PRAZ SUR ARLY : FESTIVAL 2003

UNE MANIFESTATION ARTISTIQUE, UN COUPLE FONDATEUR, UNE CONVIVIALITE

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CINQ QUESTIONS A BERNARD LE NEN

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          Jeanine Rivais : Depuis quand peignez-vous ? Et quel a été votre itinéraire, pour en venir à la forme actuelle de votre création ?

          Bernard Le Nen : Je dessine depuis toujours. Enfant, je dessinais dans les marges de mes cahiers, comme tout le monde. Puis au crayon à bille… Un jour, j’ai pensé à mettre de la couleur. Voilà presque vingt ans que je fais de la peinture et que j’ai entamé une démarche artistique. J’ai commencé à exposer deux ou trois ans après, d’abord dans des petits lieux très confidentiels. Ma première exposition importante a eu lieu chez Cérès Franco, en 1995. 

 

          J. R. : Mais comment en êtes-vous venu à cette expression tellement originale ?

          B. LN. : Cela s’est fait petit à petit. Je viens de revoir des toiles anciennes, et je m’aperçois de l’évolution. Au début, j’étais timide, j’essayais d’imaginer des formes beaucoup plus simples ; aux couleurs plus crues, plus tranchées. Puis, j’ai commencé à laisser vagabonder mon imaginaire. Les choses se dessinent au fur et à mesure du travail. La technique s’affirme avec les années…

 

          J. R. : Avez-vous pris conscience des compositions et des formes très psychologiques de votre création ? En fait, chaque toile est comme une sorte d’Arbre de Jessé, aux nombreuses ramifications s’imbriquant les unes dans les autres ; toutes les branches revenant finalement au « ventre » de départ. Quelqu’un parlait, hier, à propos de votre travail, de labyrinthe. Certes, le labyrinthe est présent, mais plus que cette idée, celle du cordon ombilical noué me semble évident. 

          B. LN. : Je n’analyse pas mon travail, mais si tout ce que vous dites est là, je crois que tout tient à ma façon de mettre l’œuvre en forme. Ce que j’aime, même s’il n’y a pas de lien, c’est qu’il ait l’air d’y en avoir un. Quand je fais cette sorte d’aller-retour, c’est un jeu. J’essaie que les choses soient liées, et que se crée un mouvement. Après, qu’inconsciemment, j’y mette des choses, et que veulent-elles dire, voilà une autre histoire. Comme beaucoup de Singuliers, je travaille à la spontanéité, à l’émotion. C’est seulement après que j’essaie d’analyser un peu. J’ai aussi l’impression qu’il s’agit de cycles : le cycle de la Vie, de la Mort, etc. Nous mourons, et les arbres poussent…

 

             J. R. : Et pourquoi pratiquement toujours dans des couleurs de terre ?

         B. LN. : C’est par périodes. Quand je suis las des teintes vives, je reviens à plus de sobriété, parce que je trouve intéressant de travailler avec moins de couleurs. C’est un vrai défi.

 

         J. R. : J’allais vous poser la question suivante : Quelle définition donnez-vous de votre travail ? Mais je crois que vous venez de la donner. Avez-vous tout dit, ou voulez-vous ajouter quelque chose ?

        B. LN. : Oui. J’ajouterai que j’essaie de travailler le plus librement possible, tout en ayant conscience de la composition. Et de la nécessité de travailler longuement les couleurs. Autant le sujet vient rapidement, dans une logique que je ne gère pas toujours ; autant j’essaie de gérer la composition du tableau, les harmonies entre les couleurs, etc. En fait, je me sens bien quand j’ai établi un équilibre entre une partie très raisonnée, et une partie très spontanée, très libre ; où je laisse « venir » les images. Mais je m’amuse beaucoup avec les pleins, les vides…

 

          J. R. : Je dirai que les vides sont peu importants.

         B. LN. : En effet. Certains personnages sont finalement déterminés par la place que leur ont laissée les autres. Si je dessine deux personnages côte à côte, et qu’au milieu il reste un espace suffisamment grand pour y mettre quelque chose, ou quelqu’un, l’ajout est déterminé par la forme qui est laissée.

 

          J. R. : Il est donc possible de dire qu’un enchaînement est non seulement physique, mais mental. Un personnage est conditionné par le vide qui lui reste ? 

          B. LN : Oui, mais après, cela entraîne une interprétation psychologique, subjective. Moi, je procède de cette façon, mais je ne l’analyse pas. Je dirai simplement que certains personnages « font leur trou » parmi les autres ! 

