OLIVIA GUTIERREZ JACOMET, collagiste

Entretien avec Jeanine Rivais :

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            Jeanine Rivais : Olivia Gutierrez, vous êtes d'origine sud-américaine. De quel pays ?

            Olivia Gutierrez : De Colombie.

olivia gutierrez
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 JR. : Vous vivez depuis longtemps en France ?

OG. : Oui, depuis dix ans. Mais je passe chaque année deux mois en Colombie.

 

JR. : Et vous n'éprouvez jamais de nostalgie, parce que, dans votre travail, à part les couleurs, et encore ce ne sont pas les couleurs auxquelles on est habitué quand on voit les carnavals et autres manifestations populaires, votre travail ne rappelle en rien vos racines ?

            OG. : Non, parce que mon mari et moi, nous semons notre café de Colombie, nous partons deux mois là-bas pour le travailler. Je pense que c'est l'inverse, que d'ici, j'emporte quelque chose là-bas, et que de là-bas, j'apporte quelque chose ici. Donc, pas de nostalgie.

 

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JR. : Vous présentez une série de bouquets en couleurs. Comment les définissez-vous ? Diriez-vous que ce sont des tableaux légèrement en relief ?

            OG. : Oui. Mais je pense que l'on peut dire aussi qu'il s'agit de sculptures, à cause de ces reliefs. En tout cas, c'est ainsi que je les ressens.

 

            JR. : Vous réalisez vos fleurs avec de la peinture, ou ce sont des collages ?

            OG. : Non. Je travaille les fleurs avant. Je prends des pétales de roses que je mets dans l'huile de lin…

 

            JR. : Donc, de véritables fleurs ?

            OG. : Oui. Tous les matériaux que je travaille viennent de véritables plantes : roses, tiges ou fleurs de café… Je laisse sécher les bouquets de fleurs que me donne mon époux. Et après, tout entre dans mes bouquets.

 

            JR. : Vous aviez commencé à expliquer que vous trempez vos pétales dans l'huile de lin…

            OG. : Oui. Le lin renforce la fleur. Ensuite, je la travaille dans de la peinture pour vitrail.

 

            JR. : Vous n'avez jamais essayé de laisser les fleurs naturelles et de composer vos bouquets avec ?

            OG. : Non, parce qu'elles deviennent trop ternes. J'aime les choses qui brillent, pas les choses mortes.

 

            JR. : A part quelques volatiles (coq, canard) et un poisson, je ne vois que des fleurs. Pourquoi cette obsession ?

            OG. : J'adore les fleurs. Mon époux m'offre sans cesse des bouquets.

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JR. : Si on regarde vos bouquets, on constate qu'ils sont toujours extrêmement compacts. Il n'y a jamais de respiration dans le bouquet. Est-ce parce que votre mari vous offre des bouquets aussi serrés ? Ou c'est vous qui décidez de les réaliser ainsi ?

            OG. : C'est moi qui ai décidé de mettre beaucoup de fleurs.

 

            JR. : Et quand je vois sur vos coqs ou canards des grains blancs, roses, etc. c'est du café ?

            OG. : Oui. Ce sont des grains qui n'ont pas été torréfiés. Là encore, je les laisse sécher. Puis je les rapporte pour faire mes compositions.

 

            JR. : Et, entre les grains de cafés, qu'est-ce que vous avez collé sur le vase ?

            OG. : Du verre. Parce que je travaille aussi beaucoup le verre.

 

            JR. : Mais cela ressemble à une matière écrasée ? C'est du verre pilé ?

            OG. : Oui. Il faut le casser, le piler. Mais c'est un verre qui ne coupe pas.

 

            JR. : Donc, pas de doigt en moins, que l'on pourrait éventuellement ajouter dans le bouquet ?

            OG. : Non ! Aucun risque !

 

            JR. : Revenons à l'aspect tellement serré de vos bouquets. Pourquoi jamais de tiges qui se courbent, de fleurs qui retombent ?

            OG. : Je suis dans la réalité. Quand vous regardez un bouquet, il est bien serré, les fleurs sont très proches les unes des autres.

 

            JR. : J'aime les bouquets bien aérés, c'est pour cette raison que j'insiste !

            OG. : Mais moi, je les vois ainsi. Même mes bouquets naturels sont composés de la même façon !

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JR. : J'aime les bouquets bien aérés, c'est pour cette raison que j'insiste !

            OG. : Mais moi, je les vois ainsi. Même mes bouquets naturels sont composés de la même façon !

 

            JR. : Chaque bouquet est au milieu du tableau, sur un fond coloré, mais non signifiant. Ces bouquets sont donc sur un fond complètement neutre qui ne donne aucune indication de contexte.

            OG. : Voilà ! Nous dirons qu'il y a un bouquet de fleurs dans un salon. Mais il n'y a rien à côté.

 

            JR. : En somme, vous voulez un bouquet plus brillant et aussi beau qu'un bouquet réel. Mais en même temps, vous ne le situez nulle part ? Parce que vous pourriez éventuellement mettre une amorce meuble, etc. comme le font depuis toujours les peintres de natures mortes ?

            OG. : Non. Parce que ça, c'est à moi ! C'est à moi ! C'est personnel.

 

            JR. : Et vous réalisez ces bouquets depuis longtemps ?

            OG. : Oui. Depuis toute petite, quand je dessinais avec des crayons, c'étaient toujours des bouquets.

 

            JR. : Quand je regarde votre coq, je vois bien que lui, vous avez essayé de le faire réaliste…

            OG. : Non, parce qu'il lui manque un doigt !

 

            JR. : C'est vrai ! Il s'agit donc d'un coq infirme ! Qu'est-ce qui fait que, de temps en temps, vous quittez les bouquets pour réaliser des motifs inattendus comme ceux que nous avons évoqués plus haut ?

            OG. : J'aime faire beaucoup de choses. Mais c'est la matière qui décide pour moi. Certains essais ne donnent rien. Il faut que je domine la matière pour aller au bout de ce que j'ai commencé.

 

            JR. : Y a-t-il des questions spécifiques que vous auriez aimé que je vous pose sur votre travail ? Par exemple sur votre démarche, votre histoire…

            OG. : Oui. Je voudrais savoir si je suis bien à ma place dans l'Art singulier ?

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JR. : Mais c'est vous qui détenez la réponse, qui savez si vous vous y sentez bien ou non ?

            OG. : Je ne peux pas le savoir. Je voudrais que vous me répondiez.

 

            JR. : Vous voulez, en fait, savoir, si moi je trouve que vous êtes à votre place dans l'Art singulier ?

OG. : Oui.

 

            JR. : Je ne peux pas être catégorique. Je vous aurais plutôt située dans les métiers d'art. Mais pour moi, "être dans l'Art singulier" est avant tout une question d'état d'esprit. Alors, je vous repose la question : Est-ce que vous vous sentez bien parmi les artistes qui se sentent eux-mêmes, bien dans l'Art singulier ?

OG. : Mais je me sens bien depuis que je suis arrivée. Et beaucoup de gens me font des compliments.

 

            JR. : C'est une partie de la réponse. Mais qui dit "artistes Singuliers" sous-entend plutôt "artistes marginaux". Alors, vous sentez-vous en concordance dans cette semi-marginalité ?

OG. : Oui, je me sens bien ici.

 

            JR. : Avez-vous fait beaucoup d'autres expositions, différentes de celle de Banne ?

OG. : Avec d'autres artistes, non. J'ai fait des expositions à la Halle Tony Garnier à Lyon, mais ce n'était pas avec des artistes.

 

                Cet entretien a été réalisé à Banne, dans les Ecuries, le 16 mai 2010.