Jeanine Rivais : Catherine Schmitz, dites-nous comment est né ce musée, puisque si j’ai bien compris, à l’origine il y a eu une donation ?

          Catherine Schmitz : En fait il y avait à l'origine une association ASB, je crois qu’en France vous dites Association sans but lucratif? 

          L’association a été créée en 1976 par Mme Denéeff. Cette dame avait perdu son fils, mort à une vingtaine d’années. Elle a rencontré l'artiste Pierre Lefèvre. Elle a trouvé dans son oeuvre un écho à sa souffrance. Elle a commencé à l’aider, le faire exposer dans des centres culturels. Peu à peu, elle s’est intéressée à d’autres artistes ; puis elle a créé son association. Son rêve était d’avoir un musée. Elle a obtenu en 1985 une pièce à étage. Il y avait là un embryon de musée, mais les oeuvres étant de plus en plus nombreuses étaient de plus en plus serrées, le lieu devenait peu à peu non plus un lieu d’exposition, mais un dépôt de tableaux, au milieu des papiers, etc. ! Elle a fait don d’une partie de sa propre collection qui s’est ajoutée aux oeuvres précédentes. Elle est morte en 1993, et il a fallu commencer à chercher des locaux susceptibles d’abriter agréablement l’ensemble de la collection ; et de permettre d’organiser des expositions temporaires d’autres artistes. 

Nous avons démarré ici en novembre 1995. 

 

Duchêne Luc-Henri
Duchêne Luc-Henri

          J. R. : Je m’en souviens. Vous m’aviez écrit à ce moment-là, et je vous avais envoyé une liste d’artistes que je pensais correspondre à votre demande.

          C. S. : Oui, j’avais connu votre nom à la suite d’un petit article d’Anita Nardon, dans Idéart. Nous avons exposé déjà une partie de ces artistes que vous nous aviez proposés. 

 

          J. R. : Je vois ici un projet que vous définissez : Conception et réalisations des enfants de l’Académie de Dessin des Arts décoratifs de Molenbeck-Saint-Jean : Il s’agit donc d’une oeuvre collective d’enfants ?

          C. S. : Oui, nous avions fait un projet, financé par la Fondation Roi Baudouin qui soutient  tout ce qui est déposé dans le domaine socioculturel. Le projet s’est étalé sur un an. Chaque groupe d’enfants avait choisi un tableau du musée, rencontré l’artiste chaque fois que cela était possible, testé les différentes techniques. Ensuite, on leur demandait d’inventer un système permettant de mettre en évidence les caractéristiques du tableau. 

 

          J. R. : Quittons cette composition bien sympathique, et revenons à l’histoire du musée. Nous en étions restées à la mort de cette dame...

          C. S. : Il nous fallait vraiment un lieu plus grand pour présenter les collections, qu’il était impossible de montrer dans le sien, tellement exigu qu’il y avait de la place pour une vingtaine d’oeuvres seulement, et encore dans de mauvaises conditions. J’ai donc commencé à prospecter dans les différentes communes de Bruxelles. J’ai reçu pour le lieu où nous sommes, un accueil favorable de la Commission Communautaire française, qui s’occupe de la Culture pour la région bruxelloise. Ils ont été intéressés par notre projet, et sont venus voir la collection qui était alors dans un petit grenier que nous avions squatté. Leur aide nous a été précieuse, parce qu’ils ont payé la première année de loyer ; sinon nous n’aurions jamais pu démarrer ! 

          Ce bâtiment est une ancienne imprimerie qui avait ensuite été occupée par des ateliers théâtraux qui avaient peint les murs en noir ! Pendant quatre mois, nous avons, toute une équipe de bénévoles, travaillé d’arrache-pied pour remettre ce lieu en état avec les moyens minimum qui étaient à notre disposition. 

 

Stroff
Stroff

          J. R. : Vous en avez fait un beau lieu, clair et l’architecture curieuse lui donne un cachet original, et se prête  à une exposition permanente à la fois de grandes oeuvres puisque cette mezzanine donne beaucoup de recul, et de toutes petites, le parcours permettant également une grande proximité.

