Madame Léveillé-Gallo, héritière d'une partie des œuvres de Salvatore Gallo, a fait donation d'une centaine de sculptures et peintures à la Communauté de communes de la Vanne et du Pays d'Othe. Certaines ont déjà été installées dans diverses communes ; la plupart ont été précieusement déposées en réserve ; celles qui sont revenues à Villeneuve-l'Archevêque sont exposées pendant trois semaines  dans la salle du Bureau d'information touristique de cette ville.

 

          C'est à ces occasions que j'avais été sollicitée en 2016 et 2017 pour parler des sculptures de Salvatore Gallo ; et que j'ai été de nouveau invitée à parler des peintures en 2025. Ce que j'ai tenté avec le plus grand plaisir. Célébrer cet artiste ne peut être qu'un honneur. 

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          Salvatore Gallo est né le 7 janvier 1928 à Vittoria en Sicile ; et mort le 12 juin 1996 dans le 7e arrondissement de Paris. Il est enterré au Cimetière du Montparnasse.

          Il était le père de plusieurs enfants issus d'unions différentes dans des pays différents. 

         Il a été marié trois fois. Chacun de vous connaît Madame Léveillé-Gallo, qui a honoré la France en offrant à votre région un grand nombre d’œuvres importantes.  

       À partir de 1972, il travaille dans la colonie d'artistes de Nogent-sur-Marne. Il vit dans un hameau de la commune de Bagneaux où, paraît-il la poussière soulevée lorsqu’il scie ses marbres ou ses pierres, incommode le voisinage ! Et c’est là qu’à la fin du XXe siècle, j’ai découvert ses œuvres. Un entrefilet de l’Yonne républicaine parlait d’un créateur du « bord des routes ». Persuadée de découvrir un artiste d’Art brut, j’ai sollicité de madame Léveillé-Gallo la permission de visiter son lieu. Permission accordée et découverte inattendue d’un artiste au talent immense reconnu dans le monde entier !! Et j’ai présenté, ici, en 2016 et 2017, une conférence sur les sculptures de Salvatore Gallo, intitulée « La forme en mouvement ». 

 

          Salvatore Gallo a étudié à Turin de 1946 à 1949. Il est ensuite parti de 1955 à 1957 travailler au Mexique avec l'artiste Siqueiros, le muraliste mexicain dont la démarche était éminemment politique ; dont les œuvres étaient un reflet direct de son époque, fortement influencé par la révolution mexicaine, et qui s'appliquait à créer un art qui soit à la fois mexicain et universel. 

          En 1958, Salvatore Gallo est ensuite parti aux États-Unis où il a eu sa première grande exposition à la Chiser Gallery. Il a commencé une collaboration avec son cousin Frank Gallo Professeur d'art à l'Université de Boston. Ensemble ils accompliront plusieurs commandes importantes. Ils auront également une grande exposition à Tel Aviv, en Israël. 

          En 1964, Salvatore quitte les États-Unis pour s'installer en France. En 1965, il organise sa première grande exposition à « L'Académie Dufaux » à Paris. Parallèlement, il participe à l’exposition intitulée « Art Fantastique » à la galerie Langlois à Paris également. Il expose ses sculptures à l'Ambassade d'Italie et au musée d'Art Moderne. 

          En 1969, il participe à l'exposition intitulée "Depuis Rodin" au musée municipal de Saint-Germain-en-Laye où il reçoit la Médaille de bronze. Au fil des années, de nombreuses médailles souvent en or, récompenseront sa créativité.

          Salvatore Gallo et son cousin travaillent alors sur un certain nombre de projets pour les États-Unis, notamment des monuments à Dallas, au Texas, ainsi que plusieurs sculptures pour le Play Boy Club of America.  Au fil des expositions, ses sculptures sont des œuvres modernes réalisées en marbre, en bois, ou en bronze.

        De 1976 à 1996, il multiplie les expositions nationales et internationales ; répond à de multiples commandes dont la dernière, proposée par la Commission du Président de la Société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, Jean-Antoine Winghart pour qui il crée une œuvre que vous connaissez tous, réalisée dans un morceau de grès de 35 tonnes sculpté à la main. Cette œuvre, intitulée « La Création », est érigée sur l'aire de repos de Villeneuve-L’Archevêque ; et son inauguration sans l’artiste a correspondu à l’inauguration officielle de l'autoroute A5 le 21 juin 1996. Il a utilisé pour ce faire une pierre issue du tracé de l’autoroute, et qui avait une forme arrondie. Bien sûr Salvatore Gallo y a vu un œuf que l’on retrouve dans nombre de ses œuvres ; dont on sait qu’il est le symbole du premier stade de la vie, le départ du monde. Il représente la fécondité, la maternité, la vie, la renaissance et la protection. L'œuf est associé à l'idée du nid, qu'est le vagin féminin.

Salvatore a positionné la sculpture achevée et est décédé une semaine plus tard, emporté par un cancer généralisé. C’est la raison pour laquelle j’ai intitulé mon texte de 1996, « La Création ou la pierre qui tue ». 

