D'OR ET DE FEU

L'ART EN SLOVAQUIE  A LA FIN DU MOYEN-AGE

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          L'exposition d'"Or et de feu", présentée au Musée de Cluny à Paris, porte dans le titre l'essence même de sa proposition : Magnifiquement conservés ou restaurés, les statues, les éléments liturgiques, sont couverts d'or et scintillent de tous leurs feux. Cependant, le parcours du visiteur est émaillé de termes qui ne lui sont peut-être pas toujours familiers, aussi quelques rappels peuvent être bien venus : 

 

          UN PEU DE VOCABULAIRE : 

          La quasi-totalité des sculptures présentées dans l'exposition "D'Or et de feu", sont en tilleul. Pourquoi ? 

          Le tilleul est un bois dont on peut travailler l'aubier, il ne se dégradera pas. C'est un bois blanc, très mou ayant un grain idéal pour la sculpture. Il rend bien les formes que l'on y sculpte car sa blancheur donne parfaitement les contrastes (clair/obscur). Puisqu'il est le plus facile à sculpter et qu'il n'a pas un grain très prononcé, il fait partie des bois idéaux à utiliser pour un projet que l'on veut peindre (la plupart des sculptures présentées sont ou étaient polychromes). Il permet des détails d'une extrême finesse (bien visibles, par exemple, dans les tendons des pieds et l'articulation du genou des personnages, ainsi que le travail des cheveux qui est admirable sur certaines œuvres). Ce bois est aussi idéal pour les petites sculptures où l'on ne souhaite pas que le grain vienne visuellement nuire à la forme en "rainurant" les légers traits du visage. Si on le traite avec une huile, il révèle un beau grain sobre, jaune beige et parfois marbré de brun.

          (Remarque : dans le même musée, les statues "occidentales" présentées dans la Collection permanente, sont la plupart du temps en noyer, d'où un moindre foisonnement de détails sur les visages, les cheveux, etc.) 

 

          Plusieurs éléments importants de retables sont présentés... 

          Un retable : Un retable (du latin retro tabula altaris : en arrière d'autel) est une construction verticale qui porte des décors sculptés ou peints en arrière de la table d'autel. L'étymologie du mot français est la même que l'espagnol retablo, alors que le terme italien est pala d'altare. Il est fréquent qu'un retable se compose de plusieurs volets, deux pour un diptyque, trois pour un triptyque voire davantage pour un polyptyque.

 

          Une très belle peinture propose la découverte du tombeau de Saint-Etienne protomartyr.

           Un protomartyr : Le personnage de Saint-Étienne, premier martyr de la Chrétienté -ou protomartyr-, apparaît comme étant à l’origine du culte des saints.

 

          La "Vierge entourée d'anges" est une peinture a tempera.

Peinture a tempera : Le terme tempera ou tempéra (du latin temperare : détremper) désigne une technique basée sur un liant à émulsion, qu'elle soit grasse ou maigre. Cette terminologie a longtemps suscité une extrême confusion, les uns confondant détrempe et tempera, les autres restreignant uniquement ce terme à la peinture à l'œuf. Aujourd'hui, on distingue la tempera évoquant l'idée d'émulsion, de la détrempe ou peinture strictement aqueuse. Pour préciser la nature de l'émulsion, on énonce simplement la nature des composants ; par exemple "tempera à l'œuf", "tempera grasse à la colle de peau", etc. C'est la principale technique de peinture d'art utilisée depuis des temps immémoriaux, notamment en Égypte, puis par les peintres d'icônes byzantines, et en Europe durant le Moyen Âge.

 

          La Vierge de Janovce est une sculpture a Tempera sur bois, dorure, poinçonnage…

          Le poinçonnage : On appelle poinçonnage le cisaillage (Le cisaillage est une technique d'usinage de pièces, de tôles, en particulier) sur un contour fermé, effectué par un poinçon agissant sur une matrice. Le principe reste le même que pour le cisaillage. La rupture s’effectue donc après un effort de traction.

          Il existe trois modes possibles de poinçonnage :

- le poinçonnage classique : enlèvement de matière par simple réalisation de trous.

- le grignotage, qui consiste à découper un pourtour intérieur ou extérieur par de multiples coups de poinçon.

- le découpage à la presse : découpe de flans (disques devant recevoir une empreinte) à l’aide d’un outillage spécifique.

 

          De nombreuses œuvres présentées dans l'exposition sont celles de Maître Paul de Levoca… 

          Maître Paul de Levoča (1470-1542) est l'un des artistes slovaques les plus connus, et pas uniquement à son époque. Les églises slovaques possèdent une collection remarquable de retables en bois polychromes de style gothique tardif, dont le maître-autel à retable, de 18,6 m de haut, édifié vers 1510 par Maître Paul.

 

          On peut citer par exemple l’étonnant Antiphonaire de Johannes Han…

          Un Antiphonaire : (de antiphona, " Antienne ", refrain d'un psaume) est un livre liturgique catholique utilisé pour les heures canoniales (liturgie des heures, ou "bréviaire") quand il est chanté. L’Antiphonaire de la messe (Antiphonarius, Antiphonale, liber antiphonarius missarum ) contient, en principe, tous les textes destinés à être chantés à la messe, qu’ils soient en recension musicale ou non : Introïtus avec son psaume, Graduale avec le Responsum, Tractus, Alleluia avec son verset, Offertorium, Ant. ad communionem avec son psaume. En fait, le contenu en est rarement délimité avec précision, et il peut exister des livres spéciaux, véritables subdivisions de l’Antiphonaire. Les destinataires de ces livres sont les maîtres de chœur car les chantres chantent de mémoire.

 

          Peintures et sculptures présentent le portement de la croix… 

          Le Portement de la Croix : A peine le Christ est-il condamné que les morceaux de la Croix sont jetés à ses pieds. La croix reconstituée, commence la montée vers le Golgotha. Ce serait pendant le portement de la Croix que le Christ aurait rendu à Véronique le voile qu'elle lui avait tendu, et sur lequel figuraient désormais ses traits.

 

          Puis figurent dans l'exposition plusieurs ostensoirs… 

          Un ostensoir : Un ostensoir est un objet liturgique de la religion catholique ; il est également appelé monstrance (du latin monstrantia, montre, parce que les espèces - apparences sensibles - du pain et du vin sont visibles) lors du Concile de Cologne en 1452. Il s'agit d'une pièce d'orfèvrerie, destinée à contenir l'hostie consacrée ou Saint Sacrement, et à l'exposer à l'adoration des fidèles. L'ostensoir est apparu après l'institution de la fête du Saint Sacrement en 1264. À l'origine, il se présentait sous la forme d'une tourelle cylindrique, avant de prendre la forme d'un soleil à partir du XVIIe siècle.

          Un ostensoir en argent repoussé

          Repoussé : La feuille de métal est travaillée sur l'envers du décor, pour repousser les reliefs ; puis sur l'endroit afin de faire ressortir les formes définitives. Pour cette opération, il est nécessaire d'utiliser des outils spéciaux, tels que la bouterolle. Celle-ci comporte une tête arrondie, de section plus ou moins grosse ; ou d'une forme appropriée à l'effet recherché. Le repoussé peut être réalisé en bas-relief ou en ronde-bosse. Il présente sur l'envers le négatif en creux du motif de l'avers, ainsi que la marque des outils utilisés.

 

          Sont aussi présentés des calices filigranés et granulés…

         Un filigrane (du latin filum, fil, et granum, grain) est un dessin qui apparaît sur certains papiers quand on les regarde avec une certaine transparence. Cependant, ce terme provient de l'orfèvrerie et non de l'industrie papetière. Ce sont de minces fils de métal, en or ou en argent, torsadés ou pas, soudés sur une plaque de métal ou entre eux. Le filigrane produit un effet de "broderie". L'orfèvrerie étrusque en usa depuis sa période orientalisante. Le terme de filigrane désigne également le fil qui court le long de la poignée des sabres ornés.

 

          Crucifixion canonique… 

          Le mot canonique est un adjectif employé dans plusieurs domaines.

Dans les religions, il est formé à partir du mot canon qui signifie en grec "règle". Il s'agit d'une règle disciplinaire interne à une religion (par exemple : le droit canonique de l'Église catholique).

 

Vierge d'annonciation (1280-1490) polychrome
Vierge d'annonciation (1280-1490) polychrome

          UN PEU D'HISTOIRE : 

       Les premiers Slaves slovaques, succédant aux Germains s'établissent sur l'actuel territoire slovaque au VIe siècle. Unis aux Tchèques dans l'Etat de Grande-Moravie au IXe siècle et christianisés par les missions franques encouragées par l'évêché de Salzbourg et de Passau, puis celles du grec Méthode, les Slovaques doivent subir au XIe siècle l'invasion des Magyars (Hongrois). Sous le règne du roi hongrois Matias Corvin (1458-1490), la Slovaquie entre en contact avec l'humanisme de la Renaissance. 

          En 1465, à l'initiative de l'archevêque d'Estergom d'origine croate, Jan Vitez de Sredna, est fondée l'Academica Istropolitana (Istropolis était le nom grécisé de Bratislava), sur le modèle de l'université de la Sorbonne. 

Cette période voit également le développement de villes d'extraction minière (or, cuivre, argent) et du commerce. Les Slovaques sont refoulés dans les monts métallifères et les meilleures terres de plaine sont colonisées par les Magyars. . Sous les pressions ottomanes à l’est du royaume de Hongrie, Presbourg, l’actuelle Bratislava, devient le lieu de repli du pouvoir, puis capitale et ville de couronnement des souverains.

          C'est alors l'âge d'or de la Slovaquie. Région de passage et pointe extrême de l'avancée du catholicisme en terre orthodoxe, la Slovaquie connaît un essor de sa production artistique au cours des deux derniers siècles du Moyen-âge ; production artistique qui se déplace davantage à l’est, notamment vers Kosice. C'est par l'architecture, surtout sacrée, que le style gothique, pénètre sur le territoire. Les ateliers locaux créent une quantité importante d’autels, de retables remarquables par leurs dimensions, et d’œuvres sculptées pour la décoration des églises et monastères. La Slovaquie prend le rôle de foyer artistique majeur dans l’Europe médiévale.