          C. S. : Oui, les dimensions nous conviennent, parce que nous ne sommes que deux et nous pouvons à la fois être à l’aise et dans une grande convivialité. Nous sommes donc sur trois niveaux : au rez-de-chaussée se trouve la collection permanente ; à l’étage nous organisons des expositions temporaires et nous avons un sous-sol où se trouve le foyer et qui peut soit servir pour présenter des oeuvres supplémentaires ; soit être loué à des artistes souhaitant y présenter leurs oeuvres : nous désignons ces manifestations sous le titre d’"expositions hors-cadre", car bien souvent elles ne sont pas dans l’esprit de la collection.

 

          J. R. : Finalement, sur quels critères choisissez-vous les expositions temporaires que vous organisez au premier étage ?

          C. S. : Ce que nous faisons le plus souvent, ce sont des petits salons avec 4 / 5 artistes, toujours pour des raisons financières. Nous veillons à ce que pour chaque manifestation, les artistes présentés se situent dans le même créneau : par moments, ils seront plus naïfs, à d’autres plus proches de l’Art brut... J’aime bien, quelle que soit la nuance, que subsiste l’esprit de la collection permanente. D’autant qu’il est de plus en plus difficile de faire entrer les artistes dans une catégorie bien définie. Beaucoup rejettent le côté académique, mais en même temps, subsiste le côté narratif, tout ce qui leur est très personnel et qu’ils doivent mettre sur la toile ou le papier. 

          Au départ, le musée s’appelait "Maison des Arts spontané et naïf". Mais à l’ouverture du musée, nous avons voulu trouver un nom plus court, d’autant que, dans "spontané et naïf", les gens n’entendent que "naïf" ! Et, dans leur esprit,  ne voient toujours qu’un même type de naïf, avec la connotation péjorative qu’ils y attachent trop souvent. Nous avons donc décidé de ne garder que le mot "spontané" qui nous semble plus large.

 

Van de Putte Adrien
Van de Putte Adrien

          J. R. : Et qui est une dénomination supplémentaire de tous ces labels appliqués aux arts singuliers.

          C. S. : Tout cela date en fait de 1996. Et c’est tout à fait par hasard, en lisant les catalogues de la Fabuloserie, que nous nous sommes aperçus que le label  "Art spontané" avait été à l’époque de son ouverture, proposé à M. Bourbonnais ! 

 

          J. R. : L’autre jour, une artiste que vous allez je crois exposer, observait devant moi qu’il serait de plus en plus difficile d’exposer dans votre musée, parce que vous aviez des subventions plus importantes pour tout ce qui se rapporte aux arts psychiatriques. Qu’en est-il en réalité ?

          C. S. : Ceci est vrai pour le Centre de Recherche et de diffusion de l’Art en marge de Françoise Henrion. Mais pas pour ici. S’il nous arrive d’exposer un artiste appartenant à un atelier d’Art-thérapie, ou en postcure, ma démarche est de les placer avec d’autres, dans une exposition collective, au milieu d’artistes dits "normaux", pour le sortir du ghetto dans lequel on a tendance à enfermer ces créateurs. Le Creahm et Françoise Henrion travaillent vraiment sur ce secteur spécifique ; mais mon travail est de les introduire dans les circuits qui vont occulter le côté autisme, etc. J’aime que les visiteurs découvrent leur oeuvre en tant que telle, sans qu’elle soit placée automatiquement dans une catégorie ! 

 

          J. R. : C’est réussi. Et j’ai fait, dans votre exposition actuelle la démarche inverse : j’ai pensé que certains de vos exposants pourraient appartenir à des handicapés mentaux ; mais que, puisqu’ils étaient là, au milieu des autres, il n’en était sans doute rien ! 

          C. S. : Le fait d’avoir plus de subventions parce que l’on exposerait plus d’art pathologique n’existe pas. Simplement, le gros problème, en Belgique, est qu’il existe très peu de structures pour les artistes qui sont en dehors de ces créneaux ! Il y en a donc un très grand nombre qui viennent me proposer leurs oeuvres ; et je n’arrive pas à les exposer ! Ou elles ne conviennent pas à l’esprit de ce lieu.

