombres ou des jaunes disposés avec parcimonie pour faire vibrer ces bleus ; le tout s’organisant sur des aperçus de noirs ou de bruns, entre lesquels jouent les ombres et les lumières. 

 

          Finalement, autobiographiques ou purement fantasmatiques, grâce à son savoir-peindre, à son imaginaire qui lui permet de "dire" sans réalisme voire avec du non-dit… les personnages de Benito sont, par l’éternité des sentiments qu’ils expriment ou suggèrent ; par leur totale adéquation entre création, réalité et fiction ; par l' harmonie qui fait se côtoyer comme une composition unique toutes les variantes de sa créativité, porteurs d’un message universel d’une poésie puissante !

Jeanine RIVAIS

 

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MASQUES ET ASSEMBLAGES  CHEZ JOËL BRESSAND

 

Qu'est-ce qu'un masque ? Et pourquoi le masque fascine-t-il tellement les humains qu'ils l'emploient soit pour se représenter, la plupart du temps faussement ; soit pour de simples festivités (carnavals, Halloween, Mardi-Gras…) ; soit lié à un rite ; soit encore comme relique. Quelle que soit sa dénomination, il sert à l'homme à transformer son aspect naturel, sous des dehors trompeurs : froideur, indifférence, méchanceté, etc. Et si l'on songe que les verbes le définissant sont mâchurer, barbouiller, noircir, et que le mot "masque" dérive  du latin "sorcière", il n'y a, assurément là, rien de rassurant ! 

Joël Bressand songe-t-il à toutes ces définitions, lorsque, depuis l'enfance, il bat la campagne, à la recherche de quelque souche, morceaux de bois, cailloux, coquillages, vieux clous rouillés, et tous autres éléments du paraphernalia issu des hangars et vide-greniers qu'il visite… Non pour le plaisir d’entasser, posséder ces objets hétéroclites, mais pour celui de les toucher, les rapprocher dans des promiscuités ou des harmonies inattendues. Créer en fonction de la définition qu’ils ont conservée ou au contraire déjà perdue, de nouveaux objets complètement différents de leurs composants originels.

 

           A partir de cette vie réinsufflée au gré de son inspiration, l’artiste a trouvé une démarche très personnelle pour mettre en scène ses compositions : Parfois, il range sagement celles-ci sur une cimaise improvisée, accrochées côte à côte par couleurs contrastées mais chacune faisant vibrer les autres, choisies par allure générale, par connotations spécifiques... Ainsi apparaissent un îlot de minuscules maisons aux yeux tout ronds, à la chevelure arrachée à quelque balai, ou hérissée de pointes… D’autres fois, seuls sur une étagère, il cloue ses masques au bout d’un bâton où ils prennent un petit air penché, fixant le visiteur de leurs grands yeux/escargots ! D'autres fois encore, il les aligne sur une cloison, jouant de leurs expressions, donnant des faces hilares, tristes à mourir, irrévérencieuses… Ou bien ils sont par terre, placés en rangs d’oignons comme au théâtre et, forts de leur nombre, ils narguent le visiteur de leurs bouches pincées sur de faux sourires, de leurs gros nez et leurs yeux ronds comme des billes, leurs chevelures touffues de balais, et lui donnent le sentiment que c’est lui le spectacle. Ou encore, par jeu, il se dissimule derrière quelque diable rouge vif, ou arbore un masque longuement polissé, à la chevelure veloutée particulièrement abondante… 

 

Mais il arrive que, délaissant les masques, Joël Bressand devienne assembleur. Là encore, il colle, taille, assortit, ajoute l'imparable élément qui attendait son tour. S'entassent alors des amas de vieux gants de chantiers, noircis par l'usage. Des animaux gesticulants de leurs membres surallongés prennent des postures gymniques. Un vénérable chef africain au corps de baigneur peint, au visage caché derrière un masque plus vrai que vrai, coudoie un  autre personnage au visage dissimulé derrière une pleine lune ; donnant à ses personnages des titres redondants de leurs caractéristiques : "Famille Jerry Khan", "Joachim Du Balai", "Poulinette", "Vénus ménagère" !... 

 

          Toutes ces réalisations, masques et assemblages,  se retrouvent associées avec un grand souci de convivialité, jouant des oppositions ou des similitudes ; faisant référence à des contes, des légendes, des films, ou tout simplement à quelque avatar du quotidien. Bref, Joël Bressand a développé une véritable stratégie de l’ironie, de la dérision, tout bonnement de l’amusement ; et son pari est gagné, à en juger par l’engouement des enfants pour ses oeuvres ! En somme, art-récupérateur ou homme de glanes, Joël Bressand est proche de la nature et de la vie ; soucieux d’assurer la pérennité des objets qu'il crée à partir de ce qu'il leur prélève !  

Jeanine RIVAIS

VOIR AUSSI : ENTRETIEN  AVEC JEANINE RIVAIS : : N° 74 DE JUILLET 2004 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique RETOUR SUR LE PRINTEMPS DES SINGULIERS 2003. 

Et aussi : ENTRETIEN AVEC TEXTE DE JEANINE RIVAIS  : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS RETOUR SUR BANNE 2003

 

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 CAIRON SYLVIE :

 

TEXTES DE JEANINE RIVAIS : "SYLVIE CAIRON,PEINTRE, A LA RECHERCHE DE SOI-MEME" , et "JUSQU'AU BOUT DE SES REVES"  et "PAYSAGES" :  http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique Art Contemporain. 

ET AUSSI ENTRETIEN DE JEANINE RIVAIS AVEC SYLVIE CAIRON, peintre : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ENTRETIENS.

 

 

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LES PETITES TRANCHES DE VIE D'HANNA CHROBOCZEK

 

          Sa passion pour la vie des gens simples remonte-t-elle à son enfance où elle aurait coulé des années heureuses, elle qui est née en Pologne, et qui, à quatre ans, copiait des portraits pris dans des journaux, ou simplement dessinait son chat dans la cour ? Ou bien Hanna Chroboczek  a-t-elle, à l’âge adulte, fait des comparaisons entre le bouillonnement citadin et la calme sérénité villageoise ? Toujours est-il qu’elle a, sans équivoque, opté pour cette dernière. Qu‘elle en a adopté le rythme, "racontant" au fil des oeuvres, avec une verve picturale très personnelle, ses petits évènements quotidiens ; choisissant de les exprimer dans une facture naïve qui sied à merveille à cette éthique passéiste, voire nostalgique de valeurs trop souvent disparues…

 

     Pour ce faire, jamais de plans lointains, uniquement des scènes intimes remplissant l'espace : elle ne se préoccupe donc pas de perspective. Et le spectateur a devant lui, de façon récurrente, une mère enceinte entourée de ses enfants qui tâtent son ventre, un père faisant la lutte avec son fils ou l'emportant endormi sur son dos, une fermière nu-pieds tenant d'un air terrible un lapin qui va vraisemblablement passer à la casserole !... Ainsi, Hanna Chroboczek parfait-elle  avec une infinie patience et une précision d’ethnographe, l’intimité de lieux qui n'apparaissent jamais (car elle ne propose jamais de fonds signifiants) dans lesquels les gens suggèrent d’emblée un mode de vie sans sophistication, où ils se connaissent et se parlent.

     Mais, au fait, se parlent-ils ? Certes, ils cohabitent. Mais, solitaires, ils fixent de leurs grands yeux noirs, -comme si rien dans leur entourage (invisible) ne les concernait-, le spectateur en off qui, de regardeur, devient le regardé !  Et, s'ils sont en groupe, il en va de même, comme cette scène –inspirée peut-être des Ménines-, où la mère la poitrine couverte de bijoux, scrute manifestement le lointain, tandis que ses enfants, tout autour d'elle regardent en face d'eux ; ou bien celle où la grande "sœur" (?)se lave les dents, tandis que ses "frères" tirent la langue, se ferment la bouche avec leur main, etc. Quelques exceptions, tout de même, où un petit garçon joue avec des marionnettes, et deux autres l'observent, manifestement surpris et intéressés ; ou encore deux spectateurs endormis (au cinéma ?) tandis que d'autres discutent derrière ou font signe de se taire ; ou enfin cette scène où une femme retient de toutes ses forces son mari à genoux zieutant une seconde femme apparemment mariée à un autre homme…

    Paradoxalement, les personnages ne semblent se sociabiliser et vraiment s'animer qu'avec les animaux, tel ce jeune garçon qui, comme Saint-François d'Assise parle aux oiseaux ; ou ces enfants lisant une histoire au chat ou caressant le cheval… 

 

    C'est que l'on ne rit pas, dans le monde d'Hanna Chroboczek ! Et même, si parfois l'envie de rire prend l'un de ses protagonistes, vite il place sa main devant sa bouche pour se retenir ! Leurs visages peuvent exprimer l'impassibilité, la surprise, le doute, le scepticisme, la tristesse, etc. Mais aucun éclat de rire !Au mieux, un sourire, comme celui de cet enfant –une fillette apparemment, à cause des petits seins à demi dévoilés- qui montre son nombril ! Est-ce l'inaction qui les rend ainsi moroses ? Car tous sont posés, face à ce visiteur qu'ils observent si souvent, mains croisées, bras pendants… Au point que celui-ci réagit subjectivement à chacune de ces postures, complétant mentalement le geste, souhaitant le voir s'activer, compatissant, s’amusant finalement avec la créatrice, se faisant son complice dans son monde et son humour si particuliers ! 

    D'autant qu'il est bien difficile de déterminer le sexe des protagonistes :   "C’est parce que chacun est à la fois une femme et un homme. Moitié-moitié ! Moi-même, je suis un peu macho, un peu une femme !", déclarait l'artiste lors d'un entretien. Et encore leur met-elle maintenant des cheveux, dont elle les a longtemps privés ; de sorte que chacun peut s'aventurer à affirmer que l'un est un homme, un garçon, l'autre une femme, une petite fille… même si l'affirmation n'est pas toujours justifiée ! 

 

    C'est que l'on ne rit pas, dans le monde d'Hanna Chroboczek ! Et même, si parfois l'envie de rire prend l'un de ses protagonistes, vite il place sa main devant sa bouche pour se retenir ! Leurs visages peuvent exprimer l'impassibilité, la surprise, le doute, le scepticisme, la tristesse, etc. Mais aucun éclat de rire !Au mieux, un sourire, comme celui de cet enfant –une fillette apparemment, à cause des petits seins à demi dévoilés- qui montre son nombril ! Est-ce l'inaction qui les rend ainsi moroses ? Car tous sont posés, face à ce visiteur qu'ils observent si souvent, mains croisées, bras pendants… Au point que celui-ci réagit subjectivement à chacune de ces postures, complétant mentalement le geste, souhaitant le voir s'activer, compatissant, s’amusant finalement avec la créatrice, se faisant son complice dans son monde et son humour si particuliers ! 

    D'autant qu'il est bien difficile de déterminer le sexe des protagonistes :   "C’est parce que chacun est à la fois une femme et un homme. Moitié-moitié ! Moi-même, je suis un peu macho, un peu une femme !", déclarait l'artiste lors d'un entretien. Et encore leur met-elle maintenant des cheveux, dont elle les a longtemps privés ; de sorte que chacun peut s'aventurer à affirmer que l'un est un homme, un garçon, l'autre une femme, une petite fille… même si l'affirmation n'est pas toujours justifiée ! 

 

          D'autant encore, que la plupart des œuvres d'Hanna Chroboczek sont en noir et blanc ; ou plutôt dans toutes les nuances de gris. Les cheveux, noirs ; les visages et les mains gris clair ;  les ajouts (lapins, jouets, animaux) presque blancs ; les vêtements gris foncé … Car  tous les personnages sont vêtus ; il est très rare que l'on puisse apercevoir plus qu'un bras sortant d'une manche courte, une petite jambe coupée par le bord du support ! Seule exception, ce tableau qui comporte un fond (quelques maisons, une rue, des gens disposés comme pour regarder passer une procession ou y participer) Tout cela proposé à petits coups de crayons, façon paysages obsessionnels des artistes d'Art brut ; et, surprise !!! en gros premier plan, une femme montrant ses fesses ! Et un garçon lui tâtant la cuisse ! En fait, ce tableau est conçu à la manière de ceux des "Très riches heures du duc de Berry", à se demander si cette femme tellement provocante n'est pas une sainte, après tout ? 

    Mais parfois, Hanna Chroboczek  en vient à la couleur. A des couleurs. Jamais noires (cette teinte réservée sans doute à l'autre démarche). Celles des vêtements monochromes ou tout au plus bicolores, dulcifiées toujours, en des rouges sombres ou des violines pour les robes, des bleus pour les vêtements masculins, des verts ou encore des bleus foncés pour les fonds lorsqu'elle leur concède de la place. Et puis, ça et là, une touche de jaune ou d'ocre, jouant sur les autres de façon à former de petites taches qui d’emblée conquièrent l’œil. D'ailleurs, il arrive qu'elle glisse ainsi une touche de couleur dans un dessin conçu en noir et blanc… Là, commence la “vie peinte” de cette  dessinatrice ! 

         Une double démarche, finalement, en gris ou en demi-teintes, pour lesquelles elle possède un véritable instinct ; des choix qui semblent bien être les éléments essentiels qui constituent l’originalité de ses oeuvres, et les rendent immédiatement reconnaissables ; qui ne sont nullement antithétiques ; complémentaires plutôt. Une façon de prendre du recul par rapport à un travail à la fois gestuel et paisible, à un monde peuplé d'individus à la fois statiques et très vivants.

 

          Démarche à laquelle il faut ajouter l'humour déjà entr'aperçu, souvent à peine suggéré, d'autres fois ouvertement exprimé, comme la "scène du Moyen-âge" déjà évoquée, ou la fillette montrant son ventre… 

          Et une sorte d'anxiété sous-jacente, née peut-être du déracinement vécu dans son enfance  ; une absence de joie qui fait revenir le visiteur sur des détails ayant accompagné son périple : Est-ce la raison pour laquelle il y a tant de poupées, tant de jouets, tant d'animaux familiers  dans son œuvre ? La raison pour laquelle ses personnages, malgré un sentiment intuitif qu'ils appartiennent au passé, sont intemporels, sans aucune connotation sociale, historique, géographique qui  permettrait de les situer ? 