          Il avait été chargé en 1995 de créer trois autres sculptures pour l'autoroute Rhin-Paris. Malheureusement le cancer évoqué l’avait empêché de les réaliser. 

 

          Toujours, Salvatore Gallo a donc "bougé", allant de sa Sicile natale à l’Italie, à quelque île perdue d'Amérique du Sud, aux Etats-Unis ; au Moyen-Orient ; en France, etc. Un globe-trotter de l’Art, en somme ! Un critique d’art avait écrit ! « Un vagabond inquiet qui connaît les rues de nombreuses villes du monde et travaille, maintenant à New York, maintenant à Tel Aviv, maintenant à Paris, sans s'arrêter et sans jamais chercher un lieu d'atterrissage définitif ; une explosion de vitalité, dont la preuve tangible est sa propre conversation qui ressemble à un torrent en crue dans lequel l'interlocuteur doit s'accrocher fermement pour ne pas être submergé », suggérant donc que Salvatore Gallo créait sans relâche, et qu’il était très bavard !!

          Nous avons dit, voici quelques années, que dans ses sculptures, l'artiste avait sans cesse traqué le mouvement. Bois, pierre, marbre, bronze... avaient pris entre ses mains des courbures douces et élégantes, au grain raffiné : Oiseaux tendant vers l'infini leurs ailes éployées ; sportifs bandant tels des arcs, leurs corps déliés ; couples longilignes, enlacés en volutes ascensionnelles, hochant légèrement leurs visages minuscules, confondus, à peine ébauchés ; anatomies filiformes, nucléées, articulées sans que jamais le moindre angle droit vienne durcir les rythmes serpentins. Du cou du cygne sinuant avec sa grâce légendaire vers les seins galbés d'une Léda aux hanches généreuses ; à un homme agenouillé noyant son visage dans les rondeurs d'un ventre féminin... Tout, dans l'œuvre sculptée de Salvatore Gallo, est harmonie, à la fois plénitude et ductilité des formes ; la relation entre surfaces, volume, espace et variations de la lumière, donnant à ses créations une connotation poétique ; générant un art sensuel et sensible issu d'un esprit profondément humain. Ainsi en était-il venu à définir sa conception sous le titre « La forme en mouvement ». 

 

SALVATORE GALLO ET LA PEINTURE

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          Demandons-nous si elle a eu la même importance ; si elle a été le reflet de ses sculptures ou complètement différente. Et avant tout, voyons

 

Quelles influences Salvatore Gallo a reconnues lorsqu’il a fait le bilan de ses démarches ?

          ***1/ L’influence des muralistes mexicains, en particulier Siqueiros est importante : « Evidemment », écrit-il, « les notions théoriques apprises au Mexique de maîtres indiscutables eurent une grande importance et surtout l’enseignement de Siqueiros qui fut mon maître et conseiller artistique et m’apporta tous les secrets nécessaires à l’animation de toutes les compositions picturales et sculpturales qui ont servi de base à toutes mes créations. Décrire Siqueiros est superflu, car sans préjugés, il reste pour moi un des grands contemporains disparus, qui ont tracé la voie du plus grand amalgame optico-artistique jamais ouverte en ce siècle ».

          ***2/ L’influence de L'Art fantastique puisqu’il a participé à une exposition ainsi intitulée : Il s’agit d’un thème artistique qui s'inspire de sujets oniriques, ou fantasmagoriques, du grotesque, du subconscient, du rêve et du monde des contes de fées aussi bien en peinture, gravure ou sculpture.

Les caractéristiques du genre sont présentes dans ses œuvres : irruption d'événements inquiétants dans le quotidien ; espace familier et temps contemporain de celui de l'auteur.

Repubblica italiana
Repubblica italiana

          Prenons l’exemple de l’œuvre qu’il désigne en grosses lettres sous le titre de « République italienne » devant laquelle nous passerons tout à l’heure.   

Sachez déjà que l’histoire de cette œuvre n’est pas banale : dans les années 70/75 Salvatore avait réalisé une tête énorme dans une carrière de sa ville natale, Vittoria en Sicile. Elle mesurait 1,5 mètre de haut et représentait la République italienne. On trouvait sur la nuque un profil masculin que l’on trouve fréquemment dans l’œuvre de Salvatore. Lequel affirmait qu’il avait refusé de vendre cette tête à la mafia, et que, pour se venger, celle-ci l’avait volée. Il disait avoir réalisé une seconde œuvre sur le même sujet, mais nul ne sait ce qu’elle est devenue. 

Salvatore Gallo était très concerné par la vie italienne. Cet événement se passait au moment où le pays traversait sa période la plus noire : La mafia était omniprésente, tant dans les milieux civils que dans les milieux politiques et judicaires dont l’influence était alors au minimum de leur efficacité.  

          Pour symboliser son chagrin ou sa colère peut-être, de pareille situation, il a réalisé l’œuvre que nous avons sous les yeux. Que représente-t-elle ? Puisqu’elle est intitulée « Repubblica italiana », en bonne logique, le spectateur peut s’attendre à une scène glorifiant l’Italie. D’autant que la signature de l’artiste se trouve immédiatement au bout du titre, preuve qu’il assume pleinement la portée de son œuvre. Et qu’au fond à droite, à la place des traditionnelles montagnes, il a représenté plusieurs de ses sculptures, dont l’une les bras levés en signe de victoire ! Qu’en est-il réellement ? 

          Le visiteur voit deux paires de fesses humaines posées sur un plateau, prolongées de bas en haut par une paire de seins très féminins, deux longs cous qui s’étirent en deux têtes de cygnes. Deux corps étroitement entrelacés, en somme. 

           Que veut-il dire ? Est-ce une adaptation de Léda et le cygne qu’il a par ailleurs représentée en sculpture ? Il semble bien que non. Et que, pour symboliser la situation de l’Italie, et le terrible danger qui l’affectait, l’artiste ait emprunté à la mythologie grecque l’histoire de l’Hydre de Lerne. Dont chacun sait que ses têtes repoussaient encore plus nombreuses chaque fois qu’Héraklès en coupait une. 

          Quelle que soit la solution, ce tableau est un très bel exemple de l’interprétation des mythes antiques. La peinture représente un sommet de couleur douce et de sensualité, avec ses teintes blanc rosé, nacrées. 

          ***3/ Et ceci nous amène à évoquer l’influence de l’Art surréaliste qui hérite de la forme du fantastique, toujours en équilibre entre étrange et merveilleux, dans le sens où les œuvres surréalistes arrivent à produire des arborescences de sens infinies, dont le lecteur-spectateur ne peut jamais être sûr. Plusieurs œuvres de Salvatore Gallo répondent à cette définition ; et d’autres qui ne sont pas ici, s’intitulent « Composition surréaliste ». 

          *** 4/ Le Symbolisme que nous trouverons dans nombre d’œuvres, mais dont nous parlerons plus loin. 

       *** 5/ Le naturalisme auquel il a renoncé parce qu’il se tourne vers le passé, la nature, l’ésotérisme et le satanisme, le mystérieux et l’occulte, le mythe ou la religion. Mais il se veut rassurant, en ajoutant : « Ce n’est pas par aberration ou par absolutisme que j’apporte à mes œuvres toute une lumière nouvelle afin de les rendre plus belles les unes que les autres. Il faut des années pour arriver enfin à une perfection de la composition », substituant à mes formes « d’autres animations qui ne s’y trouvaient pas à l’origine mais traduisaient la tragédie qui se cache dans chacune de mes [œuvres] ; parce que, après tout, j’ai choisi le chemin de l’artiste symboliste, refusant catégoriquement le côté décoratif et stylisé ».  (D‘où l’étonnement du visiteur face au refus du mot « stylisé », alors que la plupart de ses œuvres constructivistes le sont et que plus tard, il l’emploie apparemment sans état d’âme).

 

          Qu’est-ce qui caractérise le peintre ? Quels sont les principes de sa création ? 

          ***1/ Se situer dans l’art de son époque : « Dur fut pour moi le choix », écrit-il. « Dans un premier temps, en effet, il était difficile de refaire en si peu de temps, toute l’histoire de la création contemporaine, car toutes les formes et tous les styles avaient déjà été réalisés. Il ne me restait donc aucune formule à titre personnel ». Heureusement, son talent lui a permis de trouver sa voie.

          *** 2/ Appliquer la rigueur absolue : « Siqueiros », continue-t-il, « m’a donné la force de maintenir une même rigueur dans toutes mes compositions, car jamais je ne me suis laissé distraire par des recherches nihilistes auxquelles je n’ai jamais cru, et comme lui, j’ai basé mes compositions sur des fins analytico-sociales ».

          Le nihilisme qu’il évoque désigne un scepticisme absolu, qui considère le monde ainsi que l'existence humaine comme dénués de sens, de vérité compréhensible ou de valeurs absolues.

          Les Dadaïstes, Ribemont-Dessaignes, les Surréalistes ont remis en cause dans leurs peintures ou leurs écrits, le sens du monde ! Salvatore Gallo s’affirme résolument contre cette tendance. 

          Il veille donc à ce que ce qu’il peint fasse toujours sens et reflète son époque. Contrairement aux mots, qui se succèdent et possèdent chacun une signification précise, l'art pictural offre une gamme de formes, de symboles et d'idées aux significations malléables. Mais Salvatore Gallo en était venu à de profondes certitudes. Dont l’une serait 

          ***3/ La recherche de la beauté absolue : « Jamais », écrit-il encore, « je ne changerai mes compositions parce que je crois qu’elles apportent à tous ceux qui possèdent mes œuvres ou ceux qui les admirent dans mes expositions, une paix profondément humaine, mêlée d’une poésie pure qui leur offre une grande béatitude. Le but de mes compositions est le suivant : Ce que je n’ai pas eu dans ma vie, je cherche à le donner aux autres à travers mes œuvres ». Il se veut donc en fait créateur, au sens où il porte ses œuvres comme une femme porterait son enfant ! 