          J. R. : Quelle définition donnez-vous de l’Art singulier ?

          B. LN. : Je pense que l’art doit n’être que singulier !

 

         J. R. : Bien sûr. Mais nous sommes, avec ma question, dans une connotation historique incontournable.

          B. LN : Singulier. A partir du moment où un art est sincère, lorsqu’il est le plus représentatif de l’individu qui l’a créé, il est forcément singulier. Donc tout proche de cette définition. Tous les faiseurs, ceux qui essaient à tout prix de s’inscrire dans une ligne, n’en font à coup sûr pas partie. Pour moi, c’est être le plus fidèle possible, le plus personnel possible. Ce n’est pas forcément facile d’y parvenir, mais en tout cas, cela est ma définition.

 

 

J. R. : Puisque vous avez déjà exposé plusieurs fois ici, quelle définition donnez-vous du Festival de Praz-sur-Arly ?

B. LN. : La première fois que je suis venu, cela a été pour moi une vraie découverte ; parce que je pensais que tout se passait dans les galeries ou les lieux consacrés. Ce que j’aime ici, c’est que le festival a lieu en plein dans la vie, là où les gens vivent, passent… C’est important : l’Art au milieu des gens. 

Et puis, c’est la rencontre avec les autres artistes. Plus même que la rencontre, c’est pour ainsi dire la vie ensemble. Avec les coups de gueule, l’amitié, la convivialité, l’échange. Un lieu, en somme, où l’art est en phase avec les gens.

 

J. R. : Pouvez-vous préciser comment ce festival est, pour vous, rattaché à l’Art singulier ?

B. LN. : Praz est organisé par Louis qui est lui-même un artiste singulier. Qui connaît donc bien le sujet. Il arrive aussi, et nous en revenons à la définition de l’Art singulier de tout à l’heure, que des artistes n’ont pas vraiment l’air d’entrer dans cette mouvance. Puis, en les connaissant mieux, on s’aperçoit que leur démarche est toute proche de la nôtre. Même si leur travail se rapproche de certaines démarches plus contemporaines. Finalement, pour moi, ceux qui sont là m’apparaissent comme de ma famille, j’entre aisément dans leur démarche. En parlant, chacun s’aperçoit qu’il a de nombreuses affinités avec l’autre. Une même façon de concevoir l’art. Une démarche différente, mais une même longueur d’onde. Après, ce sont les gens qui décident que cela est ou n’est pas singulier. Au fond, ce n’est pas le problème de l’artiste. 

 

          J. R. : Quelqu’un a écrit que la création artistique est une mise en forme de sa douleur. Votre création est-elle conforme à cette définition ? Ou bien, n’est-elle, au contraire, que pur plaisir ?

          B. LN. : Ce n’est ni l’un ni l’autre. Ou plutôt, cela dépend des moments. Parfois je me sens en état de grâce, je me régale, je suis dans l’instant ; et c’est alors pur plaisir. A d’autres moments, c’est plus difficile. Mais de là à parler de douleur, cela ne m’est jamais arrivé. Si un jour, créer devenait trop douloureux, je m’arrêterais ou je changerais de démarche. 

         Par contre, la création aide parfois à surmonter une douleur, à l’exprimer, à surmonter la douleur physique et morale. J’ai été malade récemment, et ma peinture m’a beaucoup aidé, le dessin en particulier. 

 

          J. R. : Quels sont vos projets ?

        B. LN. : Pour moi, les choses évoluent doucement. J’essaie d’être à l’écoute de ce que j’ai envie ou pas envie de faire. Je n’ai jamais vraiment de projets. Je vais à l’atelier, et puis les choses se développent, je change de support, de couleurs… Par contre, j’ai envie de faire des œuvres plus grandes. Et, parce que mon travail est de plus en plus lent, de revenir à la peinture à l’huile.

 

          J. R. : Et quelle serait la différence ?

        B. LN. : Justement, je n’en sais rien. Peut-être que je ne serai pas satisfait du résultat et que je reviendrai à l’acrylique ? Je n’avais jusqu’à présent jamais peint sur des ardoises, et cela m’a donné des résultats surprenants. Je verrai bien… 

 

       Entretien réalisé le 28 juillet 2003.

 

LE NEN BERNARD :  TEXTE DE JEANINE RIVAIS : " LES GENEALOGIES FANTASMAGORIQUES DE BERNARD LE NEN" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 72 Tome 1 de février 2003. 

Et Rubrique ART ET DECHIRURE. http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART SINGULIER.

VOIR AUSSI : "CINQ QUESTIONS A…" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 75 Tome 1 d'AVRIL 2004. 

Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS : RETOUR SUR PRAZ-SUR-ARLY 2003.