 

          Quelles que soient les réponses, cette oeuvre est attachante, puissante et singulière, qui l’écarte par sa réflexion personnelle, des courants contemporains sans âme ; qui est finalement par moments un peu naïve ; le plus souvent expressionniste.

Jeanine RIVAIS

 

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LES CREATURES AUX BIZARRES ANATOMIES DE MARION DE LA FONTAINE

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          Marion de la Fontaine, sculptrice,  a de tous temps, été récupératrice. Se rattachant donc aux fouineurs si obsessionnels de l'Art- Récup', elle a, naguère, trouvé rapidement une expression très personnelle. Mais surtout, comme elle vit au bord de la mer, là où les estrans peu fréquentés restituent des troncs usés par les vagues, déchiquetés par les rochers, piquetés de vers, pourris d'avoir croupi trop longtemps dans le sol humide… elle y récupère ce qu'il est convenu d'appeler des "bois flottés" qui lui donnent le mouvement avec lequel elle fera vivre ses personnages en gestation. Mais elle est aussi glaneuse de métaux rouillés, cabossés… Tout cela se combinant à la terre qui est son matériau de prédilection, et le point commun à toutes ses œuvres. Et comme son propos n’est pas d’être hyperréaliste, elle fait intervenir d’abord ses talents de coloriste en choisissant des terres dont les couleurs brunes et monochromes vont générer l’immédiateté des silhouettes monolithiques de ses créatures (brun violacé des robes, roux ou bleu passé d'un tee-shirt…).

 

          Partant de ces caractéristiques récurrentes, Marion de la Fontaine, désireuse de s’exprimer sans frontière, donne "vie" à de multiples figures aux membres postérieurs bancals ou atrophiés, parfois à cause des vicissitudes traversées par les matériaux, car elle exploite sans hésiter ces aléas ; d'autres fois choisis parce que ces "accidents" leur donnent une allure tout à fait hétérogène. Néanmoins sont-ils toujours homomorphes, même si quelquefois la ressemblance avec l’humain est évasive. Regarder les œuvres de cette artiste revient donc à "rencontrer" toutes sortes de variantes anatomiques, dont les seuls points communs seraient la verticalité et la résonance xénophile des individus qui les affectent : ainsi, un tronc rongé devient-il les membres inférieurs d'une femme unijambiste ; un autre oblige son "protagoniste" à croiser les jambes pour l'éternité ; un autre encore tend exagérément une jambe à l'avant ; un vieux chêne (d'après les nœuds subsistants, il ne peut s'agir que de cet arbre) devient la robe tournoyante d'une femme… Ainsi, pourrait-on, à l'infini, scruter les éléments protéiformes qui soutiennent les personnages de cette anthropologue si particulière.

          Paradoxalement, les "hauts" de ces personnages sont toujours féminins, sauf lorsqu'ils sont enfants (!!), et leurs postures sont beaucoup plus réalistes. Prolongeant sans ligne apparente de démarcation les "bases" évoquées ci-dessus, les corps sont fins, moulés dans leurs chemises ou leurs maillots ; les hanches en léger relief ; la taille bien prise comme il est dit dans les romans du XIXe siècle ; les seins menus mettant en valeur les décolletés sans audace ! Quant aux bras, ils sont soit collés au corps, croisés dans le dos, soit mains ouvertes aux doigts élancés, écartés comme dans l’évidence d’un geste commun ou comme si ces femmes s'apprêtaient à faire une courbette. Et les têtes ? Portées par un cou libre de tout vêtement ou bijou, elles sont posées de façon à donner aux yeux l'impression de regarder le ciel. Mais si ces derniers, bien que sans pupilles, sont nettement discernables ainsi que les nez, la bouche est souvent plus fictive que dessinée. Toutes caractéristiques qui font de Marion de la Fontaine l'auteure de femmes d'une beauté primale, à la fois déroutantes et fascinantes.

 

          L'utilisation des glanes arboricoles pour symboliser les jambes, font que ces personnages n'ont jamais de pieds. Seraient-ils donc empêchés d'aller "ailleurs" ? Faudrait-il introduire de la psychologie dans ce qui semble être une manifestation de talent pleine de tendresse ? D'autant que, le plus inattendu survient lorsque l’artiste veut socialiser ses femmes : Les groupant sur un unique "pseudopode", elles semblent, telles des siamoises soudées jusqu'aux genoux, émerger de leurs jambes-troncs mimétiques à la manière d'un bouquet ; ou bien lorsqu'elle les présente sans ces fameuses jambes fantaisistes, individus-troncs, donc, coiffés de leurs bonnets blancs, chantant en chœur leur hymne muet ; ou encore –tiens, ceux-là ont des pieds et des jambes "normaux"- lorsque des garçons sont à cheval sur des sortes d'allochtones au dos broussailleux et qu'elle semble s'en aller vers la Science-fiction ? 

 

          Par ailleurs, les créatures de Marion de la Fontaine sont sans âge : sans connotation sociale, historique, géographique… ; simplement, elles sont "là" ; métaphores de vies qui ne peuvent exister que par le sens inné du mouvement qu’elles possèdent ; par le mélange d'éphémère et de durable qu'elles véhiculent, par leur totale adéquation entre création et imaginaire, porteuses d'un message intemporel d'une poésie si puissante que l'émotion du spectateur rejoint, d’emblée, celle de la sculptrice. 

         Il s’agit donc, pour Marion de la Fontaine, de recréer un monde bien à elle, humain mais non réaliste, organisé à partir des objets les plus hétéroclites par une artiste qui, outre celui de la couleur aussi sobre soit-elle,  possède un talent inné de la composition et de la mise en scène. Qui crée de ce fait une œuvre majeure ; un théâtre de la vie ; un univers si puissant et évident que personne n’envisagerait d’en changer la moindre tôle grignotée, le moindre tronc biscornu, la moindre coulée de glaise, car au long de ce travail, quelques autres constantes jalonnent la démarche de l’artiste : sérénité, caractère à la fois ludique et raisonnable, fantasmagorie d’un imaginaire débridé, esthétisme et originalité… Tout cela ne s’appelle-t-il pas créativité et talent ?

Jeanine RIVAIS

 

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ERIC DEMELIS : UN SEUL ETRE OU L'INFINI ?

 

Il y a une dizaine d'années, Eric Demelis qui dessinait depuis sa plus tendre enfance, a imaginé un personnage, ou plutôt une tête de personnage qui se retrouve aujourd'hui littéralement multiplié à l'infini, mais dont il affirmait qu'il était toujours "le même" et qu'il était un autoportrait. Le visiteur pouvait bien lui démontrer que non, que ce ne pouvait pas être un être unique, vu que certaines têtes souriaient, d'autres riaient, d'autres encore grimaçaient… les uns avaient des têtes parfaitement rondes ; d'autres des têtes très longues voire cornues ; des gros nez ; certains étaient moitié-terriens, d'autres moitié-martiens… à tel point qu'il aurait fallu trouver tous les adjectifs pouvant caractériser un visage et les appliquer à ses  tableaux, et encore la description ne serait-elle assurément pas complète ! Mais rien à faire, l'artiste persistait et signait : Ces êtres drus, disposés sans jamais la moindre respiration n'étaient qu'une déclinaison de la même tête. Des personnalités complexes à l'intérieur d'une même personnalité. C'étaient les mêmes visages : "une espèce d'autoportrait éparpillé"*. 

Et puis, peut-être parce que cet "être unique" était un autoportrait, tous les visages étaient –sont encore- masculins. A croire qu'il n'a pas dévié d'un pouce de son idée fixe : Lui, lui, encore lui !!!

 

Pourtant, au fil des années, quelques variantes sont apparues : certains de ses individus sont sortis de ces mélis-mélos (tiens tiens ! LE Eric Demelis tellement unique aurait-il eu besoin de se singulariser ? S'échapper de ces cadres où il grouillait à l'infini ?) Toujours est-il qu'il se retrouve parfois seul, tête solitaire, ou en photo d'identité, voire en pied comme un "vrai" personnage !

       Et puis, des cases sont venues isoler visage après visage ! Chacun se retrouvant indépendant, tout en restant membre à part entière, inséparable de la multitude !

         Ensuite, Eric Demelis a abordé la couleur ! Taches aléatoires ou couleurs de chaque petit fond, d'où une impression de kaléidoscope, et couleurs de certaines têtes elles-mêmes, tandis que d'autres restent en noir et blanc, ce qui ajoute à ce sentiment d'irisation !

         Enfin, son monde a changé ! De multi-Demelis, il s'est mis à côtoyer des objets, des animaux. A moins qu'il ne s'agisse de mutants ? Des espèces d'arachnides gigotent à pattes que veux-tu dans leurs cases. Des porcs au groin sur-allongé y dressent leurs oreilles super-pointues. Des êtres bicéphales y côtoient des têtes de coqs. Des clefs ouvrent quelles portes ?  etc. Et la liste s'allonge, avec ou sans cases, en noir et blanc et en couleurs, jusqu'à dépasser l'infini car l'artiste s'est mis à enrouler des mètres de papier à mesure qu'il avance dans sa progression ! 

 

          Comment définir cette obsession des visages, des petits personnages et de tous les éléments qui se sont immiscés dans les créations d'Eric Demelis ? Une chose est sûre, même si cette répétition récurrente est proche des obsessions de l'Art brut, il n'en fait pas partie, trop de culture l'en empêche ! Alors, quel nom donner à cette permanence d'une même idée : lui encore et toujours ? Quelles inhibitions ou besoin de liberté le ramènent jour après jour, année après année devant cet autoportrait qu'il considère comme unique ? Une telle création tellement prolifique, toujours semblable en apparence, mais jamais la même, relève-t-elle du jeu ? Est-elle, au contraire, tellement irrépressible qu'elle soit (en exagérant un peu) une addiction à laquelle il est impossible à l'artiste d'échapper ? Dans ce cas, faudrait-il envisager de l'exorciser ? Mais face à la richesse infinie (aussi infinie que le nombre de petits autoportraits), serait-ce souhaitable ? Ne vaut-il pas mieux continuer de s'en étonner ? Qui sait ? 

Jeanine RIVAIS

VOIR AUSSI :  ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS BANNE 2012.

 

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ELSO BEATRICE : 

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : "Art brut et outsider, Singulier, Meysse 2016.

 

 

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QUAND UNE VOCATION EN ENTRAINE UNE AUTRE, ou JACQUES ENGLERAUD ARTISTE METALLIER

Depuis sa plus petite enfance, Jacques Engleraud rêvait d'être marin. Entré à quinze ans dans la Marine, il a pu réaliser son rêve de voyager à travers mers et océans. Redevenu "terrien", il s'est installé en Bretagne, au bord de la mer, de façon à continuer de vivre parmi cargos, bateaux de pêche et autres ; parcourir les docks, marinas. Mais aussi  hanter les cimetières à bateaux, avions, etc.

 

          D'autant qu'une autre vocation lui est apparue : récupérer des morceaux de bateaux rongés par la rouille ; de vieilles poutres piquées des vers, érodées par le sel et l'humidité ; tous instruments de navigation sur lesquels il a pu mettre la main… Les emporter, éventuellement les décabosser, les repeindre, reconstituer des épaves en somme.

           Ayant réalisé ses deux rêves étroitement liés l'un à l'autre, Jacques Engleraud "crée" désormais d'étranges œuvres que l'on peut assimiler soit à des peintures puisqu'il les accroche sur des cimaises, peint certaines d'entre elles ; soit à des sculptures puisque ce sont des morceaux de métaux, bois et autres matériaux de récupération qui les constituent : des œuvres, donc,  qu'il appelle non pas peintures ou  sculptures, mais des "carcasses" !

 

     Et depuis lors, le visiteur passe successivement devant une porte de chaufferie où subsiste un cadran, un manomètre peut-être, qui va le laisser perplexe ; une petite partie d'un bateau de croisière avec ses hublots intacts, ou de la vénérée Calypso et sa sirène poursuivant un dauphin jusqu'à la fin des temps ou encore du Nautilus ; des planches d'un bateau, le "Dz31"  pointées sur des traverses avec des clous énormes, et conservant un morceau de cordage ; un fragment de carlingue sur lequel l'artiste a fait une déclaration philosophique : "NOT WAR" (pas la guerre)… Tout cela  par endroits décoloré, ponctuellement couvert de traînées de pluie, taché de rouille générant des effets de reliefs, des nuances de matières et de couleurs, des fractures du bois ressemblant à des sortes de chancres…

 

          Ce visiteur pourrait continuer longtemps encore l'énumération des "souvenirs", rencontres de hasard de Jacques Engleraud avec ces choses égarées, perdues ou délaissées, dont il ignore sans doute le légitime propriétaire, mais qu'il a faites siennes ; dont il a fait des supports de mémoire ; des témoignages à la fois maritimes ou aériens de fragments qu'il a peut-être croisés lorsqu'ils étaient neufs et pimpants, et qu'il  naviguait de par le monde ? 

Jeanine RIVAIS

 

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FOUGERE PHILIPPE : 

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : "Art brut et outsider, Singulier, Meysse 2016.

 

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LES ETRES HOMOMORPHES DE LUCIE GAMACHE

 

          Omniprésents sont les “humains” dans l'œuvre de Lucie Gamache : tantôt presque réalistes,  cheveux crépus, gros nez et gros yeux ronds, mais  la tête hypertrophiée ; tantôt figure rustaude et coiffure à chéchia, mais pieds soudés ; où encore fillette à profil de Bécassine !   Tantôt l'air d'avoir été conçus à partir de branches torses ou de ceps de vignes particulièrement noueux. Ceux-là, si la volonté de l'artiste est bien de les faire humanoïdes, ils sont néanmoins bizarres (!!) : Et ce sont des gymnastes assurément : L'un, le plus "normal", cheveux au vent, torse balancé vers l'avant, cuisses nettement ciselées, une jambe solide au sol, lance la seconde en arrière comme s'élançant pour taper dans un ballon ; un autre coiffé d'un très militaire képi, chevauche une chèvre aux longues oreilles tombantes caracolant sur ses pattes grêles ; tandis qu'à un autre encore, émule des contes cruels pour enfants, l'artiste a attribué d'une part un appendice dorsal tubulaire qui  sinue dans son dos, terminé par ce qui ressemble à une tête vipérine et, d'autre part une lourde tête de loup "en argent" bleuté, menaçant le visiteur de ses énormes crocs :  l'influence de ces derniers attributs sur la connotation de l'oeuvre consiste à faire jouer une bivalence inattendue : conjuguer l’agressivité de ces  énormes dents avec l’angélisme de ses seins menus au galbe parfait. 

