N'est-ce pas étonnant d'apprendre qu'une femme ayant quitté son île lointaine depuis près de cinquante ans pour vivre en France choisie sur un coup de cœur, ait gardé très profondément ancrées en elle, la culture et les mœurs de Cuba ? Où elle retourne souvent, d'ailleurs. Mais, si elle s'inspire beaucoup des événements qui s'y déroulent ; s'il lui est impossible d'oublier l'atavisme religieux qui s'y imposait lourdement du temps de son enfance, et où elle était fortement impliquée du fait de l'influence familiale ; si, donc, elle a su trouver dans les profondeurs de son environnement séculaire, un langage pictural inspiré de la culture des Orishas, qui constitue la forme, le fond et l’esprit de ses œuvres, elle refuse néanmoins de se classer dans les mouvements artistiques traditionnels et revendique dans sa peinture des influences occidentales : Celle-ci est, de ce fait, un va-et-vient entre rites renouvelés, et contemporanéité.

Qu'a-t-elle donc conservé dans son œuvre, qui parle de cette vie insulaire tout en gardant ses distances ? Le vaudou, bien sûr, en particulier les rites yorubas qu'elle reprend de façon récurrente. Evoquant parfois, même, les "mutations" des gens, lorsqu'ils s'en vont très loin dans le monde spirite (¹) ; Mais, après avoir laissé un moment son inconscient guider son pinceau, Aconcha se reprend chaque fois pour échapper au mythe. Dépasse la dimension contextuelle, la condition sociale, pour témoigner à sa façon de l'humanité de ses individus. Donnant à chacun sa spécificité, son individualité. Ainsi, chacun de ses personnages, la plupart du temps féminins puisque autobiographiques, femme hiératique ou compassée, assise dans une barque ou dansant au son d'un boléro, est-il, dans sa silhouette, d’apparence tout à fait "normale"… Mais les cheveux de l'une sont une sorte de chèvre à cheval sur sa tête ; d'étranges petites créatures émergent de son giron ; un "clown" fugace encapuchonné de blanc chante près de l'épaule d'une Noire dont la chevelure est ornée de têtes minuscules ; une jeune fille est coiffée d'un chapeau immense "orné" de multiples petits êtres dans toutes les postures imaginables… Tranquille association du quotidien et du fantasme personnel de l’artiste ? Illusion ! Car ces créations font partie d'Aconcha, mais leur présence sans logique apparente, perturbe consciemment ou non le spectateur. Pris au dépourvu, celui-ci se demande si ces sortes d’incubes insérés de façon apparemment aléatoire dans le bel ordonnancement du tableau, ont vocation pernicieuse, ou au contraire celle d’étendre sur la scène, leur protection tutélaire ? 

          A bien y regarder, il est évident que, jamais, humain ou Orisha, ne fait les mêmes gestes, n'adopte les mêmes attitudes que l'autre, aussi stylisé soit-il. Et que, au fil des œuvres, l'artiste n'a aucune volonté d'être réaliste ; que ses personnages n'appartiennent à aucun type ethnique, ne sont jamais reconnaissables socialement, historiquement, géographiquement… Ils sont des "êtres", non des "Noirs" comme il serait logique si elle se voulait ethnologue. D'ailleurs, ils sont peints en blanc, jaune, vert, etc., au gré de ses humeurs. Souvent en bleu, aussi, un joli bleu éclatant, car Aconcha est une coloriste de talent, sachant marier les couleurs sans jamais aucun hiatus ; assurant pour ses corps et décors, une parfaite complémentarité ou des dissonances volontaires ; et parvenant ainsi à sa palette tellement surprenante. Pas de contexte, d’ailleurs, susceptible de situer les individus nés sous son pinceau : les fonds sont non signifiants, monochromes, conçus ton sur ton avec la majorité des personnages : bleu sur bleu, ocre sur ocre, etc.

          Tous éléments qui confirment, au fil du temps, que l'artiste a préservé son identité culturelle, son intense créativité originale, son inspiration issue d’un quotidien ancestral revisité… Qu’elle a généré, en somme, hors de toute orthodoxie et de tout apport allogène, un univers pictural mystique, à la fois posé et exubérant. Qu'elle est animée de la volonté de se séparer de ses dieux mais pas de ses coutumes, œuvrant résolument dans la modernité, poursuivant une sorte de combat esthétique et formel au long d'une création fantasmatico-narrative. 

Jeanine RIVAIS

(¹) Aconcha raconte dans un ouvrage biographique intitulé "L'Appel des 0rishas" et joliment illustré de nombreuses peintures naïves, toute l'histoire de son implication dans les religions souvent entremêlées, en cours à Cuba au temps de son enfance. Cuisinière émérite, Aconcha a ajouté des recettes cubaines ou importées d'Afrique. Et des photographies d'époque mettent en scène sa famille. Elle y évoque le temps où pauvres, mais unis, chacun était prêt à faire la fête. Et les conséquences de l'arrivée de Fidel Castro et de la Révolution cubaine.   (Magermans SA imprimeurs-éditeurs, Château César, Pré des Dames, à B5300 Andenne)

La chambre où vivait Aconcha et sa famille
La chambre où vivait Aconcha et sa famille
Aconcha (bande du bas à gauche) dans la barque de son oncle Tata porte des offrandes lors du pèlerinage à Rigea, lequel mêle rites catholiques et afro-cubains.
Aconcha (bande du bas à gauche) dans la barque de son oncle Tata porte des offrandes lors du pèlerinage à Rigea, lequel mêle rites catholiques et afro-cubains.

 

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"Artiste d'Art-récup'", Cristel Béguin crée des saynètes où n'entre pas en ligne de compte, comme chez tant de récupérateurs, la notion d'usure du temps. Simplement, elle récupère tout ce qui lui parle : boîtes à sardines ou à conserves, petits animaux, réveils, baigneurs, fleurs, moules à gâteaux, etc., quels que soient les matériaux dont ils sont composés. Tout cela, petit.

Et voilà qu'avec un goût exquis, ce paraphernalia se combine, devient scènes de vie Sur un socle métallique "en or" où s'étale une corbeille de fleurs les unes de couleurs vives les autres pâles, de façon à créer des contrastes raffinés, danse "la Reine des poulettes" en juste-au-corps emperlé, cheveux entrelacés de rubans et tête coiffée d'une tiare. Ailleurs, jupe-moule inversé, torse-corbeille tressée teinte en bleu sur fond doré, tête de baigneur aux cheveux bleus frisés, coiffés d'une chapka-marmite, bouche bée, se dresse un délicat éphèbe entonnant "le cri de l'ange" ! Ailleurs encore, sur ses quatre pattes solides, posées sur un plat rond orné d'un collier de médailles, son nom suggérant qu'elle peut tourner, "la Girelle", girafe couverte d'un tapis coloré, tachetée de noir et de brun, tend vers l'horizon, son cou interminable, surmonté d'un visage-conque aux cheveux perruqués surabondants. Enfin, sur des tablettes, se présentent côte-à-côte, des boîtes dentelées, enfermant des petits morceaux de vie, des animaux imaginaires, une grenouille coassante, des réveils habités… 

          Récemment, délaissant peut-être ses animaux, elle a commencé en dessin et sculpture, une série de jolies petites jeunes filles posées sur des socles couverts de fleurs, aux jambes triples, ou multiples tournant tout autour de son corps à la manière des bras de Shiva. Le corps délicat est vêtu d'une jupette et d'un soutien-gorge. Sa tête fine est coiffée d'une chevelure abondante et frisée, et ses yeux maquillés pétillent de vie. Un diadème achève de la faire ressembler à une petite princesse qui se serait affétée pour rencontrer au bal son prince charmant ! D'autres fois, le jeune éphèbe se fait marionnettiste, entouré de bâtons surmontés de masques et la tête cernée de petits personnages dansants ! 

 

          Une œuvre pleine de rêve, agréable à regarder par la façon dont l'artiste a su, à partir d'objets banals, voire rustiques, créer des petites aventures riches de fantasmagorie.

Jeanine RIVAIS

 

 

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          Quelle femme, âgée de quarante ans et plus, n'a gardé de terribles souvenirs de promenades gâchées par la torture endurée au bout d'un moment de marche avec aux pieds des escarpins à talons aiguilles ? Encore, la hauteur des talons était-elle relativement raisonnable ! Mais que n'aurait-elle pas enduré, si elle avait dû se promener chaussée des créations de Maryline Colenson !? Et pourtant, celle-ci persévère depuis au moins deux décennies, à proposer ses inénarrables objets, comme le faisaient dans les années 30 à 60, les chausseurs italiens réalisant des "chopines" pour les prostituées de Venise, originellement confectionnées pour éviter tout contact avec la saleté au sol, et qui sont par la suite devenu un symbole de puissance et de statut social !

 

C'est que, pour être hauts et aiguilles, les talons des chaussures de cette artiste sont hauts et aiguilles ! Sauf que, parfois, la cambrure est présente, mais le talon est absent, l'équilibre tenant alors à l'épaisseur de la semelle ! D'autres fois, c'est le coup de pied qui manque et l'escarpin doit alors compter sur l'étroitesse de la tige pour tenir au pied !! D'autres fois encore, l'escarpin est carrément compact ou la semelle est cassée à mi-longueur, et il est tout à fait impossible d'envisager de le mettre au pied ! Ou bien, la chaussure est tellement pointue et exiguë que, pitié pour les pauvres orteils ; illustrant alors à la perfection le terme de "stiletto" qui lui a historiquement été attribué pour sa ressemblance avec le poignard-stylet de même nom, dont le talon imite le profil effilé.

C'est alors que surgit un autre problème : Maryline Colenson ne chausse-t-elle que des unijambistes, que chaque chaussure est unique en son genre, et que l'on chercherait en vain son pendant ! 

 

          Et pourtant, malgré les images négatives qu'elles suscitent, ces chaussures sont très esthétiques ! Réalisées en terre, elles sont joliment colorées de bleus lumineux, de rouge, d'orange, etc. Des bandes intermédiaires, des boutons, des circonvolutions, des fleurs… rompent la monotonie et multiplient à l'infini les coloris. 

 

Lorsqu'elle prend plaisir à réaliser ces œuvres à l'image de chaussures réelles avec leurs avantages, dont celui d'étirer et affiner la jambe, générer une jolie silhouette, et proposer de petits pieds ; et leurs inconvénients de déformer les os, endommager les tendons, créer des maux de dos… Maryline Colenson fait-elle la nique à tous les fantasmes qui se rattachent à l'escarpin ? Le premier étant d'ordre sociologique, la femme élégamment campée sur ses talons apparaissant comme dominatrice ; le second, d'ordre sexuel, via les avantages présentés ci-dessus. Alors, peut-on imaginer quelque Jerry Brudos assommant l'artiste pour lui voler ses chaussures ? Ou ajouter, après Lacan, que "l’homme est le phallus, et la femme a le phallus – c’est-à-dire qu’elle se l’attribue symboliquement… par le biais d’un talon aiguille, par exemple. Ode à la dépravation, il l’est aussi à la chair, aux formes voluptueuses, en commençant par les fesses". On balance vite dans l’imagerie sado-maso. Les talons aiguille comme promesse de sadisme… Mais aussi de sensualité et de sex-appeal comme l'écrivait Augustin Malègue ; "Les deux joues de sa croupe un peu forte se balançaient sur de hauts talons fins, en petits équilibres alternés." (¹). Ou au contraire, réalise-t-elle que tant de possibles fantasmagories sont liées à ses récurrentes impossibles créations ?

Jeanine RIVAIS

 

(¹) Ces phrases sont extraites du texte de Caroline Dumoucel, intitulé "Le fantasme du cordonnier".

 

CE TEXTE A ETE ECRIT SUITE AU FESTIVAL DE MAI 2021 DE BANN'ART ART SINGULIER, ART D'AUJOURD'HUI. 

