Peintre, Myriam Tangi génère par de forts contrastes d'ombres et de lumières, des lieux paradoxaux enfermant "des gens" physiquement proches (assiégés et assaillants, estivants sur une plage, etc.), mais symboliquement isolés sur leur territoire, privés de leurs singularités, "prisonniers"… Avec un sens aigu d'une dramaturgie picturale, elle présente pour ce faire un travail spontané et longuement élaboré ; grandes masses colorées avortées ou coulées déliquescentes ; superpositions de mats et de glacis ; suggestions de transparences et de frémissements de la peinture… Sur ce fond "vivant" et vibrant, elle silhouette ses personnages, imbrique des corps ou au contraire les isole dans des sortes de cloisonnements magmatiques dont ils semblent vouloir s'échapper ; agence de nouvelles épaisseurs de façon à donner le sentiment que s'en dégagent guerriers, anges, baigneurs… 

Un jeu psychologico-pictural surprenant et angoissant autour de l'indicible solitude de l'individu perdu dans la foule.

 

          Poète, Myriam Tangi déploie la même audace que la peintre. Après "le Ciel en désordre" paru en 1997, "Encre nocturne, mille et une" arrive physiquement comme une véritable surprise (hors de la référence au titre fameux, bien sûr !) : mille-une lignes séparées par des "blancs", mille-une réflexions sur la nuit font de cet ouvrage une sorte de mélopée incantatoire. Chaque vers commençant par "Une nuit…" éveille chez le lecteur un écho de ses propres sentiments à l'égard de ce temps hors du temps s'il est dévolu au sommeil, privilégié ou redouté s'il est vécu à l'état de veille. D'ailleurs, ces trois aspects sont rendus par la poétesse qui va être tour à tour dominante : Le vers comprend alors "Une nuit pour (apprivoiser, écrire, prier, grandir, aimer…) ; dominée : "Une nuit" est alors suivie d'un adjectif ou d'un complément à valeur d'adjectif (datée, exubérante, éblouie… de labeur, de célébration…) ; témoin et elle opère un transfert (Une nuit sans toi mordue de toutes parts…). Parfois -rarement- l'auteure introduit une négation qui, soudain, casse le rythme (Une nuit à ne pas construire le monde…). Ou bien elle conjugue un verbe (Une nuit épousa la ténacité de sa proie, il plut continuellement) et le lecteur emporté par la cadence s'interrompt, revient sur cette "phrase" ; car même si aucune ponctuation ne l'indique au long de ces mille-une idées, (puisque toutes les éventualités explorées par l'écrivain s'enchaînent sans ponctuation jusqu'au point final), il s'agit bien ici d'une phrase suggérant une "action" directe et non une potentialité ! Il en va ainsi jusqu'au vers mille-un où Myriam Tangi parvenue au terme qu'elle s'était fixé a priori, semble avoir trouvé une certitude : 

"Une nuit est Lieu palpable où retrouver son nom".

Tout au long de cette sorte d'errance, le lecteur suit les humeurs de la poétesse ; vit ses moments heureux, indifférents, tristes, religieux ou païens… connaît la misère ou la drogue, le bruit ou le silence, l'été ou la morte saison, la simplicité ou a grandiloquence, la vie… la mort… la beauté physique et morale, etc. 

Car "Encre nocturne, mille et une" est de ces ouvrages que l'on ne quitte qu'au bout du périple ; qui vous emmènent vers tous les …"possibles, parcelles d'être, vécues, vivantes, à vivre…" (¹)

Jeanine RIVAIS

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998.

 

(¹) Myriam Tangi : Résumé de la quatrième de couverture.

"ENCRE NOCTURNE, MILLE ET UNE" de Myriam Tangi : Poètes des cinq continents. Editions L'Harmattan.

VOIR AUSSI : "Myriam Tangi peintre" : http;//jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique ART CONTEMPORAIN.