 

          Il faut dire que l’humour, chaque fois, a le dessus, dans cette gémellité oppositionnelle et les libertés prises avec les anatomies. Et que chez Lucie Gamache, il y a un fourmillement d’idées, une profusion d'effets-surprises qui partent dans tous les sens, prouvant que son imagination est sans limites. Et, comme, en outre, elle sait jouer de la lumière sur les nodosités de ses protagonistes, elle témoigne  ainsi, par la naïveté inconsciente et ludique de ces fantaisies humaines d’une personnalité tout à fait optimiste  ! 

Jeanine RIVAIS

 

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LA CONQUETE DU FIL DE FER par FANNY GARRIGUE

 

          Le fil de fer recuit est un fil sans traitement. Il est mat. Il a tendance à se patiner avec le temps. Il est le plus beau pour réaliser des créations et les rendre poétiques.

 

          Combien d'heures Fanny Garrigue passe-t-elle pour réaliser chacune de ses créations ? Ne serait-ce que pour la prouesse technique, son œuvre mériterait respect et admiration. C'est assurément ce qui lui a valu le premier Prix au festival des Sarabandes. Mais ce qu'elle cherche à capter, ce n'est pas une technique toujours améliorée, c'est l'émotion qu'elle ressent face à l'envergure d'un arbre planté devant elle, à ses silhouettes féminines dansantes, à la densité de ses foules tassées (devant quelque orateur en off ?")… ; à transmettre la puissance (paradoxale vu la finesse du matériau), le dynamisme, ou au contraire le statisme insufflés à ses œuvres de métal.

          Les amateurs affirmaient naguère que les petits objets de fil de fer de Calder relevaient du jeu, de l'ingéniosité et de la jubilation. N'est-ce pas, apparemment, les mêmes sentiments qui animent Fanny Garrigue, d'autant que ses réalisations relèvent à la fois du dessin au trait et de la sculpture ; et que le mouvement, le calme, l’équilibre, le déséquilibre, la symétrie, la dissymétrie semblent bien  les mots-clés de sa démarche.

 

     Mais le danger de telles œuvres est qu'elle deviennent, une fois exposées, des objets inanimés. Surtout que l'artiste leur donne finalement une telle densité que le visiteur  ne pense plus trop au phénomène claire-voie pour ne penser qu'à l'occupation dans l'espace ! Pour pallier cette impression, Fanny Garrigue joue de la lumière. Elle se livre alors à un long travail d'approche et de reconquête du matériau, une minutieuse recherche des jeux de clairs et d'obscurs projetés par ses créations. De sorte qu'au final, chaque sculpture aérienne donne de magnifiques effets d'ombres projetées,  au cours desquels un arbre noir devient blanc, une silhouette féminine devient transparente, etc. 

 

          Le visiteur s'interroge alors : une telle création obsessionnelle est-elle réellement et uniquement un plaisir pour son auteure ? Tous ces éléments et ces gestes répétitifs ne la troublent-ils jamais ? Cette infinie patience dont elle fait preuve n'est-elle pas une histoire sans fin ? Autant d'interrogations sans réponse définitive ! Au fond, qu'importe : Fanny Garrigue est une artiste de grand talent et regarder ses œuvres est un plaisir pour les yeux et pour le cœur ! 

Jeanine RIVAIS

 

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GUIBERT CLAUDINE : 

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : " CREATURES ET CONSTRUCTIONS DE CLAUDINE GUIBERT" :  http://jeaninerivais.jimdo.doc/   Rubrique FESTIVALS BANN'ART 2017.

Et COURT TEXTE DE JEANINE RIVAIS :http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS. BANNE MAI 2018. LIEUX ET EXPOSANTS

 

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LES THERIANTHROPES DE SARAH GUIDOIN

 

THERIANTHROPE : Un ou une thérianthrope est un dieu ou une créature mi-humain, mi-animal, et plus spécifiquement, un être humain qui se transforme en animal et vice versa, tel que le loup-garou par exemple.

 

          "Il était une fois…". Ainsi pourrait commencer l'aventure de Sarah Guidoin. A en juger par le nom donné à ses créatures, elle semble, en effet, appartenir aux artistes qui, depuis la nuit des temps, tentent de reproduire les animaux s’éveillant en eux dès que leur raison sommeille et qui hantent leurs rêves les plus fous ; et pour qui, dans toutes les formes d’art, les créatures fabuleuses ont été une puissante source d’inspiration. C'est pourquoi, le spectateur s'attendrait à rencontrer licornes, dragons, loups-garous et autres vouivres ou salamandres… Auxquels il pourrait, selon sa subjectivité, prêter tour à tour des caractères rassurants ou amusants, leur imputer inquiétude ou malheur …

          Or, rien de tel chez Sarah Guidoin qui, (pétrissant plâtre, papier mâché, tissu), ne présente les êtres qu'elle appelle ses "thérianthropes" que sous leur forme humaine ! Au mieux (ou au pire !) les accompagne-t-elle de quelque hibou dont la petite tête se dresse entre une aile et une main, posé sur l'épaule d'une belle jeune fille aux yeux hardis, tandis qu'une tête de renard émerge de sa chemise ; ou d'un petit lapin pointant son bec (!) hors de la poche de la robe surbrodée d'une autre jeune femme ; ou encore d'un oiseau posé sur l'échine d'un personnage androgyne dont le haut de la tête disparaît sous un bonnet à bec et longues oreilles, etc. Parfois tout de même, une tête aux traits fins émerge d'un arbre sur le tronc duquel sinuent d'étranges tiges, (tel le lierre courant sur quelque vieil arbre), tandis que le cimier est constitué de branches largement écartées, terminées par des sortes de pinces ; d'autres fois, de petits personnages, apparemment surveillant un corbeau, regardent le visiteur, de leur tête de chat ou de chien ; un gentil Nounours étale ses ailes de part et d'autre de sa tête couronnée… 

 

          Il faut donc faire confiance à l'artiste, et croire que, par quelque sombre nuit… D'autant que, si la littérature et les films ne prêtent l'étrange pouvoir de mutation qu'à des hommes, il semble bien, curieux paradoxe, que les personnages de Sarah Guidoin ne soient que féminins ! 

          Jeunes femmes aux visages étranges, il est vrai. A cause des yeux, en fait ! Sans iris, la pupille noire toujours emplissant le globe oculaire ; aux pupilles gonflées tout autour, mais dépourvues de cils ; des sortes de fines dentelures pendant des coins, telles de longues larmes. Les cheveux la plupart du temps absents sont remplacés par de fines dentelles/coiffes ; le reste du visage blanc maquillé de rose ne présente aucune anomalie, sauf à trouver bizarre qu'un hibou soit posé sur une tête, des sortes de cornes sur une autre…

          Quant aux anatomies, elles sont totalement blanches et que de beautés sur leurs vêtements strictement ajustés ! Car l'artiste est passée maîtresse dans l'art de conjuguer ses broderies, des dentelles à l'évidence anciennes, arachnéennes parfois. Travail infiniment précieux, qui donne envie de poser la main sur les jeux de brillances et de matités ainsi créés. 

 

          Présentées, en pied, en tronc ou carrément en buste, les petites merveilles de Sarah Guidoin laissent dubitatif le visiteur qui se demande si des êtres féminins aussi longuement ouvragés pourraient réellement se changer en quelque féroce animal ? Ou même en gentil animal domestique ou familier ? Doit-il, pour autant, demander "à voir" ? Ne vaut-il pas mieux, pour lui, admirer cette sorte d’ethnographie si particulière, et  repartir la tête pleine des belles œuvres sur lesquelles il vient de s'enthousiasmer ?

 Jeanine RIVAIS

 

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POUR LES NON-RIVERAINS DE LA MER : "Pinsé" est le mot breton pour "pensé"  qui signifie naufrage. Par extension, tout ce qui vient de la mer sur l'estran (zone intertidale ou replat de marée : partie du littoral située entre les limites extrêmes des plus hautes et des plus basses marées.

Pinseyeur : Ramasseur d'épaves. Par extension, artiste qui utilise ces matériaux pour créer ses oeuvres

PEINTRE ET PINSEYEUSE,

ODILE KAYSER ET SES "CREATURES"

 

     En d'autres lieux, il serait dit qu'Odile Kayser est récupératrice, mais comme l'essentiel de ses glanes se situe au bord de la mer, la voilà pinseyeuse !  Et ses sculptures sont en fait des assemblages réalisés avec des matériaux divers, bois, ferrailles, pierres, plastiques, mais pour qu'ils l'intéressent, il faut qu'ils soient burinés par le temps, érodés par les marées. C'est alors que son imaginaire se met en branle et qu'apparaissent de bien étranges animaux ! 

          Tous sont quadrupèdes, mais si les uns se servent de cette quadrupédie, d'autres tels des humains s'étant relevés, ne marchent que sur deux pattes ; à moins que, devenus bipèdes, ils n'aient besoin d'un appendice ventral pour les maintenir en équilibre !! Mais quelle que soit leur avancée dans la civilisation animale, il n'y a chez la plupart, aucune recherche dans la conception des pattes : des bâtons tels que récupérés : bien raides ; filiformes parfois à la manière des oiseaux ; disparates sur une même créature,  au gré des découvertes de l'artiste ! Et pour celles qui sont devenues des bras, elles sont si souvent en croix que le visiteur se demande à quoi elles peuvent servir ?... 

          La tête semble dans le prolongement direct du corps, sans rétrécissement pour le cou. Et elle est soit minuscule par rapport au corps, à la manière d'une tête de belette ; soit dotée d'un bec, comme un corbeau ; soit énorme, ursidée, pisciforme  ou chevaline ! 

          Quant au corps, il est tubulaire ou à peu près ; entouré de cordes, ou couvert de morceaux d'étoffes effrangées pour le pelage et pourquoi pas de vraies plumes figurant ailes et queue ? 

          A ces formes, dont la teinte varie selon le matériau utilisé, Odile Kayser ajoute souvent une pointe de couleur, d'où l'impression d'une faune colorée, pleine de gaieté ! 

 

Mais la pinseyeuse est aussi peintre. Et là, c'est l'humain qui l'intéresse. Homme et (ou) femme. A la fois réaliste et imaginaire.  Parfois, en situation de groupe sans la moindre idée de perspective, répartis de façon aléatoire sur la toile, pris dans une multitude de subtilités, d’infimes personnages fourmillant parmi de très sobres éléments de décoration ; isolés de leurs voisins par une couche de peinture non-signifiante, comme il y a des milliers d'années, les membres Cro-Magnon cohabitaient dans la caverne, chaque foyer séparé des autres uniquement par des pierres au sol !(¹) 

Mais le plus souvent, elles sont seules sur la toile immense dépourvue de châssis, battant donc au moindre souffle de vent. En grande extension telles des gymnastes. Nues toujours. D'autres fois, une femme le vêtement en léger relief, (comme si l'artiste l'avait réalisé avec de petits morceaux de papier encollé, déchirés dans quelques journaux), penchée vers l'avant, semble épier le spectateur (?) en off ! Et toujours, les personnages emplissent la toile, ne laissant aucune place à ce qui pourrait être un décor les situant socialement, historiquement, géographiquement…  pour le visiteur.

 

Ainsi, du détournement de ses glanes qu'elle s'approprie et auxquelles elle donne une seconde vie, aux peintures où elle assure la réalité de personnages malgré tout imaginaires, Odile Kayser avance-t-elle, selon son humeur, un jour dans tel état d'esprit sur une toile, un autre jour sur un animal quadrupède ou non ; attestant ainsi qu'elle aime la diversité. Avec, pour ces deux branches de son art, le souci de vagabonder dans une non-définition ! 

Jeanine RIVAIS

(¹) "Les enfants de la Terre" (Le clan de l'ours des cavernes, T.1) de Jean M. Auel.

 

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MEMOIRES PRIMITIVES 

CHEZ  ROBERT KERAMSI, sculpteur

 

          N’est-il pas symbolique que Robert Keramsi, homme grand et costaud, ne crée que des personnages à son image, grands et costauds comme lui ? 

          Dès lors, pour le spectateur, il lui faudra remonter le temps car il va côtoyer, tels les imagine l'artiste,  dans la nuit des temps, les premiers humains, rustres, nus… Ne laissant jamais rien au hasard, l'artiste s’attarde longuement à patiner d'ocre plus ou moins claire les épidermes, graver les chairs, buriner les visages, densifier à l’extrême les silhouettes toujours réalisées grandeur nature. Créant non des anatomies "esthétiques", mais des êtres dont le dépouillement, les rugosités générées par la terre ou le ciment durcis sans avoir été lissés, témoignent du primitivisme de leur existence. De cette primitivité physique et de sa connaissance du corps, l'artiste sait rendre plus vraies que vraies les attitudes des personnages : l'homme statique, posé sur ses deux jambes aux pieds solides, la femme bras croisés ou mains sur les hanches ; le visage tourné vers la voisine avec qui elle est en grande discussion ; la vieille femme serrant son châle sur son corps maigre à faire peur, comme si elle était frigorifiée… Les visages ne sont jamais souriants, ils sont fermés, perplexes, mécontents, hargneux… Les yeux regardent au loin et les chevelures courtes sont hirsutes. Ainsi, sans pour autant se vouloir hyperréaliste, la précision du moindre détail a-t-elle communiqué au fil des années à ces créations une telle véracité qu’elles apparaissent comme la quintessence de l’humanité originelle et autant d’authentiques pages d’anthropologie. 

          Car même si Robert Keramsi semble situer ses personnages hors de tous temps, tous lieux, tous contextes sociaux si ce n’est assurément qu’ils sont pauvres, ils appartiennent néanmoins à l’aube des temps : Temps où la pudeur n’existant pas, un homme peut avoir le ventre bedonnant sous lequel pend sans vergogne son pénis ; une femme peut s’asseoir jambes écartées, des enfants s’endormir nus. Et temps, pour l'artiste, où chaque personnage correspond à la "fonction" qu'intuitivement le visiteur va lui attribuer : L'homme fort, très sexué, parce que son rôle sera d'assurer la descendance (d'ailleurs, sur certains dessins, il semble bien qu'il abuse de sa force et soit en train de violer la femme ?!). Quant à celle-ci, ses hanches larges rappellent la nécessité primale de procréer, protéger le fœtus, porter l'enfant. A l'évidence, pour les être conçus par Robert Keramsi, n’existe que le présent, l’immédiateté. 

