La Bartavelle a bien de la chance. Bien de l’audace aussi. Car, se succèdent en ses murs, la plupart des poètes contemporains, des plus célèbres aux plus "jeunes" ! 

          En cet automne 2003, c’est le tour de Jeannine Fortin. Si son dernier ouvrage "Sur les pas du soleil" est rédigé en prose, une telle poésie s’en dégage qu’il peut aisément être qualifié de poème. Et, devant un tel flot d’images, d’impressions vives, de menus plaisirs et de nostalgies, d’émerveillements et de regrets, il est naturel d’affirmer que ce recueil est un véritable bijou digne du somptueux écrin qu’est le Château de Versailles.

     L’auteur aurait en fait dû mettre une majuscule au "soleil" sur les pas duquel elle emmène son lecteur: Comme nombre de visiteurs, Jeannine Fortin a d’abord été écrasée par la magnificence de ce Versailles construit "par" le Roi-Soleil, par la multitude des statues qui jalonnent le parc. Attirée, néanmoins, comme par un aimant. Et finalement, envoûtée. 

          Au point d’y revenir au fil des saisons ; de célébrer au Printemps les jeux des dieux et de l’eau. Eau domptée dont les fontainiers ont su faire de véritables "ballets, aigrettes argentées, cascatelles impétueuses, comètes à la chevelure fluide…" Ce périple historico-onirique l’entraîne doucement de l’une à l’autre des statues, ramenant les Dieux à la vie des Rois et ces derniers, "dépouillés de l’enchantement de l’eau", à un quotidien qui les rendrait plus accessibles. Vient l’Eté, et "l’invitation au rêve", où "une lumière éclair(e) l’ensemble, diffuse, opalescente". C’est le moment d’aller vers Le Hameau, sur les pas de cette reine qui "le déserta la première", malgré "la griserie des narcisses, des jonquilles, des giroflées, des hyacinthes, des senteurs balsamiques". L’enivrement des sens dans l’affolement des senteurs d’un lieu aux proportions humanisées. Arrive l’Automne où "l’eau s’élance ! Versailles retrouve sa totale beauté. Il renaît, l’eau le ranime". Les statues réveillées se doublent "sur le sable des ombres denses, s’illuminent d’un rose léger". S’annonce enfin l’Hiver et la "mémoire des pierres" dans le parc désert et "le troublant presque-silence". La neige qui fait prendre conscience de la vie difficile des seigneurs de naguère dans le château glacé. Le quotidien, les amants perdus, en disgrâce, les jeux et les ruines, la "vieillesse et sa tristesse", les "regards graves et pathétiques" de deux rois pressentant "les douleurs à venir"… L’hiver où les statues dépouillées de tout artifice disent les noms des sculpteurs qui les ont conçues à la gloire de celui qui, finalement, était un Dieu mais n’était qu’un homme. Le temps où le promeneur transi reprend ses esprits, se sent prêt à affronter de nouveau le cycle des saisons qu’il devine dans les irisations de la neige ou la nudité des bassins…

          Parmi les milliers d’hommages rendus à Versailles, celui de Jeannine Fortin s’adresse au Château et "ses reflets. Château que multiplient les bassins partout présents qui unissent la lumière à la transparence". Aux "quatre éléments –l’Eau, la Terre, le Soleil, l’Air- (qui) s’étonnent de découvrir un lieu si merveilleux, d’être magnifiés dans cet espace unique où ils vivent en harmonie". L’harmonie, n’est-ce pas là ce que cherchent tous les authentiques poètes ?

Jeanine RIVAIS 

 

Jeannine Fortin est l’auteure de plusieurs recueils de poésie. Elle est également peintre paysagiste. Elle propose régulièrement des lectures de poésie, d’elle-même ou de ses confrères. Et présente des conférences de littérature, d’histoire de l’art ou d’histoire.

  POEME EN PROS

          Une force inconnue entraîne vers des abîmes d'ombre le palais qui flotte, poisson volant, aux ailes longues, longues...Toutes ses hautes fenêtres multiplient leurs carreaux. Sur les damiers d'or et de nuit cases métalliques ou noires- se jouent d'étranges parties de lueurs. Versailles hante Versailles, stupéfiante obsession. Libéré de la pesanteur, il s'incline, déploie ses ailes, s'inverse pour un crépuscule de gloire.

          Pendant que les façades s'illuminent encore,  les baies quadrillées de feu, insoutenablement éclairées, consument  les  lentes  clartés  d'un mois de juillet qui  n'en  finit  pas  de finir.  Réellement,  voici  le château du Roi-Soleil: il y vit, il s'y promène, il  ose délivrer son message, enfin de retour ! J.F.

 

"SUR LES PAS DU SOLEIL", de  JEANNINE FORTIN : La Bartavelle éditeur Collection "modernités". 120 pages. 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2003.