          *** 4/Affirmer la certitude que les décisions prises sont le meilleur chemin possible : Quelles que soient la date ou ses humeurs, dans ses peintures, Gallo semble s'imposer des limites strictes, comme pour mesurer ses possibilités : des formes essentielles, simples et primaires, sans fioritures et avec un nombre minimum de couleurs (pas plus de quatre).

          Comme ses congénères, il reflète pendant ses quelque quarante années de création, son époque avec ses mouvements divers, les expériences artistiques les plus variées et les plus vitales du XXe siècle, mais toujours en trouvant une expression personnelle. Il cite un critique qui situe son « aboutissement à un mouvement définitif en 1967. Nous eûmes à plusieurs reprises des discussions sur cet aboutissement définitif auquel je parvins après une étude analytique à partir des formes baroques-surréalistes inculquées en moi par la Renaissance et surtout par Rubens puis par Siqueiros. J’ai décidé alors de donner toute ma vie, à mes formes, à mon vrai style, à mes compositions tant picturales que sculpturales, leur forme d’aujourd’hui. Ainsi naquit en moi cette volonté de détruire le baroque ». Dont chacun qu’il faisait primer les sensations sur la raison, impliquait la volonté de théâtraliser des émotions fortes par le contraste des couleurs pour émouvoir le spectateur ; et insistait sur le désordre pictural issu de ces priorités. Alors que sobriété et rigueur, travail avec discipline au respect et à l'interprétation perdue de la civilisation picturale primaire, étaient sa ligne définitive. 

          Le premier des critiques évoqués continuait ainsi : « Le travail de Salvatore Gallo et en même temps son tempérament inquiet de vagabond auraient pu le mettre en position non seulement de connaître et de s’inspirer - en France ou ici et là dans le monde - des circonstances les plus significatives de la vie culturelle, mais il a su s’en écarter pour n’exprimer que ce qui correspondait aux limites qu’il s’était a priori fixées ». 

          Pour résumer : Il aurait pu s’inspirer des modes. Quiconque voit ses peintures en déduit au contraire une impression générale de force expressive. Ceci est déterminé par le besoin singulier de voir la réalité à travers des solutions géométriques et des schémas, ce qui correspond sans doute chez l'artiste au besoin de trouver une base fiable, la moins aléatoire possible, mais la plus sûre, pour dessiner des maisons, la nature tout entière ou des sujets plus difficiles à interpréter comme ceux qui nous entourent. 

         *** 5/ la peinture de Salvatore Gallo : la couleur

         Il ne cherche pas à représenter des sujets tels qu’ils sont en réalité. Dans ses œuvres, chaque détail est stylisé. Leur particularité réside dans l'utilisation parcimonieuse de couleurs primaires (rouge, jaune et bleu particulièrement) et dans l'opposition des lignes verticales et horizontales pour créer une composition abstraite. 

          Composer et décomposer ces formes et ces couleurs est pour Gallo l'objet d'une activité frénétique, qui se réalise non seulement sur des toiles, mais aussi sur des plaques murales, des gravures, etc. selon une technique qu'il a lui-même inventée. Il semble appliquer une phrase du peintre célèbre Robert Delaunay : « Seule la couleur … forme la vie du tableau. La couleur est la fonction de l'espace ».  Cette fin de phrase est assurément très valable pour Salvatore Gallo. Chacune des couleurs dominantes est sans hiatus auprès de celles qui peuvent sembler secondaires. Son originalité est de ne jamais « faire mode », mais de disposer les couleurs au gré de ses calculs personnels. Les artistes connus à l’époque de Gallo ont souvent usé de débauches de couleurs, se sont souvent laissés influencer, lui jamais.

 

VENONS-EN AUX PEINTURES QUI NOUS ENTOURENT

          La peinture de Gallo utilise -comme les sculptures - des moyens d'expression essentiels, au point de suggérer immédiatement le souvenir d'un certain abstractionnisme géométrique. La base de presque toutes ses peintures est en effet abstraite (triangles ici, , autres formes géométriques ailleurs) au point d’en rester parfois carrément à l’abstraction. 

          Nous avons dit que les premières peintures de Salvatore Gallo remontent à la fin des années 40, et qu’il peindra jusqu’à sa mort. Qu’il a donc traversé toutes les tendances picturales de la seconde moitié du XXe siècle. Pourtant, certaines, correspondant à son tempérament et aux règles strictes qui étaient les siennes l’ont influencé plus que d’autres :

LES PEINTURES PUREMENT GEOMETRIQUES : LE TRIANGULISME ET LE CONSTRUCTIVISME

Et nous parlerons pour commencer de l’œuvre datée de 1988

          Cette œuvre aurait appartenu à une brève tendance du moment en Italie : le Triangulisme. Ce qui expliquerait qu’elle soit composée uniquement de triangles.

          Né dans les années 20, le Constructivisme est en plein épanouissement lorsque s’en inspire Salvatore Gallo dans les années 80.  Ce mouvement se concentre sur la composition géométrique rigoureuse et est par conséquent non figuratif. Il associe des formes géométriques simples, de type triangles, pour créer des structures primaires. Dans les œuvres, le sujet passe au second plan, derrière la forme. Le réalisme n’a plus d’importance, seule compte la composition de l’œuvre. 

          Il faut néanmoins remarquer que tout à fait au centre du tableau, Salvatore Gallo a placé ce que l’on pourrait intituler « le baiser » : deux triangles face à face, avec le zigzag habituel que nous retrouverons souvent, un bras peut-être, à demi-levé. 

 

          Moins strictement dévolues au Constructivisme, d’autres œuvres s’y rattachent néanmoins où la construction est la dominante. Elles s’humanisent. L’artiste ajoute de fréquentes insertions figuratives, bien que formellement stylisées. Mais les formes qui apparaissent, sont reconnaissables dès l’abord (un œil, un poisson, une tête de poisson, un humain, un visage enfoui dans les formes).

          Tous ont un fond bleu azur.

**1/ Le premier, daté de 1995, est intitulé « Méditation » : Il est très très linéarisé, non figuratif, mais la colonne verticale évoque peut-être, comme souvent en art, une impression de hauteur, car elle est perpendiculaire à la terre et s'élève vers le ciel. En conséquence, elle évoque la spiritualité, s'élevant hors de portée humaine vers le ciel. Les symboles y sont aisément reconnaissables : un œil, un poisson double.

          **2/ Dans le suivant, non daté, l’artiste a posé trois formes,  jaune, marron et blanche, avec un bandeau contrarié. Entièrement géométrique, ce tableau est conçu en trois triangles dont un blanc et cinq boules blanches dont deux pour des seins, les autres pour les têtes ; l’ensemble pouvant donc représenter au-delà de la géométrie, une famille qui regarderait le visiteur. 

          **3/ Le suivant est le dernier tableau peint par Salvatore Gallo avant son décès. L’artiste s’en tient à la géométrie, y compris pour la colombe très stylisée. Mais la géométrie est contrebalancée par les quatre mains (deux de Gallo, deux de sa femme) qui font oublier les éléments géométriques, parce que l’œil se porte sur elles. Elles apportent une nuance d’humour, d’ironie, rarissime dans les œuvres de Salvatore Gallo.

**4/ Dans le quatrième, le personnage est central, supposément géométrisé, mais avec néanmoins un contour évident : un corps, vu de dos, bras levés en invocation. Dans som dos, un oiseau en vol, et sous lui, les montagnes itératives des œuvres de Gallo.

** 5/ Dans le dernier, posé sur l’amorce d’une chaise, le visage non exprimé semble émerger de ce qui pourrait être un livre à demi-ouvert. Cependant, ce visage penché sur le livre, laisse penser à de l’intérêt, de la concentration ; l’oubli du temps qui passe. 

Salvatore Gallo est donc assurément un peintre constructiviste, mais il reste un peintre de l’humain. 

 

LES ŒUVRES DE CHAIR

          Ce que j’appelle les œuvres de chair sont celles où se trouvent des personnages, à l’intérieur d’un cercle lui-même baigné dans un fond monochrome ; ou carrément posés parmi des outils de géométrie ou des éléments de paysages. 

 

         Mais, nous ne reviendrons pas sur la « Repubblica italiana » que nous avons longuement étudié.

          **1/Dans l’un, daté de 1994, les personnages sont entourés d’un espace en teintes roses surlignées de rouge rosé. On suppose que ce sont des femmes assises en cercle et des enfants assis au bord extérieur. Ils sont embrassés en un groupe compact. Seul, le corps de la plus près du visiteur est entièrement lisible.  

      D’aucuns diraient que c’est la même femme reprise sous plusieurs angles ? 

          S’il n’en est rien, la proximité entre ces personnages littéralement collés les uns aux autres pourraient suggérer l'intimité, le confort. Ou au contraire, la peur conjurée par la présence des autres. Mais les visages ne sont que silhouettés, les traits habituels ne peuvent donc pas déterminer les émotions, les humeurs et les attitudes de chaque personnage pour créer une scène cohérente et engageante : les expressions faciales ne transmettent pas les émotions possibles (par exemple, le bonheur, la tristesse, la colère, etc.). Aucune dynamique précise n’émane de ce groupe compact, anonyme. Il existe.

          2/**Dans un autre, également daté de 1994, l’artiste a choisi la même disposition d’un encerclement rouge rosé ; un même ovale bleu foncé cerné d’une fine bande noire. Mais le sujet est complètement différent du précédent. Il est en jaune et blanc, le jaune colorant tout ce qui est en creux, le blanc les surfaces éminentes, assurant ainsi des jeux de lumière. Au centre, il a placé une mère et son enfant. Mais la mère a deux têtes penchées sur la poitrine, quatre bras, deux partant directement du cou, les deux autres sortant du tronc, et deux jambes largement écartées, comme si elle venait d’accoucher du bébé qu’elle tient avec sa deuxième paire de bras.             Le bébé, vu de dos, bien qu’un peu tordu semble normalement constitué. 

          Quel sens donner à ce tableau, au-delà d’une scène d’amour maternel ? 

     3/**Dans le suivant, non daté, Salvatore Gallo a adopté la même construction, mais sur fond bleu et cerne ovale vert. La femme est placée sur un orbe de telle sorte que, pliée en deux vers l’avant, elle semble en train de se regarder accoucher.

           Ce tableau non daté pourrait donc venir juste avant la scène de la femme et l’enfant. 

 

Sur les deux suivants, datés de 1989, la construction est différente : Les fonds sont bleus également, mais ils sont rectangulaires. Les fonds deviennent signifiants : Les éléments vivants sont placés dans ou devant des amorces de murs en construction. 

          4/** Dans l’un, la femme (il s’agit bien d’une femme avec des seins et sa silhouette est éminemment féminine) est séparée du décor par une sorte de bateau gonflé. A son côté droit, collé à elle, se trouve une autre femme de profil, dont la tête est à demi-cachée derrière son bras levé. Toutes deux sont lovées dans cette sorte de nid. Lequel est appuyé sur le mur, et cerné par le compas dont les deux bras sont au-dessus et au-dessous du nid. Un crayon à papier est en oblique et une règle aux angles droits est placée à l’avant. A eux trois, ces outils cernent complètement le « nid ». Au fond à gauche, récurrent également dans les œuvres de Gallo, un petit triangle rouge suggère la présence de montagnes ? 

          Quel peut être le rapport entre ces outils et le couple ? Salvatore Gallo veut-il simplement poursuivre son principe constructiviste, ou confirmer que ces outils n’ont d’autre fonction que de réaliser le tableau ? 

          En règle générale, La définition de la forme géométrique en art se caractérise par le recours à des formes mathématiques telles que les triangles, cercles… et lignes pour organiser l’espace ou générer un thème.

          Dans le Symbolisme dont Gallo s’est souvent servi pour réaliser ses œuvres, le compas est considéré comme l'emblème des sciences exactes et de la rigueur mathématique, ainsi qu'un symbole de prudence, de justice, de tempérance et de véracité. 

          Le crayon à papier est destiné soit à réaliser une esquisse pour une œuvre plus élaborée, soit à servir d'exercice d'expression visuelle pour l’œuvre en cours.

          Quant à la règle, elle est incontournable pour apporter un bon équilibre spatial à une œuvre. Elle est utilisée en peinture afin de structurer l’image et de fluidifier sa lecture.

          Ces outils permettent aux artistes d'exprimer et isoler des émotions ; Mais ici, à part le décor, impossible -sauf avec le crayon- que ce soit le cas. Il est alors évident que le raisonnement est lié en priorité à la construction et aux outils ; et que les émotions nées de la proximité des deux femmes, puisque là encore les visages sont absents, sont liées secondairement au couple placé au centre de toute cette géométrie. 

          **5/La construction de ce  tableau est la même, mais seul un compas est présent.

Le groupe « vivant » est au centre, à l’intérieur de la construction. A l’évidence, il s’agit exclusivement de femmes, une sorte de harem, en somme. Mais la monochromie témoigne que l’artiste les veut toutes semblables, sans aucun trait particulier. 

          Continuant des œuvres dans lesquelles il explorait les arcanes des corps, où se retrouvait, énigmatique, semblable association/dissociation des corps et des visages, le peintre s’est ici préoccupé uniquement du jeu des corps. Non pas des corps au sens académique du terme, mais des enchevêtrements de corps ; de cuisses enjambant des torses ; de positions droites ou tête bêche… Un méli-mélo de bras, de jambes, de têtes jaillissant en tous sens… Sans se préoccuper le moins du monde de cacher leurs nudités.

          Il me semble qu’il y a ici plutôt une prouesse technique qu’un déploiement d’émotions ! 

          **6/ Ce qui pourrait être un cygne bleu est daté de 1995. Cette œuvre comprend une marie-louise violette, un fond aux couleurs mêlées à base de gris rosé. Au centre, une curieuse construction qui pourrait être le corps bleu foncé d’une guitare, avec une légère encoche au milieu du bord (formant une paire de fesses), le manche recourbé pour revenir en arrière en un long cou de… cygne ! Et, surprise, à la place du sillet, émerge une tête posée sur un cou trapu, des cheveux noirs et un visage informel carmin foncé ou un visage double, dont l’un serait beige clair ? 

           Dirions-nous sans mauvais esprit que l’artiste s’est ici amusé à provoquer son visiteur qui, pour le moins, restera perplexe ? 

 

          **7/Le dessin en noir, non daté figure exceptionnellement dans la liste des œuvres exposées. C’est une œuvre très classique, au crayon, au fusain ou au pastel. Le fond est constitué de dessins de zigzags déjà évoqués, pictogrammes, homuncules ou sont non signifiants noirs sur gris pâle.

          Il est enclos dans une large marie-louise gris clair. Au centre, l’amorce d’un poignet et une main mi-close sont prolongées formant un œuf dans lequel se trouvent les visages de profil d’un couple ; tandis que pointe, sortant de l’œuf, au niveau du poignet une paire de seins mamelonnés. Les yeux sont clos, mais de toute façon ils ne sont pas à la même hauteur. Certes, les deux visages sont collés l’un à l’autre, mais introvertis. Malgré la transparence sur les doigts qui ajoute au caractère paisible de la scène, sans doute sommes-nous dans un moment de questionnements pour le couple ! 

 

          **8/ Le tableau vert daté de  1978

       Ce tableau est le plus ancien de la donation qui figure ici, puisqu’il est de 1978. Il a donc été conçu une quinzaine d’années avant l’ensemble des autres. C’est une œuvre bizarre, porteuse de tous les symboles chers à l’artiste.

        Son fond vert est parsemé de lignes fantaisistes au-dessus desquelles est posé plein centre une petite boule bleue aux paupières noires qui pourrait être un œil ? 

          Posé sur un support noir, le sujet est à l’évidence inclus dans un œuf ! Ce qui à la base ressemble à une couronne bleue serait l’ouverture d’un vagin et ce qui ressemble à un heaume de métal aux yeux creux, prolongé d’un gorgeret métallisé serait un visage ; tandis que l’ovoïde contigu, creux serait l’ouverture du vagin qui vient d’expulser l’œuf 

L’œuf dans l’œuf, en somme ! Nous sommes donc en plein symbolisme ! 

A l’arrière les traditionnelles montagnes. 

**9/ Le dernier, daté de 1980 est petit, enfermé dans une large marie-louise. Là encore, nous sommes dans l’utilisation des symboles : Il est conçu sur une construction hexagonale dont l’une des faces se serait ouverte pour laisser tomber carrés et triangles. En haut, un œil se retrouve entre deux triangles. Il y a en plus des écritures. Dans la partie ocre, une larme serait un vagin féminin, d’où sort une forme minuscule. A gauche, un visage de femme en pleurs est cerné de rectangles formant bonnet : elle symbolise l’Italie ; ou plus précisément la ville qui fait l’objet d’un rébus. 

Décrypté, il s’agit de Bologna. Donc, sous une forme ludique (ce qui est rarissime dans ces œuvres), Salvatore Gallo rend hommage à son Italie bien-aimée. 

 

 

          CONCLUSION : 

          Que cherche habituellement un artiste dans ses créations ? 

           1. Des expressions : des expressions faciales qui transmettent des émotions (le bonheur, la tristesse, la colère). Rien de tel chez Salvatore Gallo puisque les visages ne sont jamais exprimés. Ils ne peuvent donc pas déterminer les émotions. Il campe ses personnages. Au spectateur d’exprimer ce qu’il ressent.

 

          2. Un langage corporel : la posture, les gestes et le positionnement révèlent des attitudes (la confiance, la peur, l'ouverture). Rien de tel chez Salvatore Gallo puisque tous ses personnages sont exprimés en groupes ; et que ses femmes, puisque ce sont toujours des femmes, visent à générer un groupe à analyser, plutôt qu’exprimer leurs fonctions habituelles.

Certes, nous avons vu la femme accouchant, puis une scène mère-enfant mais la relation femme-femme est pour le moins sujette à questionnement. Ces scènes sont tellement statiques qu’aucune ne présente la chaleur, la quête d’amour, qui étaient sous-jacentes dans les sculptures.

        3. Des interactions et un contact visuel : le regard direct ou détourné transmet des émotions et des intentions. Les interactions des personnages montrent des relations et des dynamiques (par exemple, l'affection, la tension, la domination). Peut-être ces notions se retrouvent-elles dans la scène mère/enfant que nous avons décrite ; et dans le tableau dessiné où le couple est face à face, réuni par une main ? Ailleurs, elles sont inexistantes.

          Il semble donc bien que les peintures de Salvatore Gallo soient loin du mouvement qui caractérisait ses sculptures. Nombre d’entre elles sont d’ailleurs essentiellement non figuratives et complètement statiques. Et l'utilisation de symboles, qui ne sont pas toujours, comme nous venons de le dire, clairement déchiffrables prouve qu’il était moins soucieux de profondeur de sentiments, d’émotions qu’en sculpture. Toutes ses œuvres sont parfaitement construites, mais les sentiments y sont secondaires. 

          Nous dirons donc que ses peintures sont en fait une création tout à fait à part des sculptures, conçues dans un autre état d’esprit. Sans pour autant être dévalorisées aux yeux du spectateur. 

 

          Tout de même, une question me pose problème : Toutes les œuvres où il a introduit des êtres vivants datent des dix dernières années de sa vie. Cela signifie-t-il que, bien que n’étant pas très âgé, (puisqu’il est décédé à 68 ans), il avait senti le besoin de faire un bilan de sa relation à autrui, les femmes en particulier ? Les deux critiques dont nous avons recueilli les textes évoquent le fait qu’après avoir parlé de son travail, de ses projets sans fin, il parlait immanquablement de sa fatigue. 