 

         Vivant assurément en des temps plus récents et "civilisés", les personnages dessinés réduits au visage, sont présentés à la manière du visage du Christ posé sur un suaire ! Mais là encore, la vie ne semble pas leur sourire, à en juger par leurs bouches aux commissures descendantes et aux rides profondes qui les rejoignent, et par leurs yeux brillants, fixes, méchants… Quant au couple évoqué plus haut, les personnages ne sont que linéarisés ; mais à en juger par le visage démoniaque de l'homme et celui terrorisé de la femme, dont la main repousse l'épaule masculine, le moins que puisse dire le visiteur, c'est qu'aucune complicité n'existe dans ce "couple" ! 

 

          Il n'empêche, dessins ou sculptures, tous témoignent d'un poids de vie d'une présence et d'une intensité très forte. Parlant de Rebeyrolle, Sartre avait écrit : "Ne peindra-t-il donc que des toiles de colère" ? Ne pourrait-on dire de Robert Keramsi : "Outre son immense talent, par quelle magie ne crée-t-il donc que des êtres de chair si "puissants", qu’il semble aller au-delà de sa propre réalité, pour explorer sans trêve les arcanes de leurs rêves, et de leur poésie ?"  

Jeanine Rivais

 

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LES PETITS CIRQUES ET AUTRES AMOURS DE LA DJO

 

          Ce sont bien des peintures, mais les protagonistes y dansent, sautent, gesticulent,  l'un caracole sur un zèbre, une autre dont la chevelure est en feu, jongle avec des flammes ; une plongeuse nage parmi des requins… On pourrait ainsi à l'infini, énumérer les "numéros" effectués par les artistes du cirque de La Djo ! 

          C'est que cette artiste les connaît sur le bout des ongles, ces numéros ! Mais il ne s'agit pas de n'importe quel cirque, c'est celui des complicités, de la confiance, celui où l'on s'aime, et cela se voit à la façon dont la dompteuse s'allonge voluptueusement sous les pattes de la panthère en extension, dont les équilibristes s'embrassent à bouche que veux-tu au milieu des nuages, où les clowns féminin et masculin se caressent entre deux gags…  Bref, dans le cirque de La Djo, on se chérit, on se bécote, on se serre… et elle sait –comme en vrai- transcoder la finesse, l’intelligence, la convivialité d’artistes dont chaque mot doit déclencher le rire, chaque geste faire palpiter les cœurs, chaque salut générer le rêve ! Un cirque dont le spectateur perçoit immédiatement l’intimité et la suggestivité gestuelle. Car son œuvre picturale s’attache non pas à "décrire" un contexte, cadrer un environnement aussi pittoresque soit-il ; mais à traduire la fluidité d’un déplacement, le petit geste de l’instant, la stature liée à la définition d’un rôle. Cette artiste passionnée s’est faite la mémoire du cirque, sachant choisir les couleurs susceptibles de mettre en valeur chaque volte, chaque pirouette… faisant de son monde imaginaire, à la fois grave et ludique, une création plus vraie que vraie.

 

     Mais La Djo, ce sont aussi des sculptures. Et là, plus encore peut-être que pour les peintures, il serait évident (¹), même si on ne connaissait pas son nom, que ces créations fluides, naïves, pittoresques et pleines d'humour, sont typiquement féminines ! Qu'il s'agisse du joueur de clairon tendu, souple comme une liane, lançant vers le chapiteau les accents déchirants de ses airs de jazz ; ou le petit couple ou la contorsionniste serrés dans le corps d'un étui à violon, sa tendresse jaillit de la glaise ou du papier mâché peut-être, car elle sait avec sa sensibilité mettre en lumière ses personnages placés parfois dans les situations les plus burlesques ! Et, dès que son esprit "tient" le caractère spécifique de tel personnage, la quintessence de telle attitude… vite, la main pétrit le matériau, traduisant le bouleversement qu’elle a ressenti.

 

         Une oeuvre sympathique, curieuse et fascinante, réalisée par une artiste hors-les-normes d'une  incontestable sincérité ! N’y a-t-il pas là un beau conte dont la fée serait cette jeune femme au cœur et à l’esprit pleins d'équilibristes  et de délicieuses fantasmagories ?

Jeanine RIVAIS

(¹)N'en déplaise à ceux qui excluent qu'il existe une peinture typiquement féminine ou masculine ! 

 

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LIBERTINAGE ET EROTISME CHEZ SOPHIE LARONDE

 

          Ainsi que l'écrivirent quatre étudiantes en art, à propos de l'érotisme en peinture, "souvent teintée d'un érotisme plus ou moins latent, l'iconographie de la nudité féminine est un vaste domaine de l'Histoire de l'art. Le XIXe siècle, ère de la "Modernité" définie par Baudelaire dans "Le peintre de la vie moderne" (1863), est un temps où les artistes vont progressivement s'affranchir des normes académiques alors imposées. Ainsi, c'est dans une Europe hypocritement moraliste, que leur créativité trouve par divers détours, un nouveau souffle stylistique et thématique, emprunt d'un érotisme plus ou moins masqué. La question de la nudité féminine est alors au cœur des préoccupations artistiques, et le corps féminin se voit décliné sous toutes ses formes : de la Sublime à l'Impure. Corps révélés, en mouvement, voilés, dévoilés, voluptueux, mais aussi fracturés, torturés, mystifiés, et rêvés..."

 

          Cette dernière phrase semble convenir parfaitement aux œuvres de Sophie Laronde. Des oeuvres dont la préoccupation principale est la femme, le corps de la femme ; comme s’il constituait à lui seul l’identité de son être terrestre. Nue la plupart du temps, elle présente un galbe idéal aux longues lignes souples, aux seins idéalement modelés. Et, peintures ou dessins, verticaux ou horizontaux, l'artiste la propose au centre du tableau, et ses corps ne se soucient jamais d'ordre, de beauté, de symétrie : Anatomies chaotiques, en somme, images éclatées.

 

          Quelle que soit sa situation, la femme semble entièrement assujettie à ce corps : tantôt, faite de dentelle florale étrange, dont la délicatesse, l’élégance laissent pressentir l'attitude scabreuse dans laquelle elle se présente ; tantôt, véritable fleur ouverte, assise, les deux jambes écartées, dévoilant son sexe-pétale aux lèvres bordées de fleurs, sa peau n’est alors qu’enchevêtrements, entrelacs de fleurs. Elle est là, complètement offerte, penchée vers son sexe, ses longs cheveux tombant de part et d'autre de ses seins menus, dardés ; son visage exprimant un ravissement ; tous signes qui disent qu’elle est prête pour l’amour. Parallèlement, elle est de dos enfouie dans un lit de fleurs ; seules sont visibles ses fesses largement écartées par un sexe dont le propriétaire est dissimulé sous la végétation (car l'homme n'apparaît jamais dans le monde de l'artiste). Ses cuisses lourdes sont serrées par l'élastique noir de ses bas résille, et dans tout le gris du tableau, seules ses chaussures à talons immenses sont d'un rouge-sang ! Ailleurs, plaqué sur un tondo façon broderie ancienne, son corps, renversé en arrière, semble participer à quelque bacchanale endiablée, danse de possession, peut-être, au cours de laquelle elle devient une sorte de poupée disloquée, sa tête absente remplacée par le gland turgescent d'un pénis d'où jaillit une semence dorée qui retombe au-dessus d'elle à la manière d'un bouquet ! 

 

     Comment expliquer cette monomanie obsessionnelle de Sophie Laronde, cette façon de dire que son esprit est entièrement tourné vers des scènes érotiques -vécues ou simplement rêvées, mais quelle importance ?- Et est-ce parce que la blancheur de la toile n’a pour elle aucun attrait, qu'elle représente même un espace autoritaire, une présence inquiétante qui paralyse tout élan créateur, qu'elle recouvre presque chaque support d’un fond d'un noir absolu; ou de gris, de bleu-nuit, tout pourvu qu'il soit sombre , s'interdisant tous jeux de lumière sur ses scènes. Ainsi, sur cette noirceur, peut-elle poser son image dessinée la plupart du temps, parfois peinte voire gravée. 

          Tellement prolifique et créative sur ce thème du libertinage, de l'érotisme le plus débridé, le plus libre, comment Sophie Laronde vit-elle cette sorte de soumission de son esprit aux fantasmes qui, apparemment, viennent la hanter ? Ses fantasmagories les plus folles ne l’entraînaient-elles pas en des rêves cauchemardesques ou d’effrayantes réminiscences de vies perturbées ? Toujours est-il que la femme récurrente dans ses œuvres doit traverser de bien dures épreuves : elle est, tête renversée, appuyée sur une planche pseudo-anatomique. Elle est, réduite à un œil aux cils tendus par le mascara, le creuset d'où s'échappent des serpents. Elle est, sur fond de rideau de théâtre, allongée, le visage dissimulé sous un masque de carnaval vénitien, les jambes tronquées, l'une d'elle terminée par un crochet menaçant. Elle est, tête masculine, cernée dans le cadre étouffant de végétations inextricables aux lourdes fleurs vénéneuses, menacée –encore- par un énorme serpent… Elle est… Elle est… 

 

          Comment alors, après un abord qui ne semblait que provocateur, un tantinet humoristique, comment, donc, au vu de ces œuvres si dramatiques, si psychanalytiquement violentes ; de ces "récits" picturaux si introvertis, ne pas imaginer l'artiste, penchée sur sa feuille, réalisant jour après jour ce travail aussi infiniment précieux que les dentelles qui y reviennent si souvent ; tentant de "rendre compte" en une sorte de journal où le dessin aurait remplacé l’écriture ; refusant par tous les moyens son mal-être… L'artiste Sophie Laronde, joviale, exubérante, aux accents gouailleurs, humoristiques, tentant de protéger la femme Sophie Laronde, d'exorciser ses démons par son art pictural sombre et torturé.

Jeanine RIVAIS 

 

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L'HENAFF FABRICE : 

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "FABRICE L'HENAFF ET SES PERSONNAGES "PAR DEUX'" : http://jeaninerivais.jimdo.doc/   Rubrique FESTIVALS BANN'ART 2017.

 

 

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DENTELLE OU REALISME CHEZ CAROLINE MC AVOY ?

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     Il semble bien y avoir deux sortes de créations, d'apparence très contradictoire, chez Caroline Mc Avoy : l'une composée de fines dentelles quasi-aériennes,  l'autre constituée de personnages massifs, presque réalistes. Et qu'elle passe avec bonheur de l'une à l'autre ! Par ailleurs, par ce truchement, elle semble appartenir à ces créateurs férus de méthodes ancestrales qui essaient de garder à leurs œuvres une connotation ancienne !

 

         Sculptrice, donc, sur  métal, Caroline Mc Avoy glane peut-être son (ses) matériau(x), cherchant les éléments souples comme des lianes, les coupant, soudant, affilant, faisant se côtoyer le plein et le vide, le massif et la dentelle. Si fins sont les entrelacs, croisements, vrilles et autres embrouillamini soutenus par des  baguettes flexibles ou des tiges métalliques, suspendus, à cheval, disposés à la manière des rosaces, toiles d'araignées envahissant quelque chaise oubliée… ces lacis jouant de l'ombre et la lumière invitent au rêve le spectateur sidéré par la patience impliquée par ce travail, la sûreté des harmonies ainsi créées, la présence  et l'originalité de ces œuvres qui, bien que naissant d’accumulations, d’entrecroisements et de nœuds de fibrilles, ne sont pourtant que légèreté et formes vaporeuses. Des œuvres qui, outre qu'elles relèvent de la technique pure, sont porteuses de la psychologie de l'Art singulier

 

           Et puis, mystère, le paradoxe par lequel Caroline Mc Avoy propose des êtres statiques. Des personnages lourds, massifs, visages et silhouettes intemporels, masques de tous les âges, sans aucune définition sociale, à la fois fantasmes et obsessions d’une sombre réalité  reflétant peut-être les états d’âme ou les angoisses de l’artiste ? Conçus, en tout cas, à l’image de la vie, dans cette zone d’ombre un peu mythique, entre deux états aux frontières mal définies, de la condition humaine ; sortes de gens d'églises ou mendiants en posture de suppliques, voire visages mythologiques, peut-être. Donnant néanmoins une impression de mouvement. Là encore s’impose à l’évidence une relation intime entre surfaces, volumes et espace investi par la sculpture ; chaque relief prend, sous sa main, des courbures vives et aiguës, à la fois sobres et hardies ; chaque anfractuosité multiplie les variations de la lumière, donnant à ses anatomies une connotation poétique. Et finalement, à travers cette recherche formelle, cet aspect esthétique, cette sorte d'Expressionnisme rituel s'appliquant à ces personnages à la fois tassés sur eux-mêmes et lancés spontanément à l’assaut de la vie, constitue une mythologie personnelle et génère un art sensible issu d'un esprit profondément humain. 

 

          Alors, contradictoire, l’oeuvre de Caroline Mc Avoy ? Paradoxe entre cette recherche esthétique de ferronnière et ce  chant poétique et imagé, relié à toutes les cultures du monde ? Il est pourtant, de l’un à l'autre, un indéniable lien : lyrisme ou silence, liberté ou témoignage, la recherche de l’absolu! 

Jeanine RIVAIS

 

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LES PIERRES PARLANTES

VIDEOS DE TRISHA McCRAE

 

          Pile et face : Trisha McCrae propose, avec ses vidéos, deux possibilités de la (de SA ?) vie.  

      Deux possibilités séparées par une infranchissable barrière, des pierres, donc, comme celles qui sépareraient deux clans ennemis : une montagne très symbolique constituée de cinq sculptures accolées. Barrière infranchissable, de chaque côté de laquelle elle propose des tranches de vies.

