MARIE SCHEYVAERTS, dite NEL

Entretien avec Jeanine Rivais.

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Jeanine Rivais : Nel, vous êtes toute jeune, et vous faites une peinture que je dirai proche de l'Expressionnisme ?

            Nel : Oui, si vous voulez !

 

            JR. : Ce n'est pas "si je veux", c'est "est-ce que vous, vous le sentez ainsi" ? Mais si vous n'êtes pas d'accord, comment définissez-vous votre travail ?

            N. : Je travaille beaucoup sur les matières. Sur des matières différentes pour arriver à des textures. C'est essentiellement la texture qui m'intéresse. Après, je travaille avec des pigments purs. Les personnages sont des personnages que je dessine depuis longtemps.

            Je ne sais pas si ce travail peut se rapprocher d'un mouvement particulier ?

 

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JR. : En tout cas, cela ne vous préoccupe pas ?

            N. : Non, pas vraiment.

 

            JR. : Il me semble que, dans la plupart de vos œuvres, la tête est très nette, mais le corps est souvent soit atrophié, soit en disparition ? Pourquoi procédez-vous ainsi ?

            N. : Parce que, dans les corps, j'aime bien justement, les déformations. Je ne fais pas de la peinture réaliste, donc j'aime qu'il y ait différents volumes à l'intérieur du corps. Effectivement, ils sont donc souvent atrophiés.

 

            JR. : Vous peignez de très grands tableaux : est-ce pour vous sentir à l'aise ? Parce que vous avez besoin d'espace ?

            N. : Non, c'est parce qu'au début j'ai commencé uniquement avec des petits formats. Et puis, un jour, j'ai découvert les grands, et cela m'a tellement intéressée que je m'y suis consacrée. Maintenant, je reviens aux petits formats parce qu'il en faut aussi. Mais si je pouvais ne faire que des grands, c'est ce que je ferais.

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JR. : Je crois qu'il y a plusieurs formulations dans vos œuvres : les unes qui sont dans des teintes douces : c'est ce que j'appelle des "couleurs sales" mais n'y voyez surtout aucune connotation péjorative, cela implique des couleurs mêlées, pas des couleurs pures. Et puis une autre partie où vous avez des couleurs très vives : je pense par exemple à l'un de vos personnages qui a un visage que l'on pourrait penser être un masque, n'était qu'il est placé près d'un autre qui, lui, est dans son entier. Un autre encore, qui peut être une maternité, parce que le ventre est redessiné par-dessus la silhouette du personnage. Et puis, quelques grands tableaux, de facture très naïve, et eux aussi dans des couleurs douces.

            N. : C'est tout simplement qu'ils correspondent à différentes périodes. Les plus naïfs sont mes premiers. Petit à petit, j'ai essayé de chercher plus de nuances dans les couleurs. Il y a peut-être plus de travail au niveau des visages, des textures ? Ces différences correspondent également à différents moments de ma vie.

 

            JR. : Dans certaines de vos œuvres, on retrouve des références, dont le taureau, etc. qui font penser à certains artistes comme Picasso. Etiez-vous encore "sous influence", à ce moment-là ?

            N. : Je ne sais pas. En fait, un peintre qui m'intéresse, c'est Basquiat.

 

            JR. : Il était plus proche de votre génération.

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N. : Il est vrai que j'aime les œuvres de Picasso, bien qu'il y en ait beaucoup que je ne connais pas. Mais je pense que tout artiste subit des influences, et que je n'ai rien inventé ! Après, c'est peut-être plus inconscient, des images que j'ai emmagasinées ?

 

            JR. : J'allais venir, justement, à Basquiat. Comme lui, vous surchargez vos fonds de détails, de signes, de fléchages, de chiffres, etc.

            Qu'est-ce que cela apporte à votre génération, parce que cette façon de procéder me semble vraiment un problème générationnel ?

            N. : Je ne sais pas du tout quoi vous répondre !

 

            JR. : Quand vous créez vos tableaux, à quoi pensez-vous ?

            N. : Nous sommes plutôt dans une démarche inverse, très expurgée. Finalement, j'ai toujours l'impression de rajouter, rajouter… Peut-être de surcharger ?... Mais j'aimerais bien arriver petit à petit à des œuvres plus épurées.

