PRAZ SUR ARLY : FESTIVAL 2003

UNE MANIFESTATION ARTISTIQUE, UN COUPLE FONDATEUR, UNE CONVIVIALITE

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CINQ QUESTIONS A ISABELLE BONAFOUX

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          Jeanine Rivais : Depuis quand peignez-vous ? Et quel a été votre itinéraire, pour en venir à la forme actuelle de votre création ?

          Isabelle Bonafoux : 44 ans ! 1,5602m ! 

Je dessine et sculpte depuis toujours ! Et depuis toujours avec beaucoup de détails, de personnages et de couleurs ! Je suis partie de petits personnages, comme en font les enfants. Je me souviens d’avoir un jour peint une station des Alpes où nous allions skier. Il y avait le collet d’Allevard, la montagne, la piste, tous les sapins, tous les skieurs, avec tous les détails, les bonnets, les boutons… Il y avait donc déjà les prémices de ce qu’est devenue ma peinture, couleurs et détails. 

          Mon père dessinait très bien. Il était ingénieur-architecte, et a construit sa maison de A à Z. Il  éprouvait donc un intérêt pour la sculpture. J’ignore d’où vient l’imaginaire qui est en moi ? Mais je tiens de mon père mon intérêt pour la peinture et le dessin. En conséquence, mes parents ont été pour moi très importants. Et ils m’ont toujours encouragée. 

          J’étais une enfant « du milieu », et j’avais un grave problème de jalousie vis-à-vis de mon frère aîné. Mes parents ont donc dû m’inscrire chez une psychologue qui faisait dessiner les enfants qu’on lui confiait. Grâce à cela, le problème s’est vite réglé, parce qu’en définitive, il n’était pas grave.

         Le temps passant, j’ai commencé à faire de petites expositions dans le village de mes parents. J’ai suivi des cours épisodiques chez une aquarelliste. Et quand mes parents m’ont demandé ce que je voulais faire, j’ai répondu « Les Beaux-Arts, bien sûr ! » Toujours grâce à eux, je me suis donc inscrite. Nous avions la chance d’avoir de grands locaux et toutes sortes de matériaux à notre disposition. C’est alors que j’ai découvert la sculpture. Mon intérêt immédiat n’est pas dû au hasard, vu l’influence qu’avait sur moi mon père. J’ai commencé à conjuguer la sculpture, mes couleurs et mes détails. En somme, ma vocation de créer est une histoire d’enfance et de famille. 

 

         J. R. : Mais comment en êtes-vous venue à cette formule à la fois si psychologique et si élémentaire, cette création tellement boulimique, dont nous avons déjà parlé lors de précédents entretiens ?

         I. B. : Le mot « boulimie » me convient maintenant. Mais à 18 ans, c’était la folie totale. J’ai eu besoin de me structurer. A force de travailler, d’avoir l’intuition –ce que n’avaient jamais dit les professeurs des Beaux-Arts- qu’il était possible de trouver seule des solutions, une écriture qui vous convienne… J’ai l’impression d’avoir vraiment bataillé pour trouver une ouverture sur moi-même, « ouvrir le rideau », comme l’on dit au théâtre. J’ai beaucoup souffert pour y parvenir.

        Je peux dire que pendant sept ans, j’ai fréquenté les « Beaux-Arts » de façon très épisodique parce que je devais travailler parallèlement. De sorte que, finalement, je n’ai pas reçu de formation classique.  Par contre, les Beaux-Arts ont signifié pour moi des rencontres fabuleuses avec les « bonnes » personnes ; des locaux pour la sculpture. Et tout de même, une connaissance de l’histoire de l’art, et la culture générale.  Mais la recherche, le cheminement se sont faits tout seuls. Je pense tout de même que je dois à mon professeur de sculpture d’avoir découvert le siporex qui est un béton cellulaire. Lorsque l’on a ainsi le choix, on s’aperçoit qu’il ne suffit pas d’avoir des idées, il faut trouver les matériaux qui correspondent.  Je n’aimais pas du tout la terre parce qu’elle exigeait trop de détails, qu’il fallait faire ensuite des moules en plâtre… Avec la terre, il faut « ajouter », or moi, j’aimais bien « retrancher ». J’aimais rencontrer une résistance de la part du matériau. C’est ce que fait le siporex. Il me donne une sorte de maladresse que j’aime. Et puis, je peux poser dessus mes couleurs. En fait, le but était, « du volume, mais coloré ». 