 

           Côté pile, se déroulent des vies calmes, des vies de femmes dans leurs activités familières s'écoulant dans ce qui est apparemment leur maison. Elles déambulent, montent et descendent un escalier, croisent d'autres femmes… Toutefois, elles ne sourient jamais. Que se passe-t-il donc, dans leur for intérieur ? Sont-elles si concentrées sur leurs occupations que leur visage reflète cette concentration ?  Est-ce la solitude qui leur confère ce visage fermé ? Aucun arrière-plan, aucun décor ne permet de répondre, car les personnages se déplacent et agissent toujours en gros plan évoluant sur la montagne. Tout se passe comme si une sorte de fil d’Ariane menait le spectateur de l’image à l'artiste ; comme s'il était le reflet de variations filmées sur le thème passionné peut-être, quotidien assurément ; souple, il impliquerait une démarche sinueuse allant de l’humour à l’enfermement, du bonheur à la tristesse ; linéaire, il symboliserait la vie de funambule, les incertitudes de la créatrice.

          Côté face, toutes les "scènes", (épisodes dramatiques de vies gâchées ?) sont vues par le spectateur à travers le trou d'une serrure. Là, se noue ou se dénoue apparemment le drame : des femmes courent, éperdues, échevelées. Des bras aux poings fermés se lèvent, plein écran. Des visages terrifiés emplissent l'espace. Des têtes jaillissent, hypertrophiées dans lesquelles seuls sont visibles les grands yeux sans paupières... C’est une épreuve psychologique pour le spectateur appelé à s'immiscer dans cette dramaturgie ; d'où son investissement outragé et ce sentiment de regret impuissant.

 

          Car, entre les deux, se dresse la montagne, tantôt éclairée, tantôt noire, imperturbable ! La matière que l'artiste nomme "Les Pierres parlantes". Paradoxalement. Car si elles parlent, que disent-elles, puisqu'elles se dressent, indifférentes, indestructibles entre les deux possibilités de cette vie de chair terriblement fragile ?

 

          Alors, après avoir visionné cette vidéo de Trisha McCrae, de multiples questions se posent : Pourquoi un monde exclusivement féminin ? Pourquoi tant de drame(s) récurrent(s) ? Y a-t-il bien deux possibilités sur deux facettes ?  Ou bien est-ce parce qu'à un moment donné les femmes côté pile ont vécu ce qui se passe côté face et que, désormais, bien qu'elles connaissent un monde plus serein, elles sont incapables de retrouver le sourire ? L'artiste ne propose aucune clef à ces questionnements. En possède-t-elle une, elle-même ? 

 

          Mais une chose est sûre : dans notre époque féroce, où l'autoritarisme et le sexisme jouent un rôle si violent, où tous les deux jours, les médias rendent compte d'un nouveau féminicide, d'une nouvelle mort de femme violentée par son compagnon actuel ou ex, ces images de la vidéo de Trisha McCrae prennent par leur gravité tout leur sens à la fois universel et ultra-contemporain.

Jeanine RIVAIS

 

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CHERCHEZ L'INTRUS CHEZ RAPHAËL MALLON

 

ENTRETIEN REALISE A BANNE EN 2006 (Extrait)

JR. : Votre discours est très construit, très revendicatif, certes. Mais si je n’avais pas le discours pour le juger, j’aurais une vision personnelle de l’œuvre, sans deviner la teneur de ce discours. C’est-à-dire que vous avez laissé une place à la poésie, au fantasmagorique : une place pour que l’interlocuteur puisse, lui aussi, laisser aller son imagination

… Néanmoins, vous avez mis les titres : que disent-ils ? Font-ils redondance avec les œuvres ? Sont-ils complémentaires ?...

RM. : Ils induisent. De rentrer dans ma logique. Pourtant, je ne veux pas les imposer directement aux gens, de façon à ce qu’ils se fassent leur propre représentation. Même si, pour moi, les titres sont très précis par rapport à l’idée que j’ai en tête, je veux les laisser entrer d’eux-mêmes dans un système de pensée. 

TEXTE ECRIT EN 2002 : 

"…S’il s’autorise ainsi, sur le fond, quelques incertitudes, sur le plan formel par contre Raphaël Mallon n’accepte aucune contrainte. Il  reste d’une sobriété exemplaire ou au contraire se lance dans une débauche de couleurs presque baroque… Parfois, le "dit" laisse le visiteur dubitatif, du fait de l’absence de perspective… D’autres fois, il ajoute des éléments… lui permettant d’introduire de l’humour dans une réflexion grave ; et d’insister sur un détail qui, autrement, se serait fondu dans le reste ! …"

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          Presque deux décennies plus tard, qu'elle paraît donc sérieuse la peinture actuelle de Raphaël Mallon, avec ses couleurs tristes de bis et bruns foncés, de noirs profonds, de ciels malades ! Pour un peu, le visiteur la confondrait avec de  la peinture classique ! 

          N'était que, tout soudain, il s'aperçoit que quelque chose lui a échappé ! Il était là, devant une petite maison solitaire, toute tristounette, avec ses volets clos, son petit pré triangulaire à l'avant-plan formant le plan central du tableau ; tout autour, la rivière en crue (ou en décrue ? ) et à l'arrière, une barque toute noire se détachant devant les peupliers… tout noirs, eux aussi, entre les troncs desquels se détache le ciel bien sombre ! Toutes les lignes extrêmement simplifiées mais lourdes ; corroborant par leur raideur, la lourdeur du paysage, maison ou arbres placés derrière, bouchant l’horizon. Et, incongrue, une chèvre sur le toit, appuyée sur la cheminée ! Chacun sait que les chèvres sont capables de grimper un peu n'importe où ! Mais sur le toit ? Perplexe, ce visiteur se reporte au titre. Et la lumière (est) ! " Les chèvres étaient sur les toits. Peut-on s'imaginer la Charente sortie de son lit et les gens en barques dans les rues. J'ai donc imaginé la chèvre sur le toit après la décrue".(¹) Il tient donc son explication ! 

 

     Et, ayant la clef de l'énigme, il peut passer au tableau suivant… pour constater que, d'œuvre en œuvre, le processus est le même ! Une scène caractérisée par la couche lourde, décomposée en une application de traits épais, en aplats méticuleusement appliqués ; qui néglige l’illusion de la perspective, au profit d’un espace où tous les éléments du paysage se retrouvent agglomérés en une sorte d’intimité géographique. Et, à chaque fois, un intrus qui vient démolir sa première impression. Ainsi du "Martyre de Blandine"… référent pour lequel Raphaël Mallon a fait un véritable imbroglio : Deux bourreaux qui ressemblent plus à des satyres qu'à des hommes, l'un à genoux, l'autre chevauchant un chat, tiennent un taureau, l'un par la tête, l'autre par la queue, sous le regard d'un oiseau, et celui, inattendu, d'un poisson. En fait, c'est le taureau, tiraillé par ses "bourreaux" qui a l'air d'être la victime, car de Blandine, il n'y a point !

        Ainsi, du cabaret tenu par un cochon ; du grand crû de "Saint-Genis d'Hiersac"(²) où un corbeau et une chèvre (?) se partagent un verre de vin ; ou du "Luminantiste" (dont il doit déjà chercher la signification) (³). Le visiteur doit invariablement passer par une première impression incomplète ; trouver comment il s'est trompé, puis faire preuve d'humour et admettre qu'une fois encore il s'est laissé prendre ! 

 

Epreuve qui n'enlève rien à la qualité des œuvres car chaque tableau se présente comme ayant sa propre lumière, dont la surface peut paraître (rarement) calme et sereine, ou au contraire tourmentée d’harmonies contrariées…

Ainsi, de thème en thème, Raphaël Mallon explore-t-il son monde subconscient, enrichit-il son univers onirique ; car il s’agit bien, pour lui de recréer SON monde, humain mais non réaliste, organisé sur des incertitudes, comme il est dit plus haut,  par un artiste qui, outre celui de la couleur (couleurs sombres, certes, mais sans jamais de hiatus) possède un talent inné de la composition et de la mise en scène. Qui crée de ce fait un théâtre de la vie où se happent et se repoussent le grotesque et l’absurde ; un univers dérangeant ; une oeuvre majeure, originale, unique.

Jeanine RIVAIS

(¹) La citation n'est peut-être pas absolument exacte, le photographe l'ayant en partie coupée !

(²) Ce "crû" est en fait le nom du village où s'est, en 2019, déroulé le Festival des Sarabandes !

(³) LUMINANTISTE : Peinture d'atelier. De retour à l'atelier, poursuite des recherches. Premier portrait. Importance du papier préparé avec un enduit à l'huile.

 

VOIR AUSSI :  TEXTE DE JEANINE RIVAIS :  "LES CYCLES INFINIS DE RAPHAËL MALLON" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°71 de JANVIER 2002, Ve FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY. 

ET AUSSI ENTRETIEN : WWW.jeaninerivais.fr/PAGES/mallon.htm. 

Et : www.rivaisjeanine.com/festival/retour-sur-banne-2002/mallon-raphael.

Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS RETOUR SUR PRAZ-SYR-ARLY 2001.

Et " :  http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS. RETOUR SUR LE PRINTEMPS DES SINGULIERS 2003.

Et : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018

 

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MARGOT : 

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : "Art brut et outsider, Singulier, Meysse 2016.

 

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PEINTURES ET PORTRAITS METALLIQUES DE RICHARD METAIS

 

          "Ne sont-ils pas bizarres ? "

          _Si si, ils sont bizarres !"

          Ainsi pourrait commencer le dialogue entre deux visiteurs amusés, arrêtés devant les sculptures peintes de Richard Métais ! C'est qu'en effet, l'artiste a conservé de son travail de naguère dans la métallurgie, un savoir-faire qui lui permet de traiter à son gré des objets récupérés parce que voués à l'oubli, voire à la destruction, leur redonner une nouvelle vie, les faisant passer d'objets du quotidien à des portraits de personnages allogènes. Lesquels  sont à la fois familiers et étranges. Ils sont en acier massif, mais ils ont perdu la brutalité du matériau et de ses origines, et conquis une douceur qui attire le regard, une relation entre les formes et l'expression qui surprend.  

          "La mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer !", écrivait  Balzac. Ainsi Richard Métais fait-il vivre en pied, un penseur à la tête triangulaire penchée au-dessus d'un long cou, bouche ronde et cheveux/faucilles, yeux disparates, bras ailés et jambes pétalisées ; ou bien membres inférieurs tubulaires, corps/jupe et tête bicéphale mi-masculin, mi-féminin ; ou bien encore jambes et tronc d'un seul bloc, bras arqués de part et d'autre, à la hauteur du cou, tête encapuchonnée ne révélant qu'un œil unique… D'autres fois, il les présente en buste dépourvu de formes, mais cou orné d'une lavallière, cheveux roidement dressés au-dessus d'un visage aux yeux qui louchent, au gros nez et aux lèvres lippues ; ou bien encore, il peut ne proposer carrément que la tête, accrochée à une cimaise ou posée sur une étagère, gros yeux, gros nez, grosse bouches… Et de bien d'autres façons encore : animaliers, en Père Noël, en oiseaux, en champignons, etc. car, apparemment, l'imaginaire sculptural de Richard Métais est infini.

Mais quelle que soit la présentation, ces êtres-là sont peints. Tantôt en ayant gardé la peinture d'origine, donc usée, irrégulière, attestant que ce personnage est vieux ! Ou bien joliment agrémentée de petits signes blancs sur bleu, ou encore… là aussi, la description varie selon sa fantaisie.

 

          Fantasmagoriques également sont les peintures de Richard Métais. Et, s'il ne s'était pas déclaré autodidacte, le visiteur pourrait se demander de quels voyages fabuleux aux pays de quelles irréalités ayant charmé son enfance, il fait revenir ses personnages pour que leur rémanence soit si forte ; que leur transposition s’effectue avec une telle intensité, une telle sûreté ? Mais une chose est sûre, où qu’ils aient pu être situés dans le cosmos, il s’agissait, en tout cas de mondes aux polychromies éclatantes ; peuplés d’allochtones homomorphes aux anatomies bizarres (Tiens, elles aussi ?!) ; des mondes sans souplesse, mais paradoxalement créés dans des géométries curvilignes dont aucun angle abrupt, jamais, ne vient rompre les parallélismes, les constructions étroitement imbriquées, les ornementations involutées. Mais ces mondes étaient-ils toujours heureux, puisque certains visages sont grimaçants, commissures des lèvres descendantes ; d'autres semblent surpris, perplexes, etc.. Bref, aucun n'a l'air de rire ! 

          Et singulièrement, aucune flore ne vient agrémenter les mondes de Richard Métais. Mais par contre, leur environnement est richement ornementé : car il s'agit bien d'une longue histoire entre l’artiste et son sujet : il déploie toute son imagination pour l’orner, le piqueter d’infimes pointillés, l’agrémenter de myriades d’étoiles minuscules, le guillocher de mille petites lignes brisées ou onduleuses... le tout dans des bleu azur rayonnants, ou des bleu gris vifs,  des violets, et quelques bruns ici et là pour faire vibrer les autres couleurs.

          Ainsi, de mirages en utopies, Richard Métais est-il devenu l’auteur talentueux d’un univers fantasmatique, riche et personnalisé. Et même si, parfois, ses créatures et leurs ornements sont proches de ceux des “Rêves” aborigènes, autant en emporte le sable... vers ses propres formes primitives, issues de son imaginaire ; vers sa poésie picturale exotique, harmonieuse, souvent ludique ; en une oeuvre d’une inventivité attachante, d’une créativité qui emmène le visiteur sur les traces du Magicien d’Oz et autres pourvoyeurs de rêves en couleurs…

Jeanine RIVAIS

 

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LES ŒUVRES DE PIERRE D'EMMANUELLE MOINE

 

"C’est en taillant la pierre que l’on découvre l’esprit de la matière, sa propre mesure. La main pense et unit la pensée à la matière. C’est l’acte même du sculpteur face à un matériau dont la connaissance ne s’apprend que lentement, et réserve toujours un inattendu qu’il faudra résoudre sans pouvoir jamais rien ajouter, par seul retranchement. Il faut tailler et non blesser la pierre, trouver la solution devant l’apparition d’une veine ou d’une tache non prévue : il faut savoir lutter avec la pierre, la caresser, la polir, savoir avec angoisse comme avec joie, faire surgir la forme que l’on porte en soi, mais qu’elle peut aussi nous avoir inspiré selon sa texture, la forme même du bloc que l’on a choisi ou trouvé. » Brancusi

 

           La pierre : C'est, à l'évidence, uniquement avec elle qu'Emmanuelle Moine a envie de travailler. Parce qu'elle structure une partie de son corps, exigeant un savoir-faire, une endurance, une conviction, une sensibilité ?  Parce qu'elle est la chair minérale sous la peau organique et qu'elle l'habite ?  Parce qu'elle est lourde, dangereuse ? Parce qu'elle s'enracine dans une histoire du monde éloignée de l'échelle du temps de son quotidien ? Pour tout cela à la fois, et bien d'autres raisons encore ? 

          Une chose est sûre, c'est qu'elle sait tailler la pierre, lutter avec elle, la caresser, la polir… En extraire ici des boules, blanches, grises ou carrément noires selon le matériau qu'elle utilise. Là, des sortes de gargouilles au visage féroce, cornues parfois… Ailleurs, des corps de femmes tronqués, en granit, soit parfaitement  lisses, soit mêlant le poli du bustier serré au ciselé de la jupe froufroutante, alliant ainsi mouvement et grâce.  

         Mais, à travers ses sculptures, Emmanuelle Moine ne se contente pas de l'exploration formelle des volumes et des lignes ; ni de laisser son imagination combiner des formes qui produisent des objets plus ou moins baroques. Ses personnages sont des symboles de vie. Hiératiques, épurés au maximum, inclus dans ce qui semble être un unique trait alors que des heures ont sans doute été nécessaires, la densité du matériau faisant le reste : La pierre capte la lumière, laisse s'exprimer les ombres sur ces volumes absolument lisses, révélant la sensualité de l'œuvre qui attire irrémédiablement la main. 

          Par la pierre, elle exprime sa vision du microcosme dans lequel elle sculpte et subséquemment, du monde. Et pour elle, la terre est bien ronde, vu les multiples boules absolument parfaites qu'elle réalise ! Pour les autres créations, elles ne sont que très rarement en ronde-bosse, sauf pour les corps évoqués plus haut ! Et même dans ce cas, elles ne sont jamais janiformes (à moins qu'avec un peu d'humour, le visiteur puisse voir dans les boules si parfaitement rondes l'occasion d'affirmer que si ! ) Mais il devra admettre que toutes ses créations sont stylisées, évocatrices plutôt que cherchant le réalisme. Et il sera prêt à affirmer qu'Emmanuelle Moine sait à la perfection jouer de la lumière, de la force et la fragilité… ces contrastes définissant la plupart de ses oeuvres. Qu'elle sait passer de réalisations abstraites non signifiantes ou si peu (nuages, nageoire de baleine…) à des formes figuratives au gré de son aspiration du moment, tous ces éléments accompagnant sa démarche atypique, très personnelle, créant une invitation poétique au voyage et à l'imaginaire, un lien entre rêve et réalité.

Jeanine RIVAIS

 

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VIES ET EXOTISMES DE MOSS, peintre

 

Le parcours de Moss a subi bien des avatars, depuis son enfance où, se racontant des histoires, il les illustrait sous forme de bandes dessinées ! Puis est venu le temps de l'emprisonnement, la privation d'espace, la violence, l'impression de ne plus respirer, l'absence de couleurs que, très vite, il va compenser en se mettant à peindre : des toiles où il ne peut d'abord se dégager de l'univers carcéral. Puis la liberté peu à peu mentalement acquise, il en est venu à des œuvres étranges, très colorées, où l'action de chaque personnage en entraînait une autre jusqu'à ce que le dernier essaie d'attraper le soleil… Lequel lui tournait chaque fois le dos. Preuve que Moss courait toujours après l'impossible ! Enfin, le temps de la libération ! Mais celui aussi du déracinement, la certitude que la vie qui va suivre ne sera pas un long fleuve tranquille, qu'il va lui falloir survivre à la déception de tous les exilés  ! 

Des décennies se sont écoulées au cours desquelles le talent de Moss lui a permis de se réintégrer dans des vies harmonieuses. Des peintures encore et encore, et puis des sculptures d'aspect très brut, pour témoigner que les aspérités de l'existence ne sont pas oubliées ! Des œuvres réalisées avec des matériaux de récupération ; et des totems faits avec des traverses de chemins de fer ! Lesquelles passaient, grâce à lui de leur usage couchées à leur vie verticale, marquée par le "passage" de l'artiste. Réalisations dans lesquelles le visiteur pourrait peut-être voir symboliquement l'avancée de Moss !?

 

 

Et puis, récemment, le retour à la peinture. Très différente des œuvres précédentes en ce sens qu'il s'en est allé vers de lointains "ailleurs" et que, si elles sont toujours colorées, l'artiste fait désormais preuve d'une parcimonie dans les teintes, certaines toiles étant presque monochromes.  Et puis le foisonnement ! Passant une série de moulins à vent fantaisistes, Moss a adopté des formats d'oriflammes proposant de toutes petites plages parfois carrément juxtaposées, comme celle intitulée "Texas Paris" qui semble un résumé du film "Paris Texas" de Wim Wenders, puisque le visiteur peut tout y retrouver, depuis le protagoniste barbu, casquette américaine, marchant sur les rails, dans le désert… la voiture à bout de souffle devant un motel délabré… jusqu'à Jane sa compagne pendant longtemps… Mais le découpage n'est pas toujours aussi évident ! Et les "plages" sont d'autres fois tellement imbriquées les unes dans les autres qu'il est impossible d'affirmer si les musiciennes à demi-nues en haut du tableau jouent pour les spectateurs à leurs pieds, ou pour l'enfilade qui descend à droite, ou pour l'infirmier qui regarde derrière lui au lieu de regarder ses instruments tandis qu'une femme refuse de répondre aux avances d'un bellâtre moustachu qui la drague etc. Ailleurs, dans une œuvre intitulée "Cross Road Blues" ("le Blues à la croisée des routes"), où des instruments de musique se baladent ici et là, où les têtes des personnages (les jazzmen ?) sont toutes résolument noires, se déroulent de minuscules petites scènes "entre blancs" : conciliabules, bagarres, une femme sagement vêtue d'une jupe plissée semble très attentive (à la musique ? ) ; une autre descend d'une barque,  vêtue comme dans ces films américains où les beaux Clark Gable, Robert Taylor… vont dessaler les petites bourgeoises Ava Garner, Donna Reed, Grace Kelly, etc., tandis qu'une voiture style Al Capone traverse le bas du tableau. 

          Ainsi ce spectateur pourrait-il à l'infini "voyager" dans l'Amérique profonde, dans les marchés aux esclaves, les villages ou les lupanars d'Afrique noire, (Moss ayant alors retrouvé l'entièreté du support) ;  où il a vécu d'étranges aventures et réalise maintenant des scènes –vécues ou imaginaires- de "là-bas". En même temps, coupé sans doute pour toujours de ces racines exotiques qu'il s'est forgées au cours de longues années, il "raconte" les impressions recueillies au fil de ses séjours dans ces environnements… Mêlant réminiscences, culture et réactions après-coup. 

 

          Victor Segalen écrivait : "L'exotisme, c'est d'abord une catégorie de la sensibilité qui permet de "percevoir le divers". Et l'exotisme, c'est l'art, subtil, d'accéder à l'autre". N'est-ce pas ce qu'applique Moss tout au long de cette démarche nouvelle ? Et tous ces mondes ne forment-ils pas autour de lui une nébuleuse qui garde son esprit en ébullition ? En même temps, racontant picturalement ses aventures, ne parle-t-il pas de lui, ne suggère-t-il pas que subsistent quelques nostalgies ? Mais, finalement, à travers cet imbroglio d'univers ne s'est-il pas dégagé de naguère, du temps où il courait pour attraper le soleil ?

Jeanine RIVAIS

VOIR AUSSI : ENTRETIEN DE JEANINE RIVAIS AVEC  MOSS : http://jeaninerivais.fr Rubrique COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS BANNE 2007.

 

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PEINTURES ET/OU COLLAGES DE NABARUS

 

          Le collage a reçu ses lettres de noblesse avec les Surréalistes, les Dadaïstes, etc. C'est, "la noble conquête de l'irrationnel ; l'accouplement de deux réalités en apparence irréconciliables sur un plan qui ne semble pas leur convenir" (¹). Les collages de Nabarus insèrent portraits, groupes de personnages, maisons, etc. dans des fonds longuement travaillés, souvent avec des procédés semblant emmener la scène vers les siècles passés, faisant jouer subtilement les rythmes ainsi générés et les harmonies de couleurs à dominantes rouge et noire. 

          Pour autant, est-il, regardant une œuvre de cette artiste, possible d'affirmer :"Ceci est une peinture", et "Ceci est un collage" ? Il semble bien que non, et y tient-elle vraiment ? Là encore la réponse est normande puisque Nabarus souligne certains de ses collages par l'affirmation "acrylique et technique mixte", ou bien "Peinture, collage et gravure"… ! 

          Alors, pour un visiteur qui s'entêterait à vouloir faire le distinguo, quand peut-il dire "Voici un collage" ? Raisonnablement, lorsqu'elle propose ses châteaux, maisons, villages et autres compositions urbaines, toujours de guingois, véritables défis à la géométrie. Dans leur cas, l'œil peut percevoir les formes quasi-géométriques (le "quasi" impliquant le gré de l'artiste qui disait dans un entretien : "Il y a un point commun à tout mon travail : je me laisse guider par ce que j'ai dans les mains. Du coup, il va y avoir tout plein de propositions et de solutions. Je n'impose pas à la matière !") quasi-géométriques, donc, composées à partir d'illustrations de journaux ou photographies et collées sans souci de réalisme… générant ainsi l'illusion et l'erreur. 

          Quant à la peinture, elle est plus narrative ; et, géographiquement, une grande place est laissée au fond, sur lequel se détachent des personnages à la Goya ou Vélasquez. A moins qu'ici, il ne s'agisse de femmes bretonnes en costumes et coiffes d'antan, entassées dans une barque vétuste ; là d'une Japonaise amorçant une courbette, etc. Mais comment être sûr qu'avec le savoir-faire qui la caractérise, elle n'a pas glissé ici ou là une chevelure sophistiquée, une robe froufroutante, puisqu'elle affirmait encore : "C'est justement la mixité de ces deux éléments qui fait vibrer le tableau. L'un et l'autre se parlent, et se répondent bien. Dans les tableaux où il n'y a pas de collages, l'effet n'est pas le même !" Et si, comme l'écrivait Aragon, le collage a été inventé comme défi à la peinture, alors assurément, Nabarus l'a bien relevé pour faire de ces deux éléments un tout indissoluble. 

    Car, à l'instar des artistes d'Art-Récup", elle a, telle une alchimiste, conquis l'art de transformer le plomb en or, convertir les fragments de détritus de la société urbaine et industrielle illustrés, ayant même gardé les écritures, en matériaux dont chacun s'impose par rapport au précédent ; leur donner ainsi une vie nouvelle. C'est, comme l'écrit François Liénard, que l'"on peut tout faire dire à des images : un torturé de Francis Bacon peut parler le langage de Mondrian, un notable de Van Eyck se travestir de dessous féminins, un soldat au glaive géant  percer les nuages de la fatalité. Car coller c’est jouer avec les choses, les gens, les temps, les mêler… "Faire croire que" est la magie du collage. Que ce soit bien composé avec de jolies couleurs est important mais annexe".

 

          C'est ce que fait Nabarus depuis des années. Et ce qu'elle nous propose nous enchante, sa fantaisie nous entraîne dans ses rêves… Elle a su  briser  les codes esthétiques et les normes artistiques archaïques afin d’inventer un langage pictural propre, au profit de la mise en avant d’une iconographie populaire. Et, comme tous les collagistes qui l'ont précédée, elle  a trouvé dans le collage un moyen de créer une œuvre unique, fascinante, qui n'est jamais la même, dont l'image change selon l’envie de celui ou de celle qui la regarde.

Jeanine RIVAIS 

 (¹) Max Ernst.

VOIR AUSSI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : Banne 2012.

 

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DOUCEUR ET SERENITE

CHEZ NAM T

 

          Depuis qu'elle peint, il est sûr que Nam T a délibérément ignoré tout de l'angle droit, voire de tout contour qui pourrait générer une quelconque dureté. En attestaient naguère ses personnages aux rebords rudimentaires, en lévitation dans des fonds constitués d'agglomérats abstraits, avec des endroits très travaillés, et à côté, des surfaces de repos. Car, à l'évidence, l'artiste, depuis toujours, aime les "histoires" statiques. Elle passe et revient à larges coups de pinceau sur ses décors intimistes, s’y “promène” comme si, fantaisiste et chaleureuse, elle prenait plaisir à cette familiarité avec les personnages qu'elle met en scène. 

          Et toujours, ils révèlent une grande tendresse avec beaucoup de douceur, des mouvements calmes et sereins. Par contre, placés côte à côte,  ils ont désormais conquis leur place au sol et chaque individu ou chaque "famille" (père, mère, enfant) regarde droit vers le spectateur en off. Si le père n'est pas là, mère et enfant prennent leurs aises, étendus sur un canapé, un verre opportunément placé sur le bras du siège, une bouteille à proximité : le bonheur du farniente, en somme ! Et puis, elle sait faire se découper à contre-jour un groupe familial, retrouvant des chatoiements sur des vêtements pourtant sans nuances et sans élaboration ! Car, vu qu'apparemment elle peint “de mémoire” et assurément d'imagination, Nam T donne à ses personnages, des airs inachevés, des visages non élaborés, simplement suggérés, rappelant qu’elle ne traduit alors que des impressions rémanentes, entrecoupées de sensations oubliées !

          Ainsi, tour à tour, passe-t-elle de la vie à l’immobilisme, de la légèreté à une concentration paisible, attestant du droit hautement revendiqué d’exprimer l’un ou l’autre au gré de sa fantaisie. Le tout, sur des fonds très ornementés, très fouillés, dans de belles couleurs allant des bis aux bleu-gris, sans jamais de noir absolu, où se glisse parfois une plage de rouge adouci. 

 

          Créant ainsi un univers poétique, un peu nostalgique en rupture avec l'espace "réel", pour le plaisir renouvelé du spectateur qui devant ces ambiances oniriques, retrouve son âme d'enfant, repart les yeux pleins de rêves et au cœur une pointe de mélancolie.

