L'ABBE FOURE (1839-1910) ET LES ROCHERS DE ROTHENEUF

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L'abbé Fouré
L'abbé Fouré

Qui ne connaît les célèbres rochers arrachés au granit par l'Abbé Fouré, sur les falaises de Rothéneuf ? En 2003, étant allée avec mon mari Michel Smolec, les visiter, nous avions été frappés par la richesse, la surabondance des figures qu'ils proposaient ; par la bonté de certains visages, la méchanceté des autres ; la quotidienneté de certains animaux, la fantasmagorie des autres… Mais aussi et surtout par l'usure de la plupart ; et par l'insouciance avec laquelle les visiteurs marchaient dessus au lieu de chercher les allées.

Il était inévitable qu'un jour quelqu'un s'émeuve de cette situation. Et il est agréable de savoir qu'à ce jour, la protection des rochers est en bonne voie.

 

Pour Michel et moi, tout a commencé au printemps 2017, où nous avons reçu un courriel de notre amie Sophie Lepetit, dont le site, intitulé "Les Grigris de Sophie", démontre à qui le visite, son souci de toutes oeuvres marginales.

"Bonjour,

Mon amie Joëlle Jouneau a besoin de nous, de notre soutien pour sauver LES ROCHERS DE ROTHENEUF. Depuis plusieurs années, Joëlle consacre tout son temps à mettre en valeur ce site incontournable. Elle est la grande spécialiste de l'Abbé Fouré.

C'est un site historique que j'ai souvent évoqué sur mon blog :

https://lesgrigrisdesophie.blogspot.fr/search/label/Les%20rochers%20de%20l%27Abb%C3%A9%20Four%C3%A9

La presse se mobilise en ce moment et il serait opportun d'accompagner ce mouvement.

http://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/il-y-a-un-siecle-a-saint-malo-la-mer-chuchotait-a-l-oreille-de-l-abbe-sculpteur_1925924.html

 Si, comme moi, vous souhaitez soutenir son action, il vous suffit de lui renvoyer vos noms et adresse mail avec une mention (collectionneur, amateur d'Art, conservateur de Musée, galeriste etc. ) pour donner du poids à notre démarche .

Voici son adresse : joelle.jouneau@orange.fr 

Bonne soirée

Sophie"

 

 

 

 

 

 

Bien sûr, nous nous sommes tout de suite inscrits à cette association de défense d'un lieu qui nous est cher !  

"Bonjour et merci de joindre mon nom et celui de mon mari à votre pétition :

 

 

 

 

 

 

**** RIVAIS Jeanine (jrivais89@orange.fr)   Critique d'Art essentiellement les arts marginaux. SITE : http://jeaninerivais.jimdo.com/

 

**** SMOLEC Michel (msmolec@orange.fr) Sculpteur et peintre d'Art singulier. SITE : http:/michelsmolec.jimdo.com 

 

Nous sommes des amis de Sophie Lepetit.

Bien amicalement.

Jeanine et Michel

 

Et nous avons reçu la réponse suivante : 

"Je vous remercie pour votre soutien.

Je ne manquerai pas de vous entretenir sur ce long combat pour une œuvre oubliée et non reconnue sur son territoire.

Avec toute ma gratitude.

Bel été à Vous

Joëlle"

 

Puis nous est parvenue copie de la lettre suivante adressée à la Ministre de la Culture : 

Le 11 Juillet 2017.

          Madame la Ministre,

Il y a quelques jours, la presse nationale alertait du péril encouru d’un chef-d'œuvre de l'art brut en France, dont nous connaissons, nous, très bien l'importance. Il s’agit des rochers sculptés par l'Abbé Fouré, au début du 20ème siècle, à Rothéneuf, sur la commune de Saint Malo.

Pour votre information, ce site est en danger : géré par une société privée depuis la mort de ce prêtre, de manière plus que troublante, il n’y a aucun service aux visiteurs, leur laisse total libre accès à l'œuvre {piétinements et pique-niques sur les sculptures etc ) et, de plus, n'effectue aucun entretien approprié. Le rapport, joint, de la DRAC de Bretagne faisait, déjà en 2009, état des faits et de la forte dégradation.

