Que sont devenues "Les Baguenaudes d'amour" de Patrice Delbourg ? Impossible de les retrouver sur Internet, où d'autres textes de la même époque ont fini par apparaître ?

          Vingt-quatre ans après, alors que je décide enfin de faire un bilan d'un demi-siècle d'écriture(s) en en reportant sur mon site des textes jamais publiés ou publiés dans des revues aujourd'hui défuntes, il faudra donc y repenser sans (re) trouver la page de couverture ! 

LES BAGUENAUDES D'AMOUR 

de Patrice DELBOURG Prix Max Jacob 1983 et prix Apollinaire 1996

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          Lorsqu'il promène son mal-être et sa quête d’amour sous les ponts de Paris, Patrice Delbourg rencontre-t-il parfois Arnaut Daniel qu’Ezra Pound et Aragon classèrent comme le dernier troubadour ; ou François Villon y psalmodiant ses bannissements et ses Débat(s) du cœur et du corps ; ou encore Boris Vian, entre humour et absurde ? Car, du troubadour, il a, au sens littéral, la filiation de trouveur et d’errant ; du second la volubilité et le lyrisme ; du troisième l’anarchie et la révolte... la liste s’allongerait de ses éventuels compagnons de baguenaudes dont le nom, évoqué dans ses poèmes, devrait atténuer sa solitude ; l’exemple tempérer ses nostalgies ; les déambulations calmer sa claustrophobie intellectuelle ; les infortunes servir d’avertissement à ses propres déboires. Mais rien ne semble arrêter "L’ampleur du désastre" vécue par le poète qui, voici quinze ans, imaginait déjà dans "La martingale de d’Alembert", une belle machine cérébrale se contrariant soudain ; “dès lors les mots se court-circuitent, les phrases prennent du gîte. Le récit se troue, tourne à vide, rechigne à faire sens”... 

          Et ce processus de détérioration devient l’écho du vagabondage poétique de l’auteur qui vit si mal son “siècle cannibale”, l’absurde d’un destin “sans racines, sans repères, sans point d’ancrage dans un quotidien délicat”. Ses manques sont égrenés en “un seul” poème infini, sans ponctuation ni majuscules : comme si, une fois “parti”, sa boulimie d’écrire était tellement forte qu’il est incapable de s’arrêter ; que souvenirs et problèmes se catapultent, génèrent en une sorte de protection-réflexe, des îlots noirs blottis au centre de la page ; seuls “endroits un peu chauds où (il) puisse se récupérer, retrouver ses membres épars”.

          Car l’écriture, roman ou poésie, est le seul moyen qu’ait trouvé Patrice Delbourg, de conjurer les scènes qui lui viennent à l’esprit, les “immenses abattoirs”, les “ersatz d’agonie yeux cousus”..., images morbides qui le disputent à celles simplement tristes de la “dictature du chagrin”, “l’effroi barbouillé du sommeil poisseux”... celles des “étreintes salopées”, des “noyades charnelles” du perpétuel insatisfait ; celles qui l’entraînent de la douce complicité un peu romantique d’un “chorus de Coltrane” à la vulgarité des fréquentations interlopes où il faut “quitter rapidement la table de travail pour aller au bordel supplément fellation”...

          Comme un chorus, en effet, sa musique poétique monte, note infiniment pure, s’élève vibrante à déchirer le cœur, et soudain retombe, s’éteint en une sorte d’âpre sanglot rocailleux, un “à quoi bon ?” de plus qui, de nouveau poussera le poète dehors, au long des rues sans espoir, sans amour, où il ne devra de survivre qu’à son imagination délirante ! 

          Délirante, elle l’est incontestablement, se coulant du quotidien le plus terre à terre, des “senteurs du goudron”, de la “chambre sans peinture”, à la “rhapsodie lancinante des désirs en régate”... mêlée de toutes les cultures (Artaud, Apollinaire...) auxquelles il se raccroche ; de tout le “saint-frusquin” des rêveurs qui a fait de Patrice Delbourg l’un des plus originaux jeunes poètes actuels, et de sa poésie une œuvre noire, mélodieuse ou brutale, farfelue ou poignante, porteuse toujours de l’amertume des bannis “que la vie rejette et qui refusent de la quitter” !

Jeanine RIVAIS

(1)Les citations de ce texte sont extraites de "la Martingale de d’Alembert", de "l’Ampleur du désastre" (Prix Apollinaire 1996) ou d'un court entretien à paraître au Cri d'Os.

 

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PRIX APOLLINAIRE 1996

Jury

Président : Robert Mallet

Fondateur : Henri de Lescoët

                        Marc Alyn

                        Jean Bancal

Hervé Bazin +

Francesca Y. Caroutch

Georges-Emmanuel Clancier

Bernard Delvaille

Charles Dobrynski

Jean L'Anselme

Rouben Mélik

Robert Sabatier

COMMUNIQUE

Le 58ème PRIX GUILLAUME APOLLINAIRE a été décerné le JEUDI 13 JUIN 1996 à

Patrice DELBOURG pour "L'AMPLEUR DU DESASTRE" publié au "Cherche-Midi"

par 6 voix contre 3 à F. J. TEMPLE.

Rappelons que ce Prix est remis dans le SALON APOLLINAIRE du DROUANT, le célèbre Restaurant littéraire de la Place Gaillon, à Paris, et que son lauréat reçoit une somme de dix mille francs de M. Robert Zoladz, Président-Directeur Général du Groupe ELITAIR.

Patrice Delbourg est né à Paris en 1949 où il vit depuis. Poète, romancier, chroniqueur littéraire et musical à l'Evénement du Jeudi, il sévit parmi "les papous dans la tête" sur France Culture. Cofondateur et animateur de la revue Exit dans les années 70, rédacteur aux Nouvelles Littéraires pendant l'âge d'or, Prix Max Jacob 1983, il est aussi l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages dont «Cadastres», «Absence de pedigree», «Embargo sur tendresse» (Le Castor Astral), «Génériques» (Belfond), «Bureau des Latitudes » (Manya), «Un certain Blatte» et «Vivre surprend toujours», «journal d'un hypocondriaque» (Le Seuil), «Mélodies Chroniques» (Le Castor Astral).

 

Robert Sabatier définit sa poésie comme "l'écho d'un monde en crise, d'une agonie dont est fait le constat morbide et glacé avec la clarté de la tendresse". «L'Ampleur du Désastre» est la narration saccadée d'un personnage qui serait le témoin de son propre désarroi; une sorte de rap incantatoire ou d'exorcisme.

 

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          Après avoir présenté les circonstances dans lesquelles il a connu l'oeuvre de Patrick Delbourg, ROBERT SABATIER lit au public du PRIX APOLLINAIRE 1996, un article qu'il a écrit sur le livre couronné : "L'AMPLEUR DU DESASTRE".

          " On pourrait parler de délire verbal si on ne voyait que tout est maîtrisé, qu'il ne s'agit pas d'une inspiration vaguement lyrique, car il y a dans ce chaos, une sorte d'émerveillement constant. De la démesure, certes il y en a, mais c'est la situation qui la dicte, et non une conception littéraire si hardie soit-elle. Mesure dans la démesure. L'écho recule devant ces séismes et nous offre au passage, quoi ? Le sentiment. Oui, car Delbourg, parmi ce chaos, fait jaillir des musiques, offre au désastre en question, sa partition musicale. Il appartient à la famille de Corbière et de Lafforgue, Les Lautréamont, Rollinat et Apollinaire ne sont pas loin. Les titres des parties du livre empruntent au cinéma, bandes-annonces ou génériques, à la fête foraine et à la boxe, "Toboggans" ou "Dernier round". Et l'on va de l'embargo sur tendresse au désespoir fou. Mais pourquoi suis-je sorti de cette lecture non pas fusillé par cette mitraille de mots, mais tout réconforté ? Parce que c'est aussi tendre, parce qu'on est dans une roche de cirque planétaire, parce qu'on découvre une musique inattendue.

Chaque lecteur recevra ce livre avec sa sensibilité propre et ses contradictions. Il se peut qu'on l'adore ou qu'on le déteste. Moi, je l'adore comme on adore ce qui ne vous ressemble pas, avec la petite nostalgie de ce que l'on voudrait être..."