 

       L'EXPOSITION DU MUSEE DE CLUNY : 

          Il est toujours agréable de visiter le Musée de Cluny, ses riches collections du Moyen-âge, sa dame à la Licorne... Néanmoins, l'impatience va croissant, pour parvenir jusqu'au Frigidarium où est présentée l’exposition "D’Or et de feu" qui réunit plus d’une soixantaine de sculptures rehaussées d'une polychromie chatoyante, de peintures, d'enluminures à peine effleurées par le temps, et d'objets d’orfèvrerie : autant de trésors patrimoniaux qui font découvrir les grands centres artistiques européens de l'est, de la fin du Moyen Âge. Les prêts, dans un état de conservation ou de restauration remarquables, permettant d’apprécier l’intensité des expressions et le traitement subtil des figures, ont été consentis par des musées et, pour la première fois et à titre exceptionnel, par des édifices religieux slovaques.

 

          Au coeur de l’exposition, le visiteur découvre l’une des productions les plus représentatives de cet art, à travers les éléments de retables sculptés et peints. Ces ensembles, pour la plupart encore en place au sein des églises slovaques, frappent par leurs structures architecturales complexes, l’opulence de leurs décors et leurs dimensions exceptionnelles. En effet, statues et panneaux peints issus de ces retables sont bien souvent plus grands que nature. Ainsi, "L’échelle de la Vierge d’Annonciation" provenant de Velky Biel ou le "Relief de la Nativité" (Galerie nationale slovaque) surprennent-ils par rapport aux proportions habituelles de ce type d’oeuvres.

          En raison de sa situation géographique, et de sa richesse, la Slovaquie du XVe siècle brasse une population cosmopolite : marchands allemands, noblesse hongroise, agriculteurs slavophones. D'où des influences multiples sur l'art qui doit beaucoup aux oeuvres et aux artistes, notamment, des pays germaniques limitrophes, et de Vienne. Mais, des personnalités autochtones développent une création très originale. L’exposition s’attarde ainsi sur Maître Paul, célèbre particulièrement à l'est du pays, sculpteur du retable de l’autel majeur de la cathédrale de Levoca, qui, avec ses 18 mètres de haut, dépasse celui de Veit Stoss à Cracovie. A l'instar de ce dernier, les réalisations de Maître Paul conservent un certain idéalisme, mais s'en démarquent toutefois par un sens nouveau du mouvement et de la monumentalité, à l’image de l’imposante "Crucifixion" de Kezmarok (vers 1510-1520, en bois de tilleul, polychromie 214 x 196 cm).

 

          Objets d’orfèvrerie et manuscrits donnent également un aperçu de l’intensité et de l’étendue de l’activité artistique de la Slovaquie à la fin du Moyen-âge. Monstrances, calices, chartes enluminées, lettres d'armoiries : Tous ces objets frappent également par leurs dimensions, leur exubérance et la qualité de leur décor. Et sont le témoignage de la richesse économique et culturelle du pays. On peut citer par exemple l'ostensoir  et la croix d'autel de Spisska Nova Ves, l’étonnant Antiphonaire de Johannes Han, manuscrit exécuté vers 1487-1488, la "Crucifixion canonique" du Missel de Bratislava, les lettres d'armoiries de la ville de Kosice, etc.

 

          Une très belle exposition, un panorama d’envergure de la période médiévale en Slovaquie, dont Dušan Buran, conservateur des collections médiévales à la Galerie nationale slovaque, à Bratislava souligne le sens et l’importance dans la préface du catalogue : " L’art à la charnière des XVe et XVIe siècles en Slovaquie peut être considéré sous différentes perspectives. Cette exposition et son catalogue présentent au public une sélection d'œuvres du patrimoine de cette époque, à la frontière orientale de la culture latine médiévale en Europe. Malgré un choix restreint, l’exposition apporte la preuve, grâce à la qualité des œuvres présentées, à leur diversité stylistique et aux conditions de leur création, que le territoire de la Slovaquie, au seuil d’une nouvelle ère, non seulement faisait partie de l’espace artistique européen, mais y apportait une contribution essentielle".

Jeanine RIVAIS

 

"D'Or et de feu" : Musée National du Moyen Age : 6 Place Paul Painlevé, 75005 Paris. Tél : 01 53 73 78 00.

Ouverture : tous les jours sauf le mardi de 9h15 à 17h45 (fermeture des caisses ¾ heure avant)

Accès : métro ligne 10, arrêt Cluny la Sorbonne, Saint-Michel ou Odéon, RER C, arrêt : Saint-Michel, RER B arrêt : Cluny la Sorbonne, bus 21, 27, 38, 63, 85, 86, 87 arrêt : Cluny la Sorbonne

Exposition du 16 septembre 2010 au 10 janvier 2011.

 

CE TEXTE A ETE PUBLIE DANS LE N° 64 DU 4E TRIMESTRE 2010 DE LA REVUE DE LA CRITIQUE PARISIENNE