Spécialistes de l'art brut et des arts associés (artistes, conservateurs de musée, collectionneurs, critiques, éditeurs, photographes, galeristes), nous nous associons à la démarche de l'association pour solliciter, ici, la mise en oeuvre par vous et vos services de tous les moyens à votre disposition pour mettre fin au statu quo qui n'a que beaucoup trop duré et qui, s’il devait se poursuivre, conduirait non seulement à la disparition accélérée mais, aussi et surtout, à l’oubli pur ei simple de l'œuvre et de son auteur

A ce jour, les rochers sculptés sont situés sur des parcelles inscrites au titre de la loi du 2 mai 1930 :

" les sites inscrits dont le maintien de la qualité appelle une certaine surveillance "... Force est de constater que cette protection n'est pas opérante !

Ainsi, une première action, qui ne requiert aucun délai, viserait à la reconnaissance officielle de l'importance de l'œuvre via, par exemple, l’une des modalités suivantes :

- Inscription et/ou classement aux monuments historiques.

- Inscription et/ou classement aux jardins remarquables.

- Attribution du label " Patrimoine du XXe siècle".

Et puis, dès cette première étape franchie, donner ordre aux institutions et services relevant de votre autorité et compétents en la matière, de faire savoir et de faire mettre en œuvre par l’exploitant les dispositions devenues, ainsi, obligatoires.

Parallèlement à ces premiers pas, nécessaires mais non suffisants, notamment face au risque d’oubli, il importe de prendre toutes dispositions (amicales ou, à-défaut, contraintes) pour que puissent se réaliser, au plus tôt, les recommandations formulées par la DRAC dans son rapport de 2009.

 

Message du 13/07/17 19:21

"Bonjour à Tous, 

Suite à nos derniers échanges concernant le site des rochers sculptés "chef-d'oeuvre en péril", il n'y a pas encore eu de retour de la part du Ministère de la Culture.

L'article de presse de l'AFP a été repris par plusieurs médias, et dernièrement RAW VISION a relayé le message.

 Pour information, et sur sa demande, l'association "Les amis de l'oeuvre de l'Abbé Fouré" sera reçue par la DRAC Bretagne, le mercredi 18 octobre prochain, où je serai présente. Je ne manquerai pas de vous informer du résultat de cet entretien.

 Aussi, nous vous invitons à venir découvrir la première réplique d'une sculpture réalisée par l'Abbé Fouré : "DUC DE BRETAGNE", située à la Pointe du Christ.

Réalisée à partir des nouvelles technologies : numérisation 3D et robotique, cette démarche laisse entrevoir des solutions qui seront proposées pour la sauvegarde du site des rochers sculptés.

En même temps, une exposition proposée par Claude et Clovis PREVOST : LES  BATISSEURS DE L'IMAGINAIRE" sera présentée au Sémaphore de la Pointe du Grouin à Cancale (35 - 15 kms de St Malo). Tout le programme vous est adressé en fichier joint.

 En attendant de vous rencontrer, et avec tous mes remerciements. Bien à Vous. Joëlle.

 Joëlle Jouneau

Tél +33 6 12 35 14 89

Email : joelle.jouneau@orange.fr

 

Nombre d'écrivains ont écrit sur, décrit, avec leurs réactions et leurs émotions, la richesse, l'originalité  de cet ensemble de rochers. Ci-dessous, en voici un exemple :  

LE REVE FOU D'UNE EPOPEE DE GRANIT

Texte de Jean-Marc Boudier 

Adolphe Julien Fouéré, dit l’abbé Fouré (né en 1839 à Saint-Thual et mort en 1910 à Rothéneuf), a laissé à la postérité une œuvre artistique originale et monumentale, produit de la maturité et de la solitude face à la nature sauvage de la côte maritime aux abords de Saint-Malo.

De fin 1894 à 1907, il sculpta ainsi plus de trois cents statues sur cet ensemble remarquable de rochers granitiques surplombant la mer (sur la pointe de La Haie en face de l’îlot Bénétin), entre le gouffre de l’Enfer (dit "Saut de la Mort") et celui du Paradis, et réalisa de nombreuses sculptures en bois (y compris sur des meubles) dans sa maison du bourg appelée "Haute Folie", "Hermitage de Rothéneuf", ou "Maison de l'Ermite" et également connue plus tard sous le nom de "Musée Bois". Les visiteurs s’émerveillaient avant même l’entrée de cette ancienne gentilhommière. Noguette donne ainsi cette description en 1919 : "Au-dessus du mur crénelé qui lui sert de clôture, émergent des têtes grimaçantes et naïves, qu'animent des yeux verdâtres, des bouches béantes et des coiffures aux rutilantes couleurs. Elles semblent regarder ironiquement le visiteur. Elles se nomment : Enguerrand de Val, Pia de Kerlamar, Marc de Langrais, Yvonne du Minihic, Perrine des Falaises, Adolphe de la Haye, Cyr de Hindlé, Jeanne de Lavarde, Karl de la Ville-au-Roux, Gilette du Havre et Benoît de la Roche". Le même auteur nous donne encore ce poème contenu dans un "livre d’or" que l’on pouvait lire sur place :

Le dernier des Rothéneuf
Le dernier des Rothéneuf

 "Ici, l'art, à son tour, embellit la nature,

A ces différents blocs, le ciseau d'un sculpteur

Habile a su donner des traits, une figure,

Voici des cavaliers ; plus loin, un enchanteur.

Dragons ailés, serpents, fantastiques chimères,

Des monstres effrayants, des êtres fabuleux

Invoquant, du passé, légendes et mystères,

Des héros et des saints apparaissent à nos yeux".

           Ce brave et pieux abbé, courageux et tenace devant la tâche à accomplir comme une sorte de mission toute personnelle, vivait donc dans un univers à part qu’il s’était créé et qu’il partageait volontiers avec le public, au milieu d’êtres imaginaires de pierre et de bois, de génies du lieu familiers et bienveillants mais parfois inquiétants aussi. N’ayant plus de charge officielle à la fin de sa vie, on a l’impression qu’il veille sur ses statues comme sur des paroissiens, sa véritable paroisse étant devenue ouverte à tous les visiteurs de passage.

On peut retrouver ici l’esprit merveilleux des anciennes traditions bretonnes réinterprétées dans un sens chrétien. A la magie naturelle du lieu se rajoute la délimitation humaine et divine d’un espace sacré, d’une sorte d’enceinte de protection, d’enclos religieux, de vaste scène d’un théâtre immobile dont il est le maître d’œuvre et où souffle l’esprit et se livre le combat spirituel contre les forces du mal.  

Mais quelle signification donner à ce travail immense sans véritable équivalent : excentricité d’un original voire d’un fou, expression authentique de la foi, de l’histoire ou des légendes locales, ou encore d’un art brut moderne qui n’en porte pas encore le nom ? L’interprétation de telle ou telle sculpture est souvent complexe à donner, l’abbé donnant parfois un sens précis incontestable avec des titres à ses statues, authentifiant aussi de sa signature les cartes postales qu’il met en vente, mais on ne connaît pas de lui d’écrits expliquant précisément son œuvre. Un cartouche de pierre représente ainsi une scène dont on a pu dire qu’il s’agit d’une scène de ménage chez les Rothéneuf, du martyre de sainte Blandine ou d’un marin tirant sa natte à un Chinois !  

          Les statues en bois ont aujourd’hui disparu (détruites semble-t-il dans l’incendie du musée par les Allemands pendant la dernière guerre ?) et l’ensemble sculpté sur la pierre connaît malheureusement une lente et inexorable érosion naturelle et due aussi au passage des nombreux touristes. Ce site patrimonial privé, ni classé, ni inscrit aux Monuments historiques, n’est pas vraiment sauvegardé, étant depuis plusieurs propriétaires surtout une attraction commerciale pour une activité de restauration. Le chef-d’œuvre est en péril, ne ressemblant déjà plus du tout à ce qu’il a été, relevant désormais d’une curieuse esthétique romantique de vestiges et de ruines. Heureusement, depuis 2010, une association "Les Amis de l’œuvre de l’abbé Fouré" a vu le jour sous l’impulsion de Joëlle Jouneau et se consacre à la conservation et à la meilleure connaissance de ce patrimoine breton moderne.

  On a souvent interprété les sculptures de granit comme la représentation détaillée de toute la légende d’une imaginaire famille de pêcheurs, naufrageurs et pilleurs d’épaves, contrebandiers ou encore corsaires : les Rothéneuf censés avoir existé au XVIe siècle. Cela est aujourd’hui critiqué par certains mais, à l’origine, les nombreuses figures étaient polychromes, avec des inscriptions qui permettaient d’identifier les personnages, comme La Haie, La Goule, le Grand et le Petit Chevreuil, Bas-Plat, L’Ours, etc. L’abbé semble mêler aussi anciennes légendes bretonnes, personnages historiques d’autrefois et actualités politiques de l’époque puisées dans les journaux : il est donc à la fois fasciné par le charme du passé et résolument ancré dans les conflits et les enjeux qui animent le présent.

          Ce "piqueur de pierre", armé uniquement d’un simple ciseau et d’un gros marteau (des cartes postales anciennes le représentent ainsi au travail), donna naissance à des personnages (ses "bonshommes de pierre" selon Louis Boivin), animaux et monstres. L’œuvre naît de "ce tête à tête avec la mer, sa vieille amie " -dans un sens baudelairien ou hugolien-, de ce dialogue solitaire avec la pierre dans un monde du silence (l’abbé était devenu sourd), un univers personnel étrange et féerique peuplé de corps et de visages humains, de représentations animales parfois fantastiques.

  L’abbé Fouré, qui avait pris comme devise "Amor et Dolor" et comme blason symbolique un dragon noir tenant une croix tréflée, nous a laissé cette "épopée de granit" (L. Boivin) dont la forte exposition au public et la notoriété mondiale n’empêchent pas qu’une certaine part de mystère subsiste encore quant à son inspiration d’origine et son sens réel et profond. Prêtre-artiste, il a su renouveler l’art sacré et allier contemplation mystique et action, tragédie et humour, grotesque et sublime, gravité et légèreté, dans son apostolat qui passe par cette forme si originale de la sculpture, renouant ainsi avec la tradition des "ymagiers" du Moyen Age et de leurs livres de pierre mêlant souvent représentations profanes et sacrées. Encore faut-il pour nous autres hommes du XXIe siècle posséder les clés de cette lecture spirituelle assez déroutante… Beaucoup parlent à propos de l’abbé d’un "Facteur Cheval breton", mais on peut aussi le comparer à l’abbé Gillard (1901-1979), recteur de Tréhorenteuc, dans son inspiration et ses réalisations (la "Chapelle du Graal "). Par certains côtés, on peut aussi penser aux sculptures des jardins de Bomarzo, appelés aussi "Parc des monstres" (auparavant "Le bois sacré"), dans la province de Viterbe au nord du Latium en Italie, datant du XVIe siècle et cette fois d’inspiration mythologique et hermétique.

  Au milieu de cette fresque terrible racontant la chute d’une lignée vouée au péché, dont le descendant -"le dernier des Rothéneuf" représenté ailleurs avec un large chapeau rond breton pouvant ressembler selon l’angle de vue à une grosse pierre sera emporté par un "monstre marin", véritable bête de l’Apocalypse (de la mer sont venues leur prospérité et aussi leur fin), on trouve la statue surnommée "la Nonne" qui récite tranquillement son chapelet. Ses yeux tournés vers le ciel contrastent avec ceux de la tête qui se trouve plus bas.

  On connaît de l’"Ermite de Rothéneuf" ce curieux "Fol en Christ" qui s’identifia quelque part à Saint-Budoc qu’il représenta à deux reprises (dans une auge de pierre et sur son gisant) et dont il laissait dire qu’il existait un autel ancien sur les rochers, mais aussi à l’ermite Saint-Gobrien qui fut évêque de Vannes, cette sentence où tout est dit : "Dieu pêche les âmes à la ligne ; le Diable avec un filet".

L'ermite de Rotheneuf
L'ermite de Rotheneuf

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