          Est-ce à dire qu’il avait conscience d’approcher de sa fin ? Au point que, si le manque n’est pas exprimé dans le dessin, il l’est dans le titre (Méditation, Fécondation), où l’artiste se tourne vers lui-même. Quels manques ? Quels regrets, peut-être ? Ses enfants ? Sa vie dispersée ? Le sentiment de n’avoir pas, dans la composition de ses groupes de personnages, su traduire les états émotionnels qui, habituellement gonflent la poitrine des visiteurs ? Il semble bien, du moins l’affirme-t-il au fil des pages de cette sorte de testament esthétique et humain daté du 2 juin 1979, que la base de ses problèmes tiendrait essentiellement à l’idée d’inculquer à ses créations, une « vibration tragique et lyrique » ; une « conception sans concession » ; des compositions où se retrouvent « toutes les recherches qui peuvent les rendre plus esthétiques de prime abord ». 

          Dans ce même texte, il écrivait : « Jamais au grand jamais je n’apporterai dans mes œuvres une allégorie de la fausseté. Jamais au grand jamais je ne pourrai incorporer un mouvement irréel et mélodramatique. Jamais au grand jamais je n’arrêterai de transmettre ce message humain que mon cœur dicte à ma main, quand je propose les différents dessins qui sont nécessaires aux artistes pour l’exécution de leurs œuvres ».  

          Donc, même si nous n’avons réussi à percer tous les mystères de ses manques, peut-être de ses éventuels regrets, qui de nous douterait un instant de la sincérité de Salvatore peintre ?  Il nous faut l’admettre et en rester là ! 

 

Cette conférence s'est déroulée dans une ambiance très conviviale, à VILLENEUVE L’ARCHEVEQUE LE 3 MAI 2025devant une quinzaine de personnes très intéressées, dont certaines avaient connu l'artiste. 

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Vifs applaudissements à la fin de la conférence. Et Madame Goy qui est la commissaire de l'exposition, m'offre un magnifique bouquet
Vifs applaudissements à la fin de la conférence. Et Madame Goy qui est la commissaire de l'exposition, m'offre un magnifique bouquet

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Une autre œuvres était sensée figurer dans l’exposition, ce qui s’est avéré impossible, vu son mauvais état. Il s’agissait d’un paysage, œuvre unique dans la donation. 

          Tous les paysages de Gallo sont des modèles de sobriété, l’essentiel y est dit sans fioritures. Certains sont presque réalistes. Mais celui-ci est clairement divisé en deux parties : le ciel à la fois d’un bleu azur avec quelques nuages noirs et paradoxalement chaotique, faisant en fait penser à la mer ; sur lequel se détachent les montagnes blanchâtres aux pics acérés et sur lequel est silhouetté en filigrane un homme, l’amorce des bras écartée, semblant hurler. 

          Dans la partie inférieure, dans une terre d’ocre, pousse une rangée d’arbres aux troncs noirs et raides, chaque canopée formant une boule noire sur laquelle se détachent des feuilles blanches. 

         Le fond est rose saumoné, monochrome.

   La signature en blanc se désunit parfaitement de l’ocre. 

       Une limite oblongue formée d’une ligne blanche très étroite, enserre le tableau, obligeant à cohabiter la moitié perturbée, et l’autre moitié placide, inerte. 

          Le philosophe Friedrich von Schelling, écrivait en 1807 : "L'artiste doit suivre l'esprit de la nature qui est à l'œuvre au cœur des choses et ne s'exprimer par la forme et le dessin que comme s'il n'était question que de symboles." 

          Salvatore Gallo projette le spectateur sur des sujets qui n’existent que dans ses rêves. Sa touche irrégulière traduit parfaitement les effets de mouvement aléatoire et inquiétant. À travers la silhouette du voyageur dont on ne sait s’il émerge ou s’enfonce dans le ciel, il contemple en fait le reflet de la condition humaine et donc de sa propre finitude. 

          Les couleurs sombres du bas ne sont pas non plus œuvres de hasard. Très ancrée dans le monde, l'ocre apporte un sentiment de paix. Historiquement, elle est un symbole de vie et d'éternité, porteuse de valeurs rituelles. Le blanc est la lumière pure et le noir l'absence de lumière. Dans de nombreuses cultures, ces deux non-couleurs sont associées à des rituels de vie et de mort. 

 

          Cette œuvre de Gallo est une composition grave et morne, où les couleurs et les textures sont astucieusement mélangées pour évoquer une profondeur de champ. Les espaces sont tantôt fluides, tantôt abrupts, créant une tension visuelle qui capte immédiatement l'attention. La texture de la peinture, tantôt lisse tantôt rugueuse, ajoute une dimension tactile, presque palpable, à l'œuvre, invitant le spectateur à explorer chaque recoin du tableau. La cohabitation des deux parties permet une interprétation personnelle, chaque observateur étant libre d'y voir des états d'esprit différents. Cette capacité à susciter diverses interprétations est l'une des forces majeures de cette création, qui n’impose aucune vision unique mais ouvre un dialogue entre l'art et le spectateur. En somme, ce paysage duel est une magnifique illustration de l’œuvre de Gallo, maîtrisée et expressive, où chaque coup de pinceau, chaque éclat de couleur, contribue à créer un ensemble harmonieux et disruptif ; et profondément impactant.J.R.