DES JOUETS (tellement) singuliers ! ET DES HOMMES (tellement) créatifs !

au MUSEE DU JOUET DE POISSY

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"Voilà comme quoi le jouet était véritablement l'histoire de son temps. Il déposera devant l'avenir, à la barre de l'histoire, pour l'époque qui l'a vu naître. Comment est il croyable qu'il n'y ait pas à Paris un musée du menu jouet d'actualité ? Voyez vous quels témoins précieux, au bout d'un demi-siècle ?"

LUDUS, "Le Journal" 23 novembre 1901.

 

Les cavaliers
Les cavaliers

          Souhait réalisé en 1974, lorsque fut ouvert à Poissy (près de Paris), le premier "Musée du Jouet" de France, proposant "un siècle de jouets et jeux d'enfants, de 1850 à 1950". Il s'agit, en offrant à la curiosité du public un éventail exhaustif de jouets, de montrer leur évolution en un pays parvenu à un "stade industriel en pleine mutation... Jouets diversifiés, souvent liés à l'actualité..." Il s'agit aussi de rappeler à ce public que, si les créateurs de jouets appartiennent bien au monde de l'artisanat populaire, nombre d'entre eux sont parvenus à une telle originalité, que l'on peut, sans risque de se tromper, dire qu'ils sont des artistes. Et combien singuliers !

          Récemment rénové, le Musée est remarquablement conçu pour mettre en évidence toutes les implications des jouets. Car, comme le disait Ludus, "les jouets sont la mémoire du monde" ! Ils sont les témoignages de ses différences, comme de ses constantes! 

          Différences en fonction de l'âge, bien sûr ; et du sexe : du hochet à la poupée ou au cheval à bascule : de ceux conçus  pour les filles, "fragiles et petits, jouets d'intérieur pour activités tranquilles" à ceux pour les garçons, "faits pour le plein air, la force et l'énergie à dépenser".

La dînette
La dînette

          Différences sociales, encore plus évidentes : Quelle fillette pauvre, quelle enfant de la guerre, obligée de coudre sa poupée avec de vieux bouts de tissus, n'a jamais rêvé, le nez collé devant une vitrine où trônait une merveille inaccessible ; ou détesté la fille de riches qui passait insolemment devant elle avec un ostentatoire landau dernier cri où "dormait" sa réplique blonde et bouclée, qui, à son "réveil", dirait "Maman" ? Et les garçons ! Petits rustres campagnards fabriquant leur attelage de boeufs de deux bouts de bois aux cornes de fil de fer; petits citadins ramassant des roulements à billes pour construire leurs camions ! (Pour ces derniers, d'ailleurs, rien n'a changé : les reportages ethnographiques de la télévision, sur le Chili, ou le Mexique...sont pleins des risques pris par des enfants qui se lancent sur ces voiturettes réalisées par leurs soins, le long de descentes à pic où roulent des milliers de voitures ! Et, de plus en plus, divers musées collectionnent les petits camions d'enfants africains !)

          Une chose est sûre, pourtant, c'est que ces jouets de pauvres ont, malgré leur modestie et leur aspect rudimentaire, été aimés très fort ; gardés longtemps parfois, confidents souvent, jusqu'à ce que leur nez usé à force de baisers, les fasse rejoindre aux ordures tous les objets rejetés par la société de consommation, et jalousement récupérés par tant de créateurs d'art brut !

          Différences historiques, encore. Jouets liés à des faits divers, à une actualité parfois étonnante, comme cet ensemble de figurines de 1904, représentant "L'Expulsion des sœurs", avec personnages officiels, comme les automobiles ou les Train(s) de luxe ; ou la série des Santos Dumont, sur laquelle les journalistes se lançaient dans des dithyrambes, etc. 

          Racisme larvé, dans ce chapitre, d'ailleurs, comme ce "Pôle Nord", Jeu de massacre représentant des Inuit ! 

          Différences techniques, pour ces jeux qui, longtemps, ne furent que des formes grotesques, mal proportionnées, mal coloriées ; devenues parfois, au fil du temps véritables objets d'orfèvrerie ; à tout le moins exquises créations aux proportions harmonieuses ; aux éléments conçus dans des définitions si précises que, lorsque l'enfant veut les palper, son intelligence en éveil en capte très vite le où, le comment et le pourquoi ! Sans parler des jouets "éducatifs", tellement sophistiqués, comme les boîtes à physique, moteurs électriques et autres groupes électrogènes...

