CLAIRE ROSIAUX, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Claire Rosiaux, vous êtes nouvelle à Banne, et je pense que vous êtes ici au titre de l'"Art d'aujourd'hui" ? 

          Claire Rosiaux : Oui. J'ai vécu en Asie pendant quatre ans…

 

          J.R. : Je le pensais bien, vu que vos œuvres proposent des nénuphars ? 

          C.R. : Ce sont des lotus. Je travaille sur des feuilles naturelles de lotus séchées. Qui sont collées sur les toiles. Ensuite, je peins ces feuilles, soit à l'huile, soit à l'acrylique, ou les deux. 

 

          J.R. : Ce ne sont donc pas des feuilles dessinées ? 

          C.R. : Non, ce sont de véritables feuilles de lotus. 

 

          J.R. : Quel est le sens de cet apport végétal ? Qu'est-ce que cela vous apporte plutôt que de les dessiner vous-même ? 

          C.R. : Comme j'ai vécu en Asie, je travaille avec un partenaire qui vit là-bas. Et nous travaillons avec une ferme de lotus. Nous récoltons ces feuilles. Et le fait d'avoir un végétal, d'avoir quelque chose de vivant sur cette toile particulière, a un sens pour moi. C'est une partie de ma vie qui est importante. 

          J.R. : Mais une partie de votre vie où vous trichez, parce que vous cachez le végétal sous des couleurs que vous ajoutez ? 

         C.R. : Je ne les cache pas forcément, puisque je travaille beaucoup sur transparence. Et sur ce tableau qui s'intitule "Khao yai", on voit très bien qu'en travaillant à l'huile ou à l'acrylique irisé, transparent, je laisse le végétal s'exprimer de par son identité, sa forme, ses taches, ses imperfections. 

          Par contre, il est vrai que, d'autres fois, le végétal est caché sous une couche beaucoup plus opaque. Par exemple sur le Ho Yan, il y a parfois transparence avec le jaune. Le rouge, beaucoup moins, le violet, le vert… Des personnes qui sont venues chez moi m'ont dit qu'elles n'aimaient pas trop voir le végétal, qu'elles préféraient voir des taches de couleurs, et que les imperfections soient cachées. 

 

          J.R. : Pour chaque feuille, vous mettez en relief les nervures. Comment les traitez-vous pour qu'elles soient non pas blanches, mais beaucoup plus claires ? Comme si elles brillaient par rapport au limbe mat ? 

          C.R. : Sur la plupart des tableaux, je retravaille chaque nervure soit à l'or, au bronze… et le cœur est retravaillé. Ce qui donne l'impression d'un tableau en 3D. Tout dépend du tableau. Pas du tout sur les acryliques irisés, où cela ne présentait pas d'intérêt de mettre en relief les nervures. Sur le kobi, vert rose, tout est retravaillé. 

          J.R. : Est-ce que ce sont des mots chinois qui désignent vos œuvres ?  Quel est leur sens ? 

          C.R. : Pas chinois. Asiatiques. Pendant quatre années, nous avons exploré l'Asie, et les titres sont en rapport avec des voyages que nous avons effectués. Je me replonge dans mes voyages, dans mes photos, et je reproduis certaines couleurs de mes photos sur les toiles. Par exemple, quand je crée le hoi han (qui est une ville du Vietnam où l'on fabrique les lanternes), pour moi je recrée les lanternes.  Ensuite, pour le tableau intitulé sigir îya, quand nous avons visité le Sri Lanka, nous sommes allés visiter un temple  et nous avons vu exactement ces couleurs. Il y a encore beaucoup de villes du Japon ; Nara, Kobé… et le triptyque qui s'intitule "Yamanashi" qui signifie "Ruelle aux fleurs". C'est là que se trouvent toutes les geishas qui sont en costume traditionnel. J'avais photographié une geisha qui avait un vêtement exactement de cette couleur. Les bleus viennent des îles. 

 

          J.R. : Pourquoi n'avez-vous jamais reproduit les fleurs ? 

          C.R. : Ca ne m'intéressait pas de mettre les fleurs. C'est aussi une tradition : en Thaïlande, il y a beaucoup de feuilles de lotus posées sur des toiles. Pour moi, il s'agissait vraiment de retranscrire ce que j'avais vécu. La fleur n'ajouterait donc rien. 

 

          J.R. : Vos couleurs sont vives. Mais, même vives, j'ai l'impression qu'elles sont atténuées ? Vous n'avez rien de flamboyant dans le choix de vos couleurs. Comment décidez-vous que telle feuille sera rouge, telle autre verte ?...

          C.R. : Je ne sais pas. J'ai une image en tête, je prends mes tubes de peinture à l'huile. C'est une harmonie que j'ai envie de créer et qui vient d'elle-même. Mais il est vrai que je m'aide en sélectionnant des couleurs, en les mêlant. Les choix de mélanges viennent au fur et à mesure. 

 

          J.R. : Ce que je vais vous dire est tout à fait subjectif : quand on va sur un étang ou une mare où poussent des lotus, des nénuphars ou nélombos, quel que soit le nom qu'on leur donne, on a toujours cette impression d'harmonie entre la tige qui est verticale, la feuille qui est horizontale, et la fleur ou le bouton qui est une tache dessus. Sur vos tableaux, il me manque la tige et les fleurs. Pourquoi ce parti-pris ? 

          C.R. : Mais alors ce ne serait plus un tableau ! 

          J.R. : Vous ressortiriez le réalisme que vous avez supprimé ? 

          C.R. : Oui. Mais quand je me promène sur l'étang de la ferme de lotus avec laquelle je travaille, la fleur n'est pas toujours existante. Selon la saison, vous n'aurez pratiquement que des feuilles. Pour moi, la feuille est importante. Je ne vois pas trop comment retranscrire la fleur sur mes tableaux. Et pour moi, ce n'est pas important.

 

          J.R. : Je comprends bien votre démarche. Mais en fait, ce qui me manque, c'est le réalisme auquel je suis habituée avec ce genre de végétal. D'autant que, même si la fleur est inexistante, il y a toujours une petite remontée autour de l'attache du limbe. Alors que vous avez pris le parti d'un plat absolu.  

          C.R. : Il serait impossible d'effectuer ce travail avec ces reliefs. En fait, sur chaque feuille, on a ajouté un triangle  qui permet à la feuille d'être plate. 

 

          J.R. : En somme, ce que vous visez, c'est la forme ronde complète et absolument plate ? 

        C.R. : Oui, c'était nécessaire pour travailler sur un support plat, et tout en voulant donner une impression de relief avec les nervures. Ce sont elles qui donne le sentiment de relief. Il n'est donc pas envisageable pour moi de mettre une fleur sur un tableau. 

 

        J.R. : En fait, ce que je vous suggère serait plus vivant. Parce que, dans vos œuvres, je ressens une absence. Presque une léthargie. 

        Mais venons-en à la question traditionnelle que je pose à tous les artistes : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées, vu que je viens de découvrir votre travail ?

          C.R. : Oui, les gens me disent tous que c'est quelque chose qu'ils n'ont jamais vu. Et il y a une autre partie que je fais et qui est intéressante pour eux. C'est que je peins également à la demande. 

 

          J.R. : Mais que peignez-vous ? 

        C.R. : Exactement la même chose. Mais il y a des gens qui ne se retrouvent pas dans les couleurs que je propose.

 

      J.R. : Mais c'est tout de même mieux que vous imposiez au public ce que vous, vous   ressentez. 

       C.R. : Par contre, je ne vais pas peindre des choses qui me semblent impensables. J'ai une palette de couleurs que j'aime, et avec lesquelles je travaille. Mais si on me demande un grand triptyque parce que celui qui est ici est trop petit, je peux tout à fait les suivre. C'est ainsi que j'ai réalisé un grand modèle de khao yai qui me rappelle la jungle. 

 

ENTRETIEN REALISE A BANNE, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI le 6 mai 2016.