PRAZ SUR ARLY : FESTIVAL 2003

UNE MANIFESTATION ARTISTIQUE, UN COUPLE FONDATEUR, UNE CONVIVIALITE

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CINQ QUESTIONS A CHANTAL ROUX

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          Jeanine Rivais : Depuis quand peignez-vous ? Et quel a été votre itinéraire, pour en venir à la forme actuelle de votre création ?

          Chantal Roux : Je peins réellement depuis onze ans. Mais avant, je faisais des spectacles pour enfants, des décors, des objets étranges, tout ce que l’on me demandait. J’ai toujours créé des images, en fait, mais je n’avais pas du tout envie de peindre. Ma mère et ma sœur étaient peintres, je voulais donc être écrivain. Et puis, à quarante ans, l’envie de peindre m’est tombée dessus ! Au grand désespoir de ma mère, d’ailleurs.

          Quand j’ai commencé, j’ai dès le début peint comme je le fais aujourd’hui. Je pense que j’avais mûri toutes ces choses pendant des années. Et puis, j’ai toujours été les yeux de ma mère qui devenait aveugle. Et qui, lorsqu’elle achevait une toile,  me demandait ce qui n’allait pas. Je n’ai jamais retouché une de ses toiles, bien sûr, mais je les regardais. Et, à force de les regarder, voir les compositions, les couleurs, j’ai tout appris avec elle. J’ai senti aussi mûrir mon monde, et quand j’ai commencé à peindre, j’ai été stupéfaite de voir qu’il était déjà prêt. Bien sûr, mon travail a évolué, mais j’ai sauté toutes les étapes des apprentissages. Toutes celles où l’on copie, on tâtonne, on se débarrasse des influences, en fait. C’est fantastique.

 

          J. R. : Mais en même temps, n’est-ce pas un peu désespéré ? N’avez-vous jamais eu envie de changer de formulation ? 

         Ch. R. : Non, je ne m’ennuie jamais. On me pose souvent la question, mais j’ai la certitude que, si un jour, je suis lasse de la forme actuelle, je serai capable d’en changer. 

 

         J. R. : Quelle définition donnez-vous de votre travail ? 

    Ch. R. : Je me considère comme un peu naïve, pas tout à fait singulière, un peu expressionniste, cela dépend des tableaux. 

      Je ne peux pas me définir plus précisément. Les Singuliers m’invitent, ils sont tellement gentils que je me sens vraiment bien avec eux, et finalement pas décalée. Au début, j’avais l’impression que j’allais l’être par rapport à eux, mais ici, je me rends compte que j’en suis très proche.

 

       J. R. : Vous venez de faire de vous-même la transition : Quelle définition donnez-vous de l’Art singulier ?

      Ch. Roux : J’ignore complètement ce qu’est l’Art singulier. La première fois que j’ai entendu cette expression, je me suis dit « Chic, je dois être singulière ! » Mais je trouvais tout de même que cette expression était un peu restrictive. Alors, j’en ai conclu que je n’étais pas « Singulière ». Ce qui me semblait paradoxal, parce que pour moi, tout artiste se doit d’être singulier. Finalement, on cherche des définitions : je sais que les Canadiens appellent ces formes d’art « l’art indiscipliné », les Belges disent « différencié »…

          J. R. : Oui, mais ces termes touchent davantage la création thérapeutique. On pourrait continuer, en disant que la Hollande et les pays anglo-saxons disent « outsider Art », etc. De toutes façons, ces termes s’emploient au sens que leur ont donné Jean Dubuffet et Alain Bourbonnais.

        Ch. R. : Je trouve que « hors-les-normes » est très bien. Même si c’est exactement la même définition. 

         J’insiste beaucoup sur le fait que je sois autodidacte, que je n’ai jamais appris à dessiner. Ma mère ne voulait surtout pas que nous apprenions. Mais en fait, c’était une tricherie, parce que j’ai toujours vécu dans un bain de peinture ! J’ai toujours visité des expositions ! Je ne suis ni vierge, ni innocente! 

 

          J. R. : Puisque vous voilà à Praz-sur-Arly depuis plusieurs jours, quelle définition donnez-vous de son Festival ?

    Ch. R. : J’ignore pourquoi, mais j’appréhendais de venir ici. J’avais rencontré Louis Chabaud une seule fois, et il m’avait fait un peu peur. Mais maintenant, je suis très contente d’être venue. Je trouve la qualité de l’exposition très bonne ; et l’ambiance entre les artistes est extraordinaire. 

          Peut-être pourrait-on définir l’Art singulier en fonction de cette impression ? Ce doit être comme la « Rock’n Roll attitude » où les rockers se définissaient par leur façon de vivre. Cette convivialité entre les artistes singuliers, cette façon d’être ensemble est peut-être la définition de cette mouvance élargie ?

 

          J. R. : Quelqu’un a écrit que la création artistique est une mise en forme de sa douleur. Votre création est-elle conforme à cette définition ? Ou bien, n’est-elle, au contraire, que pur plaisir ?

          Ch. R. : C’est vraiment une question difficile. Je n’ai ni douleur, ni plaisir pur. C’est comme la soif : quand on a soif, on a besoin de boire. Moi, j’ai besoin de peindre. Je sais bien que peindre sert à se débarrasser de choses lourdes, et je sais que c’est vrai pour moi, mais quand je peins je n’en ai pas conscience. Finalement, si, la création est plaisir. Il s’agit de rechercher le moment, c’est très rare, mais cela arrive,  où l’on ne pense plus, où c’est la main qui travaille. Sans passer par le cerveau. La main droite qui peint, et la main gauche qui choisit les couleurs. Sans réflexion du cerveau. Presque un moment d’extase. On s’en rend compte, et je crois que je peins pour atteindre ces moments-là, très furtifs, une espèce d’état de grâce extraordinaire. Peut-être comme avec une drogue, ou un état est sublimé. 

 

          J. R. : Quels sont vos projets ?

      Ch. R. : Je n’ai jamais de projets. Simplement, j’attends avec impatience la fin des expositions pour retourner dans mon atelier et me remettre à peindre. J’en ai très envie. 

 

       Entretien réalisé le 28 juillet 2003.

ROUX CHANTAL : VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES PERSONNAGES TRONCS de CHANTAL ROUX" : IDEART N° 56 de FEVRIER/MARS 1998.

Et http://jeaninerivais.fr Rubrique ART SINGULIER. 

Et TEXTE DE JEANINE RIVAIS  : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS RETOUR SUR BANNE 2003

VOIR AUSSI : "CINQ QUESTIONS A…" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 75 Tome 1 d'AVRIL 2004. Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS : RETOUR SUR PRAZ-SUR-ARLY 2003.