GAËLLE KESTELYN, dite GA

ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS

***** 

       Jeanine Rivais : Quel drôle de diminutif ! Pourquoi Ga ? 

Ga: Parce que c'est le nom que me donnent mes sœurs ! 

 

J.R. : C'est donc une affaire de famille? 

Vous êtes dans le monde de l'enfance ? De l'enfance étonnée par le monde autour d'elle, à cause des gros yeux exorbités. Et puis, quelquefois, vous débordez vers les poissons. Mais là encore, subsiste l'idée d'enfance, parce qu'il y a toujours l'adulte et l'enfant ? 

Ga : Ce n'est peut-être pas tout à fait cela. Dans le tableau que j'ai intitulé "Tu m'as jamais vu, tête de morue ?", l'idée était plutôt d'une confrontation entre les deux. Une sorte de bagarre. Et puis je fais des grands yeux, parce que j'omets le nez, je n'ai pas besoin du nez ! Il ne sert pas à grand-chose. J'ai plus besoin des yeux, parce que j'ai envie que les expressions dont je suis à la recherche révèlent vraiment ce que je veux. Pour moi, les yeux sont ce qu'il y a d'important. 

J.R. : Ce sont des collages ou des peintures ?

Quand décidez-vous que ce sont des collages plutôt que des peintures, ou inversement ? D'autant que, souvent ce sont les têtes qui sont collées, alors que le corps est peint ? 

Ga : Il n'y a pas vraiment de règle. Par exemple, "Benjamin", le petit amoureux a été très facile à réaliser. Réaliser d'un seul geste son visage. Et après, me manquait un collage. Donc, j'en ai exécuté un. D'autres fois, quand j'ai tout de suite envie d'un collage, je fais avant tout le visage.

J'avoue ne pas avoir encore compris pourquoi parfois j'ai besoin d'une peinture, d'autres fois d'un collage ? Mais une chose est sûre : j'ai le sentiment qu'il est plus facile pour moi de faire une peinture; et que je me complique la vie avec les collages. Et pourtant, je les aime vraiment. 

Et puis, je m'amuse quand je réalise leurs cheveux avec des lanières de cuir que me donne une amie. Elle m'apporte des boules de cheveux, et des bandes de cuir qu'elle prélève en fabriquant des ceintures. J'aime beaucoup le rendu de l'ensemble.

 

J.R. : Quel que soit le sujet choisi, le fond est non signifiant ? J'entends par là qu'il n'y a rien de figuratif qui permettrait de situer vos personnages. 

Ga : Je pense que ceci n'est pas définitif. J'aime vraiment travailler la plupart du temps les fonds en premier. J'aime qu'ils soient rugueux. Mais quand je commence un fond, je n'ai pas forcément une idée, ni de coloris, ni de texture. Et alors, j'expérimente. A chaque fois ! J'avance au fur et à mesure de ce qui me convient. Il m'arrive d'avoir trois ou quatre épaisseurs. Jusqu'à ce que je me dise qu'enfin le résultat me plaît. Et alors, je place un ou deux personnages. 

J'ai réalisé des poissons, parce que j'ai participé à une exposition sur le thème des "Poissons d'avril". J'ai rencontré de nombreuses difficultés, parce que le monde aquatique n'est pas trop mon rayon. J'ai commencé par faire une sirène… 

J.R. : J'ai trouvé qu'elle faisait le lien entre les personnages et les poissons.

Ga : Oui, je suis restée dans mon domaine en faisant une petite bonne femme. Que j'ai appelée "La Sironde" ! Si ronde qu'elle déborde. Elle déborde surtout du tableau, mais à mon avis elle déborde surtout d'humour. Finalement, ce travail sur le monde aquatique était un peu pour moi un défi. C'est mon mari qui m'a suggéré qu'il fallait que ce soit les poissons qui s'amusent à se coller des petits bonshommes dans les eaux ! A les regarder, on se rend compte d'eux aussi connaissent ce jeu du premier avril, qui consiste à se coller des petits personnages dans le dos ! 

 

J.R. : Si nous considérons les cinq sens, touts vos personnages sont privés de l'odorat. 

Ga : Oui. Mais cette histoire d'odorat nous incommode plus qu'il nous rend service, non ? 

 

J.R. : Mais en plus, certains n'ont pas de bras ! 

Ga : Oui, c'est vrai ! 

 

J.R. : D'autres n'ont pas de jambes, puisque vous ne les avez pas dessinés en entier. Et même ceux qui ont des jambes n'ont presque jamais de pieds. Pourquoi vos "enfants" sont-ils tous atrophiés ? Pourtant, ils ont de bonnes têtes et vous semblez les aimer. Il y en a même qui n'ont pas de bouches ! 

Ga : C'est vrai ! Et certaines fois ils ont même une croix à la place de la bouche.

 

J.R. : Ce qui veut dire qu'elle est bouchée, qu'elle est cousue ? 

Ga : Dans ce cas-là oui. Mais j'ai surtout envie que tout passe par notre regard ! Tout ce que nous voulons transmettre à d'autres n'a pas besoin de paroles, en fait. J'ai intitulé un de mes tableaux "L'0reille est le chemin du cœur". Pour le coup, vous allez trouver des oreilles partout, même si parfois elles sont cachées par les cheveux !  Les oreilles ont leur place dans mes tableaux, et quelqu'un qui sait écouter… 

J.R. : En somme, ils ont des yeux et des oreilles, mais pour le reste, c'est aléatoire ? 

Ga : Oui. Ont-ils besoin de leurs pieds ? Je n'en sais rien! Sont-ils des voyageurs ? Pas toujours ! 

 

J.R. : Dans l'un de vos tableaux, si l'enfant a un bras d'une longueur démesurée, la mère n'en a pas. 

Ga : C'est vrai. Elle l'accueille contre elle, en fait. 

 

J.R. : En même temps, elle roule des yeux qui ne sont pas forcément tendres ! 

Ga : Ah ! Vous trouvez ? Je crois que l'on peut les interpréter de différentes manières : Une personne y a vu une somnambule ; une autre m'a dit que cela lui faisait un petit peu peur quand même ! Pour moi, j'y voyais de la tendresse entre cette maman et son petit garçon… 

 

J.R. : Je n'en suis pas du tout sûre. Et le fait qu'elle ne puisse pas (j'insiste bien sur le verbe "pouvoir") le serrer dans ses bras, ajoute à l'idée que les yeux ne sont pas forcément gentils ! Bien sûr, tout cela est subjectif ! 

Ga : Oui, mais c'est tellement intéressant d'entendre parler sur son travail !

 

J.R. : Quelquefois, les personnages sont absents, dans le monde aquatique. Ils ne sont plus personnalisés. Par exemple, vous avez un banc de poissons dans un banc d'algues.

Ga : Oui, mais ceci est extrêmement rare. Je dis toujours que ce qui m'intéresse, c'est l'humain. L'humain plus que le lieu. Le lieu, peu importe. L'action, peu importe ! 

En ce qui concerne ce banc de pissons c'était pour montrer une démarche différente. Un peu pour me rassurer, parce que c'était une première pour moi. Ce sont un peu des recherches, avec différentes réponses. 

 

J.R. : Quels que soient les thèmes –aquatique ou de l'enfance- vous avez toujours un style très gestuel, très lancé. 

Ga : J'ai besoin de ce geste ! Je ne m'imagine pas du tout passer des heures à remplir des petites choses ! Il me faut ce geste ! Et même, certaines fois, je n'utilise pas un pinceau sur une toile, j'utilise des morceaux de plastique découpé qui me font comme des raclettes. Je patouille aussi beaucoup avec mes doigts. 

J.R. : Parfois, vous ajoutez des phrases, des petits textes. Qu'est-ce qu'ils apportent à vos œuvres, selon vous ? Est-ce une question de rythme du tableau ? Ou vous apportent-ils vraiment quelque chose ? 

Ga : Je le faisais beaucoup plus au début. Maintenant, je le fais assez peu. Mais il est vrai que, à mesure que le ou les personnages se créent, une histoire se raconte à moi. Et j'aime cette petite histoire. Et je l'ajoute, ou j'en ajoute une partie. Quelques mots dans le titre. Quelques mots dans le tableau. Quelquefois je m'amuse, comme celui où j'ai écrit : "Prisonnier du bla bla" ! Il y est question de la rumeur, les curieux, le qu'en dira-t-on, les ouï-dire, etc. Tous ces yeux, tous ces personnages en tenues de bagnards. Prisonnier du bla bla, c'est-à-dire ce qui ne m'intéresse vraiment pas. J'ai eu envie de m'amuser là-dessus. 

Malgré tout, je crois que dans mon travail, les petites histoires à côté sont importantes. Je les raconte souvent quand des gens viennent me rendre visite et qu'ils me posent des questions. J'ai intitulé l'une de mes petites femmes "La petite grande dame", avec ses airs de petite Indienne. Elle m'a beaucoup amusée, parce qu'elle m'a fait penser à  "Little big man" (¹), avec ses petites couettes. Et la carte est une carte déchirée parce que je déchire et je colle des choses qui ont un sens pour moi. Une carte routière de l'endroit d'où je viens, donc de Seine-et-Marne. Et elle m'a servi à faire sa tunique. Les clefs reviennent aussi beaucoup, et je m'amuse à jouer sur les symboles : pas forcément la clef du bonheur, ce peut être tout simplement la clef du placard à bonbons. 

 

J.R. : Donc, quand même du bonheur ! 

On pourrait dire que vous êtes très proche peut-être pas du dessin animé, mais en tout cas de la bande dessinée ? 

Ga : Et pourtant, je n'en ai pas du tout envie ! 

 

       J.R. : Venons-en à la question traditionnelle que je pose à tous les artistes : Y a-t-il d'autres thèmes dont vous auriez aimé parler et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?

Ga : Je ne crois pas ! Je crois que vous menez vos entretiens avec beaucoup d'expérience et j'ai l'impression de vous avoir parlé de tout. Sous réserve qu'il ne me vienne pas une autre idée ! 

 

 (¹) "Little Big Man" est un film américain réalisé par Arthur Penn sorti en 1970. Il est inscrit en 2014 au National Film Registry pour être conservé à la bibliothèque du Congrès.

 

ENTRETIEN REALISE A BANNE, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI le 6 mai 2016.