 

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Réponse de PATRICE DELBOURG : 

" Je suis touché, comblé aujourd'hui. Aucun prix ne pouvait me faire autant un petit cocon à la place du cœur, m'inciter plus avant sur le fil, funambule des mots. Evoquer aujourd'hui Apollinaire, c'est d'abord faire l'éloge de la vitesse, du métissage des formes, un sens plastique hors-pair. Apollinaire fut le grand metteur en scène d'un alphabet en flammes. Il montra le premier que le poète doit faire flèche de tout bois ; qu'aucun matériau ne peut rester extérieur au tissu du poème : l'actualité, le sport, le fait-divers, la trivialité la plus crûe. Face au réel survolté, le poète garde en permanence le pied sur la pédale de l'accélérateur, afin dit-il, que l'invisible se perpétue. Entre feu et glace, se dégage rapidement un mélange de syncope, de brocante des sentiments à la limite de la saturation. Guillaume est le bébé de son époque, une tendre époque qui ingurgite les sons, les microbes, la tendresse, les climats, dans une étonnante capacité de renouvellement. Il emprunte à la publicité, au cinéma, au music-hall, aux prospectus, aux catalogues, les  stridences, les télescopages, une simultanéité de perception, des collages, des emprunts, des montages parallèles. 

Que demande le peuple ? La vie, voilà. Les caméras d'Apollinaire, son oreille-phonographe avaient déjà tout consigné, bien avant les totems médiatiques. Voici encore un poète que l'on peut lire, aimer : une incongruité ! Voici encore un poète qui irradie, que l'on garde en mémoire : un comble ! Chez lui, l'art sort toujours victorieux du désastre intime, de la faillite, de la rupture, de la perte, jusqu'à l'innocente chanson des rues. Le poème reste avant tout une conversation que l'on reprend longtemps, longtemps après, avec un vieil ami oublié : le plus souvent en apportant un champ de ruines, ses propres ruines. Au plus près du toucher, les mots sont là, coriaces, éphémères, sombres pressentiments, amours fracassées... Que ferions-nous, aujourd'hui, sans M. de Skostrovitsky, maître de la trouvaille, preneur de risques, pigiste du cœur devant l'Eternel ? Que ferions-nous sans sa créativité typographique, sans ses mots qui dansent, qui font l'amour sur la page blanche ? Nous serions un peu plus vieux, voilà tout ! 

Dernier des Romantiques, premier des Modernes, pornographe, métèque désemparé... qu'importe : Apprivoisez les pages-pétales d'Apollinaire, Elles n'attendent que vos mains et vos yeux".

Je remercie... " 

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"L'AMPLEUR DU DESASTRE" de PATRICE DELBOURG : PRIX APOLLINAIRE 1996

 

Entretien de Jeanine Rivais avec Patrice Delbourg

 

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Jeanine Rivais : Le prix Apollinaire vient de vous être décerné. Vous avez parlé de façon très émouvante de la poésie, détournant de vous l'"attention" pour analyser avec beaucoup d'admiration l'oeuvre d'Apollinaire. Vous avez eu, voici douze ans, le Prix Max Jacob. Quel a été votre itinéraire d'un prix à l'autre ?

  Patrice Delbourg : Ma poésie n'a pas varié au cours de ces années. Je suis fidèle à une ligne de pensée. j’ignore si c'est une faiblesse ou une cohérence ? Ainsi, un certain nombre de textes qui ont reçu le Prix Max Jacob ont été retenus pour figurer dans «L'ampleur du désastre». C'est donc, chez moi une sorte de continuité, d’envie de répéter la même rengaine, de volonté, pour reprendre un mot cher à Apollinaire, de "tisser la même chanson» .

 

J. R. : A feuilleter le recueil, il semble présenter -d'ailleurs, je vous croisé plusieurs fois, la tête dans les nuages, en divers endroits de Paris- une longue litanie défilant à travers des lieux extérieurs ou anonymes : Le mal de vivre qu'évoque le poète vient-il de là, du fait que l'homme en vous, semble sans points d'ancrages ?

P. Delbourg : Il est possible que j’éprouve une difficulté à fixer mes racines, trouver mes repères, placer mon corps, me situer socialement dans cette civilisation un peu cannibale, avec un quotidien parfois délicat !

Mais j'aurais tort de me plaindre, puisque j’ai aujourd’hui la chance d'être connu, alors que je suis encore vivant et relativement jeune.