 

            JR. : Prenons l'un de vos tableaux, juste devant nous. Il est couvert de graphismes. Mais vous avez un tout petit personnage en bas ; deux grands personnages qui couvrent environ les deux tiers de l'œuvre. Et tout le reste est occupé par des signes. Est-ce parce qu'à un moment, vous n'avez pas "su" terminer le tableau ? Ou est-ce parce qu'ils n'ont pas encore "gagné" leur territoire ?

            N. : Non, c'est parce que je suis très influencée par tout le milieu graffiti, tous les arts urbains. Et j'aurais envie d'en venir à des écritures, des chiffres, etc. Il est vrai que pour le moment, je n'y trouve peut-être pas un sens immédiat, cette démarche n'est pas encore hyper-affirmée, mais je travaille aussi sur le sens de ce que je veux dire.

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            JR. : Si je vous ai bien comprise, les graffiti prendraient de plus en plus de place, remplaceraient vos personnages, pour que vous soyez un témoin de votre temps ?

            N. : Je ne sais pas trop. Nous verrons !

 

            JR. : Mais finalement, hormis l'idée des graffiti, vers quoi aimeriez-vous vous orienter ? Vers plus de place aux personnages ? Vers une disposition plus gestuelle, plus immédiate, plus contemporaine ?

            N. : En fait, si j'arrive à suivre jusqu'au bout ce que j'ai envie de faire, j'aimerais faire de la peinture revendicative, pas simplement de la peinture esthétique. Mais pour l'instant, je découvre. Il y a aussi un côté qui est bien dans l'esthétique, mais dans le même temps, j'aimerais faire passer des messages.

 

            JR. : Parce que vous diriez que ce que vous peignez actuellement, est purement esthétique ?

            N. : Pour l'instant, je pense que ce que je peins se rapporte beaucoup à des moments de ma vie. Mais tout de même, c'est plus esthétique que revendicatif.

 

            JR. : Cependant, si je prends deux tableaux où vous présentez des couples embrassés (au sens littéral), ce n'est pas uniquement esthétique. Ni anodin. Un tel tableau est chargé de psychologie. Bien sûr, tout le reste peut représenter leur environnement, mais ils sont ensemble. Vous ne le sentez pas de cette manière ?

            N. : De toute façon, il y aura toujours de la psychologie, et pour l'instant je travaille surtout sur le sentiment, l'émotionnel. Mais quand je dis une peinture "revendicative", je pense à un tableau comme "Guernica" c'est vraiment une peinture qui passe un message. L'artiste se positionne. Je travaille dans l'émotionnel, mais pas dans le positionnel.

 

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            JR. : Si véritablement, ce qui vous intéresse est d'en venir à une peinture de revendication, il me semble que, travailler dans l'esprit de Basquiat comme nous venons de l'évoquer, ne vous y mène pas. Il vous mène vers un témoignage de votre temps. Si vous prenez "Guernica", il n'y pas un trait inutile, tout est parfaitement calculé pour prendre sa force maximale. Tandis que dans Basquiat, il y a ce petit personnage toujours au milieu, très naïf, très élémentaire, et il y a tous ces graffiti qui sont les arts des jeunes, les arts de la rue. Mais cela ne vous emmène pas vers une revendication. Les tags ne revendiquent pas. Ils témoignent simplement d'une période.

            N. : Là, je ne suis pas tout à fait d'accord. Pour moi, Basquiat a fait passer des messages à travers sa peinture.

 

            JR. : Et qu'est-ce qu'il vous a "dit" ?

            N. : Vos questions sont difficiles !! Surtout, je veux trouver mon cheminement dans ma peinture. Pour l'instant, on parle d'influences", mais ce peuvent être d'autres influences qui ne sont pas forcément liées à la peinture ! Pour le moment, j'accumule. Mes peintures me plaisent. J'aime infiniment les écritures, les messages, les ratures à l'intérieur. Pour le moment, je suis proche de tout cela.

Cet entretien a été réalisé à Banne, dans les Ecuries, le 15 mai 2010.