XIe FESTIVAIL INTERNATIONAL D'AUBAGNE.

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            Voilà deux décennies que le festival d'Art singulier d'Aubagne (à l'origine Festival de Roquevaire) draine vers lui des foules de plus en plus nombreuses, de plus en plus cosmopolites.

            Depuis toutes ces années, des centaines d'artistes dits "Singuliers" ont couvert de leurs œuvres, les cimaises des lieux d'expositions. Tellement originaux, tellement hors les normes, que finalement, ils semblent inclassables. Ceux, parce qu'il faut bien se rassurer, que l'on a tour à tour ou en même temps appelés au fil du XXe siècle, asilaires, bruts, singuliers, hors-les-normes, outsiders… Bien d'autres noms… Aujourd'hui, plus souvent SINGULIERS. Marginaux toujours. Bousculant tout classicisme par leur dynamique picturale ; leur colorisme exacerbé ; leurs déséquilibres et leurs dissymétries chaotiques partant des profondeurs pour remonter à la surface ; leurs petits bonheurs, leurs menus plaisirs, ou au contraire, la brutalité, voire la cruauté de leurs combats étalés sur le support ou sculptés dans la terre, la pierre, etc. ; leurs expressions tirées de "leur" réalité, ou totalement fictionnelles… Attestant de l’urgence, toujours, à cause de la force du dialogue entre eux et leur production souvent "indiscrète". Leurs œuvres, tableaux, sculptures, collages, etc., étant pour eux une aventure qui part de leur imagination, de leur inspiration et de leurs émotions. Subséquemment porteurs de tant de psychologie qu'ils savent charmer, alarmer, émouvoir, faire rire ou pleurer les publics venus découvrir, ou retrouver leurs créations.

danielle jacqui prononçant son discours
danielle jacqui prononçant son discours

2010 ne déroge pas à la règle, qui propose des artistes venus de tous les coins du globe, avec des créativités tellement différentes, que le spectateur, à peine a-t-il pénétré dans un univers, se retrouve face à un autre situé aux antipodes… Et néanmoins, aucun hiatus, comme si Danielle Jacqui*, fondatrice et animatrice de ce festival, avait la faculté de saisir le caractère protéiforme d'une telle manifestation et de l'entraîner en un flux homogène et combien surprenant !

 

            Ainsi, ce spectateur peut-il rencontrer (Et, bien sûr, il ne saurait y avoir de jugement de valeur dans ce classement. D'autant que certaines œuvres, placées dans une catégorie, pourraient aussi bien convenir pour une autre, voire plusieurs) :

aubagne affiche
aubagne affiche

 

** Des architectures anarchiques, comme celles de Sylvain Corentin qui font penser aux tours de Watts. Ou des habitats poétiques comme les jardins de l'artiste médiumnique Bonaria Manca, doyenne du festival ; les petits villages d'Armande Pignat et d'Irma de Witte ; les coins de campagne fantasmagoriques de Stéphanie Lucas sur lesquels règnent de bien étranges allochtones ; les massifs arborés et fleuris de Laurence Malval ; les chapelles sanctuarisées de Françoise Lescaut, les villes contemporaines, taguées et surpeuplées d'Alex O'Neal.

corentin manca pignat de witte
corentin manca pignat de witte

 

** Des moyens de transport inattendus, telles les petites carrioles d'Aniéla Darkowska, les nefs et autres vaisseaux de Jean Branciard, les balancelles à roues de Jean-Pierre Magna. D'autres, terribles comme cet étrange radeau de la méduse de Nicole Decory. Cosmiques comme les dessins de Stéphan Calvini et les machines volantes de Pierre Hornung.

darkowska branciard magna
darkowska branciard magna
decory calvini hornung
decory calvini hornung

 

** Mille façons de travailler les fils, tisser, filer, créer des univers en relief, avec toute la symbolique antédiluvienne de l'expression "tisser le fil"**. Ainsi les personnages d'Avila Chacon, coiffés de sortes de némès pharaoniques, drapés de pied en cape, les bras en majesté ou au contraire, serrant contre leur corps un tout petit enfant… Ceux des tapisseries d'Adam Nidzgorski non plus cousus à la main par leur auteur, mais désormais réalisés sur des métiers par des liciers ; ayant néanmoins gardé leur instinct grégaire et leurs grands yeux apeurés d'autrefois. Les fragments de Nathalie Dumonteil, faits de pièces de tissus surajoutés, sur lesquels sont fixés les "dits" de l'artiste. Et la perle du festival, l'immense tapisserie de Nicole Bayle, longue de 35 mètres, sur laquelle l'artiste a œuvré pendant 14 ans ; si riche en couleurs, tricotée rang à rang, maille à maille, telle une obsession, l'obsession qui poussait naguère les créateurs d'Art brut à pointiller, décorer, encore et encore leurs oeuvres.

chacon nidzgorski dumonteil
chacon nidzgorski dumonteil
nicole bayle
nicole bayle

 

**La (les) religion(s) proposées par Philip Pak Hin Chiu, Durdica, André Robèr. Avec aussi des diables et des anges chez Catherine Ursin.

hin chiu durdica robèr ursin
hin chiu durdica robèr ursin
patroni
patroni

 

** La royauté et aux antipodes, à moins que les fringales ne soient aussi royales, la gastronomie gargantuesque de Sarah Patroni chez qui tout semble dans l'excès.

 

** Les peurs, la souffrance des hommes, ceux de Zlatko Glamotchak, écorchés vifs, aux yeux exorbités ; prisonniers de chaînes, évoluant sur des monceaux d'os… Ceux de Willy Panezi, hurlants eux aussi, assis dans le néant comme ces enfants affamés qui peuplent trop de parties du monde. Souffrance encore avec les toiles brûlées d'Olga Parra, dont les gris et les bruns semblent des prémonitions de ce que sera la terre, lorsque les hommes en auront fini avec elle.

glamotchak panezi parra
glamotchak panezi parra
brachet
brachet

 

** Les flores labyrinthiques, à la fois strictement canalisées et efflorescentes de Cyrille-Marie Brachet, dans lesquelles apparaissent en filigrane, d'étranges profils humanoïdes, des animaux aux antennes épineuses…

vizcaïno
vizcaïno

 

** Les pointillismes obsessionnels Jacqueline Vizcaïno, couvrant meubles, personnages, animaux…

 

** Des personnages cocasses chez Darédo, silhouettés de traits fins tremblotés, linéarisés et figés au milieu de flores étranges, mais dotés de membres capables de s'étirer jusqu'au ciel, pour aller décrocher les étoiles. Cocasses encore chez Joël Barthes et ses jeux inversés du chasseur chassé, du maître tiré en laisse par son chien, etc., et d'un bien singulier facteur à képi… pissant devant tout le monde, sans la moindre gêne ! Grotesques chez Mathieu Lewin, trognes aux dents énormes, émergeant de fonds floraux tellement drus qu'ils en semblent impénétrables et tagués d'écritures anarchiques. Emouvants, introvertis et sereins, ou au contraire aux yeux terrifiants à la Raspoutine chez Jean-Claude Hermosilla. Tantôt terribles, tantôt gentils chez Fabrice Fossé, petits portraits en pied à la bouche de guingois armée de grosses dents qui leur donnent l’air de rire ou de vouloir mordre ! Troublants et troublés chez Pascale Séguier venue récemment aux reliefs, que préoccupe encore et toujours l'humain. Tendres et attendrissants comme ceux de Michel Smolec, faits de terres mêlées, racontant de petites histoires partant souvent d'évènements de son quotidien. Chargés de mystère de Rosaria Cannonito, dont le masque faisait l'affiche du festival 2010. Raides, en des érotismes inattendus, chez Fernand Michel artiste de l'Art brut depuis la mi-XXe siècle, qui découpe, cisèle, dentelle dans du métal, de délicats sous-vêtements et des anatomies suggestives.

daredo barthes lewin hermosilla fossé
daredo barthes lewin hermosilla fossé
séguier smolec cannonito michel
séguier smolec cannonito michel
huet
huet

 

** Des scènes du quotidien chez Paul Huet qui place ses femmes au balcon, en train de bronzer, etc.

 

** Des agglomérats de populations tribales de Danielle Labit, sociétales de Guichou, totémiques de Georges Speicher. Tout cela à la fois dans les dessins de Swen, fouillis inextricables, très chargés et très noirs, au milieu desquels émergent parfois un ou des visages aux yeux obsédés.

labi guichou speicher swen
labi guichou speicher swen

 

** Des portraits fantaisistes, émouvants comme ceux de Blandine Gault, ludiques aussi, parce que fausant penser à des poupées, assemblages créés à partir d'objets de récupération. Totémiques chez Frédérique Fau composés d'entassements aux formes douces, brillants comme des objets de culte. "Sérieux" et incantatoires, pour Katia Tomasini, entraînés, malgré leurs gros pieds, en des manif's dont les mots d'ordre sont en même temps des parties de leurs vêtements. Mystérieux chez Bahia, polychromes en des teints de bleus mouchetés de tons clairs. Entrelacs de visages chez Dahny Jacobs, aux grands yeux cernés de mascara, dans des visages outrageusement fardés. Aux hanches plantureuses comme celles de la Dame de Brassempouy chez Annie Mallet résolument faites pour la maternité, tandis que les hommes exhibent sans pudeur leurs sexes désolés ! Epouvantails ou clowns tristes, chez Djemma G., se découpant sur des fonds non signifiantsmais longuement ouvragés. Sophistiqués, d'une beauté idéalisée, en des lignes sans hésitation chez Hug Piétri, ou au contraire plantureux, bourrelés et mafflus. En foule, parmi fleurs et pictogrammes dignes des jardins merveilleux du Magicien d'Oz, d'Huguette Machado-Rico, attendrissants et bon enfant, emmenant le spectateur vers le monde enfantin du conte.