 

J.R.: Je vais vous poser la même question qu'à Guillevic : Chaque page de votre recueil porte un poème "cerné" de larges blancs. Pourquoi ce parti-pris de marges aussi importantes ? Les blancs sont-ils pour vous comme pour lui des silences ?

P. Delbourg : Oui, des silences, le refus, la perte... : Les marges, entourent le poème ; le poème est scandé par des blancs, comme dans un tempo jazzy. L'ensemble constitue un rythme qui appartient tantôt au free-jazz, tantôt à la chanson populaire... Et j’ai marqué des pauses, créé des séquences, décidé de ne pas mettre de ponctuation et peu de majuscules... 

 

J.R. : En effet. Pourquoi ce parti-pris de non-majuscules et de non-ponctuation ?

P. Delbourg : Parce que tous les mots se valent, qu’il n’y a pas de noms propres et de noms communs : Tous font partie d’une vie de famille ; ils sont charriés par un même torrent, tantôt limoneux, tantôt clair, d’autres fois désespéré.

 

J. R. : Vos poèmes sont serrés, comme pelotonnés au milieu de tout ce blanc Est-ce une façon de vous blottir, de vous protéger ?

P . Delbourg : Oui. C’est le cocon dont je parlais dans mon texte de remerciement. Une façon de se lover dans le poème qui est un nid, un endroit un peu chaud où l’on puisse se récupérer, retrouver ses membres épars. Le poème permet de traverser des moments difficiles, de vide, de désespoir. Et puis il peut être "regardé", garder la mémoire...

 

J. R. : Qu'entend votre éditeur, en vous définissant au dos du livre, comme «un homme émigré de soi-même" ? Rejoignons-nous les questions précédentes ? 

P.  Delbourg : Oui, nous rejoignons-là une difficulté d’être en harmonie avec soi-même, se réclamer d’une école, d’une vie de famille, d’un clan, d’un groupe, je suis un solitaire. Aujourd’hui, je suis très ému au milieu de tous ces gens, car mon existence a toujours été faite de solitude. Bien que j'exerce le métier de journaliste, je crois que la vie est un sport individuel, solitaire.

 

        J. R. : J'allais justement vous demander comment vous harmonisez votre métier de journaliste, donc d'homme public, et votre définition du poète, c'est-à-dire d'individu seul ?

        P. Delbourg : II n’ y a entre eux aucune mesure. Il y a vraiment une Muraille de Chine entre les deux. Le journalisme est d'utilité parfois mercenaire, dans tous les cas alimentaire, absolument sans relation avec la poésie. Je change de veste complètement, de tête même parfois ! Du moins, je l’espère. Tout en gardant bien sûr une fidélité vis-à-vis de la poésie. Je publie régulièrement des chroniques parlant de la poésie d’aujourd’hui, donc celle qui est en gestation. j'imagine que mon expérience de journaliste influence mes poèmes, puisque j’y évoque des faits-divers, des événements sportifs, des actualités, des noms de chanteurs... Tout cela est brassé, influencé par  mes deux activités...

 

J. R. : Vous est-il arrivé de composer des vers rimés, puisque ce recueil n'en comporte aucun ?

       P. Delbourg : Les vers rimés ne se sont jamais imposés à moi comme forme possible de poésie. Je n'écris que des poèmes en prose ou en vers libres.

 

          J. R. : Vous avez, dans votre discours, donné le ton de votre travail, revendiqué vos influences. Pourriez-vous, en quelques phrases, définir votre poésie?

          P. Delboung : C'est difficile. j’en suis tout à fait incapable. Mais Robert Sabatier a très bien et longuement écrit sur mes œuvres.

 

          J. R. : En tant que poète, quelle question aimeriez-vous entendre, qui ne vous a jamais été posée ?

         P. Delbourg : Peut-être "Wozu", la question d’Hölderlin ? A quoi sert la poésie ? Pourquoi des poèmes en temps de crise, en temps de manque ? Pourquoi des poètes en cette fin de siècle anthropophage ? Pourquoi jeter la confusion, écrire des livres de poésie que peu de gens lisent...

 

         J. R. : Mais faut-il une justification ? La poésie a-t-elle besoin d'être utile, de répondre à des raisons ? Y a-t-il incompatibilité entre certaines époques et la poésie ? Ne peut-elle être que le plaisir de quelqu'un d'un peu fou?

