EMILY BEER, UNE "HISTOIRE DE CŒUR" !?

*****   

Le travail du textile remonte aux plus lointaines origines des civilisations, mêlant réalité et légendes : il n'est que de penser à celle des Parques qui, de la naissance à la mort, tissent le fil de nos vies, à celles entourant l'existence du Saint-Suaire… se remémorer que pendant des millénaires le commerce des tissus a été prospère ; parcourir avec Marco Polo la route de la soie ; revoir les Très Riches Heures du Duc de  Berry ou autres nobles dont les costumes somptuaires ont enchanté le Moyen-âge et la Renaissance ; imaginer Louis XIV couvert de fils d'or, au point d'être appelé le Roi Soleil ; parcourir enfin, les folklores du monde entier ! Et admettre que les plus extravagantes démonstrations des grands couturiers contemporains font rêver tout un chacun ! Savoir, par ailleurs, que l'art textile a de tout temps eu un rapport direct avec l'écrit, puisqu'en Asie, par exemple, dès le XIIe siècle, il s'imposait en tant qu'art populaire mineur, découlant de la calligraphie japonaise. 

Plus modestement, chacun peut penser au temps où la suprême marque de respect était d'envelopper un mort dans un linceul… Penser que depuis toujours, le geste incontournable consiste à entourer de linges, un nouveau-né… Histoire délicate de ces femmes –puisqu'il faut bien admettre que ce sont elles, essentiellement, qui pérennisent cet art- des plus jeunes aux plus âgées, avec ces objets puissamment psychologiques, situés entre peinture et sculpture par les jeux de couleurs ; et tactiles par la texture des tissus.

Adulte, Emily Beer a trouvé sa liberté en se livrant à ce genre de création. Mais, s'il lui arrive, comme à la plupart des "brodeuses", de raconter des tranches de son quotidien, en exécutant ici un tablier de cuisine, là des galons pour étagères, des monogrammes de mouchoirs… visiter avec humour la religion avec Eve tentant un Adam qui lit son journal… régler ses comptes avec Barberousse et le Capitaine Crochet... même sur ces choix banals, elle va bien au-delà de l'apparence : Elle se livre sur chaque ouvrage, à un travail de "physiologiste" de l'Art textile !

Utilisant toutes les techniques de broderie, de crochet… elle découpe, coud, avec la jouissance de se dire que tout lui est possible dans ses pérégrinations à l'intérieur de son corps ! Et avec une grande attention, elle en ausculte les différents éléments ! Depuis des "radios" montrant ses côtes (derrière lesquelles se trouve un oiseau, comme en une cage) ; à la culotte ancienne sur laquelle se détachent les os de son bassin, elle ne cache rien, elle "montre tout"! Car, plus profondément encore, elle investigue son cerveau, ses poumons, son estomac ou ses intestins puisque médicalement parlant, l'intelligence tient à l'un, la peur aux autres ; et pourquoi pas sa rate puisque les humeurs en dépendent !? 

Mais surtout, elle "ausculte" son cœur ! Le cœur, véhicule des sentiments allant de l'amitié au grand amour, des joies aux chagrins liés à son existence ! Dans sa recherche d'amour absolu, elle va même jusqu'au Sacré-Cœur ! "A la base c'est le Sacré-Cœur, qui m'a inspirée", dit-elle, citant le "Petit Robert". "Jésus-Christ, dont le cœur, considéré comme organe de son humanité et comme symbole de son amour pour les hommes…". Le cœur dont elle rappelle qu'il est le commencement et la fin de toute vie, au point d'y broder "The end", comme à la fin d'un film qu'elle se serait passé et repassé !  

Voilà donc l'art textile devenu, du fait du talent et de l'infinie persévérance d'Emily Beer, un art autobiographique, par lequel elle peut panser ses blessures au fil des mots ; se créer un monde nouveau ; constituer un mélange entre l'expression et la forme au moyen de la manipulation des textiles, du dessin parfois, de l'écriture souvent. Ces éléments figuratifs précisent la signification de son œuvre, l'orientent vers de nouvelles sensations très personnelles, permettant à chacun d'y lire –puisqu'elle les livre au spectateur- ses histoires qui créent un lien entre elle et lui. Une histoire de cœur, en somme ! 

                                                        Jeanine RIVAIS

CE TEXTE A ETE ECRIT EN JUIN 2015,.APRES LE FESTIVAL DE MONTPELLIER, "SINGULIEREMENT VOTRE".