gault fau tomasini bahia jacobs
gault fau tomasini bahia jacobs
mallet djemma g piétri machado-rico
mallet djemma g piétri machado-rico

 

** Les animaux aux dents féroces de Franck Rouilly. Aux corps pustulés et aux ongles acérés de Nicole Barbe Hatuel. Oiseaux, mais tellement "humains" de Roger Ferrara.

rouilly barbe-hatuel ferrara
rouilly barbe-hatuel ferrara
albion
albion

 

** Des graphismes et graffiti en tous genres d'Albion, sur fonds muraux de guingois, comme attaqués par quelque gigantesque cataclysme.

 

** Des voyages dans le temps pour Dominique Sapel, revenue au Moyen-âge. Dans l'espace, exploré par Anne Manojlovic. Dans le temps et l'espace comme le Chat botté de Valérie Métras ; "ailleurs" pour les explorateurs cosmiques de Patrick Delorme, longuement explicités sur des feuillets entiers de textes manuscrits.

sapel manojlovic métras deltorme
sapel manojlovic métras deltorme
molle
molle

 

** Des humains animaliers ou animaux humanoïdes, seuls ou bivalents, vus par Louis Molle.

 

 

** Des Aliens, mutants de toutes origines imaginés par Bernard Le Nen, en des bruns énigmatiques fondus sous leurs vernis foncés, en des images implicitement érotiques et de surprenantes relations psychanalytiques. Ceux de Stéphane Carbonne, travaillés dans des nuances en des brillances et des matités qui rappellent l'éclat des gemmes.

 

le nen carbonne
le nen carbonne
re-créateurs
re-créateurs

 

** Des récupérations de la société de consommation redevenues utilitaires pour les Re-Créateurs.

 

** Mille autres choses encore, mille sujets d'interrogations, tout au long du périple, qui vous proposent des images bon enfant, naïves, malicieuses, poétiques, originales (toujours), terribles, émouvantes, parfois. Esthétiques, réalistes ou fictionnelles, souvent. Bonne visite.

                                                                                                        Jeanine Rivais.

 

  • DANIELLE JACQUI "CELLE QUI PEINT" : Voir texte de Jeanine Rivais, "DANIELLE JACQUI et LA MAISON DE CELLE QUI PEINT", Rubrique Art singulier. Et Entretien de Jeanine Rivais avec Danielle Jacqui : Rubrique Entretien avec des artistes. Site : http://jeaninerivais.fr
  • Voir blog de Danielle JACQUI : VERS UN COLOSSAL D'ART BRUT, avec les narrations au jour le jour, de sa vie, ses émorions, ses relations, ses rencontres, le tout abondamment illustré d'images de ses créations ou de celles d'autres artistes. Un journal/mémoire à la fois du monde singulier et de l'œuvre personnelle d'une immense artiste, trop souvent en butte aux difficultés de concrétiser ses rêves et ses fantasmagories.
  • ** LIRE "FIXER LE FIL DE SON HISTOIRE", préface de Jeanine Rivais pour le catalogue du festival de Banne 2009. Site : http://jeaninerivais.fr Rubrique Comptes-rendus de festivals.

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      Deux ensembles, deux expositions préalablement présentées en d'autres lieux venaient s'ajouter à ce festival :

 

** L'une qui avait été proposée le temps d'un week-end, lors de l'Assemblée générale de l'Association des Amis de Danielle Jacqui, à Roquevaire, sur le thème de Frida Kahlo et Vincent Van Gogh. Multitude d'émotions, de regards graves ou complices sur ces deux grandes figures de l'art, dont les vies furent tellement intenses et douloureuses.

Quelques exemples parmi de nombreuses autres oeuvres
Quelques exemples parmi de nombreuses autres oeuvres

 

** L'autre proposée par Gérard Ellena, sur des supports faits de cougourdes de toutes formes, sur lesquelles les artistes avaient projetées avec gravité, humour, cocasserie… leurs visions de l'humain, voire de l'humanité.

 

Dans l'un et l'autre cas, la vie, en somme, vue par des artistes.

                                                                                                                J.R.

quelques exemples parmi de nombreuses autres oeuvres
quelques exemples parmi de nombreuses autres oeuvres