          P. Delbourg : En effet, la poésie, c'est la gratuité. Elle n’a aucune activité militante ; ce n’est pas un levier pour changer le monde. Il ne faut donc pas lui chercher une utilité : Il faut l’écrire, tout simplement !

 

CES TEXTES ONT ETE ECRITS EN 1996 ET PUBLIES POUR LE TEXTE CRITIQUE DANS LE N°49 DE LA REVUE IDEART ET  LE N° 30 DE LA CRITIQUE PARISIENNE . POUR L'ENTRETIEN QU'IL AVAIT EU LA GENTILLESSE DE M'ACCORDER APRES LES DISCOURS, DANS LE N°16 DE LA REVUE LE CRI D'OS.

 

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QUELQUES POEMES

désespoir attelé ahuri                                                          

il se dépense                                                                        

dans l’éclat congelé                                                               

d'un présent comestible                                   

l’alcool a la voix blanche                              

couve une longue défaillance                                               

- la mésange de gergovie                                                                      

la java au mont gerbier-de-jonc                                            

le classement de la bundesliga                                              

titine et son marlou plage de sète                                          

un balzac de faux bronze sur les liasses racornies                

mardi faste dans l’horoscope-minute                                    

le retour de bruce lee

le grand magic circus -                                                         

dans le poitrail du grand hiver                                              

abouchée au sommeil diamantaire                                       

la couleur rouge garde toutes ses chances

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Il n'y a rien

sous cette vieille peau

rien que la diarrhée des yeux

 tout le fourbi de la détresse amazone

la plante vénéneuse sous quelques ecchymoses

ainsi voyez-vous

la mort de scarface

dans le miroir du hall

sous la touffeur des forsythias

une image qui mamelonne dans la tête

 telle une otarie avec son ballon sur le museau

dans les barbes jaunes des nénuphars

 

sort très vite le cœur rastaquouère

 feintant le blunt de la porte-fenêtre

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contraction douloureuse dans la nuque la lampe se rallume

soleil éteint pend entre les cuisses plaisir s’épointe sous les doigts

 bouger           faire un pas     porter en avant l’oppression

   moiteur       lit rectangle où plaisir             repos   agonie

foudroient     lumière sourde           le long de l’armoire

petite table     grand panier    étagère

dévoilant tour à tour de nouveaux endroits  recoins           fragments

du linge           des chiffons   un miroir

une assiette pleine de monnaie          du savon noir

des choses et des choses

à la périphérie des ongles       se morcelle

se divise le temps goutte à goutte

triangle confus accroché au ciel comme une nuit complète

verglas de conscience             une cloche tinte à coups mesurés

 ils jouaient au pistolet à eau dans un jardin en friche

       gambades de part et d’autre d’une verrière       grimace

le bras déchiqueté pend plus loin que la main

os à nu            dos de poisson dans une mare écarlate         sérum

      crocs violets          feinte douceur           admission d’urgence

 il ramena sur lui la chair comme une laine chaude

naissance en septembre          note vibrante et soutenue

        obstinée  vorace franchise que dans les rêves

sortir ou dormir          bientôt calme épuisé

une côte normande détrempée

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  ils barbotaient dans un château d’eau à ciel libre

       bras enlacés autour des jambes                équilibre        sourire

bravade en arrière             oscille sur lui-même              en un vague

lent     mouvement de tangage         se cabre

 se débat         cercles concentriques            odeurs marines

      frénésies des mains          la peur glacée boue opaque

la vase             les orties basculent    nacres grises diaphanes

les yeux quittent les orbites    tourbillonnent            guirlandes

   l’eau d’un coup descellée        grimpe tout là-haut

bloc clair         masse suspendue

 ciel borgne     éponge           traits crus de lumière             crochue

 tordue en dessous comme des racines          surface calme à nouveau

des enfants étranglés à des cerfs-volants

 lancée fulgurante de l’épaule aux reins        heure du goûter

        quelque part        dans les bronches se dressent les enclumes

 ils caressaient une mitrailleuse dans un intérieur rustique

       pieds nus sur la tommette           ou       accroupi au centre du tapis

 cabrioles         caprices          explosions de joie

 la première rafale replie la nuque dans les vertèbres

 la toise tombe de cinquante centimètres       menton au pubis

 la seconde fracasse    espace intérieur des genoux