Jeanine RIVAIS

 

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PAUVAREL CLAIRE : 

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : " LES FEMMES RETRO DE CLAIRE PAUVAREL" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique  FESTIVALS. BANNE SEPTEMBRE 2017 Pages des nouveaux.

 

 

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LES PAYSAGES DE CECILIA PEPPER

 

     Illustratrice de livres et de films d'animation, Cecilia Pepper est également dessinatrice de paysages. D'amorces de paysages, plutôt, parce qu'il est rare de voir un bâtiment entier, une rue, etc. Elle présente généralement ici une façade avec une tour de Notre-Dame, et de l'autre côté de ce qui semble être la Seine (mais nul frisselis de l'eau, nulle trace de courant ne le confirme), une rangée de boîtes de bouquinistes fermées, devant lesquelles se dresse un arbre mort ; l'arrondi d'un immeuble cornier et la demi-ramure d'un arbre feuillu ; l'amorce d'une rue dont les maisons face à face sont plus suggérées que dessinées ; deux tours ajourées sur fond de bâtiment géométrique, etc. 

          Paysages statiques, vides de toute présence humaine. En noir et blanc pour traduire sa beauté du monde. Comme si ce choix lui permettait de jouer des contrastes entre le trait noir et la page blanche, rendre ainsi toute la pureté du travail. Une série d'études, plutôt qu'un dessin réaliste. Des paysages représentés plus que présentés, comme le ferait un naturaliste esquissant le cadre dans lequel il a découvert une belle plante inconnue.

 

          Peut-être cette mise en situation lui permet-elle d’aborder différemment ses œuvres en couleurs ? Ces dernières, aquarellées avec de belles teintes douces sont beaucoup plus narratives. Chacune représente une tranche de vie (le tracteur au milieu du champ, le poteau de feux tricolores à l'angle de deux rues, etc.). Rendant une grande impression de calme, l'ambiance, la lumière, l'émotion semblent les vrais objectifs. Le choix de deux couleurs (vert végétal et brun) permet au visiteur de se détacher de la couleur réelle qui règne vraisemblablement sur le paysage originel, réel, qui lui vient intuitivement en tête, et le mène vers l'interprétation. Il garantit l'harmonie des œuvres de Cécilia Pepper, empreintes d'une poésie délicate.

Jeanine RIVAIS.

 

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LES DUALITES DE PERRO

 

     L'idée de dualité est vieille comme le monde ! Elle est courante en psychanalyse avec l'idée de dédoublement de personnalité. Elle s'applique tout simplement dans le langage courant, lorsqu'une personne va tour à tour de la réalité à l'utopie. Dans tous les cas, elle implique donc deux éléments perceptibles en même temps, qui vont solliciter la vue ou l'ouïe par le contraste qu'elles offrent.

       En peinture la dualité consiste généralement dans la perception de deux éléments distincts, et le jeu d'influence entre ces deux parties distinctes (la terre verte / un ciel noir) va amener l'observateur à coordonner les deux visions pour en venir à une seule : un paysage proposant la terre verte sous un ciel noir. C'est cette dualité perçue comme un ensemble qui crée la force de l'œuvre. 

          D'ailleurs, toute œuvre en peinture, n'est-elle pas duelle : le sujet et l'objet, c'est-à-dire l'histoire et la technique, la force du peintre étant d'amener l'œil à oublier la seconde pour ne voir que la première, fondre les deux pour apprécier l'oeuvre ?

 

         Il semble bien que Perro procède autrement, en juxtaposant sur un même élément des couleurs différentes, ou générant des densités différentes. Ainsi, avec sa tête de mort : le bleu dense de la mâchoire crée intuitivement l'impression que celle-ci baigne dans l'eau, d'où émergerait le crâne. Le résultat serait du même ordre pour son caïman, à demi-immergé parmi les algues dans l'eau, tandis que son arrière-train resterait sur la terre dure ? 

          Mais, même si la construction est semblable, cette juxtaposition n'est pas toujours aussi "lisible": que veut exprimer Perro en opposant (dualisant) le cou vert de son coq avec la partie avant de la tête presque réaliste, la crête et les barbillons de couleurs inhabituelles posés sur un fond non signifiant ?  En cachant, ou plutôt en ne faisant que suggérer la mâchoire de son gorille et détaillant le nez épaté et les yeux perçants ? En procédant ainsi, s'agit-il pour Perro, seulement de créer la surprise ? 

          Si tel est le cas, son propos est réussi. Car le visiteur se demande de quels mondes arrivent sa guêpe bicolore, son coq polychrome à la crête psychédélique ? etc. A moins que, comme le disait Emily Thorne, dans la série canadienne Revenge, "Tout comme il y a deux versions à chaque histoire, il y a deux versions à chaque personne. Une version que nous révélons au monde et l'autre que nous gardons cachée... Une dualité gouvernée par l'équilibre de la lumière et de l'obscurité. Chacun de nous a la capacité d'accomplir le bien et le mal mais ceux qui sont capables de brouiller la ligne de division morale détiennent le vrai pouvoir".

Jeanine RIVAIS

 

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PICAPICA (Shough Tracey) : 

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : "Art brut et outsider, Singulier, Meysse 2016.

 

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DITES-LE AVEC DES FLEURS ou HUGUES PICHERIT, peintre

 

          Parfois, un simple tableau peut être bien trompeur ! Et c'est le cas des oeuvres de Hugues Picherit qui, à un premier regard, semblent représenter des scènes surprenantes avec un "terrible" Barbe-Bleue qui amuse le visiteur, parce qu'à la main, il tient… des fleurs ; un Alien traversant le cosmos, une femme corsetée jouant aux dés, etc. Et puis de belles scènes, avec des papillons voletant autour du sujet central, des nuages enrubannés voyageant dans un ciel bleu azur et des fleurs partout ! Mais, comme certaines d'entre elles, la vérité est parfois vénéneuse ! 

          Le visiteur sur le point de se réjouir, réalise que ces éléments n'ont pas été choisis au hasard par l'artiste, mais pour leur valeur de symboles ; et le voilà repassant ses études de naguère, se souvenant que le papillon est le symbole de la métamorphose, de la transformation, du changement vers ce qu'il y a de plus élevé afin de laisser nos désirs se réaliser… Que si le chien est le compagnon de tous les jours, il est aussi le guide des âmes dans leur voyage vers le royaume des morts. Que les nuages sont le symbole de l'éphémère et de l'impermanence terrestre… 

 

     Comment Hugues Picherit interprète-t-il ces symboles dans ses œuvres ? Finalement, les fleurs ne sont présentes que dans celles où il fait œuvre réaliste, où la tête du chien est plus vraie que vraie, même si elle est bleue. Elles semblent vouloir rassurer, dire qu'il n'y a pas de danger. Néanmoins, elles ne peuvent cacher l'amorce du bras terminé par une main crochue agrippée à leurs tiges !  Et puis le chien -qui revient souvent-, énorme, emplissant presque le tableau ? Lorsqu'il est à demi-dépecé, définitivement mort donc, mais debout dans le tableau intitulé "Schizophrénie canine. La pêche", ses viscères et les os de ses membres sont reliés aux nuages qui emportent les rubans dont il était paré ! Et le visiteur aperçoit alors un détail qu'il avait négligé : de sa gueule pend -d'où le titre- un gros hameçon auquel est accroché un poisson rouge flottant au milieu des nuages. Faut-il voir là la vanité du rêve de s'envoler dans les nuages pour ne retomber, comme le poisson, que dans le sable du désert ?  Quant aux papillons, avant de s'envoler, ils sont, à côté des fleurs collées sur le pelage du chien qui hurle au loup comme celui qu'il a dans la tête et sur la patte avant, tandis que l'autre est entourée d'un serpent, que la cuisse arrière visible porte une tête d'éléphant (la part du rêve d'un "ailleurs" ? ) et que la queue arbore un poisson (dont chacun sait qu'il est un être à part, le seul à ne pas avoir été éradiqué lors du déluge. Peut-être est-ce pour cela que le peintre a voulu d'une part le perdre dans le sable du désert, et paradoxalement d'autre part le voir frétiller avec la queue du chien ?)

     Etonné, pris au dépourvu face au sens de tous ces symboles, ce visiteur se dit qu'il y perd son latin, que de multiples significations doivent lui échapper, qu'il lui faudrait être un bon psychanalyste pour déchiffrer le sens profond de ces trois œuvres ! Mais d'ores et déjà, il ressent le mal-être, l’inquiétude voire l’angoisse chez l'artiste qui les a peintes ! 

     Or, il n'est pas, et de loin, au bout de ses peines ! Car si Barbe-Bleue tient un bouquet, une épée dépasse de sa cape, ce qui ramène au conte que chacun a pu lire dans son enfance ; le coq sur le dos duquel chevauche une femme apparemment inconsciente, picore ce qui ressemble bien à des boyaux ; le cosmonaute emporté dans un tourbillon a une tête de coq, des membres/branches, un pied qui est une main humaine, l'autre un moignon métallique, et avec lui, il emporte un enfant et une tête d'enfant, une tête de loup ; la joueuse est "le jouet de/et son destin" (le sens de ce "de" "et" !) ; le petit garçon aux yeux hallucinés tient à la main  une carabine et tous ses jouets sont des armes, et le mot "Boom" dans le titre "Baby Boom" est chargé de bruit et de fureur et non du constat heureux de la multiplicité des naissances…

     Pour se remettre un peu de ses surprises successives, le visiteur en vient à la couleur. Où la dominante est rouge sang, parfois utilisée en petites taches, en menus jets dispersés. Mais le sang macule le beau corps de la joueuse, se répand en graffiti qui troublent le décor. Et pourtant, la première impression était seulement d'une palette aux couleurs vives. Mais si le sentiment de perfection subsiste, si les ajouts de jaune éclaircissent la toile, le mélange de couleurs irréalistes, de noir avec tout ce rouge, crée des contrastes très forts et  génère un sentiment de violence et de danger ! 

   

             Finalement, Hugues Picherit ne "le" dit pas souvent avec des fleurs ! Que la faux soit ou non présente comme elle l'est dans la panoplie du petit garçon, elle l'est intuitivement dans toutes ses œuvres qui apparaissent comme un cri de désespoir lancé par le truchement de tous les symboles évoqués, en réaction, peut-être, aux aléas de sa vie personnelle ?!  Et si, comme le disaient les Expressionnistes dont son œuvre est très proche, chaque tableau est le fruit de la vision intérieure de l’artiste, alors, cette création où la matière est transcendée ; où la poésie jaillit de partout, est éminemment grave, imaginative et insolite, authentique et originale : n’est-ce pas là, par excellence, la position inconfortable de tout artiste en quête de lui-même? 

Jeanine RIVAIS

VOIR AUSSI :  ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS: Site : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS, BANNE 2011.

 

En résidence aux Sarabandes avant le festival, Hugues Picherit a réalisé en très grandes dimensions le tableau évoqué plus haut.

 

 

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LES ENTITES DE PICRATE, peintre et sculpteur

 

          Une entité, dans son sens le plus général, est une chose, un objet, ou une réalité, voire une substance au sens philosophique, toujours de nature et de propriétés indéterminées, et apparemment dotée d'une forme d'individualité, d'identité ou d'unité.

          Comme la nature, Picrate a-t-il (périodiquement)  horreur du vide, puisque nombre de ses peintures mettent en scène un monde fait de plages hermétiques, “emplies” et “encloses” tantôt en de belles couleurs douces, à base de bleu nuit ; tantôt en des bruns foncés sur lesquels ressort une unique tête rouge sombre. Sur chaque toile, "résident" des êtres, souvent d’ailleurs réduits à des têtes ; serrés, encastrés tels des poupées gigognes. D'ores et déjà, et sans préjuger de ceux auxquels il octroie plus de liberté et représente dans leur entièreté, ces petits êtres justifient-ils le titre d'"entités" ? Il semble bien que oui, qu'ils sont tout à fait "présents", même si les yeux clos de tous sauf un laissent penser qu'ils sont totalement introvertis. Et même si cette unique tête, de couleur plus claire ou différente a, au contraire, des yeux grands ouverts, son regard ne s'arrête pas au visiteur en off, il plonge carrément vers l'infini ! De plus, tout ce petit monde dans ces espaces restreints, donne paradoxalement –grâce aux jeux de lumière dont Picrate a le savoir-faire- une grande impression de mouvement, et c'est au visiteur de décrypter les arcanes de ce monde coloré, dessiné avec des finesses exquises, très structuré ; ce mélange indissociable d’incommunicabilité, à l’intérieur duquel, telle un agoraphobe, l'artiste semble trouver la sérénité et peut-être son équilibre.

     Et puis, il y a "ceux" … Tranquille association du quotidien et du fantasme personnel de l’artiste ? Illusion ? que Picrate a représentés en couples, nus jusqu'au-dessous du sexe très visible. Et il semble bien que trois de ces oeuvres soient en fait un triptyque : Sur le premier, ils sont à la naissance du monde, au moment où le serpent a convaincu Eve de croquer la pomme, mais elle l'a encore à peine goûtée. Adam tient dans sa main un sein de la jeune femme, et tous deux, debout au centre d'un éther bleu azur immaculé, ont  les yeux clos sur leurs visages épanouis d'anticipation du plaisir. Sur le second, de la pomme ne reste que le trognon ! Adam a les yeux encore clos sur la rémanence de son plaisir, mais Eve a les yeux bien ouverts, le visage sceptique, et déjà, derrière eux, anonymes, se pressent les accusateurs, tandis que le beau ciel bleu est désormais maculé de graffiti, preuves de SON crime : "Coupable", "Guilty", "C'est elle",  "Sex à pile" (jeu de mots admirable !), "Appeal", etc. Le tout au singulier, parce que, bien sûr, la femme est seule coupable !  Sur le troisième tableau, ils sont strictement vêtus de noir. Leurs yeux béants, leurs visages désolés, leurs lèvres aux commissures tombantes, les mains crispés d'Eve témoignent qu'ils ont pris conscience de leur faute. D'ailleurs, comment ne le feraient-ils pas, vu qu'ils sont enfermés derrière d'épais barreaux, et que, dehors, un petit personnage coiffé d'une couronne qui clame "Je ne suis pas un enfant ", et affirme "je serai président", les nargue pour leur faire comprendre que lui, il a un avenir ! Et qu'un oiseau battant des ailes, s'envole vers la liberté ! Avec ce triptyque, Picrate s'est vraiment lancé dans un conte hautement moralisateur, qui ramène le visiteur à la naissance du monde, au péché originel et ses funestes conséquences ! (Lequel visiteur pourrait épiloguer sur l'humour noir de l'artiste qui, dans le premier tableau signe sur le serpent, comme s'attribuant le rôle du tentateur !).