          Différences ethnologiques, évidemment, les poupées russes ou chinoises, n'étant pas vêtues comme les poupées occidentales ; celles du XIXe siècle donnant par le menu les détails de garde-robes aujourd'hui bien surannées, etc.

 

Les poupées
Les poupées

          Il faudrait épiloguer longtemps encore sur les raisons multiples qui expliquent toutes ces différences, avant d'en venir aux constantes relatives à ces témoins des siècles de civilisations, et aux géographies qui les situent. 

          La première étant le besoin psychique et physique qu'a l'enfant de jouer. Et les frustrations qui accompagnent les tabous, les interdits ou le manque d'imagination : Il n'est que de se souvenir des paroles de Simone Le Carré Galimard, empêchée de jouer par la religion de ses parents et qui, jusqu'à sa mort, conserva les pommes de pins qu'à sept ans, en cachette, elle appelait ses poupées ! Il faudrait suggérer aussi, que nombre d'échecs scolaires ou de problèmes comportementaux viennent de ce que des enfants n'ont pas pu ou pas su jouer !

           Et peut-être faudrait il affirmer sournoisement que l'imagination populaire a bien souvent été plus prolixe que l'imaginaire bourgeois, parce que, n'ayant pas de jouets, il fallait les inventer et créer ses propres jeux ! 

Les baigneurs
Les baigneurs

          L'autre constante, partiellement négative et sexiste, mais qui perdure depuis la présence intime du premier os dans la main du premier enfant, concerne la valeur éducative des jouets : Si les jouets de tous les garçons du monde atteignent à des degrés divers d'émulation et de technicité ; ceux des filles, en tous temps et en tous lieux (poupées, dînettes, panoplies d'infirmières, fers à repasser, etc.) ont pour vocation de les préparer à être de bonnes mères, de bonnes épouses, des femmes coquettes... bref à toutes les variantes de ce qu'il est convenu d'appeler "la femme au foyer" ! Mais là, encore, faudrait il envisager les implications familiales de ces jeux ; voir comment par eux s'établissait une complicité entre la mère qui transmettait son savoir et sa fille qui le recevait ; le père qui partageait un savoir faire manuel ou intellectuel avec son fils, etc. (et peut-être faut il regretter de devoir employer l'imparfait pour évoquer ce sujet ; car hélas ! de moins en moins, se fait la transmission de ces savoirs !)

           Il est  bon, néanmoins, malgré le confinement qu'implique leur utilisation, de penser, concernant les jeux intellectuels et d'imagination, que les ordinateurs vont enfin sortir les fillettes de ce conditionnement, et leur donner les mêmes chances de "voyager" dans le temps et dans l'espace qu'aux garçons !...

 

          Toutes ces raisons, ces contradictions, des flots d'émotions, des souvenirs très forts se succèdent au cours de la visite du musée de Poissy. Et il faut encourager Jeanne Dammame, la Directrice, pour l'intelligence de la présentation, la convivialité de l'accueil réservée au visiteur ; et pour la qualité des animations qui ont lieu dans l'orbe de ce lieu !

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          Il faut d'ailleurs conclure sur le même tempo à propos du "Musée des Arts et Traditions populaires" de Laduz, créé et animé par la famille Humbert. Un tel musée ne s'est pas trompé sur la vocation d'art populaire des jeux, qui, en plus des animations estivales à thèmes prouvant que la création populaire reste vivace, propose en même temps que ses collections d'objets d'artisanat à usage quotidien, de belles séries de jouets.

          La plupart du temps d'origine rurale, alors que les collections de Poissy s'apparentent davantage à la vie citadine, celles de Laduz sont souvent d'inspiration villageoise, légendaire (comme les représentations de la Bête du Gévaudan, connue par la lecture des almanachs) ; ou transmises par des histoires racontées à la veillée... Pour les mêmes raisons, ils sont restés beaucoup plus longtemps et plus nombreux en bois, alors que les jouets "des villes" bénéficiaient des techniques nouvelles, passaient du mohair à la peluche, de la porcelaine au celluloïd et au plastique...

 

          Quoi qu'il en soit, filles ou garçons, petits et grands, à pied, à cheval ou en voiture, voilà deux beaux voyages à effectuer au pays merveilleux du jouet !

Jeanine RIVAIS

 

Musée du Jouet de Poissy : 1, Enclos de l'Abbaye. 78300. POISSY. Tel : 01.39.65.06.06.

Musée des Arts et Traditions populaires : 89110. LADUZ par AILLANT SUR THOLON. Tel. 03.86.73.70.08.

Photos extraites des catalogues des deux musées.

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 67 DE JANVIER 2000 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA