ALEXANDRE VITROLLES, sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Alexandre Vitrolles, si je regarde votre travail, je pense tout de suite animalier et humain. Mais doit-on dire ensuite "historique" ou "géographique" ? 

Alexandre Vitrolles : C'est la première fois que l'on identifie mon travail de cette façon ! J'aime le vivant, la couleur, les personnages qui sortent de mon imagination après diverses sources d'influences comme la lecture, la musique, la peinture… 


J.S-R. : Qu'est-ce qui vous choque si je dis "historique" ou "géographique", parce que je pensais à votre Tour de Babel, à vos tableaux.

A.V. : Ca ne me choque pas. Mais pour moi, ce sont toujours des concepts qui sont d'actualité. Que ce soit la Tour de Babel ou la mythologie, c'est toujours actuel, aujourd'hui, au XXIe siècle. Il y a quelque chose qui se perpétue, et c'est ce que j'aime dans la création. 

Blanchette, M. Seguin entre les jambes // M Seguin dans le ventre du loup
Blanchette, M. Seguin entre les jambes // M Seguin dans le ventre du loup

J.S-R. : Il me semble qu'il y a un paradoxe concernant vos deux tours : en tout cas, je n'y ai vu aucun vivant et l'environnement où la population est présentée de façon très drue ! Pourquoi vos tours sont-elles vides ? Et pourquoi tant de monde alentour ? 

A.V. : Je pense que c'est tout simplement technique. Au début, je pensais accrocher de nombreux personnages dans mes tours, et puis je ne l'ai pas fait. J'avais juste fait un personnage qui tirait une tour, pour la faire tomber. Mais c'était plutôt une création symbolique, alors que mes personnages relèvent du vivant. Et puis, finalement, c'était la réactivation d'un mythe, et il n'était pas nécessaire d'y mettre des personnages. 


J.S-R. : Commençons par les animaux : On pourrait, je crois, dire que vous les avez tirés des fables de La Fontaine ? 

A.V. : Non, il n'y en a que deux, et c'est "La chèvre de Monsieur Seguin". Ce n'est donc pas La Fontaine. Mais cela relève complètement du hasard :je suis tombé un jour sur un lot de cornes. Elles m'ont rappelé un conte qui, enfant, me faisait peur mais que j'aimais en même temps, et c'était l'histoire de la chèvre de Monsieur Seguin. Cela m'a amusé de lui donner sa revanche. 


J.S-R. : C'est donc elle qui va tuer le loup ? 

A.V. : En fait, elle se venge sur Monsieur Seguin, pas sur le loup. Elle en veut tellement à M. Seguin de l'avoir laissée attachée dans ce petit pré ! Alors qu'elle rêvait de hauts pâturages ! Quitte à se faire dévorer par le grand méchant loup ! 


J.S-R. : Ceci dit, vous avez figuré M. Seguin comme une chèvre ! 

A.V. : Non, il est entre les cuisses de la chèvre, sur la première. Et dans la "Revanche...", il est dans le ventre du loup ! 

J.S-R. : Etant donné l'humour qu'il y a dans vos œuvres, j'ai cru que vous aviez fait un transfert et mis les cornes au loup ! 

A.V. : Non, ce n'est pas cela. Le loup est assis à côté, en tout petit, mais avec un ventre énorme ! 


J.S-R. : En somme, quand vous reprenez ce conte, vous le reprenez à l'envers ? 

A.V. : Non, je lui donne une conclusion amusante ! 


J.S-R. : En effet, je crois que tout le monde a pleuré en récitant "Ah ! Qu'elle était jolie, la petite chèvre de M. Seguin…" !  

A.V. : Oui, je le crois ! 


J.S-R. : Venons-en à vos personnages. On peut dire qu'ils sont extrêmement laids ! En particulier votre Chinois en prière ! 

A.V. : Moi, je ne le trouve pas laid ! Mais il est vrai que je l'ai conçu ! Et puis je les connais tous intimement ! Alors, je ne les trouve pas laids ! 


J.S-R. : Et, dans votre esprit, ce Chinois, quel dieu prie-t-il ? 

A.V. : Je ne sais pas s'il prie un dieu ? J'aime la posture. Après, je laisse le spectateur tirer ses conclusions ! Y voir les histoires qu'il a envie d'y voir. Moi, je ne définis aucune histoire sur mes personnages. 

J.S-R. : En fait, chaque fois que vous avez un personnage ou un groupe d'individus, l'histoire commence sagement, et elle se termine par une catastrophe qui crée l'humour ? Comme vos équilibristes dont le plus haut est carrément en train de se casser la figure ! 

A.V. : J'aime bien tout ce qui est tour et la verticalité. Du coup, cela m'a intéressé, à un moment donné, de faire des tours humaines. Ce sont des personnages qui sont toujours sur le fil, en équilibre. Et j'aime bien l'équilibre. 


J.S-R. : Tout de même, celui du dessus n'a pas trouvé le sien ! 

A.V. : Non. Mais ceux de dessous assurent bien, du coup il ne risque rien ! C'est pour cela qu'il se permet des petites fantaisies ! 


J.S-R. : Et vous raisonneriez de la même façon pour l'autre groupe d'équilibristes ? 

A.V. : Oui, assurément. 


J.S-R. : Vos personnages sont extrêmement colorés la plupart du temps, mais si on les regarde bien, on s'aperçoit qu'en fait, vous n'avez que trois ou quatre couleurs. Qui reviennent de façon récurrente.

A.V. : Oui, je tourne sur les primaires. Je ne fais pas trop de mélanges. Ce sont des acryliques, elles sont belles comme cela. Après, c'est au tour de la cire de faire son travail. En vieillissant, patinant les couleurs qui sont assez vives.


J.S-R. : Vous m'avez dit que les œuvres sont en terre ; et seuls les ajouts de Récup sont en bois ou en métal ? 

Par exemple, quand vous mettez les cornes, comment faites-vous pour qu'elles tiennent ? De la colle suffit ?  

A.V. : Je fais cuire la sculpture. Ensuite, je colle les cornes avec des colles très fortes. Mais j'ai pris l'empreinte au départ.


J.S-R. : Oui, mais comme il y a toujours une rétraction de la terre, vous n'avez pas de problèmes ? 

A.V. : Non, parce que j'anticipe. 

J.S-R. : Vous avez apporté un cycliste qui est tout à fait spécial. On pourrait dire qu'il résume tout l'humour qu'il y a dans votre travail. En même temps, on dirait que vous vous êtes particulièrement penché sur lui. Que vous avez eu plus de tendresse pour lui que pour les autres ?

A.V. : Il y a des personnages auxquels on s'attache un peu plus qu'à d'autres.  Donc on y passe un peu plus de temps. Pour le cycliste, j'avais déjà fait un motard avec un guidon bizarre. Lui, c'est la suite. J'ai trouvé un tricycle qui n'a plus de guidon ! Et de par la taille de la sculpture, je m'y suis un peu plus attaché. 


J.S-R. : Vous avez reconstitué le socle qui est sous le personnage jambu ? Ou vous l'avez trouvé ainsi ? 

A.V. : Je l'ai reconstitué. J'ai utilisé des racines, du bois, des branches… 


J.S-R. : Parlons un peu de vos tableaux. Vous peignez beaucoup ? Ou ils là pour la surprise? 

A.V. : J'étais peintre avant de travailler la terre. J'ai beaucoup peint, puis quand j'ai rencontré la terre, je m'y suis plus concentré. J'ai fait moins de peinture. Mais actuellement, je m'y remets. La peinture était mon premier amour. Et c'est un véritable amour. Mais c'est plus complexe pour moi que la terre, plus cérébral. 


J.S-R. : Vous habitez au bord de la mer ? 

A.V. : Oui. Et je l'ai toujours aimée, comme les villes et les villages. 

J.S-R. : Sur vos tableaux, vous avez un assemblage de couleurs extrêmement violentes. Et là encore, vous donnez la même impression que pour les sculptures, alors que vous n'avez presque pas de couleurs ! 

A.V. : C'est qu'il y a beaucoup de travail de glacis (¹). Je fais des superpositions de couches par glacis, à peine teintés. Qui donnent de la transparence à la toile, et permettent de créer les arrière-plans. 


J.S-R. : Et que vous donne la cire par rapport aux vernis ? 

A.V. : La cire ne fixe pas. On peut cirer et recirer indéfiniment. Alors qu'une fois que vous avez verni, c'est verni ! On ne peut pas y revenir. Je n'ai jamais verni les sculptures pour pouvoir les cirer de nouveau et leur donner de la patine. Comme un vieux meuble, en fait ! 


ENTRETIEN REALISE DANS LA GROTTE DU ROURE DE BANNE, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.


 (¹) GLACIS : Le glacis est un voile de couleur transparente, posé en fin de travail et destiné à faire vibrer les couleurs. Il est surtout pratiqué en peinture à l'huile mais est aussi possible à l'acrylique et à l'aquarelle.

Le glacis consiste à superposer, en fin de travail, une ou plusieurs couches de peinture transparente, qui par un phénomène optique de réflexion de la surface, augmentent l'effet de profondeur du motif et des couleurs. Contenant plus de liant que de pigment, le glacis forme un voile (vélature) qui crée un mélange optique avec la couche précédente. (Wikipédia)