          Je me retrouve donc aujourd’hui avec les personnages de l’enfance. Les poupées Barbie, parce que j’ai longtemps joué à la poupée. Je racontais des histoires à mes poupées. Or, vers 8/9 ans, j’ai eu des angoisses très profondes, en me demandant ce que je pourrais bien faire lorsque je ne les aurais plus ? Je n’aimais pas du tout les occupations des adultes. Aujourd’hui, mes poupées sont toujours là. 

 

          J. R. : Est-ce important que ce soient des poupées Barbie ?

         I. B. : Oui, parce que ce sont des poupées très fines, ce sont en somme des petits humains, avec lesquels je pouvais faire du théâtre, « jouer » la réalité. Elles sont donc toujours là, peintes des couleurs de mon enfance. Maintenant, j’ai les moyens, les « armes » pour trouver mon « écriture ». C’est merveilleux. Et c’est un bonheur qui va crescendo. J’ai enfin compris que ce que l’on perd en jeunesse, en vitalité, on le compense par la création ; et c’est à chaque fois la victoire de l’esprit. 

          J. R. : Quelle définition donnez-vous de votre travail ? 

          I. B. : J’ai déjà longuement répondu. Qu’ajouter d’autre ?

 

          J. R. : Alors, quelle définition donnez-vous de l’Art singulier ?

      I. B. : Qu’est-ce que j’ai éprouvé lorsque j’ai rencontré les Singuliers ? J’avais, jusqu’en 1996, un petit parcours d’expositions pas inintéressant. Cette année-là, j’ai rencontré les Dreux. Ils étaient venus visiter l’exposition « D’Art », à Nice, où se côtoyaient toutes les tendances. Ils ont posé sur mon travail un regard qui m’a étonnée. Ils m’ont invitée chez eux, m’ont fait connaître la Revue Ozenda, dont ils ont tous les numéros. Je ne comprenais rien du tout ! Jusqu’au jour où Sonia a fait venir Escard. Il a écrit un petit texte sur mon travail, avec une photo. C’était en 97. Cette année-là, Louis Chabaud est passé à Grasse voir un sculpteur que nous connaissions tous les deux. Il a remarqué mon travail. Mais il est reparti sans rien me dire. Et c’est le sculpteur qui m’a parlé de cet intérêt. J’ai envoyé un mot à Chabaud, des invitations, etc. Et un jour, il m’a invitée à son festival. Je suis arrivée à Praz-sur-Arly. Et j’ai reçu là, le choc de ma vie, le coup de foudre. La découverte de couleurs, d’imaginaires, de gens qui ne se « prenaient pas la tête », de la simplicité, du bonheur. Et j’ai vu enfin le Bulletin d’Ozenda, avec ma tête, mes œuvres, vos écrits… J’ai enfin compris la portée de cette revue. Donc, 99 a été la concrétisation de tous les cheminements possibles sur lesquels je m’interrogeais. Depuis, c’est le grand bonheur. J’ai trouvé ma famille. C’est très important. J’expose parfois avec d’autres artistes, mais le vrai bonheur, c’est d’être avec des Singuliers.

           Est-ce que je suis ou non Singulière ? En fait, ce n’est pas le problème. Mais je suis bien avec ces gens, avec leurs œuvres. Je trouve valorisant d’être avec « sa famille ». 

