UN NOUVEAU MUSEE EST NE : LE MUSEE ZERVOS A VEZELAY (Yonne)

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          Perchée tout en haut de la colline, la Basilique Sainte-Madeleine semble depuis des siècles, rappeler aux visiteurs venant des quatre coins de l’horizon, que Vézelay est un lieu privilégié. Un lieu d’accueil, aussi, puisque de nombreux écrivains y sont venus chercher refuge, parmi lesquels Paul Claudel, Georges Bataille, Max-Pol Fouché, Maurice Clavel, Jules Roy surnommé « le Barbare de Vézelay », etc. ; Romain Rolland dont la maison, rénovée, devient aujourd’hui le Musée Zervos ; et le couple Zervos dont la donation est à l’origine du nouveau musée.

Mobile de Calder et "Tête au miroir" de Julio Gonzales (Bronze et fer forgé)
Mobile de Calder et "Tête au miroir" de Julio Gonzales (Bronze et fer forgé)

          Christian Zervos (1889-1970) est d’origine grecque. Au début du XXe siècle, sa famille vient habiter Marseille. Au cours des années 20, il s’installe à Paris pour y poursuivre ses études. Plongé désormais dans la vie artistique de l’après Première Guerre mondiale, son nom devient indissociable de cet embrasement créatif. En 1926, il fonde les Cahiers d’art, et dès lors entre de plain-pied dans la vie des artistes contemporains. Il rédige (en 33 volumes), le catalogue raisonné de l’œuvre de Picasso ; publie des ouvrages sur Braque, Matisse, Léger, Juan Gris… ; participe au renouveau de la Figuration ; se lie d’amitié avec des poètes (René Char, Francis Ponge, etc.). Il épouse Yvonne Marion (1905-1970), formée par le marchand d’art Ambroise Vollard. Elle ouvre en 1929, une galerie d’art, dans les locaux de la maison d’édition. Désormais liés par leur amour et leur goût commun pour l’art contemporain, les deux époux participent au sauvetage des œuvres d’art espagnoles menacées de destruction par la guerre civile ; exposent Arp, Klee, Chagall, Brancusi, Léger, Picasso, etc. Et, en 1929, ils viennent s’installer à La Goulotte, près de Vézelay où ils reçoivent tous ces artistes devenus leurs amis, et qui font alors l’actualité artistique. Christian Zervos écrit, tandis que son épouse visite les ateliers et organise les expositions. Cette vie intellectuellement riche et agréable dure jusqu’en janvier 1970 où meurt Yvonne Zervos. Désolé, son mari meurt à son tour en septembre 1970. Ensemble, ils ont constitué une collection d’environ 800 œuvres couvrant tout l’art de la première moitié du XXe siècle ; extrêmement riche en peintures, mais surtout en dessins et aquarelles. 

    Au cours de ces quelques mois de deuil, Christian Zervos rédige son testament*. Il lègue à la commune de Vézelay la totalité de sa collection, et de ses biens meubles et immeubles. A charge pour la ville de trouver un lieu où exposer les œuvres, et de créer une « Fondation Yvonne Zervos » qui serait installée dans leur maison de La Goulotte. 

"Le petit Luxembourg" Gouache sur papier kraft de Jean Hélion
"Le petit Luxembourg" Gouache sur papier kraft de Jean Hélion

     Pendant trente-cinq ans, cette collection qui, à l’origine, n’intéresse pas grand monde, bien que regroupant les oeuvres des plus grands (Picasso, Magritte, Braque, Hélion, etc.) va rester en attente d’un lieu où être exposée ! Plus d’un tiers de siècle pendant lequel elle reste entassée dans une salle de la mairie de Vézelay : pour cette petite ville, c’est en effet un cadeau à double tranchant, car elle n’a pas assez d’argent pour créer un musée. D’autant que le testament présentant des ambiguïtés, les « ayant droit » se lancent dans des procès. Trente-cinq ans où circulent les rumeurs, les alarmes les plus folles concernant l’intégralité de la collection ! En 1986, le maire la fait estimer et lui fait donner le statut de « musée contrôlé », titre lui permettant de devenir « Musée de France » ; et de recevoir des fonds publics. La conversion en musée, de la maison de l’écrivain Romain Rolland, est programmée en 1988, puis abandonnée. Et les choses en restent là. Finalement, en 1999, le Conseil général, à l’instigation d’Henri de Raincourt, décide de financer l’installation de ce legs et de reprendre à cet effet, l’aménagement de la Maison. Cette fois, la rénovation est menée à bien, d’après les plans de l’architecte Pietro Cremonini. Il s’agit en fait de lui conserver l’aspect et le rôle de maison, de façon à « disposer les œuvres dans la lumière du Morvan »**. L’architecte doit néanmoins se soumettre à l’obligation (imposée par les Universités de Paris, propriétaires de la maison), de conserver intacte la chambre de Romain Rolland. 

          La programmation des expositions et la conservation des collections sont confiées à Christian Derouet, conservateur au Centre Pompidou et spécialiste de l’art des années 30. 

Le musée ouvre finalement ses portes le 15 mars 2006, présentant des mobiles de Calder, une fonte d’Henri Laurens, des œuvres de Picasso, Miro, Hartung et deux miniatures de Giacometti retrouvées dans une boîte d’allumettes, « La Sauterelle » de Max Ernst, plusieurs Brauner, etc. Dans la partie nommée « la maison du jardinier », prévue pour présenter les expositions temporaires, deux œuvres immenses se côtoient : « Le Petit Luxembourg », une gouache de Jean Hélion, et une fresque de Fernand Léger réalisée en 1936, dans une maison de Vézelay. 

          En tout, une centaine d’œuvres. Ce qui, bien sûr, est frustrant ! Car à ce train, le visiteur devra attendre huit longues années, pour connaître –enfin- in extenso la collection !! Heureusement, pour se consoler, il pourra se dire que le Musée de Vézelay est désormais le plus riche en œuvres d’Art moderne en Bourgogne ; et que justice est enfin rendue en redonnant la parole à Christian Zervos qui n’était « pratiquement plus cité comme critique d’art »**, bien qu’il ait été « une bouffée d’oxygène pour tous les artistes du début du XXe siècle »**. 

Jeanine RIVAIS

 

*Le lecteur peut lire ce testament sur Internet : http://www.fondationzervos.com/fondationzervos.htm 

**Notes du service de presse du musée.

 

Musée Zervos : 14 rue Saint-Etienne. 89450 VEZELAY. Tél. : 03.86.32.39.26. Ouverture du 15 mars au 15 novembre, de 10h à 18h. Tlj sauf mardi. 

 

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Quelques notes sur ROMAIN ROLLAND (1866-1944)

PRIX NOBEL DE LITTERATURE EN 1915.

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« On n’est pas sur terre pour penser bassement à son bien-être, et travailler sans risque à amasser de gros sous ».

C’était « une vie solitaire et gênée, sans amis et sans joie autre que celle que je me créais, chargée de besognes accablantes : professorat, articles, travaux d’histoire. Je n’arrivais à arracher aux tâches qui achètent le pain, qu’une heure par jour pour Christophe, et souvent moins. Mais aucun ne passa, en ces dix années, sans sa présence ».

   (Romain Rolland. Introduction à Jean-Christophe).

 

La chambre de Romain Rolland : le piano a remplacé le lit.
La chambre de Romain Rolland : le piano a remplacé le lit.

     Romain Rolland est né à Clamecy (Nièvre). Son père abandonne sa charge notariale et la famille quitte la ville pour permettre au jeune homme de poursuivre ses études à Paris. En 1885, il intègre l’Ecole Normale Supérieure. Il renonce, par indépendance d’esprit, à l’agrégation de philosophie pour ne pas se soumettre à l’idéologie dominante, et est reçu à l’agrégation d’histoire.

          Après deux années passées à Rome, il rentre à Paris où sa pièce Les loups, inspirée de l’Affaire Dreyfus et soutenue par Péguy commence à le faire connaître. 

          De 1903 à 1912, il écrit Jean-Christophe qui est publié dans les Cahiers de la Quinzaine, de Péguy, puis est édité en dix volumes, en librairie. En 1919, il publie Colas Breugnon. En 1924, son livre sur Gandhi contribue à faire connaître ce personnage hors norme.  

          Il commence à recevoir des écrivains (Duhamel…), des poètes (Tagore…), des personnalités comme Albert Schweitzer, etc. Il lance, avec Duhamel et Barbusse, l’appel au premier congrès de l’Internationale intellectuelle. 

          De 1923 à 1936, à la demande de Sigmund Freud, une correspondance suivie s’instaure entre les deux hommes ; qui débute, de la part de Freud par un hommage prononcé rendu à l’auteur de Jean-Christophe. 

          En 1922, il s’installe en Suisse, qu’il fuit en 1938, à cause de la montée de l’Hitlérisme dans ce pays. Il s’installe à Vézelay. 

          En 1935, il se rend à Moscou à l’invitation de Gorki, pour rencontrer Staline, agissant, lui le pacifiste, comme ambassadeur des intellectuels français auprès de l’Union Soviétique.

          En 1940, il termine ses Mémoires et pendant toute la guerre, il reste silencieux. En 1944, il écrit Péguy dans lequel se mêlent ses souvenirs personnels et la réflexion d’une vie sur la religion et le socialisme. 

          Il aura publié, au cours de sa vie, environ quatre-vingts ouvrages, études et romans.  

          Il meurt le 30 décembre 1944. Ses funérailles ont lieu à Clamecy et il est enterré à Brèves.

J.R. 

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 55 DE 2006 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE.