BARBARA MOUTON, peintre

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS

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Jeanine Rivais : Barbara, peut-on parler de vos cités avec des immeubles aux pieds d'argile ? 

Barbara Mouton : Oui, on peut le dire ! Oui, on peut parler d'un univers, un univers très large, un travail de ville. Je travaille aussi le végétal. Je travaille sur les gens, sur les histoires de vies. On dit souvent que je suis "conteuse en toile". Parce que je raconte des histoires, des histoires de villes. Par exemple, je suis partie au Mexique, à Nice, à Clermont, j'ai des histoires d'orphelinat, des histoires de famille, des histoires de couples. Des symboliques. Je prends beaucoup de plaisir à être la petite baguette magique des histoires des gens.

Si je fais partie de Bann'Art, c'est que je pense que je fais un art singulier, avec un petit côté naïf, enfantin, très coloré…

 

J.R. : Je ne suis pas d'accord quand vous dites "un monde de villes, un monde de gens", parce que vos mondes de villes ne sont pas des mondes de gens. Vos villes sont vides. Il n'y a pas d'habitants dans vos villes.

B.M. : Non, quand je parle de villes, je raconte vraiment des histoires de villes, c'est-à-dire des lieux de vie de gens que je n'y intègre pas. Sauf si, pour une commande, on me demande expressément d'y introduire des gens, une famille… Sinon, c'est vraiment une histoire de la ville. 

 

       J.R. : Pourquoi certaines villes sont-elles parfaitement géométriques, tandis que certains immeubles sont totalement anarchiques, avec des lignes courbes, ressemblant un peu à des saucisses ? 

       B.M. : Je suis moi-même un peu courbe ! Je vais souvent marcher comme une enfant, avec la tête qui fait un peu droite-gauche, droite-gauche… Donc, l'idée de saucisses me convient bien ! Quand je représente New-York ou Venise, j'aime leur petit air penché ! 

          J.R. : Parlons de vos gens qui, eux, n'ont par contre pas de maison ! 

       B.M. : Là, ce sont souvent des rencontres et des partages. Ce sont souvent des histoires sur les gens, des regards, des couples, des moments d'intimité avec soi-même parfois. Je me focalise plus sur l'échange, sur le moment de partage. Je suis assez contemplative et ces moments de partage sont importants.

 

          J.R. : Alors que les villes sont très réalistes, même si elles sont bancales, vos personnages sont tout à fait stylisés. Et, d'ailleurs, la plupart du temps, ils ont des têtes sans visages.

          B.M. : Oui, ce sont des têtes. Je ne voulais pas qu'un regard puisse s'inscrire sur un visage. Si je place un regard sur un visage, les gens vont le regarder, or, j'avais envie qu'ils se focalisent sur une scène, un moment de partage de lieu. Et que chacun puisse s'y voir. S'y projeter. On met une personnalité sur un visage. Et cela devient l'histoire de quelqu'un d'autre, or je voulais que ce soit universel. 

   J.R. : Parfois même, comme le personnage sur un piquet, vous les aveuglez ? 

          B.M. : Il fait partie de ce que j'appelle des "personnages craignos". Mais pour moi, cela reste un échange. Il n'y a pas de regard, mais l'intention y est : ils sont l'un en face de l'autre. Pour moi, ils sont connectés, sous la neige. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de regard qu'il ne se passe rien ! 

 

    J.R. : Pourquoi des personnages "craignos" ? 

     B.M. : Ceux-là viennent du végétal. J'avais travaillé le végétal en amont. Pour une maternité j'avais travaillé autour de la conception, de l'intra-utérin, des choses légères, qui s'entrecroisaient. J'ai une peinture très instinctive, j'ai compris pourquoi. Un jour en travaillant sur le végétal, j'ai mis un petit chapeau, et  un petit personnage est arrivé. C'était au moment où mon fils me faisait des petits personnages qu'il appelait des "bons l'hommes", des personnages/patates qui finissaient un peu en pointe. 

Je pense qu'il y a aussi une idée d'enracinement, des pieds sur terre.

          J.R. : Vous dites : "Je me suis lancée dans le végétal", mais j'ai l'impression que vos végétaux sont plutôt des animaux, des oiseaux ? Des sortes d'abeilles, etc.. Et il me semble que, sur vos tableaux, ils prennent plus de place que le végétal proprement dit ?

       B.M. : Effectivement, ce sont des oiseaux. Mais parfois, votre interprétation vous fait voir des abeilles, alors que d'autres visiteurs y voient tout plein d'autres choses ! Pour moi, cela a été un ressenti. Je voulais quelque chose de léger, quelque chose dans le vent quelque chose qui bouge. Donc, effectivement, l'abeille peut tout à fait s'intégrer ! Je n'ai pas réfléchi, peut-être de l'animal, peut-être du végétal, mais après je suis partie dans mon mouvement. Et chacun peut se l'approprier. Mais je ne suis pas partie avec la décision que c'est tel végétal. A chaque fois, c'est la surprise. Et c'est ce qui me plaît dans mon travail.

 

       J.R. : Vous avez aussi quelques personnages qui sont en trois dimensions. Ils précèdent ce que nous venons d'évoquer ? Ou ils suivent ? 

          B.M. : Ils suivent, en fait. J'avais très envie de sortir de mes toiles et de travailler la terre. C'est donc un travail de terre, avec de la peinture. Le parti-pris était d'avoir des parties très brillantes, mais aussi de la pierre en partie mate. Je suis curieuse de tout, et j'aime bien manipuler plusieurs matériaux. 

          J.R. : En fait, vous avez donc travaillé des terres grises, et vous les avez recouvertes : avec des émaux ? 

        B.M. : Non. Je voulais garder mon travail pictural. J'ai donc travaillé la terre et après, j'ai peint. La peinture me permet une diversité dans le graphisme, et reproduire ce que je fais en peinture. Puis, j'ajoute un vernis très brillant qui crée l'impression d'émaillage. 

 

     J.R. : venons-en à la question traditionnelle que je pose à tous les artistes : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

      B.M. : Qu'est-ce qui m'attire, par exemple ? Je suis très contemplative, et les échanges, le partage, le végétal autour de moi m'inspirent beaucoup. Et ma spontanéité fait que je suis toujours dans la découverte de mon travail. Un travail de lâcher prise complet. Et mon chemin m'amène sans cesse à de nouvelles découvertes.

 

ENTRETIEN REALISE A BANNE, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI le 6 mai 2016.