 

          J. R. : Diriez-vous qu’en Belgique, il y a une très grande quantité d’artistes qui se considèrent comme appartenant à la vague hors-les-normes ?

          C. S. : Je dirais qu’il y a une très grande quantité d’artistes en général Je crois que nous sommes dans un pays où ils sont en nombre considérable, souvent mauvais, malheureusement ! Trop souvent désireux d’exposer partout ! Dans ce lot, il y a bien sûr une importante proportion qui ne sort pas des académies, et font une démarche complètement personnelle, trouvant par le bouche-à-oreille des lieux d'expositions !

 

          J. R. : Revenons au musée : La totalité de la collection d’Art naïf vient donc de cette dame que vous évoquiez tout à l’heure ? 

         C. S. : Une partie seulement, qui était sa collection personnelle. Une autre partie s’est constituée avec des dons d’artistes, puisque nous n’avons pas le moyen d’acheter des oeuvres.

 

          J. R. : C’était là l’objet de ma question suivante : le musée achète-t-il des oeuvres ? Puisqu’il n’en est rien, quelle est la législation belge ? Hormis les donations et les dations, je ne connais pas trop la loi française ; mais je sais qu’en Hollande, par exemple, les dons sont illégaux. Et que si un musée est obligé par manque de finances d’en recevoir, il doit tourner la loi en se faisant faire des prêts à longs termes !

          C. S. : En Belgique, nous avons le droit d’accepter des dons. Si ce sont des dons importants en argent, il y a des déclarations à formuler : cela s’est produit lorsque l’Association a reçu un don important de la fille de Dirk Bos : il s’agissait de l’équivalent de 100 000F. F. Ce don était fait dans le but de créer un prix quinquennal qui honorerait la mémoire de cet artiste. Par contre, si un artiste souhaite offrir un tableau, vu qu’il ne s’agit jamais d’oeuvres atteignant une cote faramineuse, cela ne pose aucun problème. Beaucoup de musées fonctionnent ainsi, avec des dons.

 

          J. R. : Parlez-nous maintenant du quotidien de votre musée.

        C. S. : En ce moment, nous exposons un couple. Tous deux sont sourds-muets de naissance, et lui est en train de devenir aveugle. Peut-être est-ce pour cette raison que les éléments de ses tableaux sont parsemés, voire un peu décousus ?

 

          J. R. : Je ne dirai pas que cette création est décousue. Je dirai plutôt qu’il y a une obsession du visage conçu avec une attention extrême ; comme si, n’ayant qu’une vision réduite, il concentrait tous les éléments importants sous un microscope !  Et cette façon d’entasser au milieu de reliefs peints et collés, des têtes ( ici, il s’agit de chats, par exemple), me semble tout à fait en accord avec sa situation personnelle : son espace se rétrécissant, il éprouve une grande angoisse quant à son occupation. A mesure qu’il rentre en lui-même, il tasse son environnement.

          C. S. : Il y a, en effet, des éléments récurrents dans son oeuvre, des chats, des canaris, etc.

          J’ai beaucoup de mal à imaginer comment il peut peindre ainsi, car sa vision est presque totalement nulle.

          Sa femme crée dans un autre style, complètement fermé, avec pour support, des cartons de récupération. Elle sait lire sur les lèvres, et elle peut parler. C’est donc elle qui assure la communication extérieure du couple.

 

          J. R. : Elle a donné à son travail une facture qui, de loin, ressemble à un vitrail. Puis, lorsque l’on s’approche, on s’aperçoit qu’elle a dessiné sur chaque élément de ce vitrail, une foule de détails invisibles auparavant. D’où une impression de foisonnement obsessionnel qui est tout à fait surprenante !

          Et pour terminer, je veux vous dire que je suis contente de vous connaître enfin, puisque depuis le début de ce lieu, nous correspondons sans jamais nous être rencontrées ! Et d’autre part, que je suis très heureuse de connaître votre musée qui me semble très vivant ! Heureux artistes qui exposent chez vous ! 

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE AU MUSEE SPONTANE DE BRUXELLES LE 4 MAI 2000.  

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 69 DE JANVIER 2001 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA

 

Depuis plusieurs années, le Musée d'Art spontané a migré à Schaerbeek.