     Enfin, il y a les "entiers" ; pas tout à fait d'ailleurs, (à moins que ceux qui sont assis le soient, mais il est difficile d'être définitif !) parce que le peintre leur a coupé les pieds (comme s'il n'avait pas du tout envie qu'ils puissent s'en aller "ailleurs !). Là, tantôt ils sont en groupe et, apparemment, il s'agit de trois femmes, comme en attestent leurs seins. Tantôt, Picrate revient à Adam et Eve qu'il nomme carrément par leurs noms, au cas où le visiteur n'aurait pas vu la pomme, bien rouge. Il faut dire qu'elle est contrebalancée par le ballon que tient Adam. Finalement, le triptyque évoqué ci-dessus était peut-être un quadriptyque, ces deux personnages étant encore innocents, le ciel bleu virginal, la pomme pas encore goûtée, le ballon témoignant qu'Adam a d'autres soucis en tête que le sexe !   Cette scène se situerait donc "avant la faute" !?

 

     Alors, en têtes, en corps ou en entier (puisqu'il n'est pas approprié de dire "en pied"), qui sont donc les personnages de Picrate ? Humanoïdes assurément. Et tous de la même ethnie, avec leurs grosses têtes bien rondes, et une minuscule saillie du menton pour le couple comme s'il appartenait à une branche plus avancée que les autres dans leur civilisation. Leurs yeux sont ronds, aux pupilles très noires. Leurs sourcils en arcade sont parfaitement dessinés. Leurs bouches sont petites. Masculins ou féminins, leurs corps (sans hanches marquées pour les femmes) sont rectilignes, fluets, presque maigres. Leurs bras sont  très longs taillés pour leurs corps graciles et leurs épaules grêles. Les femmes ont de jolis seins menus aux larges aréoles. Le torse des hommes est légèrement bombé. Leurs cuisses (lorsqu'ils en ont) sont fines et musclées. Ils sont presque toujours de face, mais s'ils sont de profil, leur visage se découpe sur une ligne rudimentaire, comme si Picrate n'avait pas eu le temps de creuser des orbites, sculpter un nez et une bouche ! Aucune indication temporelle autre que, pour certains, c'est le début du monde, ne permet de parler de leurs origines. Ils sont donc définitivement nés du talent du peintre.

 

     Lequel a affirmé son identité culturelle, son intense créativité originale, son inspiration issue d’un imaginaire revisité… Un monde narratif, qui est aussi celui du conte, où chaque "histoire" picturale pourrait commencer par "Il était une fois…". Où la main semble incapable de s'arrêter, et  emplit ses toiles à l’infini, tant que l’esprit n’a pas le sentiment d’avoir fignolé le tableau, supprimé tout hiatus, trouvé chaque fois son ordre vital, sa plénitude ; tant que le cœur n’a pas exprimé son "dit" si particulier ! Et lorsque, enfin, cesse cette boulimie picturale et mentale, l’œuvre est là, attestant que le monde de Picrate est cette civilisation placide, esthétiquement raide bien qu’un tantinet ludique ; témoignage d’une gestuelle obsessionnelle, d’un amalgame de vive imagination, de raison et de féerie, de sagesse et d’émerveillement, de couleur et d’harmonie.  

Jeanine RIVAIS

 

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LA VIE PSEUDO-RELIGIEUSE DE SAINT-FABRICE (PRESSIGOUT)

 

     Fabrice Pressigout est artiste d'Art-Récup'. Il déclare même que ses sculptures (ses assemblages, plutôt) ne sont faites (faits) que "de n'importe quoi et d'un peu d'imagination" ! Mais il arrive qu'il n'ait même pas besoin de "fabriquer" ses œuvres, il lui suffit apparemment de les trouver, les détourner, ajouter quelques commentaires voire quelques images autres et inattendues, comme c'est le cas pour son installation sur la religion avec laquelle il affirme qu'"on ne rigole pas… un peu quand même" ! 

 

          Combien d'artistes, de Millet à Dali, ou, plus près de nous, Cecilia Gimenez de terrifiante renommée, se sont-ils attaqués aux symboles religieux, soit en toute "bonne" FOI, soit pour expurger des mal-être, des haines, etc. Sans parler des parodies de croyances consistant, pour le commun des mortels, à acheter et adorer les saint-sulpiceries qui sévissent aux abords de tous les lieux de culte(s) et qui, finalement, fabriqués sans vergogne en séries, confinent au paganisme !? 

          Alors, quelles peuvent être les motivations de Fabrice Pressigout, lorsqu'il prend la relève ? L'un des mobiles évoqués ci-dessus ? Ou tout simplement un désir de mélanger, avec une bonne dose d'humour noir, "normalité" et "invraisemblance" sachant que les formes naturelles jouent un rôle irréfutable dans ses personnages. Hyperréalistes, toujours. Laissant supposer que l'artiste est chaque fois au théâtre ? Où se situe-t-il vraiment, dans ces nuances, puisque son œuvre consiste en une multitude de ces figures religieuses, au moyen desquelles il désacralise des tabous largement imprimés dans les croyances populaires ? 

 

          D'autant plus qu'il pousse l'ironie jusqu'à sérier les thèmes religieux. 

 

          Il semble bien que son thème favori soit la Vierge qu'il met un peu à toutes les sauces (à moins que les "documents" ne soient les plus faciles à glaner ?) Comment intervient-il pour détourner ces objets de "culte" ? Les formes originelles restent intouchées, les personnages usinés qu'il se procure représentant très fidèlement ce que les rites religieux ont transmis depuis des siècles, à l'œil et à l'esprit du croyant ! Mais sa Vierge peinte, entourée de tous ses saints, pointe du doigt un "mécréant" (qui) "est l'auteur de cette installation païenne, soit-disant* qu'il assume… mais sa photo date de 30 ans. Lâche!!!" S'agit-il d'un autoportrait de l'artiste en plus jeune ? Du portrait de quelque chanteur ou acteur naguère célèbre ? Ailleurs, en 3D cette fois, il s'agit d'une vierge rousse, vêtue de ses incontournables robe et cape bleues (D'ailleurs sur toutes les œuvres de F.P., elle garde son uniforme)  qui guide "Les premiers pas de Jésus". Mais pour celle qui affirme "Je t'ai à l'œil", présentée en photo d'identité/relief, mieux vaut ne pas déchiffrer ni épiloguer sur les sous-entendus de l'auréole !! De même pour celle dont la tête est remplacée par un bidon de "Lave-vitres miracle" (bénit, bien sûr), et qui conseille : "Méfiez-vous des contrefaçons" ! Et, naturellement, voici la Vierge en stars de toutes couleurs et toutes occupations, présentée dans ses "Apparitions" !!!

 

          Second thème,   "La vie intime d'un super-héros", série de crucifix suspendus tout bonnement, sans modifications, tous ensemble, au-dessus (le visiteur se crée alors son image subjective) du lit familial, peut-être ou d'un prie-Dieu ? Mais si "intime", la vie, qu'il est absent de toutes les croix, sur lesquelles ne renste que le traditionnel INRI, et encore!... Mais en cette série, Fabrice Pressigout crée à force de planches et sans doute de gouges et de coups de marteau, son propre "Homme. Tronc d'église", authentique Christ en croix, à la bouche béante, (sans doute pour mieux recevoir les oboles ?)

 

          Et puis, même s'il vaut mieux s'adresser au bon Dieu qu'à ses saints, les saints aussi font partie de la liturgie de l'artiste. Saint-Sébastien, en particulier, pieds et poings liés sur fond de pilier bleu-charrette et de nuages, dûment percé de flèches ! Souffre-t-il vraiment ? Apparemment non ! D'autant que, comme Guillaume Tell il supporte une pomme bien rouge posée sur sa tête, et que… jusque-là, elle est intouchée ! 

 

 

     Ainsi, les œuvres de Fabrice Pressigout dénoncent-elles, avec une technique très sûre, le silence lourd d'interrogations inhérent à une figuration pseudo-mystique "raisonnée et déraisonnable". Pas de fioritures, pas d'effets de manche ! Pas d'émotion. Tout cela carrément exposé, sans acrimonie, sans agressivité, avec tout de même un doigt de provocation ! Des œuvres, en tout cas, qui font jubiler le visiteur "mal"-pensant, époustouflé de ce qu'il a "osé" !  

Jeanine RIVAIS.

*Sans doute, de la même façon, assume-t-il la faute d'orthographe ? (Soi-disant).

 

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Un mandala : dans le Bouddhisme, c'est la  représentation de l'univers, de forme géométrique et symétrique par rapport à son centre, servant de support à la méditation.

C'est aussi un terme sanskrit, en tibétain : il signifie cercle, centre, unité, totalité et par extension sphère, environnement, communauté. Les mandalas sont en premier lieu des aires rituelles pour évoquer des divinités hindoues.

Les mandalas nous proviennent de la nuit des temps et sont présents partout dans la nature, dans les fleurs, les toiles d'araignées, les fruits et légumes coupés, dans le système solaire, et jusque dans les cellules humaines. 

Ces fameux dessins circulaires sont pratiqués dans toutes les civilisations, puisque partout, le cercle est le symbole de la vie.

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LES MANDALAS DE MUSTAPHA RAYTH

 

     Il faudrait être un spécialiste, pour analyser les mandalas de Mustapha Rayth ! La béotienne que je suis sur ce sujet ne peut que tenter de s'y retrouver dans les définitions savantes ; en sachant que l'artiste, art-thérapeute, utilise ces figures pour amener ses patients à la méditation ! 

    Ce qui définit en premier lieu un mandala, c'est la symétrie par rapport à un axe vertical, et si ceux de Mustapha Rayth semblent absolument ainsi à un premier regard, le plus curieux, dans sa progression, est que les multiples éléments de chaque moitié de la toile ne sont en rien identiques, simplement, ils donnent l’impression de l’être. Et c’est bien là une des prouesses techniques de l'artiste ! Le plus trompeur ne serait-il pas le mandala conçu dans les violets, qui semble tellement parfait, tellement géométrique, mais pour lequel, tout soudain, le visiteur s'aperçoit que le danseur stylisé à tête ronde situé à 14 heures n'a pas son bis, à 10 heures où le personnage est certes un danseur, mais se retrouve avec une tête triangulaire. Et puis, le mandala à fond rouge et semis polychromes en bas a un petit air penché, et les deux barques miniatures sur les deux roues ne sont manifestement pas semblables ! Et le soleil, le plus impressionnant de tous ! Où est le pendant de la trajectoire de la quatrième lune ? Les débords rouges sur la sphère solaire jaune sont fantaisistes, ainsi que l'ectoplasme central qui est doté d'un creux à un "bout", d'une protubérance à l'autre (Tiens, y aurait-il là un symbole justifiant la non-symétrie ?)…

 

          Peut-être faudrait-il s'amuser à prendre ainsi Mustapha Rayth en défaut, alors que l'illusion du premier regard est tellement parfaite ?! Imaginer qu'il ne serait pas conscient de sa "triche" serait offensant ! Alors, peut-être, faut-il conclure qu'il a souhaité se libérer du carcan des conventions, car, toujours, l’axe est là, intuitivement, partageant verticalement chaque œuvre ; semblant revendiquer ce rassurant équilibre. Finalement, les disparités ne confortent-elles pas les fantasmes de l’artiste, désireux de s'affranchir des frontières de ces huis-clos ? Ne s’agirait-il pas là d’une révolte inconsciente que l’artiste s’obstine à canaliser ? Qu'importe, au fond, puisque l'illusion est bien là, et que Mustapha Rayth est un coloriste de grand talent qui, avec une maîtrise parfaite des graphismes et des harmonies, sait, en très peu de couleurs donner l’impression d’une grande explosion de tonalités ! 

 

          Mais le peintre présente aussi des œuvres abstraites (disposées d'ailleurs symétriquement sur la cimaise !) qui semblent indépendantes des mandalas ; n'était que là encore la toile semble bien  une scène sur laquelle l'expression directe des émotions prime sur l'esthétique. Non que ses œuvres traduisent une révolte picturale mais un besoin de donner forme à des élans subjectifs, une liberté créatrice ; que les rapports entre les vides et les plages dessinées et les harmonies de couleurs ravissent l'œil du visiteur ! Selon le thème choisi, elles peuvent aller sobrement de côtoiements de matière purs ou mêlés ; à certains accords de tonalités rares, des rouges ou quelques verts adoucis, des bleus azuréens où les flaques d'ombres ou au contraire les flots de lumière s'harmonisent définitivement.

 

          Finalement, mandalas ou peintures abstraites, la couleur tient un rôle primordial pour Mustapha Rayth, dans l'art de rendre les éléments évoqués ci-dessus. Rares sont les cas où un aussi irrésistible enchaînement, une telle osmose prennent corps entre création et artiste. Après ce long moment de confrontation avec les questionnements suscités par ces créations inhabituelles,  le visiteur  gardera longtemps la rémanence de ce périple circulaire et abstrait. 

Jeanine RIVAIS

 

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SMOLEC MICHEL : 

 

TEXTES DE JEANINE RIVAIS : "NAISSANCE D'UNE VOCATION" DANS LE NUMERO 58 DE SEPTEMBRE 1996, DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. "DE TERRE ET DE CHAIR, LES CREATIONS DE MICHEL SMOLEC, sculpteur" 

et :  "TANT ET TROP D'YEUX ou MICHEL SMOLEC dessinateur" : http://jeaninerivais.fr Rubrique ART SINGULIER.

 Et aussi : "ET DE NOUVEAU NOUS SOMMES DEUX" : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART SINGULIER. 

Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS  : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS RETOUR SUR BANNE 2003

Et : COURT TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : 6e BIENNALE DE SAINT-ETIENNE 2018

 

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TOURNAIRE NICO : 

 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.doc/  Rubrique FESTIVALS : "Art brut et outsider, Singulier, Meysse 2016.