 

VOIR AUSSI : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.fr COMPTES-RENDUS DE FESTIVALS : Banne 2006

 

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           Buffon : "Mais en contemplant tout l'espace occupé par ce fluide au milieu duquel se meuvent les poissons, quelle étendue nos regards n'ont-ils pas à parcourir !"

 

       Chacun sait que la représentation du poisson remonte aux temps préhistoriques, bien qu'en nombre restreint par rapport aux quadrupèdes. On peut même remarquer quelques salmonidés au milieu des aurochs et des chevaux de la grotte du Mas d'Azil en Ariège. Depuis cette période lointaine, les scientifiques ont donné toutes précisions sur leur anatomie ; des peintres les ont mêlés à d'autres mets sur des tables généreuses ; des sculpteurs les ont accrochés, étalés, serrés… en des lieux très variés ; des films leur ont fait vivre toutes sortes d'aventures.

          Pas étonnant, donc que des artistes contemporains s'y soient confrontés. Parmi eux, Véronique Foiret les a un jour appréhendés ! Certes cette artiste a d'autres sujets de création, couvrant ses supports de formes géométriques, les conjuguant de façon inattendue. Mais la partie la plus surprenante de ses œuvres se rapporte aux poissons. 

       

        Cette ichtyologue de circonstance a étudié la sculpture avec des ferronniers africains ; ainsi que le travail du carton et des herbes naturelles avec d'autres artistes, deux matériaux avec lesquels elle réalise ses étranges bestioles ! Et le spectateur qui les voit disposés sur des piques métalliques, de se demander s'il s'agit exclusivement de poissons-cochers ou de zancles, ces poissons des mers chaudes, vivant sur des fonds coralliens, joliment colorés, au corps latéralement plat mais ventru ? 

          Pour autant, si les poissons de Véronique Foiret peuvent sembler former "une espèce", chacun d'eux a ses particularités : les uns sont découpés en une ligne uniforme ovoïde, avec une minuscule nageoire dorsale, et une caudale en éventail, reliée au corps par un minuscule bâtonnet. Mais la plupart sont morcelés, la tête en triangles aux bords convexes finement dentelés. L'artiste déploie ensuite tout son imaginaire pour rendre vivant le corps réalisé avec deux rectangles aux bords concaves, les piqueter d’infimes pointillés, les agrémenter de minuscules dentelures, les guillocher de mille petites lignes brisées ou onduleuses, les incruster, les carreler de géométries fantaisistes, labyrinthes, etc.

 

          Tout cela dans de belles couleurs douces, allant des ocres aux bruns, en passant par quelques rouges ou verts foncés. Et Véronique Foiret a l'art de disposer cette faune aquatique de façon à donner l'impression d'un microcosme foisonnant à l'image d'un vrai aquarium.

Jeanine RIVAIS 

Juillet 2021

 

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          … Et pourtant, certaines œuvres de Marc Le Dizet apparaissent comme des paysages paisibles, conçus en deux parties qui pourraient être le ciel et la terre, le tout dans des nuances douces de gris surlignés de bistres pour "le ciel", devenant la terre par contraste gris foncé, comme si point n'était besoin d'écotonie et que cette dualité permettait de mettre en avant la beauté artistique de chaque "plage". Permettait en somme au visiteur de s'imprégner de la couleur, de la lumière et de l'absence de mouvement ! 

C'est pourquoi ce dernier est surpris et fasciné lorsqu'il est brutalement confronté aux tableaux déchiquetés de l'artiste. Car tout se passe comme si, pris de frénésie, Marc Le Dizet se devait de remplir l'espace en un chromatisme brutal de rouge, de noir, et de gris qui, de plages paisibles des tableaux précédents, devient objet de contraste dans les tableaux sur lesquels le peintre est entraîné en une sorte d'itinéraire impromptu.

          Contrastes de couleurs, donc ; mais aussi contrastes de la matière : les plages rouges et noires alternent tantôt verticalement, tantôt horizontalement, conçues en des aplats absolus, tandis que les gris deviennent maelström par surabondance de matière, enchevêtrements, strates de faux parallélismes. Pour être si parfaitement uniformes, les fonds ont dû être abondamment travaillés, patinés à longs coups de pinceau sur lesquels l'artiste ne peut revenir ! 

          Et contraste encore entre ce qui serait "le corps" d'un lieu et ce qui en représente la crête, bouleversée, la couleur bordurant l'aplat en des nuances où se côtoient, se chevauchent des traînées de noirs et gris, infimes touches de rouges, traits incrustés grattés dans la matière, le relief rehaussé peut-être par quelque ajout subreptice sous la peinture, de métal ou de bois, deviné et non vu ! 

 

          Surgit alors pour le visiteur un nouveau questionnement : confronté à ce développement d'un imaginaire paradoxal, il s'interroge : Marc Le Dizet ne serait-il pas un peu figuratif ? Ou, plutôt, a-t-il jamais été tout à fait abstrait ? Car, en admirant ses jeux, ses rapports et ses rythmes de couleurs, surgit à brûle-pourpoint cette impression que l'on éprouve lorsque l'on se "sent" sur le point de retrouver un mot qui vous échappe : celle d'être, sur chaque toile, "sur le point de saisir" une forme signifiante, alors que tel n'était pas le propos conscient du peintre et qu'il ne s'agit bien que de jeux, de rapports et de rythmes ! 

Au fond, Marc Le Dizet ne se voudrait-il pas à la limite du figuratif, de l'abstraction ou de la non-figuration, puisqu'il sait parfaitement organiser tous ces éléments de sa création, suggérer aléatoirement ici une vallée abrupte, là un îlot d'habitations pour lequel il va jusqu'à amorcer toits et fenêtres ; ailleurs un fleuve descendant directement du haut vers le bas du tableau ? Fragments coupés, collés, apposés, superposés… de façon à susciter sur la toile une émotion si intense qu'elle est forcément perçue par le visiteur. Cependant, celui-ci a chaque fois l'intime conviction qu'elle ne tient pas uniquement à l'identification d'un objet familier ; mais qu'entrent en scène toutes les composantes, directement appréhensibles ou, en un second temps faisant appel à sa subjectivité. "L'abstraction, c'est un sentiment que l'on éprouve dans notre subconscient", écrivait naguère le peintre-poète Fernand Rolland.

 

          Cette phrase s'appliquerait parfaitement aux créations de Marc Le Dizet, rendant impossible de ne poser qu'un regard distrait sur ses œuvres ! Il crée cette impossibilité par l'organisation / confrontation / apposition de ses dé-formations, dé-compositions, son travail sur la lumière que l'on oublie justement parce qu'elle est en si parfaite osmose avec la couleur ! Tout cela, bien sûr, ressenti au gré de l'imagination du visiteur. Car, comme il est dit plus haut, tel n'est pas le propos de l'artiste qui n'est que de jeux de formes, de profondeurs ou de superficialités.

Jeanine RIVAIS

Juillet 2021

 

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          Le mot "dentelle" (c'est-à-dire "petites dents") apparaît pour la première fois en 1545, dans l'inventaire de la dot de la sœur de François Ier.

          Bizarrement, alors que les verbes passementer, broder, filer ou tisser continuent après des siècles à exprimer la même forme de création, le verbe "denteler" qui correspond à dentelle (ou tissu sans trame ni chaîne) a changé de sens et pris celui de border, bordurer un élément à petites dents. 

          Vocabulaire très précis, alors que, depuis la nuit des temps, le fil a fait partie de la vie des humains. Mais, tandis que filage et tissage qui se sont développés dans des civilisations fondamentalement différentes, ont pris paradoxalement des connotations très voisines, chaque pays a développé ses techniques et ses modèles au gré de l'imaginaire de ses dentellières. Et, bien sûr, les plus fines, les plus belles sont devenues les plus célèbres. Mais, à travers les temps et les continents, qu’elle soit réalisée à l’aiguille ou au fuseau, la dentelle est un artisanat universel qui entre dans le patrimoine de nombreux pays.

          Rapportées au quotidien d’un individu, à ses aventures, ses bonheurs ou moments difficiles, les réalités naturelles qui les jalonnent trouvent souvent leur définition dans des expressions populaires imagées, directement liées à ce quotidien : "faire" ou "ne pas faire dans la dentelle", "léger comme une dentelle", "ne pas mélanger la dentelle au gros drap, "composer de la dentelle", etc. 

 

          Geneviève Quiévreux, dentellière, conserve la tradition de la dentelle du Puy-en-Velay qui veut qu'elle ait été créée par une jeune bergère, Isabelle Mamour, à qui l'évêque aurait confié le soin d'orner le manteau de la Vierge ! 

          Travail compliqué, nécessitant patience, talent et concentration ! C'est pourquoi, inlassablement, penchée sur son carreau, elle entrelace et croise ses nombreux fuseaux pour former les points en suivant le tracé du modèle qu'elle a dessiné sur papier-calque et colorié aux teintes de son choix. Elle réalise son morceau de dentelle en fil de lin, coton, soie, laine, or, argent ou laiton, naturel ou synthétique, et enfin, assemble à l’aiguille les dentelles entre elles.

          Ainsi participe-t-elle à cette grande chaîne universelle, dont elle devient l'un des maillons modestement ajoutés un à un. Maillons auxquels elle s’attache, avec un talent qui la relie sans distinction, aux peintres et sculpteurs. 

Jeanine RIVAIS

 

 

 

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Est-ce le goût de se raconter des histoires pérégrines qui entraîne Magali Trivino dans des extravagances architecturales, véritables prouesses techniques, avec des couleurs qui sont un enchantement pour les yeux ? Ses constructions se retrouvent en effet en des proximités de rouges lie de vin, d'ocres allant du jaune au brun ; à l'avant-plan de ciels bleutés ou gris, de vieux murs à la Prévert… Architectures d'autant plus surprenantes qu'elle conjugue pour ce faire toutes sortes de matières : Pierres, sable, terre, argile, fer, pigments naturels… sont employés ; une véritable alchimie de couleurs et de textures, en somme ! Car ces assemblages n'ont rien d'innocent. L'artiste sait donner à ces matériaux vulgaires les chatoiements les plus sensuels, les carnations et les modèles les plus délicats ; passer de l'îlot d'immeubles brinquebalants aux ensembles les plus rigides, des murailles aveugles à d'autres percées d'ouvertures multiples. Ainsi, son talent et son imaginaire l'entraînent-ils en des réalisations inclassables socialement, sociologiquement, historiquement, géographiquement ! L'absence de toutes ces éventualités générant une œuvre insolite et fantasmagorique, une quête jamais achevée.

Autre sujet de surprise pour le spectateur : Magali Trivino affirme qu'il s'agit-là de "refuges". Mais refuges pour qui ? Pour quoi ? Car aucun occupant humanoïde ou allochtone ne vient troubler le vide et le silence de ces architectures ! Parfois, pourtant, un collage dont l'élément urbain est plaqué sur un fond d'écritures, et rehaussé d'une arcade constituée de boules disposées en cordon suggère que quelque civilisation a pu se développer dans cette œuvre ! Mais il ne peut s'agir-là que d'un jalon précieux des vagabondages fantasmatiques de l'artiste, auquel il incomberait de faire rêver quiconque le "rencontre" ! 

          Finalement, la démarche de Magali Trivino est plus littéraire qu’architecturale ! Mais une littérature infiniment poétique ! Une poésie qui se situe dans une pointe d'humour lorsqu'une lune blanche bien ronde roule de grands yeux entre un tympan (de cathédrale ?) et un îlot de tours aux murs convexes ! Peut-être s'agit-il alors pour l'artiste, de confirmer par les conjonctions esthétiques de ces éléments disparates qu’elle possède une grande maîtrise de l’infime détail, un grand savoir-faire, une puissance et une sobriété remarquables ; qu’elle est en somme une archéologue talentueuse dont les constructions ne sont encore que partiellement explorées !

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT SUITE AU FESTIVAL DE MAI 2021 DE BANN'ART ART SINGULIER, ART D'AUJOURD'HUI. 

 

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