CHANTAL DONNADIEU- DEVEAUX, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Il me semble, au premier abord, que votre travail se veut un peu surréaliste ?

Chantal Deveaux-Donnadieu : C'est le principe de l'illustration. Mais de l'illustration où il n'y aurait pas de texte.

 

J.S-R. : Un monde où les bêtes et les gens se parlent ?

Ch.D-D. : J'aimerais bien ! J'aimerais beaucoup qu'il en fût ainsi ! Mais c'est tout de même toujours le tiraillement entre l'extérieur et l'intérieur et la nécessité de faire correspondre les deux.

 

J.S-R. : Quand je regarde votre travail, avant même de voir le thème, je vois les couleurs.

Ch.D-D. : Pas forcément. J'ai plusieurs tableaux où tel n'est pas le cas. Et en tout cas, jamais la couleur n'a donné une teinte à un sujet. Cela naît tout ensemble. La couleur appartient donc vraiment au monde du tableau.

 

J.S-R. : On pourrait dire de celui qui représente une énorme araignée très complexe, que son corps serait une jupe…

Ch.D-D. : En fait, il est composé à partir d'un mannequin de bois dont on se sert pour travailler le dessin. Et qui s'évase en une espèce de parasol. Et chaque baleine est reliée par une liane, l'ensemble pouvant paraître terrifiant.

 

J.S-R. : Ce qui l'est surtout, c'est l'application avec laquelle vous faites chaque animal ; le côté descriptif sur ce terrain complètement bosselé qui, lui, paraît très fruste… et le ciel noir ! Nous sommes dans le drame !

Ch.D-D. : Oui, un sol très instable, très sommaire.

J.S-R. : … Dans le cauchemar…

Ch.D-D. : Oui, absolument. Ce tableau, je le confirme, a un caractère assez angoissant. Je l'ai travaillé à un moment où, effectivement, j'étais peut-être plus angoissée. Il traduit bien ce que je ressentais à ce moment-là.

 

J.S-R. : Diriez-vous que tous vos tableaux sont des reflets de vous-même et de vos humeurs ? Ou bien avez-vous simplement fantasmé vos histoires ?

Ch.D-D. : Certains sont complètement des reflets de moi-même, mais ce n'est pas le cas pour tous. D'autres sont conçus différemment sur ce qui n'était pas une émotion intérieure. Par exemple, j'ai pu démarrer sur l'objet de la citerne. Et je l'ai complétée par des apports de conversations qui m'ont amenée à le traiter de cette manière : celle que j'avais trouvée dans un jardin botanique.

 

J.S-R. : Avec vos tableaux, il me semble que vous avez des sujets de prédilection : pour l'un des contenants ; pour un autre ce sont des boules ; ailleurs des barques, des flacons ventrus ou des insectes…

Ch.D-D. : Oui. Mais en fait, c'est plutôt le thème. Là, ce sont des bateaux en papier, mais c'est surtout le thème de l'errance. J'ai créé un décor de pissenlits qui étaient foisonnants et me faisaient penser à des vagues. Et, à partir de là, le thème du voyage, mais surtout de l'errance. Je vais, mais je ne connais pas mon port. Je vais donc au gré du vent.

Ailleurs, c'est le thème du vent. Et tout est parti de lui : l'éolienne… et tout le reste suit. C'est vraiment un voyage intérieur.

 

J.S-R. : Les fonds ont beaucoup d'importance. Je vois par exemple trois fois des ciels complètement perturbés. Ensuite, j'ai l'impression d'être dans une sorte de hangar. Dans un autre, je crois être dans un boudoir. Mais il y a quelque chose de gênant : ces sortes de boutons qui sont sur le mur et qui me semblent reliés à vos personnages ?

Ch.D-D. : Ce sont des sacs. Qui sont liés au thème du lait, et au thème intérieur du tableau. Ils ne sont pas reliés aux personnages, sauf quand ils se nourrissent. Ils sont reliés, comme on va à la station d'essence. Et ces sacs se terminent par une outre. Dans mes dessins, les détails sont à prendre au premier, au second ou au troisième degrés. Il y a ce que j'ai voulu mettre moi-même, et puis il y a toute une symbolique. Et comme je la laisse monter de moi-même, il y a toute une part d'inconscient que je laisse fleurir.

J.S-R. : Est-ce vraiment relaxant, lorsque l'on a un souci, que l'on a en tête une chose perturbante, de le transférer de façon aussi évidente sur une toile ?

Ch.D-D. : Cela fait beaucoup de bien ! Mais je ne sais pas si, pour le visiteur, c'est aussi évident ? C'est évident pour moi, mais visiblement les gens qui regardent, voient des choses très différentes. Et parfois inverses, contradictoires. Je pense donc que, pour moi, cela me fait beaucoup de bien puisqu'il s'agit de rejeter hors de soi la moindre petite chose ! En même temps, pour les autres, c'est une manière de réinventer toute l'histoire.

 

J.S-R. : Vous avez des personnages qui sont très réalistes, voire hyperréalistes comme la tête posée sur le réservoir. Par contre, ceux qui sont dans le bateau ont des robes larges, il est donc impossible d'être affirmatif. Pour d'autres, vos créatures sont moitié animales, complètement déformées en tout cas. Quand choisissez-vous ce côté un peu mignard comme le personnage avec la fraise ; et quand les autres ?

Ch.D-D. : Tout dépend du thème. C'est toujours le thème qui induit le personnage. Il faut dire que je m'intéresse surtout à l'idée de métamorphose. C'est-à-dire l'objet, la forme qui se transforme, devient autre. Il est vrai que toute chose, toute forme et tout être ont plusieurs facettes. Et plusieurs en un. Donc il y a toujours cette ambiguïté entre la forme réelle que l'on voit, et celle qui est autre.

J.S-R. : J'en reviens à vos couleurs, parce que plus je les regarde, plus je trouve qu'elles sont agréables, à part ce rose acidulé qui ne me laisse pas en repos. Pour les autres, -vous avez parlé d'errance tout à l'heure-, elles donnent envie d'errer dans vos œuvres. En même temps, de rencontrer des petits détails, comme ces sortes d'oiseaux qui flottent dans l'air, ces antennes… A chaque fois, d'ailleurs, vous avez quelque chose qui vogue : les ballons, les barques, etc.

Ch.D-D. : C'est exact. Je suis très attirée par le monde aérien. C'est en quelque sorte le désir d'élévation. Peut-être comme le rêve d'Icare ? Mais il y a toujours malheureusement ce poids qui nous retient, qui fait que nous avons du mal à nous dégager de toute cette problématique terrestre. Il est vrai que dans mes tableaux, il y a l'air et le froid, que l'on retrouve bien dans les montgolfières retenues par les personnages. Et il y a le couvercle qui les empêche d'aller au-delà.

 

J.S-R. : Vous créez tout de même parfois des contrastes, comme cet oiseau au bec pointu entouré de ses petits, qui détonne dans le paysage serein et quotidien. Certes, il génère une note exotique, mais il donne une impression de danger.

Ch.D-D. : C'est qu'il est dans un univers qui n'est pas le sien. Il est l'élément naturel dans le milieu humain contraint. Il est l'élément extérieur. En même temps, ses yeux exorbités représentent la surprise et la réprobation d'un monde qui a échappé, qui est au-dehors, qui a largement dépassé son monde à lui.

 

J.S-R. : En fait, on dirait presque que vous êtes toujours entre deux mondes. L'un qui se voudrait aérien, alors que vous êtes au ras du sol.

Ch.D-D. : Pas au ras du sol. Mais comme beaucoup, j'aimerais m'échapper de ce monde qui me retient avec sa morale, avec ses contraintes inhérentes à la condition humaine. Il y a ce désir de s'échapper, de s'élever. Je ne cherche pas la signification de l'envol. Ce peut être spirituel, ce peut être un simple désir de voler, donc un bien-être. Mais, effectivement, je suis toujours tiraillée entre ces deux mondes. Ce monde aérien qui m'attire sans que j'aie le moindre vertige, et notre monde qui est toujours là à nous tirer par tous les bouts… par tout ce qui veut que nous correspondions à un système, à une forme qu'on nous impose.

 

J.S-R. : Parlons de vos titres. En fait, je me demandais s'ils sont en contradiction ? S'ils sont une autre création sur cette création picturale ? Ou s'ils sont des redondances ? Comment les considérez-vous ?

Ch.D-D. : Je les considère comme accompagnant le tableau d'une manière légèrement cachée, voilée, pour ne pas tout donner en même temps. Qu'il y ait une découverte. Le titre induit toujours une question, mais en même temps il ne donne pas la solution. Il ne donne pas le décryptage du tableau. J'aime bien aussi qu'il y ait toujours un côté dérision, pour ne pas prendre les choses trop au sérieux ; ne pas s'enfoncer dans le côté un peu sombre. Ils sont donc un fléchage, sans être une description.

J.S-R. : Je dirais que, dans ce monde de couleurs, la seule chose qui serait noire serait l'humour ?

Ch.D-D. : L'humour serait-il noir ? Il pourrait ! En même temps, j'aime la gaieté, le sourire, je pense donc plutôt à l'autodérision.

 

J.S-R. : Parce qu'en fait, vous n'avez pas de noir dans vos tableaux.

Ch.D-D. : Je n'utilise jamais de noir. Les bruns, les brun foncé, mais pas le noir ou alors sur un infime détail. Le noir ne me correspond pas, il est peut-être trop tranché. Même chose pour mes blancs qui ne sont jamais blancs. Mes clairs sont toujours légèrement verdâtres, jaunâtres… toujours colorés.

 

J.S-R. : Question traditionnelle : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

Ch.D-D. : Non Les questions que vous m'avez posées me conviennent très bien. Parce que celles que je choisirais seraient forcément dans le sens de ce que je cache.

 

ENTRETIEN REALISE DANS LA SALLE DE L'ART ACTUEL, LE SAMEDI 31 MAI 2014, LORS DU XXIIIe FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI.