AGNES FRANCESE, sculpteure

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Agnès Francese, ces belles œuvres sont en terre ?

Agnès Francese : Oui, c'est de la terre. Je travaille avec du grès.

 

J.S-R. : Je n'ai pas l'impression que ce soit du raku ?

A.F. : Si, ce n'est que du raku.

 

J.S-R. : Mais j'en vois peu de noires ?

A.F. : Certaines le sont. Enfumées. Emaillées parce qu'elles sont craquelées… Et avec un oxyde. La flamme va venir lécher la sculpture et révéler les couleurs que je mets dessus. Avec la part de hasard du raku !

 

J.S-R. : Je dirai que la plupart de vos grandes œuvres sont raides. Et que les petites sont toutes en équilibre. Soit qu'elles soient sur une balançoire, soit accrochées sur le bord d'une étagère… Pourquoi les grandes n'ont-elles pas le droit de prendre des risques ?

A.F. : Elles en ont pris pendant la cuisson !

 

J.S-R. : Mais à ce moment-là, ce sont les vôtres, vos risques !

A.F. : En fait, les petites ont été créées pour accompagner les grandes. Et puis on m'en a redemandé. J'ai donc refait des petites. Mais cette différence n'est pas une volonté de ma part. Je suis plutôt dans la recherche de nouvelles formes. Quant aux petites, c'est de la récréation, c'est de l'amusement. Elles me permettent d'avancer vers d'autres œuvres. Certes, la terre qui est molle au départ, va durcir à la flamme. Et ce n'est qu'après avoir offert leur corps à la flamme que les œuvres vont prendre vie. Et alors, elles observent le monde, comme il est. Pour moi, elles révèlent un état d'âme collectif.

 

J.S-R. : Je dirai aussi que les grandes sont "complètes", c'est-à-dire que leur visage a des yeux, un nez parfois fantaisiste mais toujours là, une bouche et des cheveux. Par contre, si les petites ont bien des cheveux, je ne vois pas de détails sur le visage ?

A.F. : Non.

 

J.S-R. : Elles ne sont donc que des petites formes, des petites silhouettes ?

A.F. : Elles sont signifiées, juste signifiées. Révéler leur existence est un parti-pris mais le visage pour moi n'a pas d'importance. Juste une expression. Une mimique. Un cri qui va révéler son caractère. Après, elles ont une robe. Elles ont une petite histoire liée à la robe. En fait, c'est une tasse à l'envers !

 

J.S-R. : J'y ai pensé, mais je n'ai pas osé vous poser la question !

A.F. : J'ai beaucoup travaillé, il y a des années, sur la cérémonie du thé. Les personnages que vous voyez sont chacun une tasse renversée. Je n'ai créé que la tête et les pieds.

 

J.S-R. : Certaines de vos œuvres sont en ronde-bosse, mais non janiformes. Sont-elles toutes ainsi ?

A.F. : J'en ai d'autres chez moi qui sont également sculptées de deux côtés, mais aucune n'est janiforme.

 

J.S-R. : Dans les œuvres que vous avez posées sur la table, il me semble voir au moins deux religieux ? L'un, grand, avec une collerette blanche ; l'autre, petit, qui porterait la soutane. Est-ce mon imagination ?

A.F. : Sans doute !

J.S-R. : Pourtant, celui des deux qui est grand, avec la collerette, m'est d'emblée apparu comme un nabab de la religion. Il a une attitude ostentatoire. Mais il semble que vous ne soyez pas d'accord ?

A.F. : Non. Je ne vois qu'un mouvement. Il y a toujours en moi une volonté de solliciter le mouvement. Dans chaque œuvre, je dois me reconnaître, "moi". C'est une partie de moi ; mais qui n'est pas fondamentalement moi ! Je me reconnais plus dans certaines œuvres, comme celle du Gardien.

 

J.S-R. : J'ai l'air d'insister, mais celui que j'ai évoqué m'est apparu de prime abord. Certes, il a un visage qui m'a fait supposer qu'il pouvait peut-être s'agir d'une femme ? Cette tête féminine amenait un questionnement. Mais il n'a pas de mains, elles semblent fondues dans le mouvement de la "robe" : ce ne pouvait qu'être un religieux !

A.F. : Tout cela m'échappe. En effet, on pourrait voir une crosse ! Mais ceci n'est pas voulu ! Mes mains transmettent quelque chose qui est insondable, qui sans doute fait partie de moi ? En tout cas, dans le vrai sens du mot "relier", religion, d'accord. Mais de ce qu'on en a fait maintenant, non ! Je dirai peut-être qu'il peut y avoir un côté spirituel, mais pas un aspect religieux.

 

J.S-R. : Mystique, peut-être ?

A.F. : Oui, il y a toujours une quête de sens.

Je ne suis pas dans les divinités ou autres ! Mais j'ai commencé à travailler l'archéologie. Peut-être est-ce ce côté primaire, premier, qui me parle ?

J.S-R. : Dans ce cas, pourquoi aucun ou presque n'a-t-il de membres ? Et chez les rares qui en ont, elles sont liées au corps ! Est-ce pour leur conférer une certaine impuissance physique ?

A.F. : Je ne vais pas l'analyser de cette façon ! Je ne suis pas dans le conceptuel. Je suis dans l'intuitif, dans le moment où je fais.

 

J.S-R. : Ce n'est tout de même pas par hasard qu'aucun de ces deux personnages que nous continuons d'évoquer, n'a de bras utilisables !

A.F. : Peut-être que je me construis, aussi, à travers les œuvres ?

 

J.S-R. : Il y a longtemps que vous sculptez ?

A.F. : A peu près depuis 2000. Mes sculptures évoluent différemment. Les bras, oui. Au début, ils me gênaient. Maintenant, ils commencent à venir. C'était peut-être un handicap de ma part ? Qui ressort à travers mes pièces ? Mais quand je travaille, je n'analyse pas.

 

J.S-R. : Nous aurions, pu parler plus longuement du côté décoratif des petites œuvres, par rapport à la sobriété des grandes ?

A.F. : Je fais aussi la soudure.

 

J.S-R. : Donc, l'arbre est également de vous ?

A.F. : Oui, tout à fait ! Et je cuis avec le métal. C'est le côté récréatif qui m'intéresse. Je peux donc modifier mes créations. Ce que je fais là n'est pas quelque chose que j'aurais fait il y a six mois !

 

J.S-R. : Mais vos petits personnages sont des enfants. Ils sont dans le jeu.

A.F. : C'est ce qui est en moi, peut-être ?

 

J.S-R. : Des nostalgies ?

A.F. : En tout cas, tout ce que je fais maintenant n'est qu'un traitement, un support. Pour arriver au graphisme. Un prétexte pour un travail à venir, graver…

J.S-R. : Si c'est un prétexte, un précurseur plutôt, il semble évident que les suivantes seront beaucoup plus décoratives que ce que vous m'avez montré dans les grandes ?

A.F. : Je crois qu'il y aura toujours les deux. Cela peut être un paradoxe, mais c'est ce que je suis, en fait !

 

J.S-R. : Question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

A.F. : Les origines, peut-être ? La terre est ce qui m'amène à être là, présente. Redire que tout est vraiment la quête de sens personnel.

 

J.S-R. : J'aurais pu aussi vous demander pourquoi dans les grandes œuvres, les seules décorations sont des cercles ? Tout est rond ! Comme si vous ignoriez l'angle droit.

A.F. : Je pense que j'aime la rondeur ?

 

ENTRETIEN REALISE DANS LA SALLE POLYVALENTE DE SAINT-PAUL LE JEUNE LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.