 

          J. R. : Quelle définition donnez-vous du Festival de Praz-sur-Arly, puisque vous affirmez y être pleinement heureuse ?

        I. B. : Je serai forcément subjective, vu que j’aime Chabaud, j’aime les gens qui y exposent, et c’est là que mon histoire a commencé. Je les aime, et c’est l’histoire de ma naissance. D’une autre naissance, comme on en a plusieurs dans sa vie si on a de la chance. Par ailleurs, je suis fière parce que c’est mon troisième festival. Quand Louis m’a invitée, j’étais fatiguée, je voulais prendre des vacances, mais j’ai immédiatement dit à mon mari qu’il fallait y renoncer. Que je me « devais » d’être au festival de Praz. Bien sûr, je n’oublie pas de parler de Paulette qui travaille énormément pour ce festival. 

          Je suis d’autant plus fière que les autres artistes exposant ici font un travail de qualité. C’est hyper-important de se sentir bien, parmi des univers homogènes. Au milieu de gens simples, avec lesquels on peut parler de ses soucis, rire et plaisanter. S’il le fallait, je défendrais bec et ongles Chabaud et son festival, comme une mère prête à défendre son enfant. 

Objectivement, le festival est d’une extrême qualité, c’est beau. 

 

          J. R. : Quelqu’un a écrit que la création artistique est une mise en forme de sa douleur. Votre création est-elle conforme à cette définition ? Ou bien, n’est-elle, au contraire, que pur plaisir ?

          I. B. : Je ne peux bien sûr, répondre que pour moi. Chacun a sa propre histoire, et donc une réponse différente. L’an dernier, je parlais avec une amie qui me disait : « Isabelle, je n’ai pas en moi, cette petite chose qui vous fait battre le cœur comme quand on est amoureux ». Et je lui ai répondu que pour moi, ma création était partie d’une douleur. Elle a eu un parcours familial sans aucun problème, un père, une mère, une sœur… elle a eu tout ce qu’une enfant peut souhaiter. Moi, j’ai souvent souffert de ne pas avoir un lieu, une chambre à moi… J’ai eu une véritable rage de ne pas avoir de lieu où me réfugier. Maintenant, tout le monde « comprend », bien sûr, mais cela a jalonné mon enfance de hargne, de colères. Et cette position d’enfant entre deux autres, qui empêche de prendre ses repères : on n’est pas le grand, on est trop grand… Je me demande parfois si le fait d’aller vers la création n’a pas eu aussi pour motivation de me distinguer dans ma famille, d’asseoir ma personnalité, d’être différente des autres. Pour moi, effectivement, la création est partie d’une douleur, d’un étouffement que j’ai trop souvent ressenti, bien que j’aie eu, je le répète, des parents formidables. Cela donne une adulte qui traîne des mécontentements, mais qui, en même temps, est heureuse. Ce mélange me semble finalement positif.

          On me parle souvent des dés que je colle sur mes toiles, je crois qu’ils symbolisent le pari inconscient que j’ai fait de me libérer de ce carcan. 

 

          J. R. : Quels sont vos projets ?

         I. B. : J’espère continuer à être « habitée ». A travailler alimentairement pour m’offrir la liberté d’exposer seulement où je le veux. Dire non quand je n’ai pas envie d’aller quelque part. Continuer d’être heureuse dans cette création. Et que le temps ne passe trop vite pour que j’aie le temps de dire tout ce que j’ai envie de dire.

 

       Entretien réalisé le 28 juillet 2003.

 

BONAFOUX Isabelle : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES THEATRES DE LA VIE D'ISABELLE BONAFOUX" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 67 de JANVIER 2000. 

Et N° 71 de Janvier 2002 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA, dans le cadre du Ve festival de Praz-sur-Arly. 

Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS RETOUR SUR PRAZ-SYR-ARLY 2001

Et N° 72 TOME 2 de FEVRIER 2003. Rubrique BANNE TROISIEME FESTIVAL D'ART SINGULIER. 

Et "CINQ QUESTIONS A ISABELLE BONAFOUX" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°75 Tome 1, Août 2004, VIe FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY.

 Et  aussi : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